΅ LXX ΅

La fin du carême approchait, et en lui-même Pierrot s'en réjouissait, parce que ça voulait dire que la résurrection de Jésus aussi !

Ne vous en faites pas, vous n'avez pas raté d'épisode, il n'a juste pas trouvé le temps de vous le dire.

Parce qu'après sa confession avec le père Raphaël, Pierrot s'était souvenu que Jésus avait non seulement annoncé sa mort, mais aussi sa résurrection, ce que Pierrot n'avait pas saisi parce qu'il était trop focus sur l'aspect MORT des annonces.

La tuile.

Et donc, il avait stressé pour rien ! Il allait revoir tout le monde au moment de la résurrection ! Et en attendant, son carême, c'était de survivre sans l'équipe. Ce qui n'était pas chose aisée, mais il s'y faisait.

Nous disions donc : la fin du carême approchant, Pierrot avait discuté avec Dorémi de comment ils s'organiseraient pour fêter Pâques, et malheureusement, elle ne pourrait être avec lui ni à la Vigile Pascale, ni à la messe du matin de Pâques, parce qu'elle chantait au chœur pour l'une et rentrait voir sa famille pour l'autre. Pierrot serait donc seul, ce qui au fond ne le dérangeait pas, parce qu'il avait beau assumer aimer la messe et Jésus et tout et tout, il préférait y aller avec lui-même.

Il aurait aussi aimé aller aux messes de la semaine Sainte, où le parcours de Jésus était retracé jusqu'à sa mort, le vendredi, avant sa résurrection le dimanche, mais le traumatisme était encore trop récent pour lui : il sentait qu'il ne supporterait pas de revivre ça une deuxième fois. En plus, il pouvait officiellement reprendre le travail — avec une balafre de six kilomètres sur le bras t'as peur —, et avait mille commandes à rattraper, comme il avait pris beaucoup de retard, ce qui le faisait travailler jusqu'à pas d'heure pour tout terminer.

Quand il se coucha, ce soir-là, il ne se souvenait même pas que le lendemain c'était Pâques, car tout ce qu'il voulait, c'était dormir.

C'est pourquoi il crut qu'il était en train de rêver — non, sans blague — quand il rouvrit les yeux sur une pièce sombre à l'aménagement familier. Tout était silencieux, et les silhouettes des apôtres que Pierrot distinguait dans le noir étaient immobiles, pensives, déprimées.

Ça fait des jours que c'est comme ça.

Pierrot sursauta. Ce n'était pas lui qui venait de penser, et pourtant une voix venait de lui fuser dans la tête.

Il faut leur dire que c'est temporaire, reprit la voix. Il ne faut pas qu'ils perdent espoir.

L'orfèvre décida de faire comme si cette intrusion était complètement normale, et se prépara à parler aux apôtres. Ce qui les accablait autant était probablement le fait que Jésus n'était plus avec eux, ce qu'il comprenait puisqu'il avait passé une semaine dans cette léthargie dépressive avant de s'en remettre.

Mais à peine eut-il ouvert la bouche que la porte d'entrée émit un bruit de serrure qui fit se redresser tout le monde. Le sentiment qu'il y avait là s'apparentait à de la peur, remarqua Pierrot. Puis la porte s'ouvrit si vite qu'elle claqua contre le mur, la lumière éclatante du jour entrant brutalement dans les rétines des occupants de la pièce, qui se couvrirent les yeux d'un grognement collectif.

Pierrot se remit le plus rapidement, et reconnut Marie-Madeleine, toute essoufflée, qui se précipita sur lui et Jean, les deux premiers qu'elle vit sembla-t-il.

« On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l'a déposé. »

Quoi ?

Pierrot et Jean échangèrent un regard paniqué. Alors là, c'était pas censé se passer comme ça ! Même si théoriquement, une résurrection n'avait pas de manière normale d'être, selon l'avis de Pierrot.

Sans plus se concerter, tous deux se ruèrent hors de la maison pour partir vers le tombeau, que Pierrot ne situait pas vraiment, mais comme Jean courait plus vite que lui ce n'était pas un problème. Il se contenta de le suivre, se demandant si les moches pouvaient aller jusqu'à profaner un corps décédé pour leur bon plaisir — il ne parvint pas vraiment à se fixer sur ce point, mais il espérait de tout cœur que ce n'était pas le cas, car l'idée d'un Jésus marionnette ou empaillé était absolument terrifiante.

Quand enfin ils arrivèrent à flanc de falaise, non loin du mont qui avait été la scène de toute cette affreuse journée, Pierrot eut un drôle de flashback en voyant qu'une grosse pierre ronde avait été roulée pour dégager une sortie au tombeau, comme pour celui de Lazare, des semaines plus tôt. Ça devait être une mode, de faire des tombeaux creusés.

Mais en arrivant devant l'embouchure, de la taille d'un Pierrot et demi, Jean s'arrêta net. Pierrot arriva peu après lui, et ne l'imita pas, entrant carrément dans la tombe avant de se dire que merde, c'était peut-être malpoli ce qu'il faisait. Mais il voyait ainsi l'essentiel, à mesure que ses yeux s'habituaient à la pénombre : l'intérieur de la concavité était propre et vide, avec comme seul pièce de mobilier un lit en pierre placé bien au milieu. Dessus, les linges qui avaient enveloppé Jésus étaient bien pliés comme s'il venait de quitter l'hôtel, et on aurait pu croire que c'était un tombeau neuf, en réalité, si ce n'était que les linges portaient des taches de sang assez révélatrices.

Il n'y a nulle part où se cacher, constata Pierrot après avoir fait le tour du lit. Jésus n'est vraiment pas là.

Il essaya de relativiser sur sa théorie : les moches ne pouvaient pas avoir pris Jésus en otage, car autrement, les linges auraient été en bordel au sol, ou emportés pour parfaire le côté misérable de la victime. Certainement pas sagement pliés comme ils l'étaient là.

Pierrot finit donc par sortir de la grotte avec la conviction bancale que Jésus avait ressuscité, tandis que Jean, qui ne l'avait toujours pas rejoint, l'attendait pour faire demi-tour et rentrer.

« Tu ne veux pas aller voir ? Lui demanda Pierrot alors qu'ils se mettaient en marche, sans courir cette fois.

— Non. Merci. »

Sa voix était ténue, et Pierrot eut de la peine pour son ami. C'est vrai, après tout, lui-même n'avait pas été mieux, au début ! Mais là, il avait un argument imbattable pour consoler Jean. Du moins, il l'espérait.

« Il nous avait prédit sa mort, mais n'oublie pas qu'il nous avait aussi parlé de sa résurrection, argua-t-il en passant son bras sur les épaules de son ami. Trois jours plus tard, si mes souvenirs sont bons. Et rappelle-moi quel jour on est ? »

Jean haussa les épaules, démoralisé. Pierrot ne savait pas quoi faire de plus, alors il laissa son bras là, et ils marchèrent tranquillement jusqu'à la ville pour retourner dans cette petite maison lugubre. À ceci près que Pierrot avait vu une jeune femme sangloter à côté du tombeau, juste avant qu'ils ne partent, et qu'à côté d'elle, il aurait été impossible de ne pas reconnaître la silhouette de Jésus.

Il sourit pour lui-même. Jésus était quand même quelqu'un de surprenant.

En arrivant à la petite maison, les autres apôtres se dépêchèrent de fermer à quintuple tour derrière Pierrot et Jean, ce qui fit tiquer l'orfèvre. Avaient-ils À CE POINT peur des moches ? Il était pourtant peu probable qu'ils reviennent les chercher.

Enfin, je dis ça, mais je l'ai renié pour la même raison, railla-t-il en lui-même en partant à la cuisine pour voir ce qu'il pouvait bien cuisiner.

Une demi-heure plus tard, Marie-Madeleine repassa les voir, si émerveillée que son sourire aurait pu faire de l'ombre au soleil.

« J'ai vu le Seigneur ! »

Belle entrée en matière, ricana Pierrot intérieurement en continuant ses galettes, entendant dans le même temps tous les apôtres se réunir autour de la jeune femme pour avoir des infos.

Apparemment, elle avait vu des anges perchés sur la pierre censée fermer le tombeau, puis Jésus lui-même, qui lui avait dit qu'il montait vers son Père et son Dieu qui est leur Père et leur Dieu. Pierrot n'en douta pas, et se figura qu'elle avait couru derrière eux avant d'aller pleurer à l'écart, avant que badaboum un revenant.

Le soir même, Pierrot était chargé de vérifier que les portes étaient bien fermées avant qu'ils n'aillent tous se coucher ; il vérifia donc, puis tourna la clef dans la serrure une fois de plus par acquis de conscience. Mais quand il se retourna, devinez qui se tenait fièrement au milieu de la pièce ? Les disciples, eux, étaient abasourdis, le long des murs, tandis que Jésus leur souriait avec un sourire de star.

« La paix soit avec vous ! »

Pierrot jeta un œil à la porte, qu'il tenait toujours. Il devait avouer être moins en paix maintenant qu'il savait que cette chose n'était pas foutue d'empêcher quelqu'un d'entrer.

Jésus, lui, montra aux disciples ses mains et son côté, qui portaient les stigmates de la croix — vocabulaire nouveau que lui avait appris la biographie de cher Padre Pio à l'église Saint Cyprien —, soient les trous des clous et de la lance. À cette vue, toute la pièce éclata d'une immense joie — parce que ça prouvait que ce n'était pas un imposteur, pas parce que les souffrances c'est cool —, et Jésus répéta :

« La paix soit avec vous ! De même que le Père m'a envoyé, moi aussi, je vous envoie. »

Puis il leur souffla dessus. En temps normal, Pierrot aurait vanné la technique, sauf qu'immédiatement, il se sentit aussi bien que si on lui avait installé une batterie de RAM dans le crâne, avec une sensation d'assurance en plus comme il n'en avait jamais ressenti.

Jésus leur expliqua, face aux réactions disparates des apôtres — Barthélémy se tenait le thorax, songeur, André était bouche bée, Matthieu avait l'air de vouloir sauter sur Jésus pour lui faire un câlin, Jean le regardait d'une manière qu'on aurait pu qualifier d'énamourée si on ne le connaissait pas, et puis Pierrot avait les mains dans les poches — ;

« Recevez l'Esprit Saint. À qui vous remettrez ses péchés, ils seront remis ; à qui vous maintiendrez ses péchés, ils seront maintenus. »

Pierrot crut rêver en voyant que l'Esprit Saint que Jésus venait de leur déposer dessus se manifestait matériellement comme des langues de feu qui flottaient au-dessus de leurs têtes, chacun la sienne. Mais en faisant le compte, et en excluant les disciples qui avaient aussi été désignés avec les apôtres — parce que non, les apôtres n'étaient pas seuls dans cette baraque —, il se rendit compte qu'ils n'étaient pas tous là. Il en manquait un.

Judas ce n'est pas une surprise, mais pourquoi j'en vois que neuf ? Réfléchit le jeune homme en fronçant les sourcils. André, Matthieu, Marc, Jacques, Jean, Barthélémy, Nathanaël, Thadée, Simon...

Il eut envie de se taper la tête contre un mur en réalisant qui manquait.

Putain, c'est Thomas.

À savoir que Thomas était le mec le plus cartésien que Pierrot ait jamais rencontré. Jamais de la vie il ne les croirait.

Et en effet, après quelques glissades dans le temps, Thomas était face à ses compères, et ne les croyait pas du tout. Il avait d'ailleurs l'air proprement exaspéré, comme s'il leur demandait par le regard ce qu'ils avaient bien pu fumer.

« Nous avons vu le Seigneur ! Plaidaient grosso-modo les apôtres x disciples.

Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas ! »

Drôle d'exigences que tu as là, réagit Pierrot en fronçant le nez.

Il se dit qu'être aussi obtus face à une nouvelle un peu — chouïa — choquante était assez contradictoire, quand on accompagnait Jésus à travers la Galilée, mais il se retint de faire une remarque. Par contre, il avertit Thomas qu'ils n'avaient pas menti, et qu'il finirait pas voir, lui aussi. Il n'avait qu'à être patient.

Ce à quoi Thomas leva les yeux au ciel, pas impressionné. Mais Pierrot se tranquilisa, parce qu'il savait qu'il avait raison.

Plusieurs jours passèrent néanmoins avant que Jésus ne leur rende visite à nouveau. Une semaine, en fait.

Et c'était long, une semaine, quand tout le monde parlait de Jésus et que Thomas levait les yeux au ciel sans en croire un mot. Pierrot avait sérieusement eu plus d'une fois l'envie de lui donner des baffes.

Ce soir-là, ils étaient encore réunis autour de la table pour parler d'un plan d'attaque en vue de répandre la Bonne Nouvelle, comme Jésus l'avait toujours fait, et comme ils étaient censés le faire maintenant qu'ils reprenaient le flambeau. Ce genre d'ambiance était assez hilarante — mais pas moins sérieuse — aux yeux de l'orfèvre, qui avait l'impression d'être dans un jeu de gestion.

"Pierre, tu as bien fermé la porte ? S'assura Thomas au bout d'un moment à les écouter parler, clairement pas intéressé.

— Oui, ne t'inquiéte p-"

Jesus poppa au milieu de la pièce. Pierrot eut un regard vers les verrous en la porte.

On se demande bien à quoi vous servez.

« La paix soit avec vous ! »

Et avec votre esprit, railla Pierrot en lui-même, qui commençait à avoir des réflexes à cause de la messe à laquelle il allait régulièrement.

Il s'amusait surtout de la tronche de Thomas, qui aurait pu gober six mouches sans s'en rendre compte.

Jésus s'adressa justement à Thomas :

« Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon côté : cesse d'être incrédule, sois croyant.

Mon Seigneur et mon Dieu !

Parce que tu m'as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu. »

Et ZOUIP Pierrot fit une énième glissade temporelle.

Cependant, lorsqu'il se retrouva sur la terre ferme, il trouva que ses pairs avaient l'air sensiblement plus âgés. Pas beaucoup, mais assez pour qu'il le remarque. À moins qu'ils soient exténués, ce qui était plausible aussi, car leurs traits étaient clairement plus tracés que l'habitude.

Ils étaient alors en petite bande, comprenant Thomas, Nathanaël, Jacques et Jean, et deux mecs que Pierrot se souvenait vaguement avoir vu parmi les disciples, et Pierrot était en train de parler. Semblait-il.

« Je m'en vais à la pêche. »

Ah, alors allons à la pêche.

Tu pourrais quand même m'en informer avant de le dire aux autres, moi-même, la rétention d'information c'est moche.

« Nous aussi, nous allons avec toi, lui annonça Jacques après s'être rapidement concerté avec les autres."

Okay, acquiesça Pierrot, tournant les talons pour aller vers la rive qu'il voyait là-bas.

Pendant qu'ils préparaient leurs filets, Pierrot regardait le soleil se coucher derrière la falaise qui bordait l'autre rive.

"Que c'est beau ! S'exclama Nathanaël en regardant dans la même direction que lui.

— Ça faisait longtemps que je n'avais pas vu quelque chose d'aussi splendide, murmura Pierrot, en approbation avec son ami."

Il sentit d'ailleurs son regard peser sur lui, mais il n'allait pas se justifier. C'était lui qui avait parlé, pas Pierre. Et puis tant pis s'ils avaient regardé le même coucher de soleil la veille ou l'avant-veille, Pierrot avait bien le droit de dire ce qu'il voulait.

Bientôt ils montèrent dans le bateau, et s'armèrent de courage quand le froid tomba, vers le milieu de la nuit. Mais ils finirent malgré tout frigorifiés, parce qu'il n'y avait absolument rien à prendre. Le calme plat.

Ils se relayaient pour jeter et ramener les filets à intervalles réguliers, mais force était de constater que la poiscaille était partie en vacances.

"C'est déprimant, dit Jacques quand le jour pointa le bout de son nez et qu'il fallut retourner sur la berge.

— Il y a des jours comme ça, lui sourit Pierrot en se souvenant des nombreuses nuits qu'il avait passé de la même manière. Même si, aujourd'hui, ça me rappelle la fois où Jésus nous avait trouvés au matin, et nous avait fait pêcher tant de poissons que les filets avaient manqué d'exploser.

— C'est vrai, avoua Jacques, les yeux dans le vague. Quelle journée. Et quel miracle. "

La berge se profilait au-devant d'eux, et plus ils s'approchaient, plus Pierrot avait la certitude que cet homme sur la rive les regardait.

L'homme s'approcha d'ailleurs d'eux quand ils eurent accosté.

« Les enfants, auriez-vous quelque chose à manger ? S'enquit-il, sa voix n'évoquant rien à Pierrot, mais son ton lui remuant doucement la mémoire.

Non, s'excusa Jean en mettant pied à terre.

Jetez le filet à droite de la barque, et vous trouverez. »

Mais c'est qu'il se la joue Fort Boyard avant l'heure, le vieux, s'amusa Pierrot en faisant signe à ses amis de remonter dans l'embarcation.

"Autant essayer, leur souffla-t-il quand ils furent hors de portée de voix de l'homme, et qu'il eut croisé leurs regards blasés. Qui sait, les poissons faisaient peur-être la sieste."

Cette petite blague fit rire la fine équipe, et ils lancèrent donc le filet à droite, après s'être à moitié disputés sur où se situait la droite d'un bateau.

Mais aussitôt Thomas eut-il mis le filet dans l'eau qu'il manqua tomber par-dessus bord, emporté par le flot de poissons qui se précipitaient dedans.

"AIDEZ-MOI ! Brailla-t-il avec beaucoup de classe."

Un pressentiment prit la conscience de Pierrot. Il tourna à nouveau la tête vers l'homme, et se demanda s'il avait pu être assez con pour parler de lui deux minutes plus tôt et ne pas l'avoir reconnu.

À son côté, Jean lui murmura :

« C'est le Seigneur ! »

Oui. Putain de oui.

Il s'apprêta à sauter dans l'eau pour nager jusqu'à Jésus, mais il se souvint juste à temps qu'il s'était mis torse nu avant de décharger le bateau une première fois ; il renfila donc la chose, et se jeta dans l'eau pour faire sa meilleure brasse.

Ils n'étaient pas allés très loin, alors il ne lui fut pas trop difficile de retrouver la terre ferme. Heureusement, parce qu'il était vachement mauvais en endurance. D'ailleurs, chemin faisant, il s'étonna de l'intensité de sa réaction. Il avait quand même vu Jésus la veille, techniquement.

Mais en lui-même, c'était comme s'ils ne s'étaient pas vus depuis des mois, voire des années. Ce qui expliquait sans doute la prise d'âge de ses potes.

Quand il fut arrivé auprès de Jésus, Pierrot fut soudainement intimidé. On parlait quand même de Jésus, à ceux qui l'auraient oublié. JÉSUS.

Celui-ci ne fit pas d'état du silence admiratif de Pierrot, et sortit de quelque part un poisson et du pain, qu'il mit à chauffer sur le feu qu'il avait eu le temps d'allumer. Les autres là-bas revenaient.

« Apportez donc de ces poissons que vous venez de prendre, leur enjoignit-il avec un geste rassurant, parce que Pierrot n'était clairement pas le plus content, ni le plus immobile de surprise de la bande. »

Personne ne bougea d'abord, alors Pierrot assuma qu'il devait le faire seul ; après tout, il n'avait pas aidé à rattraper Thomas, sur le bateau. Qui se serait fichtrement bien envolé.

Alors il se dirigea vers l'amas de prises ficelées sur le bateau, et se chargea de les faire basculer sur le sol, puis de les traîner jusqu'au feu sans se gameller.

Putain, ça pèse une tonne !

Il surprit le regard de Jésus sur lui.

Euh, ah là là, fichtre que c'est lourd, pensa-t-il à la place, n'en galérant pas moins pour charger son barda jusqu'à ses amis, qui avaient commencé à taper la discut'.

"Nous allons les compter, lui annonça l'un des disciples dont il ne connaissait pas le nom une fois qu'il fut arrivé à côté d'eux.

— Ah, ok, libre à vous, acquiesça Pierrot quand le deuxième inconnu eut rejoint le premier."

Non, il n'allait pas les aider. Parce qu'aussi contradictoire que ça puisse paraître, il détestait toucher les poissons. Juste... Berk.

Mais comme il n'aimait pas l'idée de les laisser travailler dans leur coin, il joua aux inspecteurs des travaux finis en recomptant visuellement derrière eux à mesure qu'ils les mettaient de côté. À trois, ils arrivèrent donc à la conclusion qu'ils avaient péché cent-cinquante-trois poissons — et des gros — en une seule prise.

"C'est surprenant que les filets n'aient pas cédé, s'exclama l'un des deux disciples."

Pierrot hocha vaguement la tête, avant de regarder Jésus. Pas si surprenant que ça, au bout du compte.

D'ailleurs, celui-ci les appela :

« Venez manger. »

Oui Papa.

"J'ai du mal à réaliser que c'est lui, chuchota Thomas quand Pierrot s'assit à côté de lui.

— Tu veux pas encore qu'il te montre ses cicatrices ? Ironisa l'orfèvre, se délectant du regard blasé de son ami.

— Oh, ça va, hein. C'est de la prudence, de s'assurer de qui on a en face de soi. "

Pierrot se retint de répliquer. Ça ne mènerait à rien, parce qu'en plus d'être cartésien, Thomas était têtu. Un splendide mélange qu'on se demande qu'est-ce qu'il foutait là.

C'est vrai que Jésus est mort, et ça fait la troisième fois qu'il vient nous voir, songea Pierrot en mangeant son pain et son poisson. Il a quelque chose à nous dire, encore ?

Il eut sa réponse une demi-heure plus tard, quand le petit-déj fut terminé, et que Jésus eut demandé à lui parler à l'écart.

C'est bête, mais Pierrot se redressa et rentra le ventre.

« Simon, fils de Jean, m'aimes-tu vraiment, plus que ceux-ci ? Lui demanda Jésus avec un geste vers le reste de la petite troupe, qui rangeait les restes du repas et discutait de comment ils allaient déplacer tous les poissons."

Pierrot se souvenait encore de sa honte et de ses regrets quand il l'avait renié, alors il n'hésita pas :

"Oui, Seigneur ! Toi, tu le sais : je t'aime.

Sois le berger de mes agneaux. »

Pierrot fronça les sourcils. C'était Jésus le berger, pas lui. Mais Jésus reprenait :

« Simon, fils de Jean, m'aimes-tu vraiment ?"

Il n'avait pas précisé par rapport à qui, cette fois. Mais la réponse de Pierrot ne changeait pas :

"Oui, Seigneur ! Toi, tu le sais : je t'aime.

Sois le pasteur de mes brebis. »

Sauf que le bon pasteur c'est toi.

Une troisième fois, Jésus lui demanda, son regard plongé dans le sien :

« Simon, fils de Jean, m'aimes-tu ? »

Un voile obscurcit le cœur du jeune homme. Jésus faisait réellement allusion à cette horrible nuit où Pierrot l'avait renié. Mais il avait quand même une certitude : Jésus lui avait déjà pardonné. Alors la question n'était pas pour lui-même, mais pour l'orfèvre.

Il ne put quand même pas empêcher sa voix d'avoir un ton blessé quand il lui répondit :

« Seigneur, toi, tu sais tout : tu sais bien que je t'aime."

Le regard de Jésus s'éclaira significativement, avant de devenir peiné.

"Sois le berger de mes brebis. Amen, amen, je te le dis : quand tu étais jeune, tu mettais ta ceinture toi-même pour aller là où tu voulais ; quand tu seras vieux, tu étendras les mains, et c'est un autre qui te mettra ta ceinture, pour t'emmener là où tu ne voudrais pas aller. »

Pierrot n'eut pas le temps de se demander ce que voulait dire cette déclaration qu'une scène qu'il n'avait pas encore vécue lui passa devant les yeux. Il se vit, beaucoup plus âgé, être clairement emmené sur cette même putain de colline, une croix l'y attendant lui aussi.

Surprenament, il n'avait même pas peur de son sort. Ce que remarqua Jésus, bien entendu, qui se détourna pour s'éloigner du lieu du repas.

« Suis-moi. »

Chef, oui chef.

Puis une pensée subite le fit se retourner vers Jean, qui appréciait tant Jésus, et pour qui Pierrot avait une réelle empathie.

« Et lui, que lui arrivera-t-il ?"

Jésus n'eut même pas besoin de se retourner pour voir de qui il parlait.

"Si je veux qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne, que t'importe ? Toi, suis-moi. »

Alors il ne mourra pas ? Stylé.

Quoique, si un mec immortel existait, ça se saurait.

Quand le réveil de Pierrot sonna, le jeune homme se leva et s'étira lentement, avant de se rendre compte que son cerveau résonnait d'un calme inhabituel.

Un calme qui lui annonçait que tout était terminé. Et au lieu de le rendre triste, ça le fit sourire.

OOOOON EST PAS MORTS, OOOOON EST PAS MORTS, ON EST, ON EST, OOOOON EST PAS MORTS, chanta-t-il intérieurement en se levant et en se refaisant l'inventaire des potentielles morts qui auraient pu lui arriver dans le pays du sable et de la poussière, comprenant les intoxications alimentaires, les noyades, les chutes de pierres, les tempêtes de moches enragés, etc.

Puis il se prépara pour aller à la messe, et il réalisa en regardant son téléphone que ce jour-là, c'était Pâques.

אבא

Jn 20, 1-12, 17-29
21, 1-23

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