Chapitre 2

-Est-ce que tu accepterais de dîner avec moi un de ces jours?

Mes yeux s'écarquillent, mon esprit fait le vide. Sa question résonne dans ma tête comme un sujet d'examen pour lequel je n'aurai pas révisé.

Le silence règne, nous nous regardons dans le blanc des yeux. Mon premier réflexe est de zieuter ce qui nous entoure. Je m'attends à ce qu'il s'écrit " caméra cachée! ma mère n'est pas en courses mais nous filme depuis le buisson! "cependant ce n'est pas le cas. 
Il ne fait pas partie de ceux qui s'amusent à donner de faux-espoirs, je le sais pertinemment.
Les secondes s'écoulent avec une lenteur extrême, mon estomac se tord. Un de nous se doit de réagir.

Sous l'affolement, la réaction la plus incongrue de toute m'apparaît comme une évidence.

-J...Je dois m'y remettre!

Je me laisse tomber sur le siège roulant conçu pour la mécanique et glisse sous le véhicule, tête la première. 

Je prends une grande inspiration puis tourne discrètement la tête vers la gauche. Le garçon, la mine déconfite, retrouve son chez lui. Je séjourne un bon moment comme cela, les yeux rivés sur leur porte d'entrée, réalisant ce que je viens de faire.
Un quart d'heure défile avant que leur voisin ne se gare, ses crissements de pneus me font office de déclic. Je n'ai pas encore accompli ma tâche. J'empoigne mes outils, résolue à me changer les idées.

Mon cœur tambourine encore dans ma poitrine à mon retour. Pas un bruit en provenance de mon appartement, Lucas doit être parti rendre visite à sa famille. Je ne m'en sens que plus soulagée. Cela me laisse du temps pour relativiser seule. 

 J'ai toujours eu un rapport étrange avec l'attachement. Je ne sais doser ni comprendre ce que je ressens alors comment pourrais-je l'expliquer à une autre personne?
Le moment d'admettre mon ressenti m'angoisse. Tant que mes pensées restent intimes, j'ai la sensation de préserver le contrôle dessus. Les exprimer à voix haute les rend concrètes, presque irrévocables. J'ai besoin de temps pour les formuler comme il se doit et ne pas les regretter.

Je pénètre dans la salle de bains en prenant soin de ne pas croiser mon reflet dans la glace.  Je m'empresse de retrouver l'eau brûlante de la douche pour me détendre. 

Le lendemain matin, la fac me rappelle à l'ordre. Je ne peux rester éternellement dans mon lit à cogiter. Je sors mon déjeuner du frigo pour le déposer sur le plan de travail, le temps d'enfiler ma veste. Je vérifie à plusieurs reprises que ma porte soit bien fermée avant de quitter l'immeuble. J'ai conscience qu'il faut que je me débarrasse de ce toc mais l'incontournable rengaine du "je m'en chargerai plus tard" à la vie dure.

J'empoigne mon volant quand le Bluetooth de ma voiture s'active. Le contact de Sandra s'affiche sur mon écran, je décroche. 

-Ne m'en veux pas Becca... 

Elle n'a pas besoin de poursuivre pour que je devine la suite. Je souffle, 

-Combien de fois devrais-je te répéter  que l'autoroute n'est pas un karting? 

Rien qu'au ton de sa voix, je la visualise aborder ce petite sourire qu'elle me glisse habituellement pour éviter mes foudres. 

-C'est bon je viendrais y jeter un coup d'œil ce week-end....Tu veux que je passe te prendre? J'imagine que ton imbécile de frère n'accepte pas de te conduire à la fac n'est-ce pas ?

-Becca tu es un ange, tu le sais?

Je pouffe,

-Je suis au courant. Dépêches toi d'enfiler tes chaussures je serais bientôt là!

Elle me fait un bisou avant de raccrocher. J'ai rencontré Sandra au cours de ma première semaine d'intégration. Nous nous sommes rapidement adoptées l'une et l'autre. D'une nature extravagante et drôle, le temps passe à une allure folle en sa compagnie. 

C'est avec elle que je me suis découverte une prétention dont je n'avais pas idée. Cette fille à la silhouette d'ange est complexée par son corps. Il ne m'était jamais venu à l'esprit qu'une fille mince puisse se sentir grosse avant cela. J'étais persuadée que ce n'était que lorsque son IMC tendait un peu trop vers le haut que des complexes étaient justifiés.
L'espace d'un instant je me suis permise de la juger. De ne pas prendre ses faiblesses en considération sous prétexte que ma situation était pire que la sienne. Puis j'ai fini par intégrer le fait que ce n'était pas de mon ressort. Une fille sans une once de graisse a le droit de complexer autant qu'une autre tailladée de bourrelets. Cela prouve bien que cela n'est que subjectif.

Sans surprise, le 4x4 de Ben est encore dans leur entrée quand je fais mon apparition. Depuis le siège passager Mike m'observe. Ils ne se ressemblent pas, pourtant ces deux-là sont amis depuis un bon moment. Je quitte mon siège pour attendre devant mon quatre roues.  L'aîné des Miller passe sa tête par la fenêtre,

-Amy la baleine est de retour! Je t'ai manqué à ce que je vois!

Je pose ma main contre mon front, plissant les yeux, signe que je me  concentre. Je pointe du doigt l'horizon.

-Ben il s'enfuit, dépêches toi de le rattraper avant qu'il ne soit trop tard!

Le concerné fronce les sourcils.

-De qui tu parles? 

-Du dernier neurone qu'il te reste mon grand.

Le garçon grimace avant de regagner sa place. Mike hilare reçoit un coup de coude de sa part.

Je sens un poids me sauter sur le dos. Sandra m'enlace.
Je fais un clin d'œil à son frère avant de nous conduire jusqu'à mon véhicule. 



--



Je n'ai eu que peu d'heures de cours.
Sur le chemin du retour, je reçois un message de Maurice.
J'ai passé la journée à l'esquiver, ayant une vague idée de son emploi du temps cela n'a pas été si compliqué. Il déclare que nous devrions avoir une discussion quand je le souhaiterai.

Je me sens tout aussi perdue que la veille, tout cela ne faisait pas partie de mes plans. J'étais loin d'avoir prévu un " que doit-on faire quand nous plaisons réciproquement à quelqu'un?" sous le coude.

Des éclats de rires envahissent mon appartement. Je n'ai pas à utiliser ma clé puisque la porte est déjà ouverte.

Lucas posé en tailleur sur le canapé discute avec ma mère en appel vidéo. Parfois je me demande de qui il est réellement l'ami.
Tout en satisfaisant la curiosité sans bornes de ma tutrice, il lève les yeux vers moi.
Mon expression le fait froncer les sourcils. Il se relève.

-Tu en fais une drôle de tête Becca.

Je pose mes deux mains sur ses épaules, les conduis jusqu'au palier puis ferme la porte derrière moi. Je lâche un long cris que je retenais jusque là. Celui-ci me donne l'impression que le tremplin d'émotions cumulé se déverse hors de mon enveloppe charnelle.

Je fonce vers la salle de bains pour m'y asperger le visage. Devant la glace je me redessine du regard. Je me détache les cheveux pour mieux me juger. Mes cheveux blonds, légèrement ondulés tombent sur mes épaules.
J'ai le visage rond et de petite lèvres charnues que je repeins d'un rouge vif la majorité du temps.
Mes cils sont plutôt longs même si je ne les maquillent jamais.
Je n'ai rien contre mon visage mais c'est en reculant que les choses se compliquent.
Ma poitrine s'impose à ma vue comme deux ballons que j'aimerais percer. Mes hanches creusent ma silhouette mais je n'ose y toucher pour ne pas y croiser les petites bosses qui se forment lorsque je bouge.
Mes cuisses sont imposantes et j'ai de petits pieds.
J'ai tu cette petite voix qui me dénigrait. J'ai tenté d'oublier, d'effacer tous complexes de ma mémoire. Je me suis laissée aller à acheter les vêtements que je souhaitais, à tenter différents styles. Je me sentais bien lorsqu'il n'y avait que moi pour me regarder et m'évaluer. L'idée qu'un autre puisse le faire aussi bouleverse mon équilibre déjà frêle. Bien que cela puisse paraître ridicule, je panique.

Je prends une profonde inspiration puis expire. Il changera sans doute d'avis, je n'ai pas à m'en inquiéter. Plus ou moins convaincue,  j'ouvre la porte de la salle de bains, décidée à passer à autre chose.
Je n'ai pas fait un pas dans le salon que la tête de Lucas dépasse à nouveau du dossier du canapé.

-Je ne t'avais pas viré toi?

Il hausse les épaules.

-Peut-être bien.
-D'où notre présence, s'esclaffe ma mère.

Je vire vers la cuisine sans leur porter d'attention.
En ouvrant le frigo, une des salades composées offertes et confectionnées par ma mère se présente à moi.
Celle-ci m'a toujours servie d'anti-stress là où le chocolat détend d'autres personnes.
Du coin de l'oeil je vois le garçon s'approcher de l'encadrement de la porte.

-J'ai besoin d'être seule.
-Vu ce que tu manges je dirais plutôt que tu as besoin de parler.

Mon regard tombe sur le bol entre mes mains. Il n'a pas tord, quand j'attaque ce plat ce n'est jamais bon signe.

-Tu promets que tu ne te moqueras pas?

Je ne croise pas son regard.

-Croix de bois, croix de fer.
-Je crois que je viens de mettre une veste à Mike Hanley.

-TU VIENS DE FAIRE QUOI?

Ce n'est pas une mais deux voix qui s'exclament.
Je me tourne vers mon ami qui tient toujour l'ordinateur portable entre ses mains. Sa complice est aussi bouche-bée que lui.

Ils restent silencieux, prêts à écouter les détails. D'une traite je leur expose la situation. Des moindres paroles que nous ayons échangé à ma réaction farfelue ou encore à notre rencontre de ce matin.

Mes yeux se ferment instinctivement, j'en ouvre un une fois ma confession achevée.
Connaissant la curiosité de celle qui m'a fait voir le jour, je m'attendais à ce qu'elle m'assaille de questions mais c'est Lucas qui s'exprime le premier,

-Donc si je comprends bien...

J'hoche la tête,

-un garçon te propose de sortir avec lui...

J'approuve.

-et toi tu joues à cache-cache? 

Ma mère quitte l'angle de vue de sa tablette pour revenir aussitôt.

-"Tu me vois, tu ne me vois plus!" ricane-t-elle.

Je roule des yeux.

-Je le savais! Je savais que vous alliez vous moquer! 

-Mais noon, soufflent-ils à l'unisson. Ne te vexes pas Becca!

Je regagne ma chambre, les laissant dans la cuisine.

--

Le garçon se tourne vers son écran, un sourire aux lèvres. Il ne peut s'empêcher d'apprécier ces instants d'intimité qui lui font sentir comme s'il était un membre à part entière de la famille.
Madame Lorrens lui adresse un regard compatissant.

-Cela ne te fais trop de peine mon chou?

Lucas désapprouve.

- Il fallait bien que ce jour arrive, un autre allait forcément finir par jeter son dévolu sur elle. C'est de ma faute pour ne pas lui avoir avoué mes sentiments tout ce temps.




Chapitre 2 achevé les amis!
Je développerai davantage les personnages à la suite.
N'hésitez pas à me partager vos avis cela me motive toujours ❤

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