Chapitre 6 - Eskild

[ Pass The Nirvana / Pierce The Veil ]

L'après-midi passe lentement dans la voiture grise de May-Em, une BMW customisée d'autocollants de lignes partant dans tous les sens sur l'intégralité des portières. Nous sommes garés dans une rue aux allures dangereuses, sombre, des vieux immeubles en brique avec leurs escaliers de secours et la fumée sortant d'une sorte de ventilation, sans doute en panne.

May-Em repousse ses longues tresses noires en arrière pour profiter au mieux de son burger dégoulinant sur un papier à l'effigie d'une chaîne de fast-food comme on trouve des millions ici. Moi, je me contente de fumer mon joint en vérifiant une quelconque intervention des flics ou d'un client, la fenêtre ouverte et le bras pendant.

— Bon, tu fais quoi dans la vie, blondinet ? demande la conductrice en essuyant sa bouche à l'aide d'une serviette brune.

— Je ne suis pas sûr qu'on devrait parler de ça. On se connaît à peine, réponds-je en détournant le regard vers elle.

— Pourquoi pas ? De toute façon, on a du temps à perdre.

— Et toi ? Pourquoi est-ce que tu es là ?

May-Em repose sa serviette et avale une nouvelle bouchée du burger en regardant par le pare-brise comme si elle réfléchissait.

— J'ai besoin de nourrir mes gosses.

— Vraiment ? m'enquis-je, surpris.

— Bordel, non ! Pourquoi est-ce que j'irai m'enquiquiner avec ça ? rétorque-t-elle comme si j'étais fou. Je n'ai pas envie que mon gamin devienne dealer comme toi.

— Merci, c'est sympa...

Mes sourcils se haussent d'eux-mêmes pendant que je fume, toujours très heureux d'être pris comme modèle.

— J'ai besoin de changer mon moteur et j'aimerai ajouter quelques trucs à la carrosserie de ma bagnole, explique-t-elle finalement en froissant le papier du burger.

— C'est un argument qui tient la route.

— Je me contente de faire des courses, sinon. Le deal, ça me gave. Les clients pensent sans arrêt que je suis une prostituée.

Je regarde May-Em de haut en bas mais ne fait pas le rapprochement. Ses épaules larges et sa carrure d'athlète sous son T-shirt et son jean troué peuvent être intimidants mais en aucun cas...

— Non, je ne vois pas le rapport, dis-je mollement. Est-ce que c'est parce que tu es noire ?

— Peut-être. Ces abrutis bavent tellement que je commence à me dire que c'est du fétichisme.

— Pourquoi est-ce que tu me dis tout ça ? Peut-être que moi aussi, j'ai envie de faire autre chose que vendre de la marchandise avec toi.

La fumée sort de ma bouche dans un petit nuage s'échappant rapidement à l'extérieur. May-Em me regarde les yeux ronds mais je ne comprends pas pourquoi, jusqu'à ce qu'elle éclate de rire.

— T'es trop drôle, blondinet ! arrive-t-elle à dire entre deux ricanements. Excuse-moi mais je ne me suis jamais fait draguer par un gay, c'est une première.

— Je ne suis pas gay, ricané-je à mon tour nerveusement. Qu'est-ce que...

Mais nous sommes interrompus par une silhouette se penchant à notre hauteur. L'homme encapuchonné me regarde avec lassitude, les bras croisés, jouant sur ses deux jambes comme s'il était impatient.

— Un dix balles, lance-t-il sans prendre de gants d'une voix grave.

Je le regarde à mon tour en fumant, attendant un minimum de politesse de sa part. Le type commence à s'impatienter et m'arrache le joint des mains. L'agacement monte aussitôt mais je me contente de serrer les dents.

— T'es sourd ? demande-t-il avec la même tension. Je t'ai demandé un dix balles.

— Donne-lui, intervient May-Em, beaucoup plus calme.

— Tiens, écoute la dame au lieu de me faire perdre mon temps, ajoute le type en la pointant du menton.

Je tâte discrètement l'arme coincée à l'arrière de mon jean et recouverte de ma couche de vêtements, confiant quant à mon potentiel de réussite.

— J'attends un minimum de politesse, dis-je fermement en fixant l'homme droit dans les yeux.

Mais le résultat est sans appel. Il m'attrape par le col du pull et me tire en dehors de la voiture. Je suis tellement mince que je passe sans difficulté par la fenêtre et termine mon voyage par terre, les fesses tapant le goudron du trottoir.

La douleur est de courte durée, vite remplacée par un coup de pied dans les côtes. Je me tords en deux, une main plaquée sur l'endroit blessé en guise de réflexe, mais le type recommence, fermement décidé à me faire comprendre que j'ai merdé. Le problème, c'est que je suis persuadé de l'inverse. C'est lui qui est en tort et il ne va pas s'en sortir comme ça.

Les cris de surprise de May-Em me parviennent et je l'entends sortir de la voiture en vitesse. Elle se précipite vers mon agresseur, le poussant de toutes ses forces en arrière. Malheureusement, elle est vite rejetée d'un coup de coude dans le poitrail.

Ce moment de distraction me permet de sortir le pistolet de sa cachette, mais je me retrouve à ne pas savoir comment m'en servir ou du moins, les quelques notions que j'ai ne me suffisent pas pour agir rapidement.

Le gars encapuchonné balaie les jambes de May-Em puis reporte son attention vers moi. Il attrape l'arme mais je ne cède pas, bien décidé à nous sortir de cette situation idiote, quitte à faire un blessé supplémentaire. Je ne pensais pas avoir besoin de l'arme aussi vite. Mais bizarrement, tirer sur quelqu'un ne m'effraie pas plus que ça. Je veux dire, tant qu'il ne meurt pas...

— Donne-moi ça, petit merdeux ! crache le type avec colère.

— Même pas en rêve !

Je me redresse sommairement pour lui adresser un coup de boule, le forçant à lâcher prise. Je me relève et recule brièvement en examinant l'état de May-Em. Elle est prête à repartir à l'assaut derrière notre agresseur, me regardant avec attention. Elle n'attend pas plus et l'attrape par la gorge, son bras contre son cou, le tirant contre elle en arrière pendant que je le mets en joue, les mains tremblantes.

Le métal est froid, la crosse gravée aussi, tout comme le reste de mon corps. Mon crâne me lance fortement et je sais déjà que la migraine n'est pas loin. Pendant que May-Em échange de violents coups avec le type, je réussi à tirer la glissière en arrière mais honnêtement, je ne sais pas vraiment ce que je fais ; je reproduis simplement ce que j'ai vu sur internet et dans les films.

En Norvège, la plupart des gens utilisent des armes à feu seulement pour la chasse, surtout après les attentats d'Oslo l'année dernière, en 2011. La culture n'est pas du tout la même qu'ici. Ici, c'est une autre histoire.

Les sirènes de police rompent les cris de furie émanant du type et de May-Em. Je déglutis, hésitant, mais fini par retirer le chargeur et courir en direction de la portière conducteur.

— Ramène-toi ! On s'en va ! hurlé-je à May-Em, l'adrénaline pulsant dans mes veines et dans mes tempes.

L'intéressée donne un énorme coup de rangers dans l'estomac du type pour se dégager de son emprise et courir vers la place passagère. Dans le rétroviseur intérieur, je vois la voiture de police arrivée à toute allure alors je tourne le contact puis passe directement la seconde. La voiture rugie et part au quart de tours.

Mon cœur bat la chamade et je balance le pistolet sous mon siège. May-Em observe attentivement dans son rétroviseur droit et dans l'angle mort, la sueur perlant son front et son expiration devenir bruyante. En revenant sur l'avenue principale, je me permets de doubler quelques voitures jusqu'à arriver à un feu. Je serre mes lèvres, agacé par cette attente, mais m'arrête quand même, ne voulant pas paraître trop suspect.

— Ils sont derrière, lance May-Em d'une voix chevrotante.

— Je sais, réponds-je sèchement, un coude sur la portière, un doigt agité contre ma lèvre supérieure, la jambe gigotant.

Dans le rétroviseur intérieur, je vois les gyrophares se rapprocher dangereusement, bientôt à quelques centaines de mètres de nous. Lorsque le feu passe au vert, je ne réfléchis pas plus et démarre aussitôt, écrasant l'embrayage puis l'accélérateur comme si ma vie en dépendait. Je passe rapidement la troisième, puis la quatrième pour gagner du terrain, slalomant avec habileté entre les voitures du trafic peu dense à cette heure-ci, le coin étant reculé du centre de Brooklyn et les gens se rendant principalement à Coney Island.

Les piétons sont ceux qui me posent le plus de soucis. Je suis obligé de piler net pour les laisser passer, me faisant perdre une distance précieuse. Je ne connais pas encore assez bien le quartier, alors la tension monte. Je ne sais pas où est-ce que je pourrai me cacher, je ne connais pas toutes les petites ruelles.

Que faire ?

— May, tu connais un endroit où on pourrait se planquer ? demandé-je ne redémarrant, un œil avisé dans le rétroviseur intérieur.

— Ah, oui ! Tourne à gauche à la prochaine, il y a plein de petites rues, répond-elle comme si elle lisait dans mes pensées.

— Parfait. Indique-moi la route et surveille le rétro. J'ai besoin de me concentrer sur la route.

Elle hoche la tête et commence à m'indiquer la voie. Les deux mains crispées sur le volant, le cœur qui ne veut pas se calmer, c'est une course contre la montre pour la liberté. Avec toute la drogue dans le coffre, s'ils nous chopent avec ça, on est mal.

Dans ma tête, c'est un combat qui s'engage entre l'envie de boire, celle d'envoyer chier les policiers, celle de renoncer et celle d'ignorer le bruit strident des gyrophares. Ma copilote m'envoie dans une série de coins qui semblent plus perdus les uns que les autres, au point où je ne saurai même pas retrouver la route pour chez moi. J'accélère au maximum, gardant tout de même une vitesse convenable pour anticiper les virages sans me prendre un mur ou une barrière.

May m'indique un parking souterrain. J'y fonce et ralentit seulement pour passer la barrière de sécurité. Heureusement, c'est un parking qu'elle fréquente régulièrement et son abonnement passe instantanément. Il suffit maintenant de trouver une place et de s'enfuir en courant par les issues de secours. Je me gare à la va-vite, rentrant directement dans la place, freinant d'un coup sec, relevant le frein à main et retirant le contact. Une fois hors du véhicule, May-Em prend la peine de récupérer le contenu du coffre, l'oreille toujours attentive au signal sonore de la voiture de police proche de nous.

Nous les voyons derrière l'amas de véhicules commencer à faire le tour du parking alors nous courons comme des fous vers la porte de secours. Dans les escaliers menant à la rue, je ressens à peine l'essoufflement, mon instinct de survie en alerte. Dehors, May-Em attrape mon bras quelques instants pour me traîner vers la rue opposée et nous cacher derrière des poutres en acier.

Une autre voiture de police circule dans les environs mais ne semble pas nous avoir repérer pour le moment. May-Em serre le sac contenant la drogue avec force, tellement que ses mains en tremblent et deviennent claires. Je retiens instinctivement mon souffle le temps que la voiture tourne à l'angle opposé.

Une fois fait, je reprends ma respiration, adossé à la poutre et observe, les sourcils froncés, les passants arrêtés aux passages piétons croisés qui nous regardent bizarrement. Ils détournent aussitôt le regard et May-Em déglutis tellement fort que je l'entends par-dessus le bruit de la circulation.

— On fait quoi, maintenant ? demandé-je entre deux respirations saccadées.

— On fait profil bas en espérant que ma caisse ne soit pas perquisitionnée. J'ai une fausse carte d'identité au cas où mais bon, les flics sont forts ; ils vont vite me retrouver, répond-elle en observant sérieusement les environs. En plus, il y a un flingue qui ne m'appartient pas.

J'ouvre de grands yeux, le cœur s'arrêtant net.

— Oh non... Je pensais l'avoir pris, geins-je en laissant tomber ma tête en arrière contre la poutre. Il va falloir le récupérer. Il n'est pas à moi.

May-Em prend un regard sévère et m'attrape par le col de mon pull avec férocité.

— Sérieusement blondinet ? Non seulement tu utilises une arme alors que tu es encore un gamin mais en plus, elle ne t'appartient pas ? Qu'est-ce qui ne tourne pas rond, chez toi ?

Elle me lâche aussitôt pour pester, commençant à traverser de l'autre côté sous le pont. Je la suis en réajuster mes vêtements et serre les dents compulsivement. Il va falloir que j'arrange tout ce merdier, et vite.

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