Chapitre 1


Ma mère a toujours adoré cuisiner. C'était un peu thanksgiving tous les jours à la maison avec elle. Elle nous entretenait à grands coups de petits plats faits maison et de bonne humeur et je la détestais pour cela.

Dans ma famille nous sommes tous plus ou moins ronds mais moi je défie les records.
Enfant, j'étais persuadée que les doses considérables qu'elle me servait étaient dues à mon poids. Je lui en voulais de m'engraisser, de me faire sentir aussi grosse qu'on me le rappelait à l'école.
Jusqu'au jour où Alicia Vandcooper est venue dormir à la maison.
C'était une fillette menue de huit ans, une brunette avec qui j'avais sympathisé dans la cour de récréation. L'heure de passer à table a fini par pointer le bout de son nez. Ma mère avait sorti les bouchées doubles comme à son habitude. Alicia étant l'invitée d'honneur fut la première à tendre son assiette et contre toutes mes attentes, ma mère avait servie cette fille sans courbes ni bourrelets autant que moi.
J'avais enfin compris que les portions si astronomiques qu'elle nous concotait étaient équivalentes à son amour pour nous. Cela n'avait pas le moindre rapport avec mon surpoids, elle était simplement comme cela. Depuis, je ne manque pas de la remercier.

Les bras remplis de ses tupperwares, je patiente sur le paillasson. Ma mère ne s'arrêtera sûrement pas avant d'avoir dévalisé le frigidaire. Elle revient vers moi, sautillante, quelques entrées en plus dans les mains.

-Il y'a du gratin que Lucas aime tant dans une des boites, n'oublies pas de le lui donner. Je n'ai pas eu le temps de faire des courses supplémentaires tu devras te contenter de ça pour le moment ma chérie.

Je baisse la tête, dévisageant la pyramide de nourriture contre mon buste. J'arque un sourcil.

-Oh crois moi ça suffira à nourrir l'ensemble du quartier et moi pour quelques temps maman.

Elle glousse,

-J'ai un peu exagéré n'est-ce pas?

J'hausse les épaules avant de déposer un baiser sur sa joue.
Je me dirige maladroitement vers ma petite voiture dont j'arrive à ouvrir le coffre avec le pied à force d'entraînement.

Quand j'enclenche le contact je sens de la tristesse dans son regard. Ma mère a eu du mal à supporter mon départ. Une maison vide, plus personne à cajoler ni à faire rire autour d'elle a eu des allures de douce torture pour elle.
Elle n'en a jamais rien montré mais j'ai conscience qu'elle en a souffert.
J'avais besoin de nouveau, d'espace, de grandir. Le plus compliqué était de lui faire comprendre que ma décision n'était pas contre elle mais pour moi. La distinction entre ces deux propositions pour un parent peut être bien plus mince qu'on ne le croit.
Je lui fais un dernier signe de la main avant d'entamer le chemin du retour.
Voila déjà quatre mois que j'ai déménagé, sans me douter que cet inconnu que j'appréhendais tant que je désirai me réservait bien des surprises.

Comme toujours il y'a des embouteillages, j'augmente le volume de la radio pour passer le temps. La fierté de me voir tenir un volant ne semble pas vouloir s'estomper avec le temps. Mon père est propriétaire d'un garage alors je connaissais tout des quatre roues bien avant de savoir marcher. Quand certains adorent la sensation que procure la résolution d'un problème mathématiques, comprendre l'origine d'une panne me ravi moi.
Lorsque j'ai déménagé dans mon petit vingt mètres carrés, je n'avais pas encore fêté mes dix-huit ans. Je me suis alors mise en tête que proposer mes services à mon voisinage restait le meilleur moyen de gagner de l'argent. C'est comme ça que je me suis retrouvée à passer mes Week-end sous des capots de voitures.

Les effluves des petits plats embaument la voiture, je visualise déjà Lucas entrain de s'empiffrer.
Je soupire de soulagement, la circulation semble reprendre un cours normal.
J'arrive à la nuit tombée.
Je me gare devant mon immeuble. Celui-ci n'a pas d'ascenseur et aborde un style quelque peu rustique.

Le buffet à volonté préparé par ma mère rempli deux sacs de courses. Je déteste m'afficher avec un surplus de nourriture. Je ne supporte pas ces regards emplis de jugements qu'on les autres lorsqu'une grosse est accompagnée de bien plus que ce qu'elle devrait se permettre de consommer. Le jour des frites était un supplice à l'école. Une fois qu'on vous voit en apprécier une on vous recommande de ne pas en abuser, de vous remettre en question, de vous en priver pour ne pas empirer votre état actuel. Manger en public n'est alors plus un plaisir mais une épreuve.

La boule au ventre, je salue mes voisins de pallier qui quittent le bâtiment. Ceux-ci lèvent les yeux de mes provisions pour m'adresser un sourire de convenance. Ni une ni deux je file, enjambant quatre à quatre les marches menant à mon étage. Depuis le couloir, je distingue du bruit provenant de chez moi. L'opening de Man vs Wild est chantonné à tue-tête par une voix masculine. Cette situation pourrait en surprendre plus d'un mais ce n'est pas mon cas.
La première semaine qui a suivi mon emménagement, mon propriétaire m'a téléphoné affolé, pensant que je me faisais cambrioler. Je ne savais comment lui expliquer que le petit plouc de voisin qui m'avait suivie au pas toute mon enfance, avait aussi fait en sorte de devenir mon voisin de pallier. Quand cela me concerne, Lucas est un peu comme un insecte devant un lampadaire, il ne peut s'empêcher de se diriger vers la lumière quitte à se brûler les ailes.

J'ouvre la porte pour le découvrir étendu sur mon canapé, son éternel paquet de Maltesers en mains. Comme tous les samedis soirs il a enfilé un bandeau d'aventurier tandis que trois traits noirs entachent ses joues. La bouche débordante de chocolats, il déclare fièrement,

-Un your je présentewai cette émission tu verras.

-Dis celui qui a insisté pour qu'on dorme dans des tentes tout ça pour pleurnicher tout au long de notre séjour au camping l'année dernière.

Il grimace,

-On a tous nos failles tu sais!

Je pouffe tout en secouant la tête comme le ferait une mère désespérée. Je reprends mon souffle doucement, avant de déposer mes sacs sur la table basse. Le garçon se penche, descelant leur contenu des étoiles plein les yeux. Il en salive d'avance.

-Si un jour ta mère souhaite se remarier ma proposition tient toujours tu sais.

Je ris.

-Ne me parles pas de malheurs!

Nous dînons ensemble comme à l'accoutumée. Lucas doit faire une ou deux têtes de plus que moi. Il est menu et a sur la tête une petite touffe presque brune qui le caractérise. Une fois la vaisselle faîte, nous nous installons sur le canapé pour lancer une comédie.
Il attend que je m'y assoie pour s'y allonger, nichant sa tête contre mon ventre rebondi. Je ne me sens pas complexée avec lui. Il n'a jamais sous-entendu quoi que ce soit, ni émit la moindre critique sur mon physique. J'ai toujours eu l'intime conviction que cela lui importait peu. Je caresse du bout des doigts ses cheveux, il s'endort plus vite qu'il ne faut pour le dire. Un petit sourire vient se glisser au coin de mes lèvres,

-Il est vraiment incapable de visionner un film jusqu'à la fin, je soupire.

--






Le lendemain nous sommes dimanche et monsieur Hanley m'attend à son domicile.

Lucas roupille encore la bouche grande ouverte quand je m'éclipse.
Cela fait déjà trois mois que je travaille par périodes sur le véhicule de ce client. J'ai beau lui répéter qu'il serait temps d'en changer, il s'entête à vouloir garder son vieux coucou.

Je me gare à quelques mètres de chez lui et poursuis à pieds. L'homme m'invite à prendre le café en m'informant que ce matin sa femme est partie faire des courses, d'où son absence.

La famille Hanley semble toute droite sortie d'une série américaine. Son harmonie parfaite me dépasse. J'étais jeune lorsque mes parents ont divorcé, il m'a fallu du temps pour m'accoutumer à célébrer doublement les fêtes. Ils n'ont pas ce type de problèmes ici.

Après un bref état des lieux. Il me laisse passer à l'action. Je glisse sous la voiture, et me trouve rapidement aspergée d'essence.

-Vous pourriez me passer la clé de 13 s'il-vous plaît?

Rien ne vient. Etonnée, je jette un coup d'œil devant moi. Monsieur Hanley me tend bien l'outil mais c'est moi qui suis bien trop loin pour le saisir. Je pousse sur mes jambes pour revenir à la lumière du jour. Mon cœur ne fait qu'un bond, ce n'est pas le père mais le fils qui patiente. Les cheveux regroupés en un chignon plus détaché qu'attaché, le t-shirt blanc repeint en noir, j'aborde un sourire qui n'a rien de naturel.

Mike, ou plutôt Maurice d'après sa carte d'identité, a l'air amusé. Il revient comme chaque dimanche de son footing habituel, vêtu d'un petit short et d'un sweatshirt dont il a enfilé la capuche. Nous partageons la même fac, il m'a tapé à l'œil dès la rentrée. Mais soyons honnête, sans vouloir me dénigrer, je n'ai pas ma chance avec un garçon de sa trempe.

-Mon père ne compte décidément pas lâcher l'affaire, s'esclaffe-t-il, il te rendra riche un jour avec ce tas de férailles.

-Ne le critiques pas trop, il y tient vraiment tu sais.

Il saisit ma main de sa main gauche tandis que sa droite dépose l'outil dans ma paume.

-Je sais, je sais. Bonne chance, Becca.

-Merci Maurice.

Il roule des yeux tout en se dirigeant vers sa petite demeure.

-Mes parents n'auraient jamais dû te confier mon vrai prénom, ronchonne-t-il. C'était franchement pas sympa de leur part, une véritable trahison je dirais même!

Je glousse. Je m'apprête à retourner à ma besogne lorsqu'il m'interpelle. Je me tourne, l'apercevant ainsi faire demi-tour. Son expression a changé, pourtant d'un naturel extraverti, je le sens gêné.

-A propos Rebecca, avant que je n'ose plus le faire. Je... enfin... je... je voulais te demander quelque chose.

Les sourcils froncés, j'acquiesce.

-Est-ce que... Enfin, tu...

-Je...?

-Est-ce que tu accepterais de dîner avec moi un de ces jours?









Comme je le disais, l'inconnu que m'assurait la fac me réservait bien des surprises...






--

Alors ce premier chapitre vous a plu les loulous?
C'est une de mes rares histoires qui ne soit pas une fanfiction, je compte sur vous pour me soutenir ❤

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top