Chapitre 38 : Doryu, le maître des marées
Doryu, face à ses convives, dégageait une aura fascinante et troublante. Sa silhouette semblait irradier d'un pouvoir écrasant, plongeant l’assemblée dans une torpeur mêlée de crainte et d’excitation. Galbasul, submergé par l’angoisse, se perdait dans ses pensées, incertain du sort qui les attendait. Autour de lui, ses compagnons partageaient la même inquiétude, l’air lourd d’une tension palpable.
Madrec, les mâchoires crispées, scrutait Doryu avec une hostilité non dissimulée, chaque fibre de son être tendue par la méfiance. À l’opposé, Samellia semblait presque envoûtée, subjuguée par l’énergie colossale qui émanait de cette figure immortelle. Le contraste entre ses émotions et celles de Madrec était flagrant : où l’un voyait un danger, l’autre percevait une force captivante. Dans ce silence oppressant, le puissant finit par briser la tension d’une voix chaleureuse et accueillante.
— Approchez, mortels. Venez donc profiter avec nous de la fête que j'ai préparé, dit-il en souriant, ses bras s'ouvrant dans un geste généreux, les invitant à se joindre aux réjouissances.
En un instant, les nouveaux arrivants furent plongés dans un festin digne des dieux. Une table immense, recouverte de nappes de velours chatoyantes, s’étendait à perte de vue, illuminée par des cristaux étincelants qui semblaient capturer la lumière. Les arômes des mets exquis flottaient dans l’air, enivrant, tandis que des naïades, se glissaient entre les convives avec une grâce fluide et sensuelle. Leurs corps souples étaient à peine couverts par des étoffes translucides, dansant au rythme d'une musique hypnotique. Chaque mouvement, chaque regard, semblait une promesse de plaisir, un appel à l’abandon.
Galbasul, Orland et même Kazuki se trouvaient captivés, leurs yeux suivant les ondulations de ces femmes immortelles, comme ensorcelés par la beauté surnaturelle qui les entourait. Les naïades, dont les chevelures miroitantes semblaient capter la lumière des chandelles suspendues, caressaient les esprits des convives de leurs sourires et de leurs gestes légers.
Samellia, quant à elle, attira l’attention d’un satyre qui s’approcha avec un sourire espiègle, ses intentions transparentes. Elle repoussa poliment ses avances, mais un frisson lui parcourut l’échine. L’atmosphère électrisante l’entourait de toutes parts. Son sourire restait cordial, bien que ses yeux trahissaient une tension croissante.
De l’autre côté de la salle, Druxoili, regardait la scène depuis son trône. Ses yeux scintillants d’une malice subtile croisèrent ceux de Doryu, confortablement installé à ses côtés, dans une immense coquille iridescente.
— Fascinant, murmura-t-elle d’un ton léger. Deux de ces mortels se montrent bien plus résilients. D’ordinaire, ils sont bien plus faciles à persuader.
Doryu, amusé, hocha lentement la tête, les yeux fixés sur Samellia et Madrec. Il les scrutait, intrigué par leur ténacité inattendue.
Pendant ce temps, Madrec continuait de lutter contre le malaise croissant qui l’envahissait. Les tentations des naïades, avec leurs regards perçants et leurs sourires provocateurs, effritaient sa détermination. Une d’entre elles s’approcha, ses doigts effleurant son bras dans une caresse prometteuse, son souffle chaud contre son oreille.
— Tu devrais apprendre à te détendre, murmura-t-elle d’une voix envoûtante, ses yeux pétillants d'amusement.
Malgré la tentation omniprésente, le jeune homme serrait les poings sous la table, déterminé à ne pas céder. Derrière tout ce faste, Doryu observait la scène avec un sourire narquois, certain de son emprise.
— Ne t’en fais pas, ils finiront tous par céder. La fête ne fait que commencer, et les plaisirs qui s’annoncent sont irrésistibles.
Lorsque les plats furent servis par des selkies, ces êtres mi-hommes mi-phoques apportaient une touche d'élégance et de mystère à la scène. Dans leur forme humaine, ils avaient la peau lisse et argentée, les yeux profonds, et leurs mouvements étaient fluides, comme si la mer les guidait encore. Vêtus de tuniques d’un bleu sombre qui semblait onduler comme des vagues, ils se déplaçaient silencieusement, déposant des plats succulents sur la table.
Les arômes des plats offerts étaient à la fois terrestres et marins : crustacés dorés, poissons délicatement assaisonnés aux herbes enchantées, fruits de mer servis dans des coquilles nacrées. Chaque bouchée éveillait les sens, submergeant les convives dans une ivresse gourmande. Madrec, résistant encore à l’aura de séduction, sentit ses défenses s’effriter face aux mets somptueux. Autour de lui, ses compagnons étaient captivés par l’abondance et la finesse des plats.
Le festin atteignit son apogée alors que Samellia, inspirée par l’atmosphère mystique, invoqua de petites sphères de lumière qui flottèrent dans l’air autour d’elle. Ces sphères, dansant comme des lucioles, furent bientôt enveloppées par des fils lumineux qu’Orland créa, tissant autour d’elles des formes de petites fées brillantes. Ces créatures éthérées virevoltaient parmi les convives, ajoutant une touche enchanteresse à l’ambiance déjà surnaturelle.
Les selkies continuaient à glisser entre les tables, déposant ensuite des desserts raffinés : des fruits exotiques éclatants de couleurs, des pâtisseries dorées au miel, des crèmes parfumées à la vanille et aux épices. À mesure que les plats s'accumulaient, l’ambiance devenait de plus en plus douce, presque irréelle. Les rires et les murmures des habitants de l'île étaient ponctués par les notes des musiciens, jouant une mélodie qui ondulait dans l’air comme une vague, enveloppant les esprits.
Madrec, désormais plus détendu après quelques gorgées d’un vin épicé, jeta un regard en coin à Samellia. Leurs yeux se rencontrèrent, et à cet instant, il sentit un lien invisible se tisser entre eux. Sous les lumières vacillantes, un frisson le parcourut. Le sourire de la jeune femme, doux et mystérieux, semblait l’appeler. Lentement, il leva la main pour effleurer sa joue. Le contact, bien que léger, provoqua une décharge électrique, une chaleur qui se répandit dans tout son corps.
— Madrec, est-ce la magie... ou autre chose ? murmura-t-elle, sa voix tremblante .
Ce dernier ne répondit pas. Ses yeux, emplis de tendresse et d’une intensité nouvelle, disaient tout ce que les mots ne pouvaient exprimer. Autour d’eux, les fées lumineuses volaient encore, projetant des ombres mouvantes sur leurs visages, comme si le temps lui-même avait ralenti.
Depuis son trône, Doryu continuait d'observer la scène avec satisfaction. La magie de la fête agissait, amplifiant chaque désir, chaque émotion. Autour de lui, ses invités, mortels et immortels, étaient pris dans l’ivresse des plaisirs qu’il avait orchestrés. La reine des naïades, à ses côtés, lui lança un regard complice.
— Même affaibli, ton pouvoir reste redoutable, admit-elle, amusée.
— La joie et le plaisir, belle Druxoili, sont des forces inestimables, répondit-il avec un sourire en coin.
*************
Après une nuit de réjouissances, les compagnons suivirent Doryu hors du palais. La fraîcheur de l’aube les enveloppa, une brise douce venant apaiser les excès de la nuit passée. Devant eux, l'horizon se teintait de nuances rosées et dorées, créant un spectacle aussi sublime qu'inattendu dans ce royaume aux frontières incertaines. Le cycle du jour et de la nuit persistait ici, malgré la nature surnaturelle de cet endroit, un fait qui ébranlait leurs certitudes.
Madrec, assis sur une pierre plate, fixa le puissant d’un regard perçant. Ses pensées tourbillonnaient, et la magie qui s’était estompée ne faisait que renforcer son besoin de comprendre. Il laissa échapper un soupir, plus lourd qu’il ne l’aurait souhaité. L’hospitalité et la générosité de Doryu étaient indéniables, mais il ne pouvait plus taire l’agitation intérieure qui le dévorait. Le faste et les illusions de ce lieu semblaient en cruel décalage avec les réalités sombres qui les attendaient à l'extérieur.
Il attendit que le silence serein de l’aube se déploie pleinement avant de parler.
— Doryu, dit-il enfin, sa voix grave troublant la quiétude du matin, j’ai longtemps douté de l’existence des puissants, que ce soit dans les légendes ou dans la réalité. Si tu te prétends l’un des leurs, alors il est temps de nous éclairer.
Galbasul, le visage marqué par l’inquiétude, observait également leur hôte, cherchant des réponses dans l’attitude nonchalante de cet être énigmatique. La fatigue tirait sur leurs traits, mais leur curiosité restait vive. Doryu, pour sa part, ne semblait guère pressé de répondre. Toujours aussi détendu, il savourait un dernier fruit du festin, un étrange sourire flottant sur ses lèvres.
— Ah, mon cher, tu as l’esprit aussi têtu qu’une ancre, répondit-il enfin, un rire léger dans la voix. Mais je ne peux pas te reprocher d’avoir des doutes. C’est dans la nature des mortels de ne pas comprendre ce qui leur échappe. Que tu doutes de moi ou non, cela ne change rien à ce que tu as vu et ressenti ici. Quoi qu’il arrive, tu as bel et bien rencontré un puissant… moi. Mais je ne suis pas de ceux qui réclament des prières ou des dévotions. C’est pourquoi nous avons instauré cette séparation avec votre monde, pour ne pas troubler le fragile équilibre.
Un silence pesa sur le groupe, les mots de Doryu résonnant entre eux, comme une énigme non résolue. Les compagnons échangèrent des regards incertains, luttant pour comprendre les implications de ses paroles.
Madrec, cependant, n’était pas prêt à abandonner. Les réponses du puissant n'avaient fait que soulever d’autres questions, plus profondes et plus amères.
— Doryu, reprit-il, sa voix vibrante d'émotion, tu parles de cette distance entre les puissants et les humains. Mais comment justifier cette séparation alors que notre monde est dévoré par tant de souffrances ? Vous avez ce pouvoir immense, et pourtant, vous nous laissez seuls, à la merci du Glouvoude et toutes ses autres merdes. Pourquoi ce silence ? Pourquoi ne pas intervenir !?
Le ton de Madrec était devenu plus direct, presque accusateur. Ses compagnons se figèrent, sentant la tension monter. Mais Doryu ne parut ni irrité ni offensé. Son sourire s'effaça lentement, remplacé par une gravité douce, presque compatissante.
— Jeune homme plein de colère, ta question est aussi vieille que le temps lui-même, répondit-il avec une patience surprenante. Crois-tu vraiment que nous puissions résoudre tous vos maux d’un simple geste ? Ce qui déchire votre monde, ce n'est pas le manque d'une force supérieure , mais l'ombre qui réside dans le cœur des hommes. La haine, la cupidité, le désespoir… Ces ténèbres ne viennent pas de nous, elles naissent de vos propres choix.
Les mots de Doryu tombèrent comme une pluie froide, éveillant une nouvelle vague d’émotions chez Madrec. Ses poings se serrèrent, une colère sourde grandissant en lui.
— Et pourtant, vous observez tout cela depuis vos palais, sans lever le petit doigt ! lança-t-il d’une voix dure. Vous vous divertissez, vous festoyez, pendant que des pauvres gens souffrent de la tyrannie et de la misère. Si vous avez ce pouvoir, pourquoi ne pas l'utiliser pour soulager ceux qui en ont besoin !?
Le puissant croisa les bras, le fixant avec une intensité nouvelle, mais toujours empreinte de sérénité.
— Parce que cela n’aurait aucun sens, répliqua-t-il calmement. Si nous intervenions à chaque instant, vous, les mortels, perdriez l’essence même de votre existence. Vos luttes, vos erreurs, vos souffrances… tout cela forge votre résilience, votre capacité à grandir. Notre rôle n’est pas de vous protéger de tout danger, mais de vous laisser la liberté d’apprendre et d'évoluer. Chaque obstacle que vous surmontez vous rend plus forts. Crois-tu vraiment qu’une vie sans défis aurait plus d'utilité pour votre développement ?
Les mots du puissant laissèrent une marque indélébile sur le groupe. Galbasul, Orland, Kazuki, et Samellia restaient silencieux, tiraillés entre l’amertume et une compréhension nouvelle de ce que signifiait vraiment être mortel face à de telles puissances.
Kazuki, toujours pragmatique, brisa finalement le silence, sa voix douce, mais résolue.
— Nous vous remercions pour votre hospitalité, mais il est temps pour nous de reprendre notre route, déclara-t-il, bien que l’hésitation dans ses yeux trahissait le poids de cette décision. Peut-être craignait-il d’offenser leur hôte ou de quitter cette bulle de paix trop tôt.
Le reste du groupe acquiesça, bien que Galbasul, encore ébloui par le confort et la beauté de cet endroit, exprima un dernier doute.
— Ne pourrions-nous pas rester encore un peu ? murmura-t-il, presque à contrecœur. Cet endroit est tellement confortable.
Kazuki lui répondit avec fermeté, posant une main réconfortante sur son épaule.
— C'est tentant, je le sais, mais notre quête est plus importante.
Doryu, diverti par cet échange, éclata de rire avant de taper dans ses mains. En un instant, le palais, la plage et tout ce qui les entourait disparurent comme une brume dissipée par les vents. Les compagnons se retrouvèrent soudainement sur le rivage, là où leur voyage avait commencé. Le murmure des vagues et le cri des mouettes les ramenèrent brusquement à la réalité.
Le contraste entre le palais du puissant et cette plage familière était frappant. La transition fut brutale, laissant dans l’esprit de chacun une sensation étrange, comme s’ils s’éveillaient d’un rêve trop beau pour être vrai.
Avec une précision méthodique, le puissant traça du doigt une ligne invisible le long du rivage. À mesure que son geste se poursuivait, les eaux environnantes se mirent à tourbillonner, formant un immense maelström. De ce chaos aquatique émergea un navire scintillant, se matérialisant sous les regards ébahis de ses compagnons. Le vaisseau, imposant et majestueux, semblait surgir des abysses elles-mêmes, chaque vague modelant sa structure avec une grâce surnaturelle.
Galbasul laissa échapper un soupir en pensant à la Voiuvre noire.
— Pourquoi ne pas avoir ramené ton navire ici ? demanda Madrec, un brin incrédule. Tu as déjà réussi à la déplacer à distance, non ?
Son camarade secoua la tête, une lueur de regret dans le regard.
— J’ai essayé, mais... quelque chose ici brouille mes pensées. Je crains que la Vouivre Noire ait été détruite par le serpent des mers...
Un silence pesant s’installa, rapidement brisé par Doryu. Sa voix, plus grave que d’habitude, attira immédiatement l’attention du groupe.
— Cette île n’appartient pas au plan mortel, dit-il calmement. Vous avez été transportés ici par la magie du Cuélebre, une créature ancienne qui a perdu la raison depuis qu’on lui a volé un trésor inestimable.
Il laissa ses mots flotter dans l’air quelques secondes, jaugeant l’impact qu’ils avaient sur le groupe.
— Ce trésor est un coquillage, expliqua-t-il enfin, capable de produire des perles bleues, les glabes. Ces perles sont si exquises qu'elles rendent quiconque y goûte dépendant. Le Cuélebre ne tolère pas qu’on s’empare de ses biens. C’est sa rage qui a déchaîné ces événements.
Samellia, jusqu'alors plongée dans ses réflexions, releva soudain la tête, comme frappée par un souvenir.
— Des glabes... murmura-t-elle. Ça me rappelle l'histoire de la Vip... Madrec, tu te souviens de Gobani ? Le larbin qui prétendait connaître les parents d’Évona, avant qu'elle ne devienne la Viprix ?
Galbasul fronça les sourcils, curieux.
— La Viprix ? demanda-t-il, son intérêt piqué.
Madrec soupira légèrement avant de répondre, comme s’il pesait les mots.
— C’est une longue histoire. Je t’expliquerai plus tard.
Doryu, voyant que tous les regards se tournaient à nouveau vers lui, s’avança vers la mer. D’un geste élégant, il effleura la surface de l’eau, provoquant l’apparition d’une faille scintillante au cœur des vagues. La mer sembla se plier, révélant un passage mystique.
— Traversez ce portail, et vous retrouverez votre propre réalité, expliqua-t-il d'une voix calme. Mais je dois vous avertir : Orland Gaffia devra rester ici.
Les membres du groupe se figèrent, leurs regards se tournant vers L'As du Mystère, une tension palpable dans l’air.
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