Chapitre 29 : Vers de nouveaux horizons

Madrec se réveilla en sursaut, le souffle court et le cœur battant à tout rompre. Ses yeux, encore brouillés par le sommeil, peinaient à discerner les ombres qui dansaient autour de lui. Un bâillement involontaire, profond et étiré, lui échappa, secouant son corps engourdi. Il fronça les sourcils en constatant un détail bizarre : son haleine était fraîche, bien loin de l'amertume sèche qu'il attendait après une torpeur aussi profonde dans cette cale humide.

Il demeura immobile, perplexe, se passant une main sur le visage. Ses paupières, encore lourdes, se soulevèrent avec difficulté, tandis qu'il cherchait à s'assurer qu'il ne rêvait plus. Tout semblait trop vif, trop… intact. Son corps, qu'il aurait pensé raide et douloureux après tant d'heures allongé dans cet espace exigu, ne lui offrait pourtant aucun signe de faiblesse. Au contraire, une énergie vibrante courait sous sa peau, le rendant presque euphorique.

Lentement, il s'assit, les yeux fixés sur l'espace qui l'entourait. Son esprit, encore désorienté par les vestiges de ses songes, cherchait à comprendre ce qui avait pu se passer durant son sommeil et ou il se trouvait.

Le mouvement régulier du sol sous ses pieds et le bruit des vagues qui frappaient la coque lui firent réaliser qu'il était sur un navire. Comment avait-il atterri là ? Ses souvenirs étaient troublés, comme des images floues qui tentaient de se reformer. Il se souvint alors d'un combat acharné contre Galbasul, en réalité Kyllian. Le visage de ce dernier, tordu dans un rictus moqueur, lui revint en mémoire. Ensuite, plus rien. Un trou noir.

Pourtant, même dans cette confusion, un son persistait : le rire provocateur de son ennemi juré, une moquerie qui continuait de résonner comme une cicatrice ouverte. Madrec serra les poings, la mâchoire crispée. Il estima alors qu'il avait probablement été capturé. Son esprit s’emballa. Qu’était-il arrivé à ses compagnons ? S'étaient-ils eux aussi retrouvés dans une telle situation, ou, pire encore ?

Il balaya la petite pièce du regard et réalisa qu'il n'était pas ligoté. Son épée reposait à proximité, comme si on l'avait simplement laissée là, dans une négligence presque naïve. Un léger sourire se dessina sur ses lèvres. Ses ravisseurs avaient sous-estimé sa détermination. Sans un bruit, il s’étira une dernière fois, puis attrapa l’arme, sentant la familiarité froide du métal glisser sous ses doigts. La lame remonta jusqu’à son poignet avec une fluidité étonnante.

— Ils vont tellement regretter cette imprudence... murmura-t-il, ses lèvres se changeant en un rictus glacial.

                    *****
Au-dessus, sur le pont de la Vouivre Noire, le soleil brillait de tout son éclat. Une chaleur accablante régnait, contrebalancée par le murmure apaisant des vagues qui se brisaient doucement contre la coque. Samellia, attentive, s’efforçait de canaliser son énergie magique sous le regard sévère mais bienveillant d’Orland. Elle tentait de modeler l'eau autour du navire, mais ses formes restaient instables. La frustration était visible dans ses yeux. Le souffle court, elle finit par confier à son mentor que c’était la première fois qu’elle se connectait à cet élément de manière aussi intense. Il lui adressa un regard encourageant, la poussant à persister.

Non loin, Galbasul et Kazuki étaient en pleine concentration. Le pilote, aux commandes du navire, glissa un sourire en coin vers Samellia.

— Alors, tu as attrapée quelques poissons, ou juste des bulles d’eau ? lança-t-il avec malice.

Kazuki, assis en méditation non loin de là, ouvrit un œil, irrité par le bruit. D’une voix sèche, il siffla :

— Chut.

Lui aussi jouait un rôle crucial. Grâce à sa connexion spirituelle, il guidait le vaisseau comme une boussole humaine, déterminé à retrouver la voleuse qui s'était emparée de son katana.

Soudain, la trappe s'ouvrit lentement, et Madrec émergea avec la légèreté d’un prédateur. Il s’attendait à tomber nez à nez avec des ennemis, prêt à frapper. Mais ce fut un soulagement inattendu qui s’abattit sur lui en apercevant les visages familiers de ses compagnons. L’adrénaline redescendit doucement, et il abaissa son épée.

— Je pensais que j'avais été capturé... apparemment, le" destin" a encore un sens de l'humour, dit-il avec une pointe d’ironie, ses sourcils froncés.

Un court silence s'installa, dense, puis Samellia éclata d’un rire nerveux, rompant la tension. Elle s'élança vers lui sans hésiter, ses bras tendus.

— Madrec ! s'exclama-t-elle, avant de l’étreindre avec chaleur.

Orland, toujours attentif, s'approcha à son tour, son regard passant sur le jeune homme comme pour s'assurer de son état.

— Comment te sens-tu ? demanda-t-il, soucieux.

— Super bien, répondit Madrec, arborant un air joyeux.

Kazuki, d’abord silencieux, mit fin à sa méditation pour saluer leur camarade. Les sourires se multiplièrent, accompagnés de quelques éclats de rire. Chacun exprimait son soulagement à sa manière, mais un seul restait en retrait.

Galbasul observait la scène de loin, ses bras croisés, le cœur alourdi par un malaise qu’il peinait à dissimuler. Le souvenir de Kyllian, usurpant son apparence pour tourmenter Madrec, le hantait encore. Craignant la réaction de ce dernier, il resta à distance, s'efforçant de paraître détaché.

Samellia, notant son isolement, lui lança un regard insistant.

— Galb ! Viens, ne reste pas à l'écart ! Ce n’est pas le moment de jouer les solitaires.

Les autres se joignirent à elle, leur voix pressante. Le jeune homme hésita, incertain. Finalement, sous l'insistance, il fit un pas en avant. Lentement, il s'approcha du nouveau venu et lui tendit la main, un peu gêné.

Madrec fixa la main tendue, l’observant un instant comme pour s’assurer de sa sincérité. Puis, avec un léger sourire en coin, il la serra fermement.

— Ouais, toi, t’es bien le vrai, dit-il d’un ton tranquille. Pas comme l'autre connard qui s’est fait passer pour toi.

Il relâcha la main, croisant les bras, un éclat moqueur dans le regard.

— Ça se voit tout de suite.

Galbasul hocha la tête, visiblement soulagé, comme si un poids invisible s’était enfin allégé sur ses épaules. Les discussions reprirent, mais l’atmosphère s’assombrit brusquement lorsque Madrec évoqua la mort d’Alain, leur camarade tombé sous les coups de Kyllian. Les visages autour de lui se fermèrent, marqués par une tristesse silencieuse.

Un lourd silence s’installa. Chacun semblait perdu dans ses pensées, prisonnier de souvenirs douloureux qu’ils auraient préféré enfouir à jamais.

L'homme au chapeau baissa les yeux, accablé par un mélange de culpabilité et de regret. Il murmura des excuses, une fois encore, sa voix empreinte de remords. Kyllian avait utilisé son apparence pour diviser le groupe, pour tromper ceux qu’il considérait comme ses alliés. Mais avant qu’il ne puisse s’enfoncer davantage dans ses tourments, Madrec posa une main ferme sur son épaule.

— Ce n’était pas ta faute, dit-il d’un ton assuré. La seule responsabilité revient à cet enfoiré.

Orland acquiesça lentement, son regard posé et réfléchi.

— Tu as été une victime toi aussi, ajouta-t-il doucement. N’oublie pas cela.

Le jeune homme resta silencieux, mais un peu de son angoisse semblait s’évanouir à ces mots. Pourtant, un autre souvenir sombre persistait en lui : celui de Tilul, ravagée. Ses pensées dérivèrent un instant vers son père, mort sans sépulture digne, et la douleur d’une perte encore vive.

Les vestiges de sa cité natale, s'imposa à lui. Jamais plus il ne pourrait fouler ses rues, ni saluer les habitants qu'il avait protégés. Tilul, autrefois prospère, était maintenant marquée par la tragédie, et Galbasul se demandait comment son peuple allaient surmonter ce qui s'était passé.

À ses côtés, les autres membres du navire partageaient des pensées similaires. Alain, leur camarade, n'aurait jamais droit à des funérailles méritantes. Le simple fait de penser à la manière horrible dont il avait été massacré faisait bouillir le sang de Madrec. Ses poings se serrèrent tandis que la colère montait en lui. Il se demandait, rongé par les remords, pourquoi il n’avait pas réussi à tuer son traître "d’ami" lorsqu’il en avait eu l’occasion.

Orland, percevant la montée de cette rage, posa une main apaisante sur son épaule.

— Détrompe-toi, tu avais presque accompli cette quête macabre, lui dit-il doucement. Mais je n'avais pas le choix. J'ai dû intervenir avec ma magie en comprenant que tu étais sous l'emprise d'une fureur qui n'était pas la tienne. Kyllian avait manipulé tes émotions, t'avait poussé au bord du gouffre, mais je ne pouvais te laisser sombrer.

Madrec ferma les yeux, respirant profondément pour tenter de maîtriser la colère qui grondait en lui.

— Je comprends, soupira-t-il enfin. Mais ça ne rend pas la perte d'Alain plus facile à accepter. Ni celle des autres, ajouta-t-il, le regard sombre.

Samellia prit de nouveau la parole, son ton calme mais empreint de gravité.

— De toute façon, Kyllian n'était qu'un pion dans ce carnage, commença-t-elle.

Le jeune homme leva un sourcil, surpris par cette révélation. Son amie, voyant sa confusion, poursuivit d’une voix plus douce, presque hésitante.

— La comtesse Serphija est sûrement impliquée. Drana, la démone qui nous est apparue après notre combat contre la Viprix, s'est révélée être le cerveau du drame de Tilul. Et puisque la comtesse et elle sont liées, je te laisse deviner la suite...

Le nom de Drana fit écho dans l’esprit de Madrec. Bien qu'il ne l'ait jamais rencontrée en personne, il se souvenait que Samellia l’avait déjà mentionnée auparavant.

— La concubine du gouverneur Mirno… était en réalité cette démone, ajouta Orland, le visage fermé. C'est elle également qui a assassiné ce malheureux.

— Nous l'avons combattu , continua  Samellia. Mais elle a réussi à s’échapper. Nous avons dû fuir aussi, en emportant Galb avec nous pour le sauver d'une condamnation à mort injuste.

Madrec essayait de digérer toutes ces informations, le regard fixé sur un point invisible. À quoi jouait donc Émilie ? Qu’avait-elle à gagner dans cette succession de tragédies ? Les questions se bousculaient dans son esprit, mais il les écarta pour l'instant, se concentrant sur l'essentiel.

— Où allons-nous maintenant ? demanda-t-il enfin, tout en remarquant qu'un membre manquait au groupe.

Kazuki, devinant ses pensées, répondit d'une voix posée.

— Tu fais allusion à Sa’dik. Elle m'a volé mon katana, et nous sommes justement à sa poursuite.

— Eh bien, il s'en est passé des choses pendant que je dormais, lança Madrec, étonné.

Galbasul, se redressa et profita de l’occasion pour changer de sujet.

— Bon, nous allons faire une petite escale. Il y a un port non loin d'ici. Nous devons refaire le plein de provisions de toute façon, et nous dégourdir les jambes hors de ce vaisseau nous fera du bien à tous.

Les membres du groupe acquiescèrent.

Madrec, le visage illuminé d’un sourire inattendu, s’exclama :

— Ça tombe bien, j'ai super faim !

Il éclata ensuite de rire, un rire franc et joyeux, attirant aussitôt les regards perplexes de ses compagnons. Orland, surpris par ce brusque changement d'humeur, l’observa avec une pointe d’inquiétude avant de lui demander :

— Qu’est-ce qui te prend tout à coup ?

Le jeune homme, encore hilare, répondit en essuyant une larme de joie :

— C’est juste… tout ça. Il y a encore quelques jours, je menais une vie presque ordinaire. Et maintenant, me voilà entouré de personnes aussi étranges que moi, perdu au milieu de nulle part, avec des ennemis tout aussi fous que nous. C’est presque risible de voir à quel point tout a basculé si vite.

Samellia, percevant une pointe de tristesse derrière ce rire et ces propos, lui adressa un sourire timide.

— Et maintenant, on est tous dans le même grand bain, dit-elle avec un air taquin.

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