΅ LXIV ΅

« Monsieur ? Vous allez pouvoir sortir. »

Pierrot hocha vaguement la tête, prenant son sac sur son lit avant de suivre l'infirmière dans le couloir de l'hôpital. C'était à présent le début de l'après-midi, et depuis qu'il s'était réveillé, vers quatre heures du matin, il n'avait plus pu fermer l'œil tant une crainte immense le clouait sur place. Il était encore sous le choc de ce rêve désastreux, et sentait que l'infirmière le savait. Mais elle pourrait toujours courir, il ne lui dirait rien.

Son père était passé dans la matinée pour lui dire ce que les médecins avaient conclu de son état, et il n'avait pas réussi à le sortir de sa torpeur, mais Pierrot avait réussi à écouter que sa blessure au bras avait beau être très moche, il était maintenant hors de danger, et pouvait retourner chez lui pour se reposer.

Comme Niall l'avait prédit, les médecins avertirent Pierrot de ne pas essayer de trop travailler, pour se ménager un maximum et ne pas rouvrir sa plaie, qui devrait rester propre et sèche pendant un moment, le temps de la cicatrisation. Il aurait néanmoins une belle balafre qui le collerait toute sa vie, et lui garantissait une série d'allers-retours à l'hôpital pour plusieurs mois.

« Quand pourrai-je officiellement reprendre le travail ? S'enquit Pierrot avant que le médecin ne parte vers d'autres cieux.

— Quand l'un de mes confrères vous aura donné le feu vert. Ça prendra quelques semaines, d'ici là, avait haussé les épaules le médecin. Mais ne forcez pas, surtout. »

Pierrot hocha vaguement la tête, déjà reparti dans des pensées sans mots. L'ordonnance en main pour aller se faire un stock d'antidouleurs et de pommades, et une liste de rendez-vous qu'il devrait honorer aussi longue que sa cicatrice, aussi, il quitta l'hôpital pour entrer dans l'air gelé du dehors. Immédiatement, il se sentit respirer d'une manière bien plus confortable.

Mais en repensant à son rêve, il sentit ses joues se couvrir encore de larmes brûlantes, et remercia le ciel d'avoir fait en sorte que personne ne se promène dans la rue. Il pouvait ainsi pleurer tout son soûl, ce qu'il avait dû se retenir de faire toute la matinée, parce que, vous savez, gênant. Un peu.

Je dois passer à la boutique pour tout ranger, songea-t-il en parvenant à l'intersection qui menait soit chez lui, soit sur son lieu de travail. Et prévenir mes clients de mon absence, aussi. Il faudra que j'organise des matinées pour leur rendre leurs commandes...

Mais en arrivant dans la rue de sa boutique, il lui fut impossible de manquer la lumineuse silhouette sur son perron.

« Pierrot ! Je me suis tellement inquiétée, tu vas bien ? Lui bondit Dorémi dessus quand il arriva devant elle. Tu as l'air exténué...

— Oui, je n'ai pas très bien dormi, éluda Pierrot en se penchant pour lui faire un demi câlin, sans inclure son bras blessé. Comment tu vas ?

— Bien, ne t'inquiète pas. J'ai eu peur de te rater !

— Ça fait longtemps que tu attends ? S'intéressa Pierrot, qui grâce à cette interaction retrouvait un peu d'énergie, se penchant pour déverrouiller et relever la grille de sécurité devant la porte. »

Son bras cessa de coopérer à mi-parcours, alors Dorémi remonta le reste de la grille elle-même.

« Non, un quart-d'heure à peine, Niall m'a prévenue quand tu es sorti de l'hôpital. »

Mais tu n'étais pas censé être à CUHA ? C'est jour de cours pour les étudiants...

Le jeune homme choisit de ne pas poser de questions sur ce qui ne le regardait pas, et poussa la porte de sa boutique. Il grimaça en sentant un air délicieusement chaud lui rouler sur les joues.

« Ah, j'avais oublié d'éteindre le chauffage, constata-t-il à voix haute.

— C'est tant mieux, je suis gelée, pouffa Dorémi en enlevant son manteau. »

Allumer la lumière fut aussi un soulagement, puisque dehors le jour était bien sombre. Mais en se retournant vers Dorémi pour lui poser une question, il remarqua un drôle d'amas de poussière sur son front.

« Attends, bouge pas, lui dit-il avant d'amener sa main pour lui enlever ça.

— Hm ? Ah, tu parles des cendres ? Réagit la jeune femme avant de lui retenir doucement le poignet. Ne t'inquiète pas, c'est normal.

— Ah ? C'est un truc skincare ?

— Non, c'est parce que je sors de la messe. C'est mercredi des cendres, aujourd'hui. »

Une appellation qui ne révéla rien du tout dans la mémoire de l'orfèvre. Ce que Dorémi remarqua, évidemment.

« C'est une messe un peu spéciale, où on se prépare au carême, chez les catho, lui expliqua-t-elle avec un peu d'hésitation et beaucoup de mains. Le carême, c'est les quarante jours avant Pâques où on se prive de quelque chose, type de fumer, ou de manger du chocolat, tout ce qu'on veut, à l'image de Jésus qui est allé au désert seul pendant quarante jours sans manger. »

Pierrot réalisa que cet épisode ne lui était pas inconnu, mais en même temps, il savait ne l'avoir jamais rêvé. Quel sentiment étrange.

« Et vous démarrez la période en vous mettant des cendres sur le front ? Releva-t-il en pointant l'amas gris de la main.

— Oui. »

Léger silence.

« Ce sont des cendres de quoi, si je puis me permettre ? »

Le ton petit du jeune homme fit rire Dorémi.

« En fait, tout est basé sur le principe de cycle, sourit-elle en l'enjoignant à s'asseoir, parce qu'il ne tenait plus très bien debout. Tout les ans, on recommence une boucle, dans la liturgie, où Jésus naît, enseigne, fait des trucs remarquables qui donnent les jours fériés à travers l'année, et meurt. La liturgie, c'est le programme de la messe, lui indiqua-t-elle, ayant remarqué son froncement de sourcils. L'une des choses remarquables, c'est les Rameaux, quand Jésus revient du désert, justement. Il est acclamé et arrive sur le dos d'une ânesse. Eh bien ce dimanche-là, les fidèles rentrent chez eux avec des rameaux, ou des lauriers généralement, qui ont été bénis pendant la cérémonie, et qu'ils vont accrocher chez eux. Pendant un an, ces lauriers vont faner, et au bout d'un an, comme le cycle a recommencé, Jésus retourne au désert ; on demande alors aux fidèles de ramener les lauriers qu'ils ont chez eux, pour qu'ils puissent être brûlés et servir de cendres pour le mercredi des cendres. »

Pierro hocha la tête. Ça faisait sens.

« Et quand est-ce que tu comptes enlever ça ? Sourit-il en désignant les cendres sur le front de son amie. C'est très stylé, mais ça matche peu avec ton outfit.

— J'aime bien les garder après la messe, mais c'est vrai que je peux les enlever, maintenant, acquiesça Dorémi en portant la main à son front.

— Teuteuteu ! Pas ici ! L'avertit l'orfèvre. Il y a bien assez de mes saletés pour que tu rajoutes les tiennes !

— Mais ces cendres sont bénies, plaida l'étudiante, sourire aux lèvres.

— M'en fous, dehors, les cendres. Salir mon beau parquet, quelle idée.

— Alors tout bien réfléchi, je vais les garder encore un peu. Ce serait dommage de ne pas te faire profiter de ce look un peu plus longtemps. »

Pierrot sourit doucement. Mais quand il se retourna pour partir vers son atelier, son regard se posa sur un crucifix exposé derrière le comptoir, et il sentit son ventre se tordre.

Merde. Il ne faut pas que Dorémi-

« Bon, je vais aller ranger un peu, moi, tenta-t-il de la congédier poliment en retenant ses larmes le plus possible, conservant par miracle un ton pas trop tordu.

— Je peux t'aider ? Demanda plutôt Dorémi, sans savoir qu'il était sur le point de fondre salement en larmes.

— Non, merci. »

Mais sa voix avait flanché sur la dernière syllabe. Ce qui était quand même dommage, parce qu'il y en avait bien peu. Derrière lui, Dorémi marqua clairement un temps d'arrêt, avant de lui parler doucement.

« Pierrot, est-ce que tout va b-

— Oui, tout va très bien. Pars s'il te plaît, je suis fatigué. »

Le poids et la froideur qu'on ressentait dans sa gorge étaient très indicateur de ce qui le traversait. Heureusement pour elle, Dorémi n'insista pas, et lui souhaita une bonne soirée avant de sortir. Il n'en fallut pas plus à Pierrot, qui s'affala sur le comptoir en pleurant de gros sanglots, son regard ne parvenant même pas à soutenir la vue de ce putain de crucifix. Son bras avait heurté le comptoir trop fort, ce qui ajouta une série de 'aïe aïe' à son craquage, mais sa tristesse était bien au-dessus.

Jésus est mort. Judas s'est suicidé. Les apôtres ont fui. Et moi je suis la plus grosse des merdes.

Une fatigue sans précédents lui tomba soudain dessus, et il ne put que tituber jusqu'au canapé de sa salle de repos pour s'allonger dessus et sombrer dans un sommeil sans rêve.

אבא

Quand il se réveilla, il faisait plus que nuit dans la rue, et les lumières de sa boutique avaient été éteintes. En passant devant le comptoir, il vit un mot posé dessus.

Coucou Pierrot,
Désolée pour tout à l'heure, je ne voulais pas te faire pleurer, et je ne t'en veux pas du tout de m'avoir dégagée, j'aurais fait exactement pareil à ta place.
J'ai vu que tu t'étais endormi, alors j'ai éteint les lumières et j'ai fermé la boutique par l'extérieur avant de remettre les clefs dans la boîte aux lettres.
J'espère que tu ne m'en veux pas trop,
Dorémi.

PS : Repose-toi bien, on se revoit dans quelques jours ?

Pierrot releva le nez, et constata qu'en effet, les clefs étaient sur le paillasson, tout juste tombées de la fente de la porte.

Dorémi est un ange. Et je suis un gros con.

L'avoir congédiée aussi sèchement le mis mal à l'aise soudain. Il devrait se faire pardonner, c'était quand même la moindre des choses. Mais il était un peu tard pour lui envoyer un message, ce qu'il constata quand l'horloge de sa boutique sonna vingt-deux heures.

Ah oui, donc j'ai pioncé sa mère, en fait.

Son ventre gargouilla. Évidemment. Il fallait dire qu'il n'avait mangé à midi qu'une partie du plateau proposé par l'hôpital, parce qu'il avait alors le ventre trop noué pour avaler quelque chose, alors que dire de vingt-deux heures...

Je crois qu'il me reste des pâtes à la maison, et des gâteaux Picard. Ça fera l'affaire.

Parce que règle numéro un d'un Pierrot en bas-âge : avoir des gourmandises Picard dans son frigo. Et puis les pâtes, c'était en option.

Sa marche dans le froid de la rue lui permit de faire un petit point sur sa santé mentale, et il fut surpris de constater qu'en fait, à part être bouleversé, il allait plutôt bien. Ce serait juste... le temps de faire son deuil.

Par contre, il put aussi faire un point physique quand, après avoir mangé, il passa dans sa salle de bain pour prendre sa douche. Et il ne l'avait jamais remarqué, mais depuis quand avait-il des traits aussi émaciés ?

On dirait que je n'ai pas été nourri depuis des jours, réalisa-t-il en passant le doigt sur l'arête de sa mâchoire, qui n'avait jamais été aussi nette. Papa n'a pas eu peur, quand il m'a vu avoir des joues aussi creuses ?

Il avait quand même l'air d'être en bonne santé, mais tout de même, était-ce la fatigue qui faisait ça ? Par contre, ses bras avaient pris du muscle. Ce qui ne faisait pas beaucoup de sens, puisqu'il ne faisait pas plus de sport que deux mois plus tôt. Même si, ce qui se remarquait le plus, c'était les rougeurs sur son visage, et contrastaient avec la blancheur maladive de sa peau. Son nez, qui avait pris froid, de même que ses joues, et ses yeux qui avaient joué aux fontaines. Lesquels d'ailleurs avaient l'air d'abriter mille étoiles, ce qui était plus que l'habitude.

Ça doit être les larmes. Mais j'ai pas bien bonne mine, conclut le jeune homme en avisant son bras droit, qui arborait cette longue coupure encore rougeâtre et au fil splendidement rose.

Revoir cette couleur fit sourire Pierrot. Il se souvenait encore de Niall qui le lui cousait. Mais ça lui semblait en même temps si loin...

Anyway, il devait aller dormir. Parce que même s'il l'avait fait la moitié de la journée, il était encore crevé.

Et puis de toute façon, vous n'avez rien à dire. Pierrot est un bonhomme responsable, et s'il veut aller dormir, il va dormir. Et poum.

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