΅ XXVII ΅

« J'ai fini ! Je n'ai pas été trop long ? Demanda-t-il aux deux qui l'attendaient dehors et qu'il avait complètement oubliés le temps de son excursion. »

Son sac de boîtes lui était lourd, et ça rendait sa démarche un peu bizarre, mais il était content de pouvoir offrir des choses à des gens.

« Je vais te prendre ton sac, se proposa Harry en le voyant tanguer.

— Non, t'inquiète pas, refusa l'artisan gentiment, je me sens mieux que tout à l'heure — et c'était vrai. Les appartements sont dans les immeubles, là ? »

Il pointa du doigt la zone sombre vers laquelle ils se dirigeaient avant leur petite pause courses.

« Oui, on y va. Ça va aller alors ? S'inquiéta tout de même Harry, qui avait l'air de craindre que Pierrot fasse un arrêt cardiaque.

— Mais oui, je me donne une demi-heure avant d'être dans le mal, sourit le jeune homme en croisant son coude avec celui du bouclé pour avancer dans un bras-dessus-bras-dessous qui le faisait marrer, surtout parce que même le sol lui avait l'air de danser. Tu viens Niall ? Balança-t-il derrière lui en commençant à avancer, ou à traîner Harry avec lui. On y va !

— J'arrive, se pressa l'irlandais en marchant vite pour les rattraper. Will m'envoyait un message pour savoir si on avait décidé de faire des bonhommes de neige.

— Y'a même pas de neige. Et on dit bonshommes, Niall, indiqua Pierrot, qui avait certes le cerveau en compote, mais avait toujours été bon en français. »

Quelques minutes de silence, entrecoupées de rires avec Harry car leurs pieds se mélangeaient, passèrent entre les trois garçons.

« Tu es malade de quoi déjà ? S'enquit Harry alors qu'ils passaient sur un chemin illuminé faiblement par de petites boules de lumière sur le gazon.

— Grippe carabinée, répondit aussitôt le jeune homme, qui la ressentait BIEN. Mais là je vais bien, juste un léger mal de crâne — et il était honnête, après tout la lourdeur de son corps commençait à lui devenir habituelle. Je me coucherai tôt ce soir.

— N'hésite pas, acquiesça Niall, qui avait l'air de s'être autoproclamé docteur officiel du copain Pierrot. L'appartement de Wilhelm est sur le même palier que celui de Liam, c'est celui d'en face. Tu n'auras qu'à marcher trois mètres.

— Je crois que j'aime bien cette organisation, pouffa Pierrot. »

Une fois dans le hall de l'un des immeubles, l'orfèvre fut interloqué de voir une serrure sur le bouton de l'ascenseur — n'en ayant pas dans son immeuble, il ne connaissait pas cette mesure de sécurité répandue. Harry fut qualifié de sauveur car il sortit justement une clef de sa poche, et ils furent bientôt en haut.

« Alors redites-moi, qui il y a ? Stressait Pierrot depuis qu'ils avaient passé la porte du bâtiment.

— En fauteuil roulant, Louis, énuméra Harry pour la troisième fois avec une persévérance admirable, une fille, Charlie, Liam qui a une prothèse au bras, mais comme il doit porter un pull on va dire que c'est celui qui ouvrira la porte, Wilhelm tu l'as vu tout à l'heure, et nous trois. Il n'y en a qu'un seul que tu n'as jamais vu, et c'est Liam.

— ... J'ai rien retenu, tu me la refais ? Grimaça Pierrot, mort de peur.

— Tout va bien, si on fête Noël avec eux c'est que ce sont des amis de confiance, l'apaisa Niall en frottant une main dans son dos, par-dessus son horrible doudoune rose et bleue ; Pierrot se calma. La seule chose que tu risques, c'est d'avoir mal au crâne à cause de leurs cris. »

Cette dernière phrase brisa complètement l'effet, et Pierrot se remit à stresser.

« Au pire tu les verras en face, conclut Harry avant de sonner. »

Le cœur de l'invité chuta dans sa poitrine d'autant de kilomètres que de secondes qui passèrent avant que la porte ne s'ouvre sur un gars tout guilleret.

« Bonjour vous deux, salua-t-il Harry et Niall en leur faisant un hochement de tête chacun en guise de salutation. Et tu dois être Pierrot ? »

Il lui tendit sa main droite pour qu'il la serre, mais Pierrot remarqua la composition bionique de la chose, et il dut faire une tête bizarre avant de se reprendre pour la serrer — ce contact était d'ailleurs le plus étrange qu'il ait eu de toute sa vie.

« C'est ça, acquiesça-t-il en se souvenant qu'il lui avait demandé son nom, et comme tu m'as ouvert la porte je pense que tu es Liam, bafouilla-t-il un peu, se souvenant subitement de ce que lui avait dit Harry.

— C'est moi, acquiesça donc Liam. Entrez, Wilhelm est en train de faire le repas, et Charlie et Louis prennent un apéro dans le salon. »

Les trois nouveaux arrivés suivirent l'hôte dans la pièce de vie pour arriver sur la cuisine ouverte et le salon. Ils découvrirent le spectacle du bouffon, penché sur les fourneaux en parlant à Louis, placé pas trop loin  — et que Pierrot reconnut pour l'avoir vu dans les bras de Dorémi après le concert —, et Charlie, dans le fond, en train de boulloter tous les gâteaux apéro ni vu ni connu — et là pas besoin de beaucoup de réflexion pour la reconnaître : cheveux blancs comme la neige, et toute petite.

« Vous pouvez aller poser vos cadeaux sous le sapin, si ce sont des cadeaux, invita Liam en jetant un bref coup d'œil à leurs sacs, montrant ledit sapin près de la table basse, haut en couleurs et le pied garni de cadeaux colorés.

— Est-ce que ce sont des sucres d'orge ? Sourit Harry en s'approchant du sapin — Pierrot était passé en mode écoute, ne sachant pas ce qu'il avait le droit de faire et où il avait le droit d'aller.

— Oui, tu aimes ? S'intéressa l'hôte en le rejoignant auprès du sapin. J'ai essayé de prendre quelque chose que tout le monde aime à peu près, mais c'est la première fois que je le fais...

— Ça fait des années que je n'en ai pas mangé, mais j'en ai un bon souvenir, sembla réfléchir le garçon, avant de trouver quelque chose d'autre. EST-CE QUE CE SONT DES SUCETTES GÉANTES ?! »

Qu'entends-je ?

« Quelqu'un a dit sucettes géantes ? S'intéressa Pierrot en approchant à son tour, sortant de son activité de pot de fleurs. Oh, j'aimais bien ça avant, dit-il en reconnaissant la grosse sucette plate en tourbillon coloré posée sur un cadeau. Quel goût ça a déjà ?

— Le goût du diabète, railla une voix un peu rauque derrière lui ; il se retourna doucement, et se rendit compte que c'était Charlie qui venait de parler. »

Et il se rendit aussi compte qu'il voyait ses traits, pas comme l'autre fois ou elle avait laissé sa longue frange devant son visage. Pierrot ne fut pas surpris de voir que ses yeux étaient ternes, mais le fut un peu plus en voyant de larges traces de brûlures blanchâtres sur ses joues et l'un de ses yeux, qui descendaient jusque dans son cou.

« Charlie, la gronda Liam, arrête de manger tous les gâteaux, tu veux ? Tu n'auras plus faim après. »

Elle obéit en râlant, en en profitant pour retirer distraitement les miettes qui maculaient ses vêtements.

« Mais posez donc vos vestes, s'exclama Liam soudain, probablement quand il se fut rendu compte que Pierrot avait toujours son horreur sur le dos. Découvrez-vous, vous allez avoir froid !

— Mais quel hôte de qualité, se moqua Wilhelm depuis les fourneaux, complètement nul ! — Oui, ça fit rire Pierrot.

— Mais bien sûr, quand tu auras fini de rayer mes plaques de cuisson tu m'appelleras, rétorqua le jeune homme en prenant les manteaux de ses invités avec lui. Tu n'enlèves pas le tien Pierrot ?

— Je- J'ai peur d'avoir froid en fait, bégaya l'artisan en baissant la tête, honteux de se montrer aussi malpoli. Là c'est limite déjà... »

L'appartement avait beau être bien chauffé, le temps passant, la capacité de Pierrot à ressentir le moindre courant d'air s'exacerbait de plus en plus, et il savait d'expérience que cette étape lui donnerait l'impression d'être gelé en quelques minutes. Alors autant garder la doudoune.

« Je vais te donner des plaids, déclara plutôt Liam, qui devait avoir solution à tout dans la vie de tous les jours. Viens avec moi. »

Pierrot posa son sac au pied du sapin, enleva sa doudoune sous ordre de robocop, et le suivit dans une pièce un peu sombre, où luisait la loupiote d'un pc en veille. La pièce était plongée dans un calme apaisant.

Liam n'alluma pas la lumière et partit dans le coin de la pièce, où avait l'air de se trouver un placard.

« Tu es plutôt couverture lourde ou pelucheuse ? S'enquit-il une fois les portes ouvertes.

— Les deux, si tu as, murmura Pierrot, timide dès qu'on lui demandait de parler de lui — ce n'est pas l'information la plus personnelle qui soit, mais c'est quand même un tout petit peu privé.

— À vos ordres, sourit Liam en sortant une pile de l'armoire. Ouvre grand tes bras. »

Et en accueillant le fardeau, l'orfèvre chancela sous son poids. Ouais, il ne mourrait clairement pas de froid.

« Merci beaucoup, rougit-il à Liam alors qu'il sortaient, lui-même en boitant un peu. C'est très gentil ce que tu fais.

— C'est vrai ? Ça va ? »

Il avait un ton inquiet, et Pierrot fronça les sourcils. Comment cette perfection pouvait-elle douter de ses capacités d'accueil ?

« Ben, oui. Je me sens bien ici, et je n'aurai pas froid, rit-il doucement en montrant du menton sa pile de couvertures. »

Ça fit vaguement sourire le plus âgé — il lui semblait qu'il l'était — alors qu'ils revenaient dans la pièce à vivre. Les trois garçons étaient en train de papoter près des fourneaux, et Charlie se retenait de manger les gâteaux apéro qui l'attendaient sur la table basse — elle avait obéi à Liam, mais n'avait pas changé de place pour autant.

« Will ? Est-ce qu'au lieu de papoter tu peux faire à manger, s'il te plaît ? Le rappela Liam à l'ordre en voyant que le cuisinier en herbe prêtait plus attention à la conversation qu'il avait avec les deux autres qu'à la manière qu'il avait de touiller son plat.

— Chef, oui chef ! Sourit Wilhelm en ne changeant pas plus d'activité que de posture, donc en tournant toujours sa cuiller dans sa casserole, l'autre moitié de son corps accoudée au plan de travail.

— Qu'est-ce que tu fais d'ailleurs ? Entendit Pierrot de la part d'Harry, alors que lui-même partait s'installer dans le canapé avec ses nouvelles copines les couvertures. »

Il se mit à côté de Charlie, qui attendait que le temps passe.

« Qu'est-ce que tu fais ? Lui demanda-t-elle quand elle entendit les couvertures tomber sur le canapé, proche d'elle — en soi la distance était raisonnable, mais les deux accoudoirs n'étaient pas si éloignés que ça l'un de l'autre.

— Je m'installe, répondit-il simplement en étendant les tissus de manière à être protégé de tout courant d'air sibérien.

— Ah, la période d'hibernation des loutres a commencé ? »

Ce trait d'humour avait pour but de le soûler, probablement. Mais s'il faut savoir à quelque chose à propos de Pierrot, c'est que la maladie lui fait donner du sens à n'importe quelle conversation, surtout si elle n'en a pas du tout.

« Depuis belle lurette, qu'est-ce que tu fais encore debout ?

— J'attends le printemps.

— Je crois que tu n'as pas bien compris le concept de l'hibernation. »

L'indifférence du jeune homme fit pouffer Charlie, son sourire égayant ses pupilles grises.

« Alors disons que j'attends le déluge.

— Encore pire. On ne t'a jamais dit que la saison des pluies c'est l'été ?

— Et si je te dis que j'attends que quelqu'un m'aime ? »

Bref instant de réflexion — ou de semblant de réflexion alors qu'en fait il ne pense à rien, parce que c'est la spécialité de ce garçon.

« Ouais, nan, va dormir. »

Son pessimisme fit que Charlie explosa de rire, et ce son fut tellement marrant que Pierrot se mit à rire aussi.

Il aimait bien cette fille-là.

אבא

« C'est quand qu'on ouvre les cadeaux ?

— Charlie, tu attends, la réprimanda Liam pour la quinzième fois depuis le début du repas. »

Pierrot sourit largement en l'entendant encore se plaindre. C'était fou cette capacité qu'elle avait à le faire rire, même en ne faisant rien. Ses yeux ternes qui suivaient quand même le rythme des conversations étaient en grande partie ce qui l'amusait chez elle.

Parce que oui, tenez-vous bien : Charlie est aveugle, mais tout son visage agit comme si elle ne l'était pas. Un truc de fou.

Et depuis le début du repas, elle enchaînait les blagues, les commentaires chelous, les moqueries gentilles, et surtout, elle voulait aller ouvrir les cadeaux depuis dix minutes, sachant qu'il n'étaient à table que depuis qunize.

Les autres la regardaient parfois un peu bizarrement, comme si elle ne se comportait pas comme ça d'habitude, mais Pierrot s'en fichait, elle le faisait rire et voilà.

Ils étaient à la fin du plat de résistance quand Niall indiqua à Pierrot qu'il devait prendre ses médicaments, chose que le jeune homme avait complètement oubliée — sa fièvre remontait et il le sentait, mais trouvait ça plus marrant qu'alarmant, parce qu'avoir chaud lui fait toujours dire des bêtises.

Pour un grippé, Pierrot trouvait qu'il était dans une forme étonnante depuis une heure et demie, mais il n'allait pas s'en plaindre.

« Je vais les chercher, commença-t-il à dire, avant que ses médicament n'apparaissent sous son nez. »

Parce que Liam avait déjà fait le trajet. Une seconde de constatation figea l'orfèvre.

« ... Quand est-ce que tu t'es levé ? Demanda-t-il avec pas mal de latence.

— Quand Niall a mentionné tes médicaments, répliqua Charlie aussitôt, mangeant son assiette à toute vitesse pour plus vite passer aux cadeaux. Allez, mange ! Et prends tes médocs, du coup. »

Pierrot essaya vainement d'ouvrir la boîte de vngngnvn qu'il devait prendre, mais le scotch nul qui fermait la boîte lui donnait du fil à retordre.

Putain de scotch minuscule de sa mère de merde-

« Il fait quoi ? Souffla Charlie à Louis, qui était sur son autre côté.

— Il essaye d'ouvrir la boîte du sirop, lui dit Louis sans prendre autant de précautions pour être silencieux. Bois un peu ma belle, tu t'agites trop. »

Elle vida son verre en une seconde — quelle descente — et se retourna vers son autre voisin, lui piquant la boîte des mains pour l'ouvrir en une fois. Pierrot regarda attentivement le résultat de la manip, ne comprenant pas comment elle avait pu faire disparaître le petit scotch de merde.

« T'es pas censée être aveugle, toi ?

— Et alors ? Les conventions c'est pour les nuls, moi je me revendique comme voyante. »

Wait.

« Mais- mais tu es non-voyante-

— T'as un problème avec mes choix ? C'est mon identité, tu respectes. »

Pierrot beugga mentalement, et sa tête devait être drôle, car Wilhelm s'écroula de rire sur la table, alors que Charlie faisait à son voisin un regard de haut-en-bas dégoûté, même avec des yeux morts, ce qui était d'autant plus perturbant.

« Bref, c'est quoi déjà ça ? Un sirop, c'est vrai, déduisit-elle en tâtant le flacon avec ses doigts fins. Tu dois en prendre combien ?

— Niall, je dois en prendre combien ? Répéta Pierrot à l'irlandais, puisqu'il n'avait aucune idée de ce qu'il y avait d'écrit sur son ordonnance — souvenons-nous que dès qu'il l'avait eue dans les mains, il s'était endormi, et eu une petite entrevue avec Jésus et la team, mais c'est pas le sujet. »

Niall sourit, et s'empara de la feuille qui trônait fièrement sur la pile de médicaments déposée par Liam à côté de l'assiette de Pierrot. Et l'orfèvre n'y avait même pas pensé.

« Trois cac, cac ? Lut difficilement l'irlandais, perdant un peu de sa superbe. What the fuck is that ?

— Ça veut dire cuiller à café, lui révéla le bouffon comme si c'était un secret. Heureusement que c'est moi qui cuisine dans cette baraque, balança-t-il plus fort, comment on s'en sortirait sinon !

— Trois ? Super, passe-moi ta cuiller à café Pierrot, dit Charlie en ouvrant le flacon de sirop.

— Mais tu vas en mettre partout... »

Pierrot se sentait un peu dans la lune : il n'arrivait pas à réfléchir assez pour dire quelque chose de plus intéressant que ça pour exprimer le futur très proche qu'il pressentait arriver si elle lui donnait son sirop, et il lorgnait à intervalles réguliers, mais sans aucune raison, sur toutes les horreurs qu'il allait devoir avaler pour se soigner — aka ses médocs.

« Il doit commencer à fatiguer, souffla Harry à Louis, qui hocha la tête. On dirait un chaton triste, pouffa-t-il ensuite, alors que Charlie lui redemandait sa cuiller à café pour la remplir de sirop."

Heureusement que Pierrot était trop distrait pour avoir entendu ça. Sa virilité serait cruellement remise en question.

« Tu sais, même si elle a une perception hors-normes, je ne suis même pas sûr qu'elle soit capable de remplir une cuiller sans en mettre à côté, lui souffla Louis, en retour, focalisé sur les gestes pourtant sûrs de Charlie. C'est toujours moi qui lui donne ses médocs quand elle a la grippe.

— Loulou, pas besoin de vanter tes mérites, lança la master sans relever le nez, concentrée. Je sais bien que c'est toi, il y en a toujours qui finit à côté de la cuiller. »

Liam tint une seconde et demie avant de sourire ; le bouffon ne tint pas du tout et repartit en fou rire, Pierrot regardant ce spectacle d'un œil morne parce qu'il n'avait pas écouté.

« Et tu comptes faire comment, mademoiselle la maligne ? Rétorqua l'étudiant, rose de gêne — ça, Pierrot l'entendit. Tu ne vois ni le flacon, ni la cuiller. »

Charlie ne répondit pas et s'appliqua à tenir la cuiller droite dans sa main, après avoir débouché le flacon de sirop. Une brève vérification de l'horizontale cuiller fut effectuée, et ensuite elle évalua où était le creux de l'ustensile avec son doigt par rapport à son bras. Enfin, elle saisit le flacon de sirop sans bouger sa main tenant la cuiller d'un millimètre, et approcha le goulot du creux.

Pierrot notifia soudainement le silence qui planait dans la pièce. Le bouffon était dans son angle de vue, et faisait une tronche qui le desservirait probablement auprès des filles s'il était pris en photo.

« Par contre, je vais avoir besoin d'aide pour me dire stop, signala l'aveugle en commençant à incliner le flacon — Pierrot revint sur elle lentement, et ne put retenir un rire :

— Ok je fais- STOP STOP STOP ! »

Charlie avait penché trop fort, et le bouffon avait paniqué. Pierrot décréta qu'il aimait bien quand le bouffon paniquait.

« Quoi ?

— Vas-y doucement. »

Alors Charlie pencha la bouteille à deux à l'heure, et le regard de Pierrot dériva à nouveau sur les médicaments éparpillés là.

Il va quand même falloir que je les bouffe à un moment donné, ceux-là aussi, songea-t-il en tendant la main pour prendre la boîte la plus proche de lui.

C'étaient essentiellement des pilules, alors rien de compliqué pour ouvrir les boîtes, mais Harry vint quand même à son aide, pour sortir les plaquettes de leurs prisons pendant que Pierrot avalait ses machins au fur et à mesure, après avoir vérifié combien de chaque il devait prendre, et lesquels il faudrait conserver pour quand il se coucherait, ou se lèverait le lendemain. Que d'organisation.

« J'ai ! Pierrot, t'es où ?

— Hm ? »

La bouche pleine d'eau, en train d'avaler une pilule, le jeune homme ne vit pas arriver la main de la jeune femme, qui se plaqua brusquement sur le haut de sa mâchoire, et il ne se souvenait pas d'avoir sursauté aussi fort dans sa vie.

Il avala péniblement sa pilule, qui était restée sur sa langue par esprit de contradiction, et vit la cuiller de sirop nouvellement remplie s'approcher de lui, et cette vision était horriblement trop angoissante pour son petit cœur.

Il jeta un regard à travers la tablée morte de rire — Harry en particulier, honte à lui — et avisa Liam, la seule personne gentille en ce bas monde, mais il avait le dos tourné, en train de traficoter quelque chose sur la paillasse. Pierrot était donc tout seul face à l'adversité.

« Ouvre ton bec beau gosse, sourit Charlie en commençant à lever la cuiller vers lui. »

Le cerveau de Pierrot était tout sauf serein.

AAAAAAAAAHHHHHH serait un résumé exhaustif de la douce musique qui lui passait dans la tête.

Et son regard lançait des appels à l'aide dans tous les sens au fur et à mesure que l'objet le plus intéressant de ces dernières minutes s'approchait de son visage, ayant plus l'air à ses yeux d'un missile terroriste que d'une cuillerée de médicament.

Au dernier moment, Charlie retira sa main de la bouche de Pierrot — oui parce qu'en plus d'être infantilisé il était muselé — et la cuillère fit un brusque atterrissage qui manqua tout renverser ; heureusement qu'il avait eu le réflexe de se pencher pour ne pas faire foirer la mission, et avaler le liquide juste avant que tout ne tombe.

Et dès que sa bouche se fut refermée sur la cuillère, des acclamations retentirent de partout autour de la table ; ne lui demandez pas pourquoi, mais Pierrot se sentit à cet instant comme un héros.

« Allez, il en reste deux, dit justement la jeune femme à Pierrot d'un ton enjoué qui lui fit perdre sa joie."

Il grimaça.

— Deux à cette vitesse ? Se plaignit-il sans réfléchir. Mais j'irai me coucher dans six heures !

— Si t'es pas content, meurs tout seul, grogna Charlie en reposant la cuiller sur la table. »

Ce commentaire le fit sourire alors qu'il prenait la cuiller lui-même pour se verser du sirop. Et en effet, ça allait beaucoup plus vite.

« Faites une pile avec vos assiettes, les interpela Liam depuis les fourneaux, on sert le dessert ! »

Alors Charlie se remit à sautiller sur sa chaise, et Pierrot pouffa doucement, finissant d'engloutir ses médicaments. De fait, il ne prêta pas attention à la conversation autour. Un Pierrot fatigué est un Pierrot monotâche.

Au bout d'une minute cependant, il releva la tête pour contempler le visage blême d'Harry, face au sourire carnassier de Charlie. Même sans contexte, cette vue était marrante, alors il pouffa de rire quand même.

« Tendez vos assiettes ! Les reprit Liam en posant la bûche sur la table, et Wilhelm le saladier de truc blanc à l'odeur de lait. Vous pouvez vous amuser à parfumer votre bouillie avec du chocolat en poudre ou de l'arôme de vanille, je crois que j'ai du caramel aussi... Dit-il en montrant du doigt le saladier de truc blanc, justement.

— Elle est à quoi ta bûche ? Elle est glacée ? Voulut savoir Louis en se penchant, vu que la surface entièrement en coquille de chocolat n'aidait pas à savoir ce qu'il y avait dedans.

— Tiramisu. Et elle n'est pas glacée, parce que le prince n'aime pas ça. »

Wilhelm fit une grimace éloquente pour bien montrer qu'il détestait les bûches glacées. Pierrot préférait son surnom. Prince. Non mais n'importe quoi.

Bouffon du roi, ouais.

Charlie, de son côté, tomba sur l'épaule de Pierrot d'un air dramatique.

« Oh putain, je crois que je vais tomber amoureuse de lui s'il continue d'être si parfait ! »

Elle ne put malheureusement pas voir les pommettes et le front de Liam devenir rouge vif, mais ça fit bien rire Pierrot, et puis le reste de la table aussi d'ailleurs.

« Pour les cadeaux... Relança l'orfèvre sur le sujet, j'ai un peu fait avec les moyens du bord, désolé si ça ne vous convient pas...

— Mais c'est pas grave ça, voulut manifestement le rassurer Louis avec un joli sourire. On n'est plus des enfants, ça va-

— Moi j't'aime plus, déclara Charlie aussitôt en se détachant de lui et partant se coller à Louis. »

Et ce fut à Pierrot de n'avoir plus aucune couleur sur le visage. Son regard croisa celui d'Harry, et ils se sourirent en soutien.

On se sait.

« Bon bah, on dirait que vous ne voulez pas de dessert, conclut Liam en reposant son assiette pleine sur la table et se préparant à se rasseoir. »

Le 'SI !'' collectif qu'on entendit était un cri du cœur. Wilhelm explosa de rire en voyant toutes les assiettes se tendre d'un coup.

« Mais quelle bande de gamins, mais j'en peux plus, peinait-il à reprendre son souffle. Aaaah ils vont me faire caner...

— Attends les cadeaux avant, le coupa Pierrot avec un sérieux impromptu.

— Grave, pourquoi bouffer le repas si tu comptes mourir avant de recevoir tes cadeaux ? Renchérit Charlie avec un sérieux similaire. »

Wilhelm se retint difficilement de se remettre à rire, et Pierrot se demanda pourquoi ; leurs remarques étaient tout à fait pertinentes. Louis posa une main sur l'épaule de Wilhelm, pour le soutenir sans doute, et le bouffon fit mine de pleurer. En réalité, il pleurait vraiment, mais de rire.

« On a créé un monstre Liam, ils n'auraient jamais dû se rencontrer ! Geignit le bouffon en toussant à moitié pour retenir son fou rire.

— Quelque chose me dit qu'en bonne santé, Pierrot n'a pas cette attitude-là non plus.

— Je sais pas, peut-être, commenta le concerné en réfléchissant, un doigt posé sur son menton. Je ne fréquente que Dorémi en temps normal. Et elle est bien plus énergique que moi."

Il ne se considérait pas comme spécialement drôle ; ses amis à l'école le côtoyaient parce qu'ils se faisaient régulièrement larguer par les filles, et ne restaient jamais bien longtemps avec lui.

Et à ses yeux, si on ne reste pas avec quelqu'un, c'est qu'il n'est pas drôle.

« Je ne pense pas que l'énergie soit le problème, essaya d'expliquer le bouffon, mais abandonnant dès qu'il vit l'orfèvre s'intéresser plutôt au contenu de son assiette. Mais bref, à table.

— Je crois qu'il a pas capté que ça fait une heure qu'on y est, souffla Charlie pas du tout discrètement à Pierrot, qui réfléchit brièvement avant de lui répondre :

— Je crois que c'était juste une expression. »

Silence. Pierrot releva la tête, et vit Harry poser la sienne sur la table.

Attends. Qu'est-ce que j'ai dit déjà ?

« Mais ce que je suis con, évidemment que c'était une expression... Réalisa-t-il en un soupir désespéré, permettant officiellement à tout le monde d'exploser de rire — et tout particulièrement Wilhelm, qui oublia de rattraper son âme au vol. »

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