΅ ΧΧΙΙ ΅
« Désolé Papa, je suis un peu malade... »
Il toussa copieusement en essayant de ne pas s'étouffer avec sa morve. La fin de la nuit avait été difficile, avec plusieurs passages aux toilettes pour vomir ou s'en servir, plusieurs montées de fièvre, et une impossibilité à ingérer quoi que ce soit depuis le matin.
Il était quatorze heures, le vingt-quatre décembre, et il était malade comme un chien à cause, sans doute, des virus de l'hiver. À la base, il planifiait de travailler le matin et le début de l'après-midi — gardons en mémoire que l'orfèvrerie reste une passion —, puis d'aller voir son père en fin d'après-midi pour lui parler un peu et lui souhaiter un joyeux Noël. La nature et son corps en avaient décidé autrement.
Son voyage depuis son appartement jusqu'à sa boutique, déjà, rien que d'y penser ça lui avait redonné une bouffée de fièvre. Alors il avait trouvé la motivation de s'esseoir sur son canapé pour remplir des tableurs de commandes et de noms de clients, depuis sept heures jusqu'à midi trente, où il avait essayé de manger, sans grand succès, et depuis lors jusqu'à treize heures, il avait scrollé sur son téléphone, sur Instagram ou Youtube, il ne savait plus.
Aller à l'hôpital avait été une corvée aussi : il faisait d'habitude le chemin à pied, en mettant maximum une vingtaine de minutes ; il était si ralenti par la maladie qu'il avait pris une heure. Une grand-mère l'avait dépassé en déambulateur et lui avait souri, ils avaient même tapé la discute. Maintenant, Pierrot ne voulait plus de maman, une grand-mère c'était déjà parfait. Dommage que ses parents aient perdu leurs familles de vue en s'installant par ici.
Et le voilà, malade comme un chien, épuisé, mais arrivé au chevet de son père, qui lui ne savait plus comment respirer tout seul apparemment, vu tous les appareils respiratoires qu'on lui avait branché sur le corps depuis la dernière fois.
« Désolé si je parle pas trop, lâcha-t-il douloureusement après avoir reniflé un bon coup — sa gorge se mettait progressivement dans la partie elle aussi —, je suis déglingué. Si tu me voyais, tu dirais que je ressembles à rien, et t'aurais raison. Genre... »
Et tourna la tête vers le miroir posé dans un coin de la pièce et pouffa devant le ridicule de son allure.
« Je sais pas si tu te souviens de ma vieille doudoune rose et bleue, celle que tu m'as offerte pour le Noël de mes... dix-sept ans ? Je crois que c'était seize. Bon, en tout cas j'ai celle-là, parce que c'était le seul manteau assez chaud et cosy que j'avais étant capable de tenir par-dessus trois pulls et deux t-shirt à manches longues. Même mon trench-coat il me boudinait. Mais la doudoune est pas toute propre non plus, elle était tout au fond de mon dressing, elle sent un peu bizarre. Et elle est déchirée à un endroit aussi. Bref, rien qu'elle elle me signale que je suis malade, c'est incroyable... »
Il reprit sa respiration. Heureusement que son père dormait, parce que franchement, il se serait agacé de l'entendre parler aussi lentement.
« Pour le bas j'ai un pantalon de ski, plus un legging, plus un collant, oui j'ai un collant, rit-il en constatant le ridicule de la situation, et sachant très bien que son père ferait une blague là-dessus. Et laisse-moi te dire que mes jambes sont sublimes avec, ça doit être ça que les filles recherchent quand elles s'épilent. Mes chaussures, euh... bottes fourrées, je crois. Elles sont moches. »
Et le plus difficile arriva : son visage. Se voir aussi k.o. lui donnait un coup au moral.
« Je suis vraiment très fatigué, soupira-t-il en lorgnant sur ses cernes de quinze mètres de long. Et je suis encore plus blanc que d'habitude. Une feuille A4. Mes yeux sont littéralement perdus là. Et puis j'ai un masque chirurgical aussi, pour compléter le look. Mais en vrai, je suis tellement moche que c'est presque sympa. Ma dégaine ressemble à rien, j'ai l'impression de faire partie des BTS, même si eux ils s'habillent bien. »
Visuellement parlant il le pensait, mais à porter, certes il était bien au chaud — il mourait de froid chez lui, alors toutes ces couches plus l'air naturellement surchauffé de l'hôpital, ça lui faisait du bien — mais c'était très lourd et inconfortable pour son corps exténué.
Ne se sentant plus la force de discuter, il se leva péniblement et partit s'allonger sur le canapé moelleux de la chambre, assez large pour l'accueillir lui et son attirail d'exploration hivernale, et juste assez long pour qu'il puisse se poser confortablement, même s'il ne pouvait pas s'y étendre entièrement.
Comme son masque lui grattait le nez, il le retira, et le posa soigneusement sur la table qui trainait à côté de lui, bien debout pour que ni l'avant ni l'arrière ne contaminent la table, et face à son père pour que lui ne chope pas la merde qu'il avait mise à l'intérieur du masque. C'est ainsi que, assis en diagonale dans le canapé, un peu recroquevillé sur lui-même pour se garder des courants d'air, Pierrot s'endormit profondément.
אהא
Loin de là, un choeur répétait un concert qui se tiendrait là le soir. Niall, irlandais enregistré baryton/basse et étudiant en neurologie, se souvint brusquement que Pierrot, qu'ils avaient vu l'autre fois, avait prévu de venir à l'hôpital pour le jour de Noël. Mais parlait-il du vingt-quatre ou du vingt-cinq ?
« Niall ? L'interpella Charlie en claquant des doigts. T'es là beauté ?
— Oui, excuse-moi. On peut reprendre.
— Tu penses à une fille ?
— Non, à Pierrot. »
Charlie ne réagit pas. Elle se souvenait de lui, bien sûr, elle se souvenait de tout. Mais pour une fois, elle ne savait pas ce que ce sujet venait faire là. Elle ne fit cependant pas de commentaire et refit signe à Thomas de lancer l'intro, puisque Niall n'était pas parti sur son solo.
De son côté, l'irlandais espéra que Pierrot, s'il venait aujourd'hui, serait encore là quand lui rentrerait chez lui vers seize heures, pour se changer en prévision du concert. Non loin de là, Harry croisa son regard et lui sourit.
'Je te donnerai les clefs', articula-t-il le plus silencieusement possible dans sa direction, sachant que leur cheffe de choeur avait l'ouïe fine.
Comme ils étaient colocataires et arrivés à la salle de spectacle ensemble, et censés repartir ensemble aussi, Niall n'avait pas pris sa clef avec lui. Mais manifestement, le jeune homme partirait plus tôt.
אהא
Il était pratiquement dix-sept heures quand Niall passa sous les grandes portes de l'hôpital, plus stressé que jamais à l'idée de ne pas croiser Pierrot. Il avait envie de le voir, même s'il ne devrait pas être plus préoccupé que ça par lui, surtout qu'il avait un concert suprêmement important de prévu dans quelques heures.
Il marcha rapidement jusqu'à l'ascenseur montant à l'étage des comateux, et se sentit directement apaisé une fois arrivé dans les longs couloirs pastel de l'hôpital. Certains pourraient trouver les hôpitaux glauques, ou synonymes de mauvaises expérience, mais lui adorait y être.
Quand il poussa la porte de la chambre du père de Pierrot, dont il avait miraculeusement retenu le numéro, il sourit d'attendrissement. Pierrot était là, et surtout, il s'était endormi, son visage reflétant un calme que Niall ne lui avait jamais vu. Cependant, ses études lui avaient appris à repérer quand quelqu'un était malade, et il fronça aussitôt les sourcils en voyant le teint, la respiration et les tremblements du visiteur endormi.
Il contourna prestement le lit du père et posa sa main sur le front du fils, la retirant aussitôt en se souvenant que de toute façon, il était incapable de distinguer les températures. Un bref aller-retour dans la salle de garde dont il avait la clef lui procura un thermomètre, et il crut défaillit quand il vit un splendide 41° sur le cadran de l'objet. Son regard inquiet passa de la posture fragile du jeune homme à son visage à la silhouette de son père plusieurs fois, le temps qu'il sache quoi faire.
Certes il était dans un hôpital, mais à cette heure, et un tel jour, les urgences étaient bondées, et même s'il y allait, Pierrot ne passerait qu'une fois la nuit tombée. Et Niall était certes en études de médecine depuis des années, il ne comptait pas devenir généraliste ! Il ne savait pas quoi faire.
Je devrais appeler une infirmière, réalisa-t-il après une minute. Pierrot ne peut pas rester là dans cet état.
Il appuya sur le bouton d'appel qui trainait près du lit, et quelques minutes plus tard, une dame entrait.
« Ah, il ne s'est pas réveillé ? Soupira-t-elle d'ennui en s'approchant du convalescent. Excusez-moi, ça vous amuse de jouer avec les télécommandes ? »
Niall haussa un sourcil. Pour la politesse du personnel, cette dame devrait repasser.
« Non, mais je suis entré et ce jeune homme est visiblement très malade, il a quarante-et-un de fièvre, lui montra-t-il en essayant de faire le discours le plus concis possible, compte-tenu de l'urgence de la situation.
— Comment avez-vous eu un thermomètre de l'hôpital ? Demanda la dame en fronçant les sourcils, s'approchant de Pierrot.
— Je suis étudiant ici. »
Elle ne répondit pas plus longtemps et observa Pierrot.
« Il dort bien, mais il va falloir le réveiller et le déshabiller. Ses épaisseurs sont trop lourdes pour lui. »
Niall ne remit pas l'affirmation en doute et s'activa pour retirer le manteau, les trois pulls, et l'un des t-shirts de Pierrot, pour remplacer ça par une couverture chaude.
Dans sa tête, Pierrot rêvait.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top