Chapitre 8 - Eymet
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— Ne bouge pas ! Je vais mettre de la colle partout, sinon.
Eskild inspire à fond, les yeux plissés comme s'il allait éternuer. Je repositionne la fausse moustache en essayant d'être le plus minutieux possible, tout comme la barbe brune en collier. Je peigne ses cheveux courts bruns et retire ses piercings que je range dans un pochon posé sur la coiffeuse.
— Tiens, tu peux te regarder.
Il tourne la tête vers le miroir et commence à rire nerveusement.
— On dirait un tueur en série. Tu veux qu'ils m'arrêtent, en fait, ricane-t-il.
— Mais non, tu es parfait. Cette tenue te va à ravir.
Il réajuste la veste du costume trois pièces brun et se remet à rire.
— Ça ne marchera jamais. Et puis, on dirait que j'ai trente ans.
Mais je n'ai pas le temps de répondre que May et Pete font leur apparition dans la petite pièce.
— Et voilà, tu es incroyable baby ! On ne te reconnait plus, lance Pete d'une voix mielleuse.
— Merci, Pete. Mais j'ai un doute quant à l'utilité du décolleté, dit May en ajustant le tissu pailleté.
Avec sa perruque brune, lisse, son maquillage exagéré et sa robe de soirée noire assortie de bottines, il y a de quoi ne plus la reconnaître, en effet. Eskild se lève et part à sa rencontre, les mains dans les poches.
— Et donc, je sors avec elle, c'est ça ?
— Vous pouvez la jouer un peu pompette, ça devrait le faire, expliqué-je, une main devant ma bouche pour retenir un rire. En tout cas, n'hésitez pas à bavarder. Le but est de les retenir le temps que j'aille chercher la voiture.
May récupère des clefs de sa pochette à sequins qu'elle me le lance.
— Si tu la pète, tu auras affaire à moi.
— T'en fais pas, je sais conduire, réponds-je avec un grand sourire. Merci, Pete. N'hésite pas à demander de l'aide pour ton business.
L'intéressé nous ouvre la porte et nous offre un dernier signe de main avant de fermer. Dehors, il fait nuit noire et le froid commence sérieusement à se faire sentir. Je déverrouille la Ford Taurus grise et une fois tous installés à bord, il est temps d'aller au parking.
L'endroit est à une bonne demi-heure de là et du coin de l'œil je vois Eskild allumer le chauffage pendant le trajet. Je ne sais pas ce qui lui prend ces temps-ci mais il n'arrête pas de se mettre en danger. Ça commence à m'inquiéter mais je n'ai pas envie d'être sur son dos, ça va plus l'énerver qu'autre chose.
Je me gare devant le supermarché et nous descendons pour aller au parking. Devant l'entrée, les policiers contrôlent chaque arrivant avec assiduité.
— Eh bien, je suis étonné. Habituellement, ils ne se seraient pas donnés tant de mal pour une vulgaire bagarre avec fuite, fais-je remarquer.
— Peut-être qu'ils savent que la bagarre avait un rapport avec le trafic, murmure May-Em au bras d'Eskild.
Une femme aux longs cheveux bruns, petit nez aquilin et à la grande parka noire semble s'occuper de la brigade ou, du moins, travailler avec eux, leur glissant des ordres, un badge pendant de son jean.
Eskild et May attendent près du parking pendant que j'y pénètre par l'issu de secours. Je me faufile entre les voitures en essayant d'agir le plus naturellement possible et entre dans la Toyota Supra. Je savoure le confort et la beauté du véhicule quelques instants avant d'actionner le contact, faisant rugir le moteur d'une douce mélodie.
En jetant un œil autour de moi, je repère le pistolet sous le siège passager. Je déglutis, ne voulant pas penser à ce qu'Eskild aurait pu faire avec ça, et entame une marche arrière pour me mettre en route. À proximité des barrières, les deux mousquetaires s'avancent vers les policiers et May prend une démarche peu assurée.
— Bonsoir, vous auriez un peu d'argent pour appeler un taxi ? demande Eskild en forçant sur sa voix.
La flic à parka se tourne vers eux et semble agacée.
— Non, désolée. Nous sommes occupés, éloignez-vous d'ici, à moins d'avoir votre voiture de garée.
Un des policiers toque à ma vitre, que je descends aussitôt, et demande à voir les papiers de la voiture. Je commence fouiller autour de moi en prenant mon temps tout en surveillant les faits et gestes de mes deux compères.
— Un instant, c'est un peu le bazar...
— C'est plutôt bien rangé, je trouve, commente le policier en réajustant sa casquette, perplexe.
May s'avance vers lui après avoir raconté un mensonge digne d'un film Hollywoodien et commence à dégobiller sur son uniforme. Je manque de m'étouffer de rire et profite de son instant d'inattention pour appuyer sur l'accélérateur. Mon cœur loupe un battement en ne voyant pas le système de prépaiement s'activer.
Eskild attrape la flic au badge par les pans de sa parka et la presse contre lui pour l'embrasser. Je reste pantois devant ce geste surprenant mais le système s'active et je ne me pose pas plus de question : je fonce à l'extérieur du parking.
Une fois sur la route, je passe mon regard du rétro intérieur au goudron pour suivre l'affaire en espérant que personne ne se fasse attraper. Eskild et May courent dans la direction opposée du plus vite qu'ils peuvent, suivis de près par les policiers en train de crier des injures, en particulier celle à la parka.
Je lâche un petit rire nerveux et fait le tour du rond-point pour aller les récupérer. Une fois à leur hauteur, je roule au pas pour leur permettre d'ouvrir les portières et de monter avant d'appuyer sur le champignon. Au moment de fermer la porte, May coince la main d'un des flics, qui hurle de douleur.
Nous rions un bon coup et les deux tentent de reprendre leur souffle entre deux ricanements tout en s'attachant.
— Oh bordel ! lâche Eskild avec un grand sourire. C'était incroyable. T'étais incroyable, May.
— Merci. Ta stratégie du baiser n'était pas mal non plus, la pauvre n'a rien compris.
— Ok, les flics n'ont pas l'air de nous avoir suivi... Comment t'as fait pour vomir comme ça ?
Dans le rétro, je vois May sortir une petite bouteille à l'eau trouble de sa pochette, l'air triomphant.
— Du sel avec de l'eau, tu connais ?
Je lâche un rire tandis que le blond se penche pour attraper le pistolet sous le siège, me faisant tiquer.
— Maintenant, il va falloir remettre ce truc à sa place. À moins que tu préfères mourir bêtement. Ça c'est toi qui vois, tête de mule.
Il me lance un regard espiègle, comme s'il faisait tout ça pour m'embêter.
— Prêt pour un nouveau coup ? demande-t-il, sûr de lui.
Un soupir s'échappe de ma bouche mais je configure le GPS pour aller au garage.
— Qu'est-ce que je ne ferai pas pour toi... J'ai intérêt à pouvoir récupérer la voiture de mon père ensuite. Et à être rentré pour le dîner.
***
Arrivés au garage, nous descendons pour nous planquer non loin de l'entrée.
— Qui s'y colle ? demande May d'un ton méfiant. Vous êtes sûrs qu'il n'y a plus personne, à cette heure ?
— Aksel est à sa partie de poker, normalement. Comme tous les jeudi soir, explique Eskild en observant autour.
— Moi je reste là, annonce May en croisant les bras. Il faut vraiment que j'évite d'avoir des ennuis. Je... J'ai mentis en disant que je n'avais pas de gamins. J'en ai vraiment et ils sont sous la garde de leur père.
— Oh, lâche simplement son coéquipier en déglutissant. Eh bien, Eymet, allons-y.
Ni une ni deux, il lui emprunte une pince de ses cheveux et commence à crocheter la serrure.
— On se suivra pour éviter les caméras.
— Dans le bureau, on ne pourra pas.
— Tu n'auras qu'à mettre ma veste sur ta tête pour éviter d'être reconnu, ricane-t-il en tournant la pince avec minutie.
— Je cris si des poulets se ramènent, dit May en se plaçant devant lui pour le cacher un peu des passants, certes peu suspicieux.
Mais une silhouette munie d'une longue parka familière arrive au coin de la rue. L'individu s'avance d'un pas pressé, faisant claquer ses bottes sur le trottoir déformé. L'anxiété me prend et je déglutis en tapotant nerveusement l'épaule d'Eskild.
— Mec, arrête. C'est la flic de tout à l'heure, murmuré-je sans détourner la tête.
Il obéit et se redresse l'air de rien avant d'enfoncer ses mains dans ses poches de pantalon. May tente de conserver une mine tout aussi naturelle mais je vois bien que le stress n'est pas loin.
— Vous, là-bas ! crie presque la flic. Je dois vous parler.
— Punaise, on est cuits, peste Eskild en gigotant d'une jambe sur l'autre.
Je serre les poings, réfléchissant à une issue de secours, mais pour l'instant, je ne vois rien. Non seulement nous sommes surpris en train de forcer un garage mais en plus, nous sommes en possession d'une arme à feu – de façon tout aussi illégale – et la cerise sur le gâteau, le refus d'obtempérer au parking. Sans parler de la drogue, des voitures... Bref, on est dans la merde jusqu'au cou.
La nana à la parka se poste devant nous, les mains dans les poches, un air déterminé collé sur le visage. Ses cheveux relâchés fouettent son visage à cause du vent, faisant bouger sa tête pour les dégager, lui arrachant un rictus agacé.
— Il y a des caméras là-haut, explique-t-elle en désignant d'un doigt le toit.
— C'est une technique d'intimidation ? lance May, perplexe.
— Non, il y a vraiment des caméras. J'ai vérifié.
— Mais qu'est-ce que vous racontez ? Vous êtes là pour nous arrêter ou... ?
— Éloignons-nous d'abord du champ des caméras, ce n'est pas bon si on nous voit ensemble.
Nous nous regardons une nouvelle fois, méfiants. On pourrait courir et tenter de s'enfuir, mais je doute qu'elle soit seule. Enfin, dans le pire des cas, nous possédons une arme et nous savons nous battre.
— Bon, ok. Mais si c'est une entourloupe...
— Sinon quoi ? J'ai les forces de l'ordre de mon côté, me coupe la brune, peu impressionnée.
« De son côté » ? Dans le sens où elle ne fait pas partie de la police ? Malgré tout, je ne réponds pas, j'aimerai éviter de rajouter de l'huile sur le feu le plus possible. Elle tourne les talons sans même attendre une décision de notre part, alors nous la suivons en silence.
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