Nicolas,


Nicolas,

J'ai envie d'hurler au monde entier que c'est injuste, que si ça ne tenait qu'à moi j'irais arracher cette pancarte avec son horrible inscription et vous pourriez aller jouer au parc avec vos amis. Si ça ne tenait qu'à moi mes chéris, vous ne vivriez dans un monde comme ça. Ne me regarde pas comme ça Nicolas, ne me rassure pas, ce n'est pas à toi de me calmer, c'est à moi de vous protéger.

Nicolas,

Je vous raconterai l'histoire de Blanche-neige tous les soirs de toute votre vie si vous le voulez, je vous réciterai le nom de chaque nains jusqu'à ce que vous les connaissiez par cœur. Et si ça ne suffit pas je vous raconterai une histoire encore plus belle que celle-ci, une histoire rien que pour vous.
Et oui bon sang, allez-vous acheter des bonbons avec l'argent. Va t'acheter des bonbons, va même t'acheter le monde mon fils. Va t'acheter le monde et change le avant que nous n'ayons plus le droit de respirer.

Nicolas,

J'ai dû emmener notre radio à la préfecture de police. L'homme qui me la prise m'a fait un sourire gêné, moi je le regardais droit dans les yeux en le mettant au défi de dire quelque chose. Pourquoi est-ce qu'ils ont besoin de notre radio bon sang ? Parce que l'on est trop inférieur pour pouvoir comprendre ce qu'ils disent ?

Nicolas, quand l'horloge sonne huit heures mon cœur se serre devant cette sentence qui chaque soir tombe sur notre journée. Comme toi j'aurais voulu rester dehors sous les étoiles et la lune qui me tiendraient compagnie et je danserai sous les rayons  argentés jusqu'à ce que les astres se remplacent.

Nicolas,

Mes doigts tremblent quand je couds ces horreurs sur vos manteaux, j'ai l'impression de marquer des animaux que l'on montre du doigts comme des bêtes de foire. Non Nicolas, cette étoile n'est ni belle ni une étoile de super-héros. C'est une étoile qui est là pour que l'on arrête de briller.

Mais tu as raison c'est si beau les étoiles qui illuminent le ciel et vous êtes celles-ci ton frère et toi, vous êtes mes étoiles, celles qui illuminent le ciel. Vous êtes mes repères dans ce monde qui n'en a plus aucun.

Nicolas,

Tu seras médecin si tu le veux et je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que tu réussisses. Tu seras médecin quoi qu'en dise les gens, quoi qu'en pense le monde dans lequel nous vivons, quoi qu'en pense la vie. Marcel et toi vous ferez ce qu'il vous plaira plus tard et s'il faut que je fasse face à toutes les armées et tous les dirigeants de ce monde je le ferai.

Nicolas,

Je resserre mon châle sur mes épaules pour cacher mes tremblements. Dès l'instant où j'ai étendu les coups à la porte j'ai su qu'ils venaient nous chercher comme de vulgaires criminels.

Mes mains tremblent quand je casse tous mes plus beaux vases et ma plus belle vaisselle. C'est la seule chose qu'il ne nous prendront pas, tu comprends ? Ça et mon amour pour vous. Je te vois qui me regarde apeurée avec tes grands yeux d'enfants qui contiennent leurs larmes alors je te souris. Je te souris, tu vois ? Si je te souris tout ira bien.

J'ouvre ma valise et y jette tous les habits qui me tombent sous la main sans vraiment réfléchir. La seule chose à laquelle je pense c'est à ta main qui serre une de celle de Marcel pendant qu'il étreint son ours en peluche contre sa poitrine de l'autre.

Quand nous descendons dans la cour, je vois les voisins qui nous regardent depuis leurs fenêtres, ce spectacle de gens terrifiés qui ont regroupés toute leurs vies dans une petite valise. J'ai envie de les regarder jusqu'à ce qu'ils détournent le regard mais je baisse la tête.

Nicolas,

J'ai la gorge tellement sèche que j'ai l'impression que même mon souffle n'arrive plus à y passer. Quand le seul seau d'eau est enfin arrivé jusqu'à nous, il n'y en avait plus et je ne pense pas qu'ils nous en redonneront un. Mais ça je ne te le dis pas, ça je le garde pour moi, j'essaie de te rassurer et je te souris. Je te dis : tout ira bien mais au fond de moi je sais que tu ne me crois pas, je sais que même toi tu as compris que ça n'ira pas mais que c'est beaucoup moins dur de faire comme si. Comme si nous n'avions pas peur.

Nicolas,

On me pousse avec des crosses de fusils et j'avance tant bien que mal. J'essaie de ne pas regarder les baraques en bois qui menacent de s'écrouler et les visages squelettiques des prisonniers qui nous regardent trembler de peur et d'incompréhension. Je ferme les yeux et me concentre sur ta main dans celle de Marcel. Ne le lâche pas, sinon je lâcherai aussi.

Je hurle quand on est séparé de ton père, j'essaie de le retenir quelques instants, je n'ai pas la force qu'il me laisse seule, je n'ai pas la force qu'on me brise le cœur. Je hurle à m'en déchirer les cordes vocales pour exprimer cette peur et cette incompréhension qui s'empare de mon corps et qui ne me quitte plus. On me frappe au visage pour me faire taire et ton père me promet silencieusement qu'on se retrouvera. Je vois tes yeux terrifiés alors je ne crie pas quand une femme est abattue devant mes yeux, quand on m'arrache de force mes bijoux et nos valises, je ne crie pas non plus quand on nous pousse dans un hangar et que la porte se referme derrière nous dans un grand fracas. Je pense à ces hommes que j'ai vu sur le côté, ces hommes aux regards vides, aux crânes chauves et au corps flottants dans des habits rayé, à ces hommes qui savaient dès l'instant où ils nous ont vu ce qui se passerait. Je pense à ça en me répétant que tant qu'on est vivant tout ira bien.

On se regarde tous sans comprendre, sans imaginer un seul instant ce qui va se passer. Tu te colles à moi et je passe la main dans tes cheveux comme quand tu étais petit pour te rassurer. Marcel commence à pleurer et les gens à s'agiter. Je me penche vers vous et vous chuchote à l'oreille la berceuse que je vous chantais quand vous étiez triste.

Les mots sortent de ma bouche comme si elle faisait partie de moi et je la répète en boucle sans m'arrêter. Je chante quand mes yeux commencent à me piquer, quand les cris finissent par s'éteindre et je chante encore quand je sens ton petit corps glisser au sol. Je chante et ma voix s'élève jusqu'aux étoiles pour aller rejoindre ces petites fumées qui s'envolent vers le ciel.

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> Équipe les chaussettes

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