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"Le presbytère... Le... presbytère..."

Pierrot ouvrit Google Maps pour voir où se trouvait ce truc-là — il n'avait jamais entendu un mot aussi marrant, soit dit en passant.

Le poto Google lui indiqua qu'à pied, le presbytère était à dix minutes de marche.

Ça vaaaaaaaa, c'est pas loin.

Juste à côté de l'église saint Cyprien. Tiens donc. Tout collé à l'église, même.

Pour s'assurer d'une chose, il demanda au poto Google ce qu'était exactement ce presbytère, et selon lui et ses connaissances du monde, le presbytère était : nom masculin, Habitation du curé, du pasteur dans une paroisse.

Voilà qui était somme toute assez logique ; c'était un prêtre qui lui avait passé commande, après tout.

"Alors je vais aller voir le prêtre, pour lui montrer mon dessin et les matériaux que je compte utiliser tout ça tout ça, et après je reviens ici et avec un peu d'espoir je commence tout de suite, s'exposa Pierrot à lui-même, tout en sachant que ce genre de déroulement parfait n'arrivait jamais. Si j'ai tout ce qu'il me faut... "

Il se pencha sur sa sacoche. Dedans reposaient son dessin, ses crayons, deux-trois règles et équerres, sa feuille avec ses échelles, ses languettes d'échantillons de métaux, et le petit cahier des charges dont ils avaient convenu la veille. Pas grand-chose, en somme.

C'est pourquoi il fit six fois le tour de son atelier avant de partir, s'assurant ainsi de ne réellement rien oublier — il avait une vraie phobie avec ça.

Et ce serait mentir que de dire qu'il se sentait confiant lorsqu'il sortit de sa boutique, la ferma à quadruple tour, et regarda l'écran de son téléphone pour savoir où il devait aller — action tellement infantilisante qu'il se sentit con immédiatement. Il n'y avait personne autour, mais il aurait juré que les pierres des murs se moquaient de lui.

Il enfouit son visage rouge dans son écharpe, et marcha à grands pas vers sa destination. Si on lui demandait quoi que ce soit à propos de ça, il prétendrait qu'il faisait froid. Même s'il faisait quatorze degrés.

Il se pressa tellement que quand il arriva devant le portail indiqué par son poto, Pierrot n'avait mis que six minutes. Et perdu six litres de sueur. Maintenant, il était rouge parce qu'il avait trop chaud.

Nous nous garderons de faire des commentaires.

Toujours est-il que Pierrot retira son manteau et attendit d'avoir une température corporelle revenue au décent palier de trente-six degrés virgule cinq avant de commencer à chercher comment passer de l'autre côté du portail. Il tourna de droite et de gauche, avant de remarquer le tout petit boîtier/interphone placé sur le pilastre droit du portail, avec au-dessus une feuille indiquant des horaires... discutablement restreints.

Ouverts de 9h à 12h du lundi au vendredi, et de 11h à 12h le samedi, lut Pierrot en songeant que c'était vachement peu de temps pour lui, vu qu'il était déjà onze heures moins cinq. Ils n'ont pas l'air d'être ouverts le dimanche.

Il se demanda vaguement pourquoi, avant de se souvenir que le dimanche, c'est jour de messe. Heureusement qu'il n'avait pas posé sa question à haute voix, il aurait eu l'air vachement con.

Avant que quelqu'un ne risque d'arriver et de lui demander pourquoi il stationnait devant ce portail, il appuya sur la sonnette de l'interphone... se demandant la seconde d'après seulement ce qu'il allait bien pouvoir dire.

"Oui ? C'est pour quoi ? Répondit une voix, d'un timbre rendu nasillard par l'appareil, au bout d'une vingtaine de secondes.

— Je- euuuuuuuh, le Père Raphaël m'attend, bafouilla Pierrot en se souvenant bien à propos de ce que lui avait dit le prêtre la veille, 'Demandez le Père Raphaël'."

Avant qu'il ne se rende compte qu'il venait d'appeler un pur inconnu "Papa".

Mais la voix — irreconnaissable au vu de la mauvaise qualité de l'appareil — sembla comprendre ce qu'il avait voulu dire.

"Ah, vous êtes l'orfèvre ? Entrez, il est dans le petit salon."

L'interphone s'éteignit avant que Pierrot n'ait pu poser de questions directionnelles — et cette fois, par sûr que son poto saurait y répondre —, et le portail s'ouvrit lentement sur une cour de graviers, au milieu de laquelle patientaient deux voitures. Au fond, le bâtiment du presbytère en lui-même, soit une maison un peu plus grande qu'une maison standard, et juste derrière elle, l'église saint Cyprien.

Pierrot eut l'impression d'être face à un monstre endormi. Et il se désola du fait qu'il n'y ait pas de panneau menant au 'petit salon'.

Dans le doute, il marcha vers la maison, et chercha une sonnette qui n'existait pas, puis se résolut à entrer en toquant quand même à la porte. Après avoir longuement vérifié qu'il n'y avait que là qu'il puisse aller, évidemment — quelle disgrâce pour lui s'il allait dans le mauvais bâtiment je vous le demande.

"Il y a quelqu'un ? Lança-t-il à voix haute dans le hall qui s'ouvrait devant lui pour avoir moins peur.

— Vous êtes l'orfèvre ?"

OUIIIIIII IL Y A QUELQU'UN !

"C'est ça, où êtes-vous ?

— Première pièce sur votre gauche !"

Pierrot dépassa le hall et tourna à gauche, et en effet, le prêtre de la veille — le père Raphaël — l'attendait là, se levant tout juste d'un fauteuil usé. La pièce s'organisait autour d'une grande bibliothèque murale et d'une table basse, avec un canapé et deux fauteuils.

"Bonjour, vous n'avez pas eu de soucis pour venir jusqu'ici ? S'inquiéta le prêtre en lui indiquant de s'asseoir sur le fauteuil en face du sien.

— Ah, non, ma boutique est toute proche..."

Comme la veille, le prêtre le fixa un instant après qu'il ait parlé, ce qui eut le don de déranger Pierrot. Il avait des trucs sur le visage, encore ? Parce que la veille, il avait bien eu la confirmation en rentrant chez lui qu'il avait la gueule d'un ramoneur ; ça avait limite été comique de retrouver son teint d'endive après ce passage sous un nuage de suie.

"Tant mieux, tant mieux, finit par rebondir le prêtre. Vous avez donc déjà fini l'esquisse de la crèche ?

— Oui... J'ai apporté mon dessin et le cahier des charges dont nous avons convenu hier, et l'objectif maintenant est de fixer ce que vous aimez sur le dessin, ce que vous aimeriez changer... Fit Pierrot en sortant le tout de son sac. Si tout n'est pas à refaire, j'ai apporté des échantillons des matériaux que je souhaite utiliser, et que vous pourrez approuver ou non.

— J'attends de voir... Oh, dit simplement le père Raphaël en découvrant le dessin, l'orfèvre fixant dès lors attentivement ses pieds."

Un long silence s'ensuivit. Après un moment, Pierrot s'était mis en tête de décoller un bout de plastique qui se détachait à l'arrière de sa tennis, s'esquintant progressivement l'ongle du pouce, mais il eut un heureux sentiment de victoire quand il eut le morceau de plastique entre deux doigts.

"Alors, reprit le prêtre peu après ce déchaînement de violence, je dois avouer que je n'ai jamais vu de crèche pareillement construite... C'est assez perturbant."

Pierrot réalisa qu'il n'avait pris aucune image de référence sur Pinterest pour se guider, et c'était très dangereux de faire comme ça, surtout si le client avait déjà une idée en tête.

"Je peux le repr- se proposa-t-il avant que le prêtre ne mette farouchement la feuille hors de sa portée.

— Non, ne vous en faites pas, c'est- c'est parfait à sa manière."

Pierrot fronça les sourcils, alors que le prêtre observait le dessin avec attention. Cette formulation chelou avait-elle pour but d'exprimer que son dessin, c'était vraiment de la merde ?

"Je garde ce que vous avez fait, c'est très bien, finit par déclarer le prêtre en reposant la feuille sur la table, mais hors de portée du jeune homme. Et vous avez aussi les figurines ?

— Leurs dessins, oui... Murmura l'orfèvre en s'attendant à ce que son bout de papier soit lui aussi cruellement critiqué avant d'être accepté par dépit. "

Ça ne manqua pas, le père Raphaël resta bloqué dessus une bonne minute. Avant d'annoncer que ça aussi, c'était parfait. Pierrot était vraiment très dubitatif — non pas qu'il n'avait pas confiance en ses souvenirs (quoique), mais il avait eu le temps entre deux comas du prêtre d'aller sur Pinterest et de voir qu'en effet, c'était pas le même délire que ce qu'il avait fait —, et avait vraiment envie de tout reprendre, parce qu'il s'en voulait de décevoir ce pauvre homme, qui ne devait sans doute pas savoir comment le rembarrer sans le vexer.

"C'est parfait, tout est parfait, répétait pourtant le prêtre quand Pierrot lui montra aussi les métaux et les échelles. Est-ce tout ?

—... Oui."

La proposition de tout recommencer n'était vraiment pas loin. Tout comme celle de modifier beaucoup de choses selon l'envie de ce drôle de client. Mais Pierrot n'aurait pas pu plus se tromper.

"Je veux tout voir exactement comme sur ce dessin, monsieur...

— Pierrot. Mais, vraiment ? Vous n'aviez pas l'air convaincu...

— Si, c'était de la surprise, mais j'ai l'intime conviction que cette crèche est bien plus fidèle que toutes celles que j'ai eu l'occasion de voir, et ça me réjouit, avoua le prêtre avec la passion que Pierrot imaginait bien tout prêtre avoir. J'imagine que nous ne nous reverrons pas avant un moment ?

— C'est ça, il me faudra le temps de commencer tout le décor et de faire les personnages, comme ça vous verrez ce que rendent les échelles en vrai, et je pourrai modifier les personnages comme vous le voudrez, déblatéra Pierrot sur un discours depuis longtemps mémorisé, tout en sortant son agenda. Ça me prendra trois à quatre semaines, ça vous irait ?

— Je me fie à vous, acquiesça le prêtre en se levant. Alors je vous raccompagne ?

— Pas besoin, j'ai mémorisé le chemin, déclina le jeune homme en avisant les chaussures d'intérieur de l'homme d'église, sachant que le jardin était encore trempé de la pluie de la veille. À bientôt !

— À bientôt, oui... "

Pierrot était à peu près sûr que le prêtre le regardait encore par la fenêtre lorsqu'il franchit le portail dans l'autre sens. Derrière, l'église sonna midi.

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