΅ XXXVI ΅
"Ça t'a fait PEUR ?"
Le regard rieur de Dorémi scruta celui, beaucoup plus sérieux, de Pierrot, alors qu'il lui annonçait cette nouvelle — à ses yeux totalement légitime — à propos des annonces d'oracles pendant la veillée d'il-ne-savait-plus-quoi.
Ils étaient le lendemain après-midi, et Dorémi était passée aux nouvelles à la boutique du jeune homme, pour avoir son ressenti sur la veillée tout ça tout ça. Nul doute qu'elle serait déçue.
"Alors, c'est pas la veillée qui m'a fait peur, ça c'était cool, reformula Pierrot, qui n'appréciait pas trop la gentille moquerie qu'il ressentait dans sa voix. C'est les oracles."
Il n'était pas sûr du terme, alors son affirmation ressembla plus à une question qu'autre chose. Les fossettes de Dorémi rayonnèrent de plus belle.
"Les oracles n'existent pas, Pierrot, dit-elle en s'empêchant clairement de rigoler, ce qui était encore plus vexant que si elle riait pour de vrai.
— Alors ça venait d'où, les annonces bizarres ? Des voûtes ? Répliqua Pierrot, irrité.
— Non, c'est- Attends, t'agace pas, soupira Dorémi, avec toujours ses fossettes hilares de sorties. Je ne t'en avais pas parlé, parce que ce n'était pas prévu."
C'est vrai que la dame a dit ça.
"En fait, dans la vie, il y a des gens qui prient h24, et qui ont une vie ultra modèle et connectée avec là-haut, exposa l'alto en faisant un geste vague vers le plafond. En échange de cette dévotion, l'Esprit Saint-
— Qui ?"
Ouais, quand Pierrot est irrité il est malpoli.
"L'Esprit Saint. Ou Saint Esprit, c'est pareil. C'est- considère que Dieu est en trois entités différentes, dont l'une d'elle est une colombe."
Aaaaaaaah oui l'oiseau. Le pigeon des sculptures.
"Cette entité, donc, comme certaines personnes sont ultra dévouées à la prière, va leur accorder un charisme de connaissance, ce qui va en gros les déléguer comme messagers de ce que l'Esprit Saint a à dire aux gens pendant une adoration. Il me semble qu'il y a d'autres applications à cette fonction, mais je ne connais que celle-là, tout comme il y a plusieurs types de charismes. Et donc, ce que tu as entendu hier, c'étaient des messages qui provenaient du ciel. "
Pierrot accepta l'information, puisqu'après tout c'était plausible qu'il existe des trucs comme ça, mais bloqua sur la dernière phrase.
"Du ciel ? Répéta-t-il nerveusement, un peu mal à l'aise que Celui d'en haut lui envoie des SMS à propos d'appels de l'hôpital, et que ce foutoir de la veille après l'annonce du charisme n'ait pas été qu'une coïncidence.
— Hmhm."
Dorémi ne semblait pas comprendre à quel point ça chamboulait Pierrot, et en même temps, comment aurait-elle pu ? Il ne lui avait jamais parlé ni de son père — hormis lors de leur première rencontre peut-être, et encore — ni de ses rêves, et ne comptait pas le faire. En fin de compte, il était seul avec cette prédiction qui, il le réalisait depuis quelques heures, s'était réalisée.
"Mais, reprit Dorémi en souriant franchement, c'est sûr que d'un point de vue extérieur, ça doit faire vachement bizarre. Oracle. Je n'avais jamais vu ça comme ça."
Pierrot hocha vaguement la tête, puis elle dut partir, et il fut tout seul. Tout seul avec le souvenir de ce qu'il avait vécu la veille au soir, peu après qu'il soit sorti de l'église.
Son téléphone avait sonné dès ses premiers pas dehors, et il avait décroché sans trop réfléchir, ayant déjà oublié l'annonce de l'or- du charisme. Il avait été surpris d'entendre que c'était l'hôpital, et avait paniqué aussitôt, se demandant si son père avait finir par mourir de son coma.
La dame de l'accueil l'avait rassuré, et lui avait demandé de venir, alors il était venu, et en fait, l'hôpital voulait lui demander s'il voulait bien débrancher son père.
Et cette possibilité était la chose la plus terrifiante qu'on lui ait jamais demandé d'envisager. Il avait refusé tout net, préférant qu'il meure de mort naturelle ou se réveille, plutôt que d'être assassiné par son fils. Et pile à ce moment-là, alors qu'ils étaient à côté du lit avec le médecin, son père s'était mis à remuer un peu ; à partir de ce moment, branle-bas de combat dans tout l'hôpital, machines qui font du bruit, infirmières qui courent, son père qui respire avec un son métallique discordant, ses yeux plantés dans les siens qui lui demandent ce qu'il se passe — sauf que pas de bol, Pierrot n'a rien compris non plus —, et au final on demanda à Pierrot de rester dans une salle d'attente pendant dix-quarts d'heure — il soupçonna un moment qu'on l'ait oublié —, durant lesquels Niall le rejoignit lorsqu'il eut repéré le jeune homme en passant devant.
Pierrot avait revu son père avant que les visites ne se terminent définitivement — on lui avait accordé un peu de temps même si les visites étaient terminées —, et il avait été attristé d'apprendre que son père devrait faire beaucoup de rééducation pour réapprendre à parler et bouger correctement, car immobilisé dans un lit depuis des années.
Est-ce que Pierrot avait été heureux de revoir le sourire — un peu bizarre et tordu — de son père après une solitude familiale de plusieurs années ? Oui, tellement. Mais est-ce qu'il était frustré de ne l'avoir vu que deux minutes ? Aussi. Cet hôpital était généreux, mais pas trop, en vrai.
Alors il était retourné le voir trois heures ce matin-là, soit le lendemain, boutique ou pas, et l'annonce du charisme se présentait maintenant à ses yeux comme quelque chose de flippant, qui lui avait prédit que son père se réveillerait, mais en même temps, un truc très cool.
Le saint pigeon m'a tweeté. C'est une dinguerie, au fond.
Son comportement hésitait entre heureux à faire peur — l'une de ses clientes habituées le lui avait fait remarquer pendant la matinée —, ou terrorisé et songeur à propos de cette coïncidence coïncidente. C'était si étrange.
Au pire, conclut-il en fermant le volet de sa boutique lorsque ce fut l'heure de fermer, je vis avec, et on voit comment ça se passe.
... Wait.
C'est pas malpoli, de ne rien dire au Saint Esprit en remerciement ?
Mais est-ce que balancer un yo, merci en pensée était une vraie prière, qui aurait autant de poids que la joie qu'il avait ressentie en voyant les doigts de son père chercher à attraper les siens ? Certainement que non. Il lui semblait être passé devant un stand de cierges, la veille, dans l'église, et à son souvenir, ce genre de machins servait à faire une prière. Il décida d'aller en allumer un — un cierge contre une vie c'est toujours pas beaucoup, mais c'est mieux que rien.
Ses pas se dirigèrent donc vers l'église au lieu de son appartement, et il essaya de marcher vite pour ne pas se faire repérer — les bons conseils de Jésus s'appliquaient : ne fais pas sonner la trompette devant toi quand tu vas brûler un cierge, ou un truc comme ça.
Mais le destin aimait bien se jouer de lui. Ou le saint pigeon. Ou les deux.
Parce que fort de cette résolution, un bonhomme qu'il commençait à connaître pour le voir régulièrement ces temps-ci l'appela par-derrière lui.
"Pierrot ! Comment tu vas ?"
Sharika. Oh non.
Il aimait bien Sharika, malgré le fait qu'il ait un perpétuel sourire malicieux comme s'il voulait la lui faire à l'envers, et qu'il fasse des blagues si bizarres et dise des maximes si datées qu'il était un peu bizarre à vivre. C'était un personnage à qui il arrivait d'être mutique au possible, ou aussi tactile que s'il était ton meilleur pote, comme s'il nageait entre plusieurs personnalités, et c'était très perturbant. Mais il lui arrivait d'être fun.
Par contre, quelque chose de commun à toutes ses personnalités était sa curiosité, et si Pierrot le pensait assez mature pour comprendre qu'il allait à l'église, il doutait de pouvoir répondre à un interrogatoire sur le pourquoi du comment, ou sur sa foi encore pas très grande, et tout ça.
Au pire, je peux lui mentir et dire que je vais autre part. Mais dans ce cas, il va vouloir me suivre, et je ne pourrai pas aller brûler mon cierge.
Dire ou ne pas dire, telle est la question.
Il choisit de garder sa résolution, et se retourna vers Sharika, tout de même prêt à mentir s'il lui posait des questions trop insistantes.
Courageux mais pas téméraire. C'est mon prénom.
"Tu vas à l'église ?"
... Attends.
Pierrot dut recalculer toute sa démarche de plaidoyer en une seconde, et c'est beaucoup demander à son cerveau quand il est dix-neuf heures.
"Euh- Comment tu sais ?
— Je sais pas."
Sharika haussa les épaules, et Pierrot de demanda s'il pouvait être un charisme, lui aussi — parce qu'au cas où vous vous poseriez la question, du charisme il en avait, mais on ne parle pas du même.
"Tu es pressé ? Lui demanda Sharika, sans savoir que son comportement religieux était actuellement sondé par le jeune homme en face de lui.
— Ah, non. Tu as besoin de quelque chose ?
— Non non, je voulais juste te dire que Monsieur Journ est très déçu que tu ne lui aies pas dit que ton père est sorti du coma hier soir..."
Pierrot devint livide.
"... Et que maintenant, il te recherche pour te faire la peau. Tu viendras à la boulangerie demain ?
— Oui... Soupira Pierrot. Il m'en veut vraiment beaucoup ?
— Disons qu'il est allé le voir cet aprem, et qu'il a su je ne sais comment que tu étais là lors du réveil de ton père hier, et que tu es retourné le voir ce matin. À part ça, tout baigne."
Pierrot se mordit les lèvres. Mais quel débile. Il avait promis à Monsieur Journ de le prévenir de tout changement à propos de son père, et voilà qu'il avait complètement oublié de le faire tellement il était content.
"Je passerai demain, finit-il par acquiescer, las d'avance de se prendre une baguette trop cuite dans la tête. Il t'a dit ce qu'il voulait, pour que je me fasse pardonner ?"
Le regard de Sharika redevint malicieux. Ça n'augurait rien de bon.
"Une rose cœur ouvert, dont la tige est en bronze non-oxydant et les pétales en cuivre normal. Avec la finesse des détails qu'il sait que tu sais faire, bien sûr. Il attend le croquis pour demain matin."
Pierrot souffla un sourire, content d'avoir une nouvelle commande. Monsieur Journ avait toujours de bons goûts.
"Ce sera fait. Tu y seras ?
— Non, occupé.
— Alors à la prochaine, lui envoya Pierrot avant de tourner les talons et de partir vers son église, toujours en quête de son cierge."
Sharika lui envoya une formule de politesse en retour et s'en fut de l'autre côté, et l'orfèvre était content de pouvoir aller allumer son cierge.
Attends, un cierge pour quoi, déjà ?
Ah, oui, papa.
Le chemin jusqu'à l'église se fit sans encombres, et Pierrot avait un pas tranquille, jusqu'au moment où il arriva devant le porche, où ses souvenirs terrifiants des sorcie- CHARISMES lui firent se demander si c'était vraiment une bonne idée d'y retourner, en fin de compte.
Mais une grand-mère l'avait vu se diriger vers l'église, et s'il faisait demi-tour maintenant il aurait l'air d'un débile, alors il ne se retourna pas et poussa la porte du bâtiment — qui heureusement était encore ouvert, mais fermerait bientôt.
Aussitôt à l'intérieur, une odeur et un calme rassérénants enveloppèrent son corps, et il oublia aussitôt sa pseudo peur des charismes et de leurs pouvoirs magiques au mur.
Les cierges... Les cierges... Songea-t-il en les cherchant du regard.
De mémoire, ils étaient le long d'un mur couvert de plaquettes en marbre blanc, elles-mêmes couvertes d'écritures dorées, calées entre deux chapelles. Il les trouva rapidement, et lut quelques unes des plaquettes en marbre.
Merci 1922
Merci pour ma guérison 1920
Merci 1922
...
Et plein de plaques. Avec écrit merci dessus. Et avec des dates qui apparemment remontaient loin -- il apercevait au loin certaines avec d'écrit 1800 et des patates, et cette information le fit se sentir bizarre.
Maiiiiiiiiiiiiis ce n'est pas le sujet. Cierge.
Il rejoignit le petit présentoir de bougies et cierges et consulta les tarifs. Ça ne lui semblait pas trop cher, alors il prit un cierge assez grand, et déposa une pièce de deux euros dans le tronc accroché au mur, tout en se demandant si c'etait bien là qu'il fallait les mettre — tant que la pièce restait dans l'église, ça devait être bon.
Trois minutes plus tard, le cierge était posé, allumé, et Pierrot attendait devant qu'il se passe quelque chose, mais évidemment, le cierge commençait à fondre et c'était tout.
Euh... Bah merci d'avoir réveillé Papa, du coup.
Un ange.
..Et de m'avoir fait rencontrer Dorémi.
Deux autres anges.
...Et de me faire rêver. C'est cool.
Encore un silence. Pierrot avait l'impression d'être hors du temps, à regarder ce cierge fondre et emporter sa maigre petite prière dans sa flamme.
Encore une fois, Pierrot se dit qu'il aurait aimé se souvenir de la prière que Jésus leur avait dite une fois, pour la réciter ou y penser, mais il l'avait oubliée, alors il ne fit qu'un petit signe de main à son cierge et s'en fut.
Mais merci pour Papa. Merci beaucoup.
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