Avec Sakura

La journée passa effroyablement lentement, semblant s'étirer comme une longue bobine de fil. Du moins, c'était le ressenti de Sakura malgré les nombreuses tentatives infructueuses d'Ikiwasu pour la distraire.

Enfin, le soir arriva et la fille d'Aizawa était sur des charbons ardents, guettant la seconde près où Shoto entrerait dans la pièce commune pour pouvoir enfin lui parler seul à seule et lui confier son secret. Elle redressa la tête de son livre au son du grincement du bois et entendit les voix de la bombe atomique et de celle, tant attendue, du drapeau du Canada.

Sakura se leva pour être la première à leur parler, mais fut complètement distancée par une espèce de flèche rouge qui sauta dans les bras de Katsuki en le faisant basculer sur le sol.

-MON BAKUGOOOOOO !!!!!!

-Bordel, Eijiro, ça devient chiant à force !

Sa "tête d'ortie" ne l'écoutait même pas, occupée qu'elle était à lui caresser les cheveux et à l'embrasser dans le cou, toujours assise au-dessus de lui. Denki fit mine de tourner de l'œil pour les taquiner, Momo et Izuku rougissaient, Mina et Hanta gloussaient et Ochaco criait :

-Trouvez-vous une chambre, les tourtereaux !

Shoto, comme à son habitude, était resté de marbre face à ce remue-ménage, permettant à Sakura de s'approcher de lui en catimini et de tirer un pan de son T-shirt pour attirer son attention. Immédiatement, le bicolore se retourna pour planter son regard dans celui de la jeune fille aux cheveux noirs bleutés et la liquéfier intérieurement.

-Salut, Sakura.

-Salut... Je... J'aimerais te parler d'un truc en privé...

Un léger éclair de surprise passa dans les yeux de Shoto, si vite que la fille d'Aizawa se demanda si elle ne l'avait pas imaginé puisque le garçon à l'alter de glace et feu reprit rapidement contenance en acquiesçant.

-D'accord.

Les deux adolescents s'éloignèrent du reste de la classe pour trouver un peu de calme et de tranquillité pour discuter. Tout naturellement, ils se dirigèrent plus loin dans l'internat, dans le couloir qui menait aux chambres. Une fois qu'il fut sûr d'être en tête à tête avec elle, Shoto demanda à Sakura :

-Bon, de quoi tu voulais me parler ?

Prenant son courage à deux mains et une profonde inspiration, la fille d'Aizawa se lança :

-Alors... Tu te souviens d'hier, quand on est allés au cinéma avec les autres, et qu'on a mangé des sushis...

-Oui, acquiesça Shoto sans trop comprendre.

-Ben, ça m'a rappelé un... un très mauvais souvenir... a-avant mon entrée à Yuei...

Un goût de bile acide envahit la bouche de Sakura et des perles de larmes scintillèrent dans ses yeux noirs corbeau, mais le regard inquiet de Shoto indiquait qu'elle devait continuer son récit.

-J-Je suis la fille d'Aizawa-sensei et... d'un autre héros... enfin, une héroïne, Miss Joke...

-Mais... J'ai cru comprendre qu'ils n'étaient pas ensemble ? s'étonna Shoto.

-Ben, en fait, Papa... enfin, Aizawa-sensei déteste les caméras, un vrai parano. Il n'a eu aucun mal à garder leur relation secrète pendant très longtemps, avant même qu'ils deviennent pros. Et puis... de fil en aiguille, je suis arrivée... Ils voulaient m'élever, mais on leur a... refusé ce droit parce que... c'était des héros et s'embarrasser d'un enfant nuirait... à leurs activités. Alors on m'a confié à une famille d'accueil, et mes vrais parents me rendaient visite dès qu'ils le pouvaient...

Sakura se laissa glisser le long du mur, ne cherchant même plus à retenir les larmes qui coulaient sur ses joues. Shoto s'assit près d'elle en tentant de la prendre dans ses bras, mais elle le repoussa presque instinctivement avant de poursuivre d'une voix tremblante :

-M... Mes parents adoptifs se sont bien occupés de moi jusqu'à mes cinq ans... E-Ensuite ils ont commencé à me... me faire toutes sortes de choses horribles... I-Ils me frappaient, ils m'enfermaient dans la cave sans raison, parfois même ils me laissaient sans manger pendant des jours...

La fille aux cheveux noirs bleutés se mit à trembler, autant de peur que de panique car ses souvenirs lui revenaient en flashs meurtriers et douloureusement réels.

-J-J'avais sept ans quand j'ai rencontré Ikiwasu... E-Elle a vécu cachée des caméras, elle aussi, parce que c'est la fille d'All Might, le symbole de la paix et tout... On est devenues amies... Je lui ai parlé de tout ça, elle n'a pas supporté et m'a proposé d'en parler à son père, pour qu'il puisse me "sauver"... J'ai refusé, parce que j'étais petite et j'avais peur...

Même s'il ne le montrait pas, au fur et à mesure qu'elle racontait, Shoto se sentait de plus en plus bouleversé et attristé par cette histoire qui se rapprochait hélas beaucoup trop de la sienne.

-F-Finalement, Maman est venue me rendre visite plus tôt, alors que m-mes faux parents m'avaient enfermés dans la cave... E-Elle m'a entendu pleuré et m-m'a sorti de cet enfer... E-Et j'étais assez grande pour qu'elle et papa puissent me garder sans q-que ça perturbe trop leurs obligations de héros... J-J'ai repris une vie à peu près normale, j'ai revu Ikiwasu pleins de fois et j-j'ai même pu entrer à Yuei...

Sakura se tut après cette dernière phrase, les yeux rougis et gonflés de larmes, mais un étrange poids sur le cœur en moins. Jusqu'à présent, seuls ses parents et Ikiwasu connaissaient cette sombre partie de son passé, et la confier à quelqu'un d'autre en qui elle avait confiance l'apaisait de manière inexplicable. 

Brusquement, elle se sentit attiré vers la droite. En l'espace de quelques secondes, Sakura s'était retrouvé dans les bras de Shoto, qui jouait avec ses cheveux et lui caressait l'épaule avec une tendresse inimaginable. Les joues rouges comme la teinture de Kiri, la fille d'Aizawa demanda :

-J-Je peux savoir ce que tu fais ?

-Je comprends parfaitement ce que tu ressens, se contenta de répondre le bicolore.

À son tour, il entama sa propre histoire, que Sakura écouta attentivement sans l'interrompre.  Elle fut choquée de connaître la face cachée d'Endeaver et tout ce qu'il avait fait endurer à sa famille durant de nombreuses années. Elle saluait silencieusement le courage de Shoto de lui partager un de ses plus noirs secrets, ce qui semblait visiblement en coûter au bicolore.

Ils restèrent, après ces révélations, un moment en silence. Sakura s'était lové maintenant contre Shoto sans le repousser, celui-ci continuant à jouer avec ses cheveux.

-On peut dire qu'on n'a pas eu des vies faciles, lâcha la fille d'Aizawa après un moment.

-Oui. Mais... On peut remonter la pente... Et puis on nous a assez fait comprendre qu'on n'est pas seuls... Tu as Ikiwasu et tes parents. Moi, j'ai Midoriya et mes frères et sœurs.

-On est sur le bon chemin, approuva Sakura en essuyant ses dernières larmes.

-On est sur le bon chemin, répéta Shoto avec confiance en la regardant dans les yeux.

La fille aux cheveux noirs bleutés se perdit un instant dans les deux couleurs des prunelles curieusement bienveillantes du bicolore. Son cœur battit la chamade, sa gorge s'assécha d'un coup et des myriade de frissons inconnus cavalaient sur sa peau.

Blottis l'un contre l'autre, ils ressemblaient à deux naufragés sur une île déserte ou deux alpinistes perdus en montagne après une randonnée dans la neige. Peut-être même, que comme eux, ils étaient censé se tenir la main ou être lovés l'un contre l'autre au point que Sakura pouvait sentir le souffle chaud de Shoto sur son oreille ou son cœur battre contre elle.

Peut-être, après tout. Mais s'embrasser, c'était clairement un truc qu'eux seuls faisaient, et encore plus sur un coup de tête qu'autre chose.

Quand Shoto lui souleva le menton et posa ses lèvres sur les siennes, Sakura se sentit perdre pied avec la réalité. Presque mécaniquement, en tremblant, elle s'agrippa aux épaules du garçon qui l'embrassait avant de se perdre dans le baiser.

La bouche de Shoto avait la douceur de la soie couplée à une tendresse insoupçonnée et loin de leur déplaire.

Elle avait toujours cru que seules les choses dures et tristes l'atteignaient, mais c'était faux.

Les belles choses aussi, car elles avaient le pouvoir de dégeler ce que l'on croyait figé à jamais.

Sakura et Shoto s'étaient révélé leurs plus douloureux secrets, mais à présent, un nouveau, bien plus tendre, les liait tous les deux.