Chapitre 6

PDV Margot

Je dors.

Enfin, j'aimerais dormir.

Il fait nuit noire depuis longtemps maintenant, et mon seul souhait est de dormir.

Mais je n'y parviens pas, parce que je pense.

Je pense à tout ce qui se passe dans ma vie en ce moment. Je m'étonne même que je n'apparaisse pas dans le meilleur film d'investigation de l'année. Oscar de l'actrice la plus naturelle.

Je me retourne dans le lit. Ils n'est pas inconfortable, mais pas vraiment confortable non plus. 

Théo dort, lui, allongé près de moi. J'aimerais être dans sa situation. Je crois qu'il n'y a pas pire que de faire une insomnie près d'une personne qui dort. Ça me stresse, moi.

Le jour devrait bientôt se lever, entamant notre deuxième semaine en Alaska. Un peu moins d'une semaine de cours ratée, bravo. Ça va être si amusant à rattraper, après !

Il est quatre heures du matin, quelques heures de plus en France. Où est le kidnappeur ? 

L'angoisse me reprend.

Que me fera-t-il s'il découvre que je suis cachée dans cet appartement au beau milieu de la banlieue de Juneau, près de l'université où Théo va étudier durant cinq ans ?

Je n'ai pas vraiment envie de le découvrir, pourtant cette question me turlupine depuis que je suis arrivée ici.

Ne pas savoir est la pire des peurs.

On imagine toujours le pire, et finalement peut-être que ça se passera bien. J'ai juste à attendre pour le découvrir, c'est tout. Et ne pas crier à la Terre entière que je suis là, juste pour me défouler.

Je sens Théo bouger sur le matelas. Il ouvre ses yeux bleus et les pose sur moi.

— Margot ? Tout va bien ?

Je hoche la tête pour dire que oui, mais mes cernés, ces traîtres, ont décidé d'élire domicile sous mes yeux. Et il doit le voir, parce qu'il passe lentement son index sur elles, le front soucieux.

— Tu n'as pas dormi.

Je suis cernée. Dans les deux sens.

— Non, pas vraiment. Mais ne t'en fais pas, ça va. Je gère.

Il a un drôle de visage, celui qui te dit : « Je n'ai absolument pas gobé ton mensonge, et je n'hésiterai pas à revenir dessus plus tard. »

Néanmoins, il décide de se lever et se dirige vers la cuisine.

Nous prenons notre petit déjeuner, comme d'habitude, en silence. Une journée normale, en somme.

Jusqu'à ce que le téléphone de Théo sonne.

Un téléphone qui sonne ? Ce n'est pas la fin du monde ! Ça arrive à tout le monde, et ça ne sert à rien de s'inquiéter pour une sonnerie. Sauf que voilà ; seule Élise est autorisée à appeler Théo (il a bloqué les autres numéros) et seulement si c'est urgent, en plus d'un appel un jour sur quatre à la même heure pour avoir des nouvelles de Lyon. Ce qui veut dire que nous nous trouvons actuellement dans une situation urgente.

Théo se lève précipitamment et décroche, en se dirigeant vers la chambre. J'en profite pour le suivre. Que se passe-t-il ? Combien de fois ai-je pensé cette phrase en deux ou trois semaines ?

— Élise ?

Il n'a pas mis sur haut-parleur. Je n'entends pas la conversation. Je grogne tout en lui faisant signe d'appuyer sur le bouton prévu à cet effet.

Il soupire et s'exécute.

La voix de crécelle d'Elise emplit la pièce.

— Théo ? C'est toi ?

— Oui.

— Je ne les localise plus. Ils ont quitté le continent il y a trois jours, pas de quoi s'alarmer, ensuite j'ai compris qu'ils étaient en Alaska, encore une fois, pas de quoi s'alarmer puisque vous avez changé de position, mais là... J'ai l'impression qu'ils arrivent.

Mes yeux croisent ceux de Théo, plus sombres que d'habitude. Ils sont là. Qui, je ne sais pas, mais ils sont là.

— Tu veux dire, ils sont dans la ville ou... Vraiment ici ? je murmure.

— Ne stressez pas, gardez votre calme, mais je pense qu'ils vous ont cernés. Ils sont vraiment là, au sens propre.

Je jette un coup d'œil derrière mon dos comme si cela pouvait me permettre d'apercevoir le le kidnappeur et ses acolytes.

Acolytes... J'ai de plus en plus l'impression d'être dans un film policier. Sérieusement. Qui a déjà vécu ça ?

Je pense que je suis la seule, et je suis loin d'en être heureuse.

— Il faut partir ! 

Je me lève sur ces mots, prononcés par moi et m'apprête à prendre mon sac. Théo me retient par le coude quand je pose la main sur la poignée de la porte d'entrée.

— Tu es folle ou quoi ? susurre-t-il.

— Non, je réplique, je veux juste sauver ma peau.

Élise est silencieuse derrière le téléphone. Au loin, on entend des voix, et des cliquetis d'ordinateur.

— J'en ai reparlé à maman, ajoute Élise, s'adressant à son frère. Elle vous conseille de rester là où vous êtes. Elle a prévenu la police de Juneau – juste que vous étiez en danger, ne vous en faites pas. S'il se passe quoi que ce soit de louche, appelez-moi et maman s'occupera de la police. Papa n'est au courant de rien.

— Merci, Élise. Merci beaucoup.

— Cachez-vous, faites ce qu'il y a à faire, c'est ce que vous savez faire de mieux. Et surtout, prenez soin de vous. Margot, ramène mon frère en un seul morceau s'il te plaît !

Elle raccroche.

Un long silence prend place, jusqu'à ce que Théo me fasse signe de faire comme si de rien n'était.

Ils ne sont pas là, du moins nous ne les avons pas encore vus, il n'y a donc pas de soucis à se faire pour le moment.

La journée passe lentement, parce qu'on ne cesse de penser à ce qui nous attend. On ne pourra pas rester cachés toute notre vie, il faudra un jour sortir pour affronter la réalité. Trouver mon frère. Ou avertir la police, même si ça ne semble pas être là préoccupation principale de Théo et Élise pour l'instant

On ne parle quasiment pas ; il lit, je dessine, je regarde la télé – en anglais évidemment, je commence à en avoir ma claque de cette langue.

La journée passe donc ainsi, jusqu'au soir.


PDV Omniscient 

Le soir tombe sur Juneau et sa banlieue, marqué par un ciel plus foncé encore que l'encre qu'on utilise pour écrire. Les étoiles et la lune, très pâle, envoient leur doux reflet sur les nombreux lacs qui parsèment l'Alaska.

Dans un appartement, au fin-fond des centaines de villages, se trouvent deux personnes. Une jeune femme, allongée sur un lit, et un jeune homme, assis à ses côtés, une petite lampe à la lumière chaude posée près de lui. Il lutte contre le sommeil, cela peut se voir sur son visage angélique. On peut aussi y apercevoir l'angoisse. Il sait qu'ils se rapprochent, pourtant il n'ose pas réveiller la jeune femme. Il le devra bien, pourtant.

Un petit gadget, pas plus grand qu'un téléphone portable, a été posé à ses côtés. On voit une lumière verte qui clignote incessamment sur un de ses côtés, ce qui signifie qu'il est en charge. Dessus s'étale une carte, représentant la ville dans laquelle ils est situé. Un point rouge indique qu'ils s'approchent. C'est Élise qui transmet toutes ces informations sur le traceur qu'elle a positionné sur la veste de l'un d'eux. Ils sont tout près... Si près... Ils seront bientôt là.

⁠.⁠*⁠・⁠。゚

Au même moment, trois personnes marchent dans la rue. Deux femme et un homme. Habillés normalement – jeans et tee-shirt, ils ont de l'allure avec leur visage haut. La femme blonde se plaint, l'homme la réprimande et l'autre femme, brune, rit un peu.

On pourrait croire à un rire joyeux, comme celui que l'on partage après une dure journée, ou lorsqu'on est en compagnie de sa famille.

Pourtant, c'est un rire nerveux, forcé, mesuré, qui sort des délicates lèvres de la jeune femme. 

La blonde resserre son chignon très haut et emprunte une autre rue. Ils se rapprochent de plus en plus de l'endroit où les gens qu'ils cherchent se trouvent. Comme une bête à l'affût, l'homme consulte son téléphone, qu'il a programmé sur l'application GPS. 

On ne voit pas grand chose, dans la rue, et certaines fois, l'homme et la femme blonde se prennent les pieds contre le trottoir ou dans les poubelles.

La brune, elle, reste parfaitement droite. C'est qu'elle a une vision spéciale ; habituée à la nuit, elle voit très bien dans le noir.

À chaque fois qu'un de ses camarades tombe ou trébuche, elle jubile intérieurement. 

Elle n'aime pas voir les gens souffrir, mais les voir souffrir, eux, ne la dérange pas. Elle apprécie même le spectacle. Et la blonde ne cesse de lui reprocher. Alors, la jeune femme repart dans son rire nerveux et sans émotions.

Quelques rues, minutes et chutes plus tard, ils arrivent devant une porte vitrée. À sa gauche, un mur de briques rouges foncé, très neuves. À sa droite, un digicode enfoncé dans ce même mur.

2312.

L'objet s'allume en vert, signifiant que l'on peut rentrer. Les quatre personnes se glissent dans le noir du hall de l'immeuble.

C'est la brune qui a trouvé le code, en faisant ami-ami avec la concierge. Ce n'est pas vraiment une partie de plaisir, à vingt ans, d'essayer d'approcher un femme de cinquante ans en lui disant qu'on est l'amie de sa fille, tout en évitant de croiser ladite fille. Mais elle avait réussi. Les deux femmes avaient parlé un bout de temps, dans le hall de ce même immeuble. La concierge commençait même à lui faire confiance ce qui était étonnant. Il ne restait plus à la brune que de lui demander la date de naissance de sa fille. Trop simple.

Les couloirs sont nombreux, il y a un rez-de-chaussée, deux étages et un sous-sol. 

C'est la blonde qui a pris la tête de la petite troupe, étant celle qui a trouvé le numéro de l'appartement recherché.

Vous vous demandez sûrement ce qu'a fait le dernier, l'homme ? Eh bien, il n'a rien fait.

Les deux jeunes filles s'engagent dans les escaliers, l'homme derrière les talons. La boule à la gorge, la brune sort la clef de sa poche.

Main tremblante.

Non, elle est est incapable.

Arrête cette mascarade.

Arrête.

Arrête !

ARRÊTE !!!

La voix dans sa tête, aussi appelée conscience, lui hurle ces mots. Elle ne peut pas le faire. Elle n'est pas comme ça.

La brune tremble encore plus. La clef menace de s'achapper de ses mains fines et très blanches.

Elle doit le faire. C'est ce qu'elle doit faire. Elle n'a pas le choix.

Elle essaye de se persuader que c'est l'homme qui l'oblige à commettre cette action, sauf qu'elle sait au fond que c'est faux. C'est sa volonté de briser les règles, d'aller plus loin.

Elle ouvre la porte.

⁠.⁠*⁠・⁠。゚

À Lyon, il fait jour. 

Il est seulement cinq heures et demie, en ce dimanche matin, mais elle est bien réveillée.

Des bip sonores et assourdissants résonnent dans la maison, où elle est seule.

Réponds.

La rousse appelle sans cesse, depuis au moins trente minutes, son frère.

Réponds !

Toujours pas. Il s'est volatilisé. Et voilà que le traceur lui signale que les personnes qu'ils fuient depuis plusieurs jours déjà sont chez eux, et ils ne daignent pas répondre.

Peut-être qu'ils ont déjà été enlevés...

Cette pensée lui donne les frissons et elle remonte la couette de son lit sur sa tête, ne laissant rien dépasser, son ordinateur englouti sous la lourdeur de la couverture.

Celui-ci sonne de plus en plus fort, jusqu'à lui exploser les tympans.

— Ça va, j'ai compris, marmonne-t-elle pour elle-même.

Sa mère est au travail, à présent, son père également. Elle n'a personne pour l'aider, sauf ce point rouge situé au centre de son écran, qui ne cesse de la narguer, qui lui signifie qu'elle peut peut-être faire quelque chose, mais quoi ?

Elle ne va pas appeler la police, elle a promis à son frère qu'elle ne le ferait pas.

Lemon, Séléné, ses parents, Théo, Margot, Ashley, Apolline, Matilda... Personne ne répond à ses appels et ses messages.

Il faut se rendre à l'évidence : elle ne pourra rien faire pour eux. C'est trop tard. Déjà, l'ordinateur cesse de lui envoyer ses bip consécutifs.

Elle soupire et s'allonge, les nerfs à vif. Elle sait qu'il se passe quelque chose, à des kilomètres de là où elle se trouve, pourtant elle ne peut y assister et cela l'agace au plus haut point.

Elle se laisse tomber sur le dos sur son matelas et retombe dans le sommeil. La journée à venir sera longue.

PDV Margot 

Quoi ?

C'est le seul mot que j'arrive à prononcer lorsque Théo me tire avec force du lit.

Il plaque une main sur ma bouche et je tends l'oreille.

Je me sens encore brumeuse, et mon esprit et rempli de milliers de nuages qui m'invitent à reprendre ma place dans le lit. Pourtant, quelques chose m'en empêche.

Je mets du temps à identifier quoi, mais lorsque je le sais, tous mes sens sont en alerte.

Quelqu'un, sûrement plusieurs personnes, montent les escaliers. Se dirigent vers l'appartement de Théo.

La clef tourne dans la serrure. Nous sommes dans la chambre, la pièce la plus au fond du couloir, mais aussi la plus évidente. Si c'est bien qui je pense, c'est là qu'on va aller nous chercher en premier.

Je lance un regard interrogateur à Théo. Il saura quoi faire à coup sûr.

Il me tire le bras vers le balcon tandis que la porte de l'appartement s'ouvre avec une discrétion qui ne passe pas outre mes oreilles bien éveillées grâce à l'adrénaline qui emplit mes veines, se propage dans l'ensemble de mon corps petit à petit. 

On s'approche de la chambre, j'entends des pas feutrés, suivis d'autres, plus lourds. Il y a aussi une troisième personne, dont j'entends les talons aiguilles frapper le sol sans une once de discrétion.

— Ils sont bien là ? murmure une voix. Son accent m'est bien familier, mais je n'arrive pas à déterminer qui elle est – c'est une femme – et quelle est sa nationalité. Peut-être qu'elle vient d'Alaska ?

— Tu n'as qu'à regarder dans la chambre, répond l'homme.

Je risque un coup d'œil. La porte de ladite chambre est entrouverte, nous permettant une vue sur le salon, où ils sont. Je ne peux rien identifier dans la pénombre, mais je les vois, eux, deux femmes et un homme. Je me serre un peu plus contre Théo pour éviter qu'ils m'aperçoivent. Il me tient la main, si fort que les jointures de ses phalanges blanchissent. Ils vont nous voir. Mon dieu, ils vont nous voir. Et à ce moment-là, que va-t-il se passer ?

Théo me pousse vers la gauche et je me déporte furtivement de ce côté. Le balcon sous mes pieds est haut, et à moins d'être suicidaire, sauter d'ici semble impossible.

Ils s'approchent encore, et seul le mur de briques nous empêche de nous faire voir de l'intérieur. Un pas sur le côté, un regard à travers la baie vitrée que Théo a pris soin de fermer, et ça y est, on sera vus.

Mon cœur accélère de plus en plus, et je retiens ma respiration de peur de faire trop de bruit. Le bras de Théo autour de ma taille se vaut protecteur, mais j'ai l'impression que je vais étouffer. 

Et puis, il se produit ce qui devait arriver.

Nous ne pouvions pas avoir de chance pour une fois, c'est évident.

Parce que le téléphone portable de Théo se met à vibrer.

— Ils sont sur le balcon, constate une voix féminine.

Et je connais cette voix.


~ NDA ~

Un chapitre un peu plus long pour me faire pardonner des petits chapitres ! ^^

Ça vous a plu ? >>>

Il vous tarde la suite ou paaaas ?? 🤨

Bonne fin de journée mes chers sujets !

Sa Majesté Aliénor 👑✨✨

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