AVANT LA DELIVRANCE 1.1GADREL
Je monte les niveaux plus vite et me retrouve face à mon Chœur. L'entrée des Archanges est la plus dure à franchir. Cette porte lourde n'est réservée qu'à une poignée d'entre nous capable de la pousser. J'attrape la poignée et m'arrête un instant en regardant derrière moi. Je ne sais pas ce que je cherche, mais je l'espère aussi. La revoir une fois encore avant de m'engouffrer dans mon élément me donnerait le sentiment d'avoir fait le bon choix. Seulement, les quelques secondes suivantes ne me donnent pas la satisfaction attendue. Je pénètre en silence dans mon espace. Une fois à l'intérieur, la blancheur et l'atmosphère me ramènent à la réalité. L'évidence de mon devoir. Je soupire un peu en songeant à la Terre qui me manque déjà avant de me tourner vers deux de mes frères qui sont enlisés dans un combat de Légions. Je m'approche d'eux en lorgnant la table immaculée de soldats. La salle commune est la première pièce du niveau des Archanges. Très peu ont le privilège de pénétrer dans ce lieu et aucun ne connaît l'ensemble des salles que recèle notre fief.
— Où étais-tu Gadrel ? Tu as inquiété Michaël à partir subitement tout à l'heure. Il te cherche.
Gabriel, dos à moi, ne prend pas la peine de se retourner. Il sait qu'il s'agit bien de moi. Mon aura est distincte au Paradis. Je déglutis en observant mon petit frère qui n'a pas été inquiété par ma disparition plus longue que d'habitude.
— Je...
Je stoppe mes mots en même temps que mes pas en comprenant ce que je m'apprête à faire. Mentir à ma famille est douloureux de sens. Jamais je n'ai dissimulé quoi que ce soit à mes frères. Cela me dérange au plus profond de mon être. Mais après tout, suis-je obligé de dire toute la vérité ?
— J'étais sur Terre.
Gabriel ricane et se lève de sa chaise.
— C'est bien ce que je pensais ! Je ne comprends pas cette adoration pour la nuit sur Terre. Le jour est si beau !
— Nous en avons déjà parlé.
Je ne m'attarde pas. Cela reviendrait à converser durant des siècles sur la beauté des étoiles ou de l'astre lunaire. Il connaît pertinemment les raisons de cette préférence. Il s'avance vers moi et me tape dans le dos. Mon petit frère au regard doré me sourit. Ses cheveux sombres sont souvent en fouillis à force de passer sa main ou ses ailes dedans. J'ai vu un nombre incalculable de fois Gabriel assis à une table, se triturer l'esprit pour nous offrir des armes plus spectaculaires les unes que les autres. Il est bien le seul bon concepteur des Archanges en y songeant. Mais surtout, il est mon protégé. J'aime l'aider à améliorer ses tactiques. D'ailleurs, son sourire s'agrandit tandis que je tire une chaise à ses côtés.
— La Lune n'est rien comparée à la lumière du soleil mon frère, et c'est pour cela que je ne comprends pas ton adoration.
Il rit et j'admets qu'il est contagieux. La lune est certes minuscule face au soleil, mais j'affectionne plus les irrégularités de cette petite nature. Lorsqu'elle est pleine, elle m'hypnotise. Moins attrayante que le soleil peut-être, pourtant, elle éblouit à sa façon.
— Tu es si Chérubin face à la nuit !
Mon petit frère me taquine une fois de plus en me poussant d'un coup de coude. Je retrousse mon nez.
— Au moins, moi, je ne suis pas fou. Quelle idée te passe par la tête pour planter tes pics sur toute la Terre, par exemple ? Voilà quelque chose d'étrange !
Raphaël retient un gloussement à nos côtés tandis qu'il avance une troupe sur la table.
— Il a raison. Qu'est-ce donc que cette arme qui ne bouge pas, Gabriel ?
Le cadet nous sourit et se rassoit sur sa chaise, amusé.
— C'est la plus belle de mes merveilles, et elle est justement là pour ça.
— Pour quoi, ne pas bouger ?
Je me retourne vers Gabriel et l'interroge du regard, il est bien le plus peureux d'entre nous, mais il garde beaucoup de compétences dissimulées. Il nous surprend parfois sur certaines de ses créations. La flèche et l'arc sont les plus connus. Gabriel a mis néanmoins un peu de temps à nous expliquer comment manier ces deux outils, mais nous n'arrivons plus à nous en séparer dorénavant. Il a créé une arme à la fois dévastatrice et fluide, alors je ne doute pas de son idée ingénieuse qui se cache derrière ces pics. Mon petit frère darde sur moi un œil enjoué avant de se pencher pour partager enfin son secret.
— Mes pyramides sont là pour faire parler les curieux. C'est un leurre Gadrel, et vous vous faites tous avoir.
J'éclate de rire. Voilà qui démontre une fois de plus son intelligence. Je secoue la tête, hilare, face au regard ébahi de Raphaël qui n'a pas entendu un mot de son explication. Confus, ses lèvres se pincent, exaspéré de ne pas connaître les dernières révélations du cadet. Je me retourne d'ailleurs vers Gabriel et lui tapote l'épaule. Il m'octroie un clin d'œil, puis se concentre à nouveau sur la table où une carte est étendue. Rien qu'en voyant les soldats sous mes yeux, je me doute qu'ils parlent stratégies depuis un moment. Les légions sont matérialisées en miniatures sur la carte du monde grâce à de la magie et s'animent entre elles. Tant de petits anges pas plus haut qu'un doigt se chahutent et s'entrainent sous nos yeux. Gabriel est même en train de gagner la partie face à notre Régent. Je relève le regard vers Raphaël qui est soucieux. Il cherche un moyen de garder son armée intacte. Je souris encore plus en voyant une échappatoire qu'il n'a pas l'air de trouver.
— Sur la droite Raphaël...
— Gadrel !
Gabriel me foudroie du regard.
— Quoi !
— Laisse-moi gagner pour une fois !
Je pince les lèvres, coupable. Raphaël décale aussitôt ses Légions sur la droite et prend à revers mon petit frère. Gabriel soupire, exaspéré de voir son armée dans une situation délicate maintenant. Notre Régent les extermine peu à peu, obligeant mon cadet à battre en retraite. Il claque des doigts et ouvre sa besace. Tous ses anges s'engouffrent dans celle-ci. Il la referme puis l'accroche à sa taille en se relevant, déçu. Je n'arrive pas à ne pas m'amuser de sa mine déconfite.
— Combien en as-tu perdu ?
— Beaucoup trop par ta faute !
Gabriel ronchonne, agacé, tandis que Raphaël se lève dans la foulée en riant.
— N'en veut pas à ton grand frère, il a été un bon commandant en faisant preuve d'analyse. Tu devrais le remercier de t'avoir montré qu'il y avait une faille dans ton attaque.
Mon petit frère baisse les épaules avant de hocher la tête.
— Merci, Gadrel.
— De rien.
Je lui souris sans un mot de plus. Gabriel est celui que j'adore taquiner, mais il est aussi celui que je défendrais corps et âme. Après tout, il vient toujours chez moi pour réclamer de l'aide. Et je prends du plaisir à lui apprendre de meilleures tactiques.
— Nous pourrions en discuter plus tard et trouver une solution pour que cela n'arrive plus, si tu le souhaites ?
— Accepte Gabriel. Tu apprends toujours beaucoup de Gadrel.
Je pivote vers mon Régent. La fierté déborde de ce regard bleuté. C'est un commandant hors pair, mais surtout, il s'applique à nous garder soudés malgré nos chamailleries. Je l'observe en songeant à son âme aussi pure que ses iris. Raphaël est bien plus que notre exemple, il est le point de chute de chaque Archange. Sa sagesse peut même être comparée au Régent des Séraphin, Metatron. Ce dernier est le premier ange que Dieu a créé, ce qui fait de lui un repère pour tous. D'ailleurs, ils sont proches tous les deux. Ces deux anges sont en soi des piliers au Paradis. Je remercie mon Régent par pensée et donne une dernière accolade à Gabriel, lui disant que je suis disponible dès qu'il le désire pour améliorer ses tactiques, ce à quoi il acquiesce. Au moment où je m'apprête à rejoindre mes quartiers, Michaël entre et s'esclaffe :
— Oh ! Un câlin ! Et je ne suis pas invité ?
Je relâche mon frère. Gabriel lève les yeux, agacé de se faire passer pour le plus sentimental de nous tous une fois encore. Quoi qu'il en pense, j'aime cette partie de lui.
— Désires-tu aussi un câlin, Michaël ? Je ne voudrais pas que tu sois jaloux.
L'Archange le plus taciturne des deux pouffe pendant que j'ouvre mes bras pour l'autre. Michaël s'approche puis passe à côté de moi en me claquant sa main sur mon aile gauche. D'un coup d'œil, je le réprimande. S'il veut combattre, il perdra.
— Où étais-tu Gadrel ? Je t'ai cherché.
— Je le savais, tu es bien jaloux.
Raphaël s'amuse dans notre dos tout en rangeant ses légions.
— Vous deux, vous êtes tout autant adorables que des Chérubins !
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