Partie 7 - Tayga

Une lancinante douleur à l'épaule.
J'entrouvre les yeux. Je suis recroquevillée sur moi-même en position fœtale.
J'écarte une mèche blonde de ma figure et jette un regard circulaire autour de moi.

Les contours sont flous, indistincts, mais je reconnais tout de même le sable fin et les quelques palmiers - emblématiques de l'Île - cerclés par une mer turquoise qui reflette la lumière du soleil.

Le même jeu, la même île, rien n'a changé, à un détail près : je suis seule, terriblement seule.
Pas d'âme qui vive à l'horizon.

Je peine à me relever puis effectue quelques pas maladroits pour me dégourdir les jambes. Le sable crisse sous mon poids.
J'ai une impression étrange, comme si je n'étais pas vraiment dans mon corps. Comme si je n'étais pas totalement éveillée.

Et pourtant je suis là et je compte bien en découvrir la raison.

La Voix - que je commence à bien connaître - coupe court au fil de mes pensées :

- Voici ta mission : chercher et activer la boîte sur la plage.

Est-ce le Test ? Je suppose, même si je n'ai absolument aucune idée de ce qu'Elle entend par "activer la boîte". Mais je me focalise sur le verbe "chercher" et commence à arpenter, à grands pas, la plage paradisiaque.

- Activer la boîte sur la plage. Tu as cinq minutes.

On dirait bien que La Voix radote, je me demande combien de fois encore va-t-elle répéter cela.

Attendez ? Je n'ai que cinq minutes ?

Je décide d'accélérer le mouvement, je m'accroupis et me met à creuser le sable à un endroit totalement quelconque, m'abandonnant à une réelle angoisse.

Une silhouette dans mon champ de vision me fait relever la tête.
Je m'accorde une pause.

Un garçon aux cheveux bruns est assis au bord de l'eau. Très éloigné de moi et de dos. Ses bras encerclent ses genoux et il regarde l'horizon. Les vagues le frôlent à intervalles réguliers.

Je fronce les sourcils et l'interpelle :

- Hé, toi ! Qui es-tu ?

Il pivote sa tête vers moi, intrigué. Mon coeur cesse de battre un instant.

- Luka ?

Mon petit frère ne prend pas la peine de me répondre et me tourne de nouveau le dos.

- Luka ! Qu'est ce que tu fais ici ?

Aucune réaction. Il m'ignore ouvertement. Il faut absolument qu'il s'en aille. Cet endroit n'est pas fait pour lui. Un garçon qui plus est.

Je m'apprête à me lever et à le secouer comme un prunier pour le forcer à se bouger mais un événement d'une autre importance envahi le paysage.

Une vague. Une vague aussi haute qu'un immeuble se dirige droit vers la rive où est tranquillement installé mon frère.

La terreur s'empare de moi et mon sang se glace dans mes veines.

Luka ne semble pas la voir et reste immobile. Il se met soudain à fredonner un air enfantin, ce qui rend la scène encore plus macabre.

- Lukaaaa ! je hurle. Attention ! Cours ! Dépêche toi !

Tout va très vite.
Mon frère se retourne et me lance un sourire rayonnant de bonheur et d'innocence.
La vague se rapproche.

Alors je cours.
Je fonce à toute allure dans le sable qui ralentit chacun de mes mouvements.
Je ne sens pas mes jambes. Seulement ma respiration régulière.
L'air marin sur ma peau.
Les gouttes qui roulent sur mes joues.
La vague près du rivage.
Et m'entends hurler lorsqu'elle s'abat sur Luka et l'emporte aussitôt, avant que j'ai eut le temps de faire quoi que ce soit.

Je freine brutalement et hoquète de terreur.
Mais l'assaut de la vague ne se reproduit pas.

Et mon frère ne refait pas surface.
Il ne refait pas surface.
Putain, putain, putain...

Mon coeur coule en même temps que mes larmes.

Mais je ne m'autorise ni à sombrer dans la tristesse, ni à abandonner la partie. Pas maintenant, le Jeu ne m'a pas encore achevé.

Je parcours la distance qui me sépare de la mer et je plonge à la recherche de mon jeune frère, même si j'ai à moitié conscience que c'est inutile.

Parce que la vague s'est retirée très vite. Trop vite. Emportant sur son passage la vie d'un des êtres qui m'est le plus cher.

Je ne sens pas la douleur de l'eraflure le long de mon abdomen lors de mon vol plané dans l'eau, trop près du bord.

Je me concentre sur ma nage, je me remémore les championes de natation que j'aimais regarder sur l'écran plat de notre salon.

Notre salon.

Je repousse la vision de Lëia et Manàlis en pleurs en apprenant la mort de leur fils.

Je vide mon esprit et laisse mes bras trancher l'eau et mes jambes la battre, toujours plus rapidement.

Luka, reviens. Reviens, je t'en prie.

Au bout de quelques mouvements de crawl, ma raison surgit brutalement pour me remettre sur le droit chemin :

Ce que tu fais ne sert à rien. Il ne reviendra pas.

Je pousse un cri rageur bien qu'à moitié étouffé par l'eau. Cette dernière s'infiltre dans ma bouche, mon nez, mes poumons.

Je suffoque - ce qui à pour but de renforcer ma colère et sort la tête de l'eau pour respirer. Je tousse et j'entreprends de me calmer tandis que mes larmes se mélangent à l'eau salé.

Après avoir repris partiellement mes esprits, je fais demi-tour et j'avale à une vitesse folle les quelques mètres qui me séparent de la rive puis je me remets sur pieds.

J'envoie violement valser le sable tout autour de moi. Je tape dans tout ce que je trouve, telle une hystérique ou une folle échappée de l'asile.

J'extrais de mon être tout le désespoir, toute la colère et toute la culpabilité qui l'habitent en vociférant des menaces dérisoires sans cesser de hurler.

- Vous aviez pas le droit de le tuer ! Vous aviez pas le droit... Putain de merde !

Finalement, le calme finit par s'installer. Mes larmes s'écoulent le long de mes joues et je ne fais rien pour les en empêcher. Je m'écroule à terre, hébétée. Les bras étendus sur le sable, pareille au Christ sur sa croix. Ma souffrance est semblable à la sienne.

Une douleur remonte le long de ma colonne vertébrale. Comme si mon mal intérieur devenait physique.

À moitié inconsciente je sens l'objet de ma souffrance se préciser.

L'objet de ma souffrance. L'objet.

- Temps restant avant la fin du Test...

Je me sens proche de quelque chose que mon esprit embué ne comprend pas encore.

- Cinq secondes...

Je roule sur le côté et me retrouve à plat ventre.

- Quatre secondes...

À l'endroit où je me tenais il y a un instant se trouve un cube métallique presque entièrement enfoui dans le sable.

La boîte.

- Trois secondes...

Je suis prise d'un fou rire nerveux qui se transforme rapidement en crise de larmes.

Je te vengerai. Je vais vivre pour toi.

- Deux secondes...

Je déterre hâtivement le petit cube de métal.

- Une seconde...

Le bouton rouge sur l'une des faces est le seul relief apparent.

Je prends une profonde inspiration et appuie dessus avec force. Une petite diode s'allume à l'intérieur du relief rouge.

- Temps écoulé. Activation effectuée. Test réussi.

C'est seulement à cet instant que je m'écrie en pleurant :
- Je suis désolée Luka, tellement désolée ! Je t'aim...

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