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Une fois endormi, Pierrot décréta qu'après cette soirée bien trop cheloue pour sa conscience, Jésus ne ferait aucune dinguerie, qu'ils ne feraient que passer la journée dans un temple ou sous un arbre, que des moches passeraient les critiquer deux minutes, et que ce serait TOUT.

Parce que sérieusement, les devinettes de sorcier à la soirée de truc-bidule, ça lui avait foutu une trouille pas possible. Il avait l'impression de rêver d'une secte, maintenant, dont Jésus serait le gourou, et les apôtres les premiers serviteurs.

Flippant. Trop trop flippant.

Mais quelle ne fut pas sa surprise de voir son vœu très loin d'être exaucé quand, alors qu'il suivait encore une fois le dos de Matthieu, il se retourna pour voir si le ciel était nuagueux, et croisa le regard d'au moins cinq mille personnes en même temps.

Oh pétard. Je crois qu'on est suivis.

Il n'osa pas passer pour l'andouille de service en posant une question sur le pourquoi du comment de la présence de tous ces gens avec eux, en train de gravir cette colline sous un soleil timide et un vent frisquet. André vint à son secours, n'ayant sans doute pas vu l'air livide de son frère mais voulant faire la conversation.

« Incroyable, cette foule de gens, n'est-ce pas ? »

Pierrot acquiesça vaguement, pas remis du choc. Il se retourna brièvement une seconde fois, mais non, les gens les suivaient toujours en silence.

« Où les emmène-t-on ? Demanda le jeune homme, s'imaginant que cette question était assez neutre pour être posée sans risque.

— Jésus s'est isolé ce matin, après qu'un messager lui ait annoncé la mort de Jean le Baptiste, lui rappela André, pas mécontent de pouvoir partager ce qui lui restait en tête. Il a pris une barque, et on l'a vu partir vers un endroit souvent désert. Alors on l'a suivi de loin, et des gens se sont mis à nous suivre, toi tu étais un peu fatigué alors tu n'as pas dû le remarquer. Logiquement, il devrait mettre pied à terre dans peu de temps, alors on pourra le rejoindre. J'imagine qu'il renverra cette foule. »

Pierrot acquiesça vaguement. Il ne comprendrait jamais comment des foules pouvaient décider qu'elles suivraient un mec pendant toute une journée, juste pour pouvoir le regarder ou l'entendre parler.

Surtout s'il fait des trucs de sorcier, lui rappela son cerveau, lui procurant des sueurs froides dans le dos.

Le pente fut rapidement gravie, et en effet, il y avait là une rivière, à côté de laquelle Jesus était assis sur une barque. Il se retourna en entendant les apôtres arriver, et fut surpris de voir la foule de gens derrière eux, immense et compacte. Les apôtres lui expliquèrent la situation en arrivant à son niveau, et Jésus décida qu'il guérirait les malades de la foule, vu qu'elle s'était déplacée pour lui.

Pierrot ne fut pas mécontent de ce programme, car son seul rôle dans ces jours-là était de jouer les vigiles pour que la foule ne se rue pas toute entière sur Jésus, et étant donné qu'il avait la tête occupée, ça ne pouvait que lui faire du bien.

Pendant que lui et les apôtres essayaient tant bien que mal de faire une queue propre, le nom de Jean le Baptiste, dont André lui avait parlé, résonna dans son cerveau. Qui c'était, déjà ? Il était persuadé de l'avoir entendu quelque part. Dans la bouche de Dorémi, plus précisément, aussi étrange que cela puisse paraître.

Jean le Baptiste... Réfléchit le jeune homme, tout en ordonnant les gens pour qu'ils ne se marchent pas sur les pieds. Jean... le ... Baptiste...

Une image de guillotine lui vint soudain en tête, et il retrouva cette discussion, dans son atelier, où Dorémi lui avait lu un passage de [insérer un nom de livre] où Jean le Baptiste se faisait décapiter parce qu'une meuf était jalouse et avait décidé de faire demander à sa fille que le roi lui amène la tête de Jean en cadeau ou un truc comme ça.

Mais pourquoi ça peine Jésus ? Se demanda Pierrot en regardant sa silhouette, sans penser au fait que Dorémi lui avait littéralement prédit l'un de ses rêves. Ils se connaissaient ?

Comme il estima qu'il n'avait jamais su la réponse à cette question, il abandonna rapidement sa recherche, et passa à autre chose, à savoir empêcher les malades de la foule de se grimper dessus pour gagner des places.

אהא

L'odeur du soir tombait sur les apôtres, Jésus et la foule. Pierrot avait tout particulièrement aimé cette journée pour son calme — même s'il y avait eu plusieurs crises de démons et d'épilepsies en tous genres —, et le fait que Jésus n'avait fait aucune dinguerie qui lui ferait douter de son caractère bienveillant. L'orfèvre n'attendait plus que de s'endormir pour rentrer chez lui, avancer son projet de cadre pour le père de Sharika, et puis faire son inventaire des ventes de la boutique pour ses petites fiches Excel.

Petit problème au plan dodo : les cinq mille personnes étaient toujours là. Et la Jesus Squad avait besoin de s'isoler pour dormir, comme ils le faisaient toujours.

Pierrot, Jean, Nathanaël et Simon prirent la décision d'aller voir Jésus pour lui demander de faire rentrer les gens chez eux. C'est Nathanaël qui prit la parole.

« L'endroit est désert et l'heure est déjà avancée, commença-t-il alors que les yeux de Jésus se posaient sur lui. Renvoie-donc la foule : qu'ils aillent dans les villages s'acheter de la nourriture ! »

Jésus fit un petit 'non' de la tête.

« Ils n'ont pas besoin de s'en aller. Donnez-leur vous-même à manger. »

La petite troupe s'entreregarda, et ils allèrent demander à Jacques, le gardien de la bouffe pour la journée, ce qu'il avait avec lui. Mais il n'avait pas grand chose pour tous ces gens.

« Nous n'avons là que cinq pains et deux poissons, alla rapporter Judas à Jésus, alors que les autres se demandaient comment nourrir autant de gens avec si peu — Pierrot était en train de se demander comment partager une miche de pain en mille sans que chaque part ne soit une miette.

Apportez-les-moi. »

Judas dit aux autres d'apporter la bouffe à Jésus, et Pierrot s'exécuta, sans trop comprendre ce que Jésus pourrait faire de plus que les regarder, lui aussi, pas aussi bêtement que ses disciples, mais quand même.

Alors qu'il attendait avec le panier — petit panier — de nourriture à côté de Jésus, qui demandait à la foule de s'asseoir sur l'herbe, la situation lui rappela ce mariage où Jésus avait fait popper du vin lorsqu'il n'y en avait plus. Et il craignit de revoir un truc de magie/SORCELLERIE T'ES PAS PRÊT.

Mais Jésus se contenta de faire le bénédicité, comme à chaque repas, et de partager la nourriture dans des paniers — qui avaient été récoltés auprès des gens — que les disciples eux-mêmes apportaient aux gens pour qu'ils puissent manger.

Et, vraiment, Pierrot était aux premières loges pour voir le miracle s'accomplir, mais au troisième panier plein de nourriture qui lui passa devant les yeux, il se demanda s'il voyait vraiment clair. Parce que Jésus divisait les pains, mais les morceaux qui en résultaient étaient nombreux, et pourtant il les divisait normalement. Pierrot arrêta de penser en se rendant compte que ça lui donnait mal à la tête, et regarda les gens manger, piochant distraitement dans les morceaux qu'André lui donnait — il n'avait jamais faim pendant ses rêves, mais mangeait pour la survie de son corps, même si, comme il était incapable de se forcer à manger quelque chose, ce n'étaient jamais de grosses doses ; selon André, il avait toujours été comme ça (tant mieux).

Au bout d'une heure, les paniers de morceaux non mangés revinrent aux apôtres, et Pierrot ne put définitivement pas en croire ses yeux ; de cinq pains et deux poissons, il restait douze paniers de restes. DOUZE.

Mais il n'eut pas le temps de faire un scandale pour cette anomalie ; Jésus demanda aux apôtres de prendre la barque et d'aller sur l'autre rive — le bon vieux refrain —, pendant que lui-même demanderait à la foule de partir. Chacun adhéra à l'ordre, tant et si bien que Pierrot fut le seul à se demander comment Jésus les rejoindrait s'ils prenaient la seule barque disponible. Mais il ne partagea pas ses tergiversions intérieures et monta dans la barque avec les autres, partant au large vers un monde meilleur.

Lorsqu'ils étaient encore relativement proches de la berge, ils purent voir les gens partir progressivement, mais bientôt ils furent loin et ne purent plus rien voir du tout que les vagues, et se prendre le vent dans la tête — vent qui menait le courant comme dans leur sens contraire, ce qui était une vraie plaie pour naviguer, mais personne ne se rebiffa, et les tours se succédèrent pour ramer.

Ce furent plusieurs heures fatigantes et longues, où la petite lanterne de la barque ne rassura que très peu les apôtres ; au lieu de les éclairer, elle leur montrait surtout des ombres peu rassurantes sous leur embarcation, la brume qui les entourait ou des objets angoissants qui dérivaient à la surface de l'eau. Au bout de plusieurs heures, ils étaient globalement vraiment mal à l'aise et désespéraient de voir le rivage, qui ne devrait se dessiner que dans quelques heures encore.

Soudain, alors que le silence était le seul bruit autour d'eux, André sursauta brusquement et pointa une direction, à peu près derrière eux.

« Là ! Regardez ! »

Pierrot, qui ne ramait pas, se retourna et scruta l'obscurité du regard. Les autres attendaient son verdict pour s'inquiéter.

De rien, le jeune homme distingua ensuite quelque chose, quelque chose de grand, comme une silhouette blanchâtre dans la brume. Et la silhouette avançait vers eux. Elle bougeait. Et elle faisait la taille d'un homme.

« C'est un fantôme, frissonna-t-il de peur en distinguant de mieux en mieux les contours de ce truc, qui avait l'air de marcher sur l'eau. »

Les autres se retournèrent et virent la chose ; ils se mirent donc à crier de peur — c'est sont des gens productifs dans les situations de crise. Mais le fantôme leva le bras — nouveaux cris — et on entendit sa voix.

« Confiance ! C'est moi ; n'ayez plus peur ! »

Doté d'un courage dans précédents, et surtout parce qu'il avait reconnu Jésus, Pierrot prit la parole.

« Seigneur, si c'est bien toi, ordonne-moi de venir avec toi sur les eaux.

— Viens ! »

Alors Pierrot se leva dans la barque — et manqua se ramasser, mais fit mine de rien —, et posa un pied confiant sur la surface de l'eau, certain que Jésus ferait un tour de magie pour l'empêcher de couler. Et en effet, au lieu de sentir son pied traverser l'eau, il se trouva stable, sur un sol dont les clapotis lui léchaient les pieds. C'était la sensation la plus grisante qu'il ait jamais ressentie.

Il marcha d'un bon pas pour rejoindre Jésus, mais fut soudain percuté par la force du vent.

Ça souffle quand même fort, ce soir. Je ne vais pas couler ?

Il jeta un bref regard en arrière, et se rendit compte que ouais, il était sur l'eau. Et que si l'eau décidait de ne plus le porter, il coulerait lamentablement, parce qu'il ne sait pas nager.

En un mot, il eut peur, et comme si l'eau semblait n'attendre que ça, elle laissa ses pieds commencer à s'enfoncer, lui faisant perdre de la hauteur. Paniqué, Pierrot voulut se rattraper, mais il n'y avait rien, qu'un sol liquide qui était en train de le lâcher.

« Seigneur, sauve-moi ! Beugla-t-il, terrorisé, voyant déjà sa vie lui échapper parce qu'il serait mort dans son sommeil. »

Il commença à basculer en arrière, mais Jésus lui chopa le bras et le maintint debout, sourcils froncés.

« Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? »

Et Pierrot ouvrit les yeux, ne retenant même pas le murmure qui courait sur ses lèvres : Vraiment, tu es le Fils de Dieu.

אבא

Mt 14, 13-33

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