΅ XII ΅
Pierrot ouvrit les yeux sur un plafond de terre inégal. La réalisation qu'il était en train de rêver faillit le faire tomber de joie, mais comme il était déjà par terre, il ne fit que sourire comme un débile.
Il est plus seul dans sa vie qu'il n'aime à le penser.
Il se leva, et rejoignit André dans la pièce de vie. Celui-ci était en train de manger, et salua son frère quand il arriva.
« On va accompagner Jésus à des noces, à Cana, lui annonça-t-il alors qu'il commençait à manger lui aussi. Nous partons bientôt.
— D'accord, acquiesça Pierrot sans savoir une seule seconde où se trouvait Cana. Où est-ce qu'on le rejoint ?
— À la sortie de la ville, les autres disciples qu'il a appelés cette semaine iront avec nous. »
Donc nous ne serons pas que cinq à marcher, comprit Pierrot en déduisant qu'il y avait d'autres disciples — étrange à dire, mais si c'était Jésus il était d'accord — que lui, André, Jacques et Jean.
En effet, lorsqu'ils rejoignirent leur équipe d'expédition — pour des noces certes, mais expédition tout de même —, deux autres personnes étaient auprès de Jésus, avec Jacques et Jean. Ils dirent s'appeler Philippe et Nathanaël, et ils avaient l'air ravis de suivre Jésus.
Heureusement, sinon on n'est pas arrivés à Cana. Je suis sûr que c'est super loin.
Au moment où les deux frères s'approchèrent de la petite troupe, Jésus pointa son regard sur Pierrot.
« Tu es Simon, fils de Jean ; tu t'appelleras Kèphas. »
Or Pierrot, qui avait un traducteur dans le cerveau, comprit que Kèphas voulait dire Pierre. Il se figea un peu, et eut envie de rire, et de pleurer en même temps.
Sensation bizarre.
En même temps, Jésus avait presque trouvé le bon nom, mais ça voulait dire qu'il se souvenait l'avoir vu auprès de ses parents dans le temple de Jérusalem, quand il était jeune. Et le regard sérieux qu'il lui envoya lui fit se dire que oui, Jésus se souvenait. Évidemment que Jésus se souvenait. Avec un tel regard, qui ne se souviendrait pas ?
Dis-toi que ce sera plus facile de te reconnaître quand on t'appellera si on t'appelle Pierre. Quand même, pour un surnom il s'est pas foulé, se dit le jeune homme en acquiesçant bêtement à l'injonction.
André était ébahi à côté de lui, mais se contint. Et Pierrot espéra qu'il n'était pas jaloux.
Ils se mirent en marche à une allure plus rapide qu'une promenade, mais pas au pas de course non plus, papotant tranquillement entre eux. Pierrot apprit par ailleurs que Philippe venait du même village que lui et André — à Bethsaïde donc —, s'étonnant du fait que Pierrot avait changé depuis le temps. Tu parles.
Plusieurs jours furent nécessaires pour arriver à Cana — les gens de cette époque devraient vraiment inventer la voiture — et une fois là-bas, la fête allait bon train ; les mariés étaient contents, bien habillés, les gens buvaient comme des tonneaux, tout était parfait. Même Marie était là, et avait l'air d'avoir oublié Pierrot — il ne le prit pas mal, parce que vu comment elle-même avait pris de l'âge et lui non, il aurait été difficile de se dire 'tiens donc, on ne dirait pas celui qui m'a aidée à accoucher il y a trente ans ?'.
Seulement, au fur et à mesure que les gens devenaient ivres — ou carrément bourrés, se dit Pierrot en voyant son voisin lui tomber dessus —, le vin manqua. On n'avait plus de quoi boire. Et les gens ne seraient pas contents d'arrêter la fête aussi vite.
Du coin de l'œil, il vit Marie s'approcher de Jésus, et lui parler un peu. Il lui répondit quelque chose, et Marie vint vers les disciples, complètement sobres, eux — Pierrot ne voulait pas être bourré dans un rêve, qui pourrait en savoir les conséquences dans la vraie vie.
« Tout ce qu'il vous dira, faites-le, leur dit-elle gentiment, son éternel air doux faisant regretter à Pierrot d'avoir perdu sa mère. »
Les disciples se levèrent, et constatèrent qu'il y avait là six jarres en pierre, juste énormes — au moins cent litres chacune selon Pierrot. Jésus vint vers eux, les serveurs de la journée le suivant. Il leur dit :
« Remplissez d'eau les jarres. »
Avec une chaîne efficace depuis le puits jusqu'aux jarres, ils les remplirent chacune à ras bord.
« Maintenant, puisez, et portez-en au maître du repas. »
Pierrot regarda les serveurs s'exécuter, mais bugga. C'était de l'eau, et le maître du repas, comme le disait Jésus, réclamerait du vin, et pas de l'eau. Ils suivirent les serveurs, lui et les autres disciples, et angoissèrent franchement quand ils virent le gars goûter ce que lui apportaient les serveurs.
Étonnamment, le gars sourit, même si lui n'avait pas l'air de savoir d'où ce qu'il goûtait venait, contrairement aux serveurs et à la troupe de Jésus, et fit venir à lui le marié, qui gérait le repas un peu plus loin.
« Tout le monde sert le bon vin en premier et, lorsque les gens ont bien bu, on apporte le moins bon. Mais toi, tu as gardé le bon jusqu'à maintenant, vanna-t-il en lui tapant l'épaule, sous le regard surpris du marié. »
Donc c'est bien du vin, comprit Pierrot en refaisant dans sa tête le cheminement des évènements — il ne comprenait pas vraiment comment l'eau des jarres avait pu se transformer en un vin meilleur que le vin qu'ils avaient de base, mais après tout pourquoi pas.
Il se détourna et regarda Jésus. Celui-ci le regarda en retour. Pierrot sourit.
Moi je crois que c'est possible si c'est lui qui l'a fait.
Ils attendirent la fin de la fête, puis repartirent, avec Marie et d'autres gens, vers Capharnaüm apparemment — Pierrot se retint de faire un commentaire, mais les camps romains d'Astérix et Obélix avaient quand même déménagé loin.
אבא
En entrant à Capharnaüm, un temps indéterminé plus tard — la dynamique du rêve prenait son sens ; il aurait été bien incapable de dire combien de temps ils avaient marché et ce qu'ils s'étaient dit pour passer le temps —, Pierrot se sentit bizarre. Cet endroit lui rappelait Jérusalem sans doute, mais il n'y avait pas que ça, autre chose. Il n'arrivait simplement pas à mettre le doigt dessus.
D'un accord tacite, tous suivirent Jésus qui entra dans une église, mais pas tant église que ça puisqu'à cette époque ça n'existait sûrement pas — ce que Pierrot veut dire est qu'ils vont à la synagogue.
Puis, pendant qu'eux s'assirent, Jésus se met à enseigner devant eux et la foule qui était là.
Et même si Pierrot écoutait, il entendait aussi les gens — hommes — autour de lui s'étonner de la prestance de Jésus et de la manière dont il enseignait, qui ressemblait plus à celle d'un homme qui a une autorité, un avis, plutôt que celle d'un scribe — et oui, Pierrot imagina un pauvre gars en slip de l'Égypte ancienne en train de lire un parchemin devant une foule.
Soudain, Pierrot sursauta, alors que tout le monde était captivé par ce que Jésus disait, et se tourna vers le fond du bâtiment dans un drôle de réflexe qu'il n'avait pas conscience d'avoir. L'instant d'après, un homme se mit à convulser en poussant des cris atroces, se jetant par terre et perdant tout calme sur son visage.
Les gens autour du gars s'éloignèrent, surpris et un peu effrayés — Pierrot en vit quand même un qui était courroucé de ne plus pouvoir entendre Jésus, mais pas inquiet pour deux sous pour l'homme qui était par terre. Le gars par terre prit la parole — non, hurla sur Jésus.
« Que nous veux-tu, Jésus de Nazareth ? Es-tu venu pour nous perdre ? Je sais qui tu es : tu es le Saint de Dieu. »
Jésus resta étonnamment calme, alors que Pierrot se demandait d'où pouvait bien venir cette voix désincarnée, presque rauque tant elle avait l'air raclée sur une lame de rasoir, et aussi ce que ça pouvait bien vouloir dire, ça. Le Saint de Dieu ? Est-ce que ça avait un sens, au moins ?
« Tais-toi ! Sors de cet homme, asséna Jésus, imperturbable et sévère. »
Si Pierrot avait été le destinataire de cet ordre, il sentait bien que son esprit aurait déserté son corps aussi sec.
C'est ce qui sembla arriver au gars, avec un peu plus de résistance que ce dont Pierrot s'estimait capable cependant ; il eut des convulsions encore plus violentes, et hurla puissamment en une décharge de sentiments négatifs — haine ? colère ? rage ? — , faisant trembler le français, qui ne comprenait décidément rien du tout à ce qu'il se passait.
Le gars se laissa ensuite retomber, comme sonné, et les gens autour de Pierrot étaient surpris, stupéfaits. Pas autant que lui, mais un peu touchés quand même.
« Qu'est-ce que cela veut dire ? Se demandaient les gens entre eux.
— Voilà un enseignement nouveau, donné avec autorité !
— Il commande même aux esprits impurs, et ils lui obéissent. »
Ah ouais chaud, se dit Pierrot en regardant Jésus, qui descendait simplement de son estrade et appelait les disciples, qui se levèrent à leur tour.
Tandis qu'ils sortaient, les gens se chuchotaient déjà ce qui venait d'arriver dans le bâtiment religieux — Pierrot avait au moins pigé ça — et la rumeur allait sûrement se répandre loin. Pourtant, Jésus ne fit aucun commentaire et prit une direction, entraînant les autres avec lui.
Est-ce qu'il connaît tout le pays, comme ça ? Se demanda Pierrot, goguenard. Il va nous guider à travers le monde entier le bougre.
Au fur et à mesure qu'ils avançaient entre les habitations, le sentiment étrange qu'il avait ressenti plus tôt se manifestait à nouveau dans ses entrailles, et il finit par jeter un coup d'œil inquiet à André, non loin de lui. Lui avait l'air d'aller parfaitement bien, et, mieux, de savoir où ils allaient.
« Ah, mais belle-maman est souffrante, dit André alors qu'ils s'arrêtaient devant une maison comme les autres, mais devant laquelle Pierrot se sentit mal, comme stressé. »
Jésus regarda André d'un air indéchiffrable et entra tout de même. Pierrot suivit la troupe. Dans la maison, une pièce à vivre et une chambre, comme chez Pierrot et André. Dans la chambre, une dame était allongée et dormait, les joues rouges et la respiration irrégulière. Pierrot ressentit quelque chose de très particulier en la voyant.
Voyez-vous, il n'a plus de maman et son papa est dans le coma ; l'affection dans sa famille n'était pas très démonstrative de toute façon, et il pensait n'en avoir pas vraiment besoin. Mais voir cette dame, qui ne lui ressemblait même pas un peu certes, et qui pourtant avait manifestement un statut de belle-mère pour lui, lui fit quelque chose de puissant. Il avait une dame qui tenait à lui, quelque part dans sa tête. Il pouvait avoir une maman, lui aussi.
Quand Jésus vit la malade, il s'approcha de sa paillasse et lui prit la main, qui pendait dans le vide. Tout de suite, la dame ouvrit les yeux et sembla rétablie. La preuve : elle se mit sur ses pieds, salua tout le monde, et annonça qu'elle allait préparer le repas.
« C'est incroyable, souffla André, près de Pierrot. Elle est couchée sur ce lit depuis des jours, et en un geste... Tu as vu comme moi qu'elle allait mal ces derniers jours, non ? »
On ne vit même pas dans la même ville André, comment veux-tu que je le sache ?
« Oui, je ne comprends pas comment il a fait, avoua Pierrot en observant Jésus converser avec sa belle-mère, qui préparait des galettes.
— J'ai le sentiment que nous le saurons bien assez tôt, murmura André d'un ton involontairement énigmatique. Il ne s'en vante même pas en plus, l'as-tu remarqué ? Dans la synagogue tout à l'heure, tu as vu comme il a chassé un esprit impur, non ? Et pas de commentaire dessus, rien du tout. Il est particulier. »
Donc c'était une synagogue. Et le gars était possédé et Jésus l'a libéré. Mais dans quel monde je rêve ? Désespéra le français en faisant mine de rien, allant aider sa belle-mère à préparer à manger.
Cependant, elle le vira car elle ne voulait pas d'aide. Il se trouva un peu con. Pour se changer les idées, il alla dehors et regarda le lac non loin. Il en trouva quelques points communs avec le lac sur lequel il allait pêcher toutes les nuits qu'il passait ici, comme l'apparence des issues et la qualité de l'eau, ou les bateaux de pêche étendus sur son bord.
C'est le même lac mais de l'autre côté, réalisa-t-il en apercevant sa ville au loin. C'est comme ça qu'on peut aller ici moi et André.
Il ne fit pas part de sa découverte à André, question de fierté. De toute façon, il était censé le savoir lui-même et non pas le découvrir alors qu'il venait sans doute ici plusieurs fois la semaine.
Et puis vint le soir. Ils avaient à peine fini de manger que des gens tous plus estropiés, malades ou possédés les uns que les autres cherchaient à entrer pour être touchés par Jésus et guérir, comme le gars de la synagogue -- expérience flippante du point de vue de Pierrot, qui se croyait dans un film d'horreur avec tous ces zombies à la fenêtre.
Alors que Pierrot aurait refusé tant de monde, Jésus les laissa entrer, et guérit ceux qui étaient malades, purifia ceux qui étaient possédés et se jetaient à ses pieds, ou même lui hurlaient dessus. À chaque fois, il disait au démon de se taire, et le virait par une formule ou une autre. Pierrot se demanda comment il faisait, et comment il était aussi calme et dévoué alors que la maladie à son origine était devant lui et demandait à être aidée.
Lui aurait reculé depuis longtemps.
אבא
« Sim- Pierre ! Lève-toi ! »
Pierrot grogna. On ne pouvait même plus dormir tranquille.
« Jésus a disparu ! »
Et bien retrouve-le, qu'est-ce que tu veux que je te dise.
Un petit instant de réflexion.
Wait. What ?
Jésus parti.
Marie va me tuer si on le perd, réalisa Pierrot en ouvrant les yeux dans la seconde.
« Comment ça, il a disparu ?
— Il n'est plus là, tu le vois bien ! »
En effet, André et Jacques avaient raison : Jésus n'était plus dans la pièce.
« Et vous n'avez pas réveillé Jean ? Ironisa Pierrot en songeant à se recoucher — mais carastrophe interplanétaire oblige, il sortit de sous son drap. »
Jacques y alla tout de suite.
« Avez-vous cherché dans les environs ? Questionna Pierrot à son frère.
— Oui, tu penses bien que nous n'aurions pas fait d'esclandre si ce n'était pas le cas, expliqua le pêcheur, inquiet. Nous avons demandé aux voisins et cherché à la synagogue, même au marché, mais rien, il n'est nulle part. Belle-maman ne sait pas non plus où il aurait pu aller.
— Elle va toujours bien ? Demanda Pierrot au sujet de sa belle-maman — c'était pas tous les jours qu'il en avait une, alors il voulait en prendre soin.
— Oui, aucun problème avec elle, répondit André, amusé par son inquiétude. Tu veux bien nous aider à chercher Jésus ?
— Bien sûr. Jean ? Nous partons, lui annonça Pierrot de but en blanc en récupérant ses sandales qu'il avait enlevées pour la nuit -- petite vibe Peter Pan d'un coup.
— J'arrive, répondit le plus âgé d'entre eux — fact, même s'il n'avait pas l'air beaucoup plus vieux. Où cherchons-nous ?
— Je ne sais pas, je vais observer les environs, répondit Pierrot honnêtement. »
Il sortit de la petite maison, ne croisant personne dans la pièce à vivre. Dehors, le soleil se levait déjà, et réchauffait la brise matinale.
Allez, si j'étais Jésus je ferais quoi ? S'encouragea le jeune homme en regardant autour de lui — et des disciples, qui l'avaient rejoint. Non, c'est une question con, se reprit-il en éloignant déjà l'hypothèse du marché et de la synagogue si André et Jacques y avaient déjà été. Il fait quoi, Jésus, dans la vie ?
Il eut une image de Jésus, à genoux en train de prier. Ironique, puisque jusqu'à maintenant il l'avait surtout vu parler.
« Il doit être en train de prier à l'abri des foules, s'entendit-il dire à ses compères, qui acquiescèrent tout de suite. Mais il n'est pas dans la synagogue, alors où ?
— Peut-être qu'il est sur la colline, non loin d'ici ? Hasarda Jean. Je crois l'avoir vu la regarder hier.
— Alors nous allons là-bas, décida Pierrot. Nulle part d'autre ? André ? Le sollicita-t-il plus particulièrement vu qu'il devait avoir habité ici.
— Jean a raison, il n'y a que sur la colline qu'on peut vraiment être seul, dit pourtant le jeune homme.
— De quoi parlez-vous ? S'enquit la belle-mère derrière eux. »
Elle avait l'air de revenir du marché, les bras chargés de trucs probablement comestibles — non, Pierrot ne savait pas ce que c'était.
« Jésus est parti ce matin, très tôt je dirais, et nous le cherchons, expliqua André en la déchargeant un peu pour l'aider.
— Oh, souhaitez-lui une bonne journée, sourit la dame à Pierrot, qui se sentit aimé.
— Nous n'y manquerons pas, au revoir, dit Jacques alors qu'ils partaient en direction de cette colline. »
La marche fut courte, et bientôt ils arrivèrent en bas de cette colline ; pas très haute mais assez escarpée pour qu'on n'ait pas envie d'y aller ; les disciples s'y collèrent quand même, et la grimpèrent jusqu'en haut. Au grand soulagement de Pierrot, qui ne faisait pas de sport, Jésus était là-haut, très calme dans ce milieu rocailleux un peu hostile, sa seule vision apaisant la sueur du jeune homme sur son dos.
Il s'approcha lentement de lui alors que les autres apôtres restaient arrière, s'assurant de faire juste assez de bruit pour le sortir de sa méditation, ou Dieu savait quoi, mais pas assez pour le faire sursauter. Jésus ouvrit doucement les yeux.
« Tout le monde te cherche, dit Pierrot bêtement en perdant toute notion de parole intelligente, comme ça semblait être le cas à chaque fois qu'il devait lui dire quelque chose.
— Allons ailleurs, dans les villages voisins, afin que là aussi je proclame l'Évangile ; car c'est pour cela que je suis sorti. »
J'ai pas compris une bonne partie de ta phrase mais d'accord.
Ils descendirent donc et allèrent dans un endroit voisin, que Pierrot n'aurait su nommer, tout comme la pelletée d'autres villes et villages — surtout villages — qu'ils parcoururent en quelques jours pour que Jésus parle aux foules dans les synagogues et expulse des démons — horrible comme il y en avait d'ailleurs, Pierrot se demandait si le vingt-et-unième siècle était très calme ou si les démons étaient juste très bien cachés.
Alors qu'ils étaient dans un village, quelques jours après, Jésus avait parlé, et ils allaient bientôt partir pour aller manger ; la foule s'était donc dissipée pour elle aussi aller se sustenter et se coucher. Un gars sortit soudain de nulle part et se planta devant Jésus. Pierrot eut un mouvement de recul à sa vue : il était couvert de loques, et sa peau elle-même était une loque — en bref, c'était un lépreux.
Jésus pourtant ne recula pas et le regarda comme on regarderait n'importe qui.
« Si tu le veux, tu peux me purifier, supplia le lépreux à demi-mot, se jetant à genoux. »
Jésus n'était pas ordinairement quelqu'un de très froid, mais pas immensément expressif non plus ; pourtant, Pierrot vit distinctement dans son mouvement de tête — il était derrière lui alors ne voyait pas son regard — qu'il compatissait pour lui.
Il étendit sa main devant lui, à la grande surprise des apôtres qui se demandaient s'il voulait choper la lèpre lui aussi, et toucha le front de l'homme, qui n'avait même pas l'air si vieux.
« Je le veux, sois purifié. »
Aussitôt, sa peau sembla neuve et un poids se dégagea visiblement de ses épaules, et Pierrot se maudit d'avoir cligné des yeux pendant la purification du lépreux, il avait tout raté. Jésus pourtant dit quelque chose à l'ex lépreux dès qu'il se releva, avant de lui dire de partir :
« Attention, ne dis rien à personne, mais va te montrer au prêtre, et donne pour ta purification ce que Moïse a prescrit dans la Loi : cela sera pour les gens un témoignage. »
Le gars le remercia mille fois, et comme Jésus le lui avait demandé, partit. Seulement, il ne passa pas la nuit que tout le village était au courant, et que Jésus et les apôtres durent rester en-dehors des lieux qu'ils visitèrent ensuite, rejoints par des lépreux et malades malgré le fait qu'ils ne soient jamais ouvertement dans les villes.
Pierrot n'aimait pas ce lépreux.
Ils retournèrent à Capharnaüm quelques jours après l'avoir quitté, et quand les voisins de la belle-mère de Pierrot et André surent que Jésus était là, un monde si grand se rassembla devant la maison qu'on ne pouvait plus en ouvrir la porte, et que Jésus se retrouva à enseigner la Parole depuis la table de la pièce à vivre à ceux qui étaient aux fenêtres.
Pierrot n'aimait décidément pas du tout le lépreux.
Un certain temps après le début de cet enseignement improvisé, les apôtres entendirent un bruit chelou venant du toit, soit le plafond de la pièce à vivre.
Pierrot leva la tête, juste à temps pour dire à sa belle-maman de se décaler — un brancard descendait d'un trou dans le toit au milieu d'eux, et pour un peu elle se le prenait sur la tête. Sur le brancard, un homme immobile les regardait avec des yeux un peu fous, anxieux.
Jésus leva la tête et vit les responsables du trou conséquent qu'il y avait maintenant dans le toit ; pourtant, il ne les engueula pas et leur sourit, avant de reporter son attention sur le gars immobile.
« Mon enfant, tes péchés sont pardonnés. »
Pierrot ne comprit pas le sens de ce mot — péchés, pas pardon, il n'est pas débile quand même —, et pourtant le gars immobile avait l'air si content sur son brancard qu'il n'osa pas dire quoi que ce soit. En retournant la tête vers les gens aux fenêtres, il vit les vieux riches, qui semblaient les suivre partout, juger clairement Jésus du regard, froids et hostiles. On voyait sur leurs têtes qu'ils se disaient que Jésus blasphémait, qu'il usurpait l'identité de Celui d'en haut, tout ça tout ça.
Jésus se retourna vers eux, comme s'il avait capté leurs pensées.
« Pourquoi tenez-vous de tels raisonnements ? Qu'est-ce qui est le plus facile ? Dire à ce paralysé : ''Tes péchés sont pardonnés'', ou bien lui dire : ''Lève-toi, prends ton brancard et marche'' ? Eh bien ! Pour que vous sachiez que le Fils de l'homme a autorité pour pardonner les péchés sur la Terre... »
Il se tourna vers ledit paralysé, cette indication ayant au moins permis à Pierrot de comprendre pourquoi le gars ne bougeait pas.
« Je te le dis, lève-toi, prends ton brancard, et rentre dans ta maison. »
Voilà ! Se dit Pierrot, fier de son poulain. Dans vos gueules !
Il fit moins le malin quand le paralysé se leva tout de suite et prit son brancard tranquillou pour partir, à pied, devant tout le monde. Les gens dehors se disaient qu'ils n'avaient jamais vu ça, et Pierrot se dit la même chose — pas compliqué : le seul paralysé qu'il connaissait, c'était son père, et il était pas près de se lever, lui.
אבא
Jn 1, 42, 44 ; 2, 1-12
Mc 1, 21-45 ; 2, 1-14
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