Chapitre 4 - Eskild
[ Hands Tied / Harry Was Here ]
— T'es vraiment qu'un connard, Jakob ! Je t'emmerde !
Je sursaute en ouvrant les yeux, puis soupire d'agacement en me retournant sur le dos.
Et c'est reparti...
— Du calme, Nathalia. Pose ça, enfin !
Je retire la couette et baille avant de me lever pour descendre. Dans les escaliers, je me baisse pour esquiver une assiette qui atterrie contre le mur, le cœur s'arrêtant pendant quelques secondes.
Ma mère se tient dans le salon, en peignoir, un air dément sur le visage. Le même air qu'elle a quand elle fait une crise. Mon père la regarde avec impuissance, lui aussi en pyjama. À voir le contenu déversé contre le mur, ils étaient en train de prendre le petit-déjeuner.
J'arrive vers eux tout en regardant ma mère en pleine hystérie.
— Maman ! hurlé-je plus fort qu'elle.
Elle détourne les yeux vers moi et j'ai un pincement au cœur comme à chaque fois que je vois ses pupilles presque noires. Je l'attrape par les épaules mais elle se dérobe.
— Ton père veut me faire interner chez les fous, explique-t-elle. Je savais que tu étais avec eux, sale traître !
Je roule des yeux et fait signe à mon père de s'occuper des portes. Il me remercie en chuchotant et retourne à la cuisine pendant que je serre Nathalia contre moi.
— C'est ça, dégage ! Je ne veux plus te voir ! continue-t-elle de crier.
Jakob verrouille les portes principales sous la pluie d'insultes et me regarde avec détresse.
— Je dois aller travailler. Désolé, Eskild, dit-il simplement en repartant à l'étage.
Je hoche la tête en guise de compréhension et prend les coups de ma mère qui continue de se débattre comme un diable dans mes bras.
— Lâche-moi ! Je croyais que tu étais de mon côté ! Toi aussi, tu vas m'emmener, avoue !
— Pas quand tu veux lui faire du mal.
La tignasse de Bjørn apparaît dans mon champ de vision et quand c'est comme ça, c'est le seul moment où je suis heureux de le voir. Il prend le relais pendant que je pars vérifier ses médicaments dans la cuisine. À côté de la cafetière, quatre flacons sont renversés, presque vides.
Un nouveau soupir s'échappe de ma bouche mais un grognement de douleur m'empêche de réfléchir plus longtemps. Je me précipite dans le salon et constate que Bjørn s'est pris un coup de pied dans l'entrejambe. Je me retiens de rire et commence à poursuivre ma mère dans toute la maison.
Elle ne va pas très loin puisque les portes sont fermées alors elle tente d'ouvrir les fenêtres mais tout a été fait pour l'empêcher de s'enfuir en cas de besoin. Ses poings tambourinent avec rage contre la porte de la chambre parentale et les cris continuent de m'exaspérer. J'attrape ses poignets que je tire derrière son dos pour la faire reculer.
— C'est bon, tu peux sortir, dis-je à l'intention de mon père.
Il ouvre timidement la porte et Nathalia décide de me mettre un coup de tête pour se libérer et lui flanquer une claque. Jakob affiche un air très triste mais n'en tient pas compte à cause de l'habitude. Cependant, ses yeux deviennent humides et ma mère semble prendre conscience de ses actes.
Elle se tait et son corps devient mou comme un marshmallow.
— Que... Je...
Ses bégaiements sont confus, perdus. Elle passe une main tremblante dans ses cheveux courts colorés de vert et commence à culpabiliser, en état de choc.
Mon père lui touche le bras doucement pour la rassurer et Nathalia ne bouge pas d'un pouce. Il pose un baiser sur son front et je regarde la scène avec tendresse et admiration. Malgré toutes les crises, ils n'ont jamais cessé de s'aimer. Quelque part, c'est assez toxique comme relation, mais au moins, je suis là. Je suis né.
— J'appellerai l'hôpital sur la route, indique Jakob. Tu as regardé pour le petit job dont je t'avais parlé ?
Je sors de mes pensées et hoche la tête mollement avant de le regarder partir. Je déglutis, laissant l'angoisse redescendre petit à petit. Je conduis ma mère au lit et la fait s'asseoir en lui prenant la main. La porte en bas claque et Bjørn arrive dans l'embrasure de la chambre.
— Elle s'est calmée ? demande-t-il de son ton froid.
— Ouais. Harris va venir la chercher. Comme d'habitude.
Il se gratte la tête en soufflant, visiblement stressé, lui aussi, puis tapote contre la commode en bois.
— Vas-y, je reste avec elle, concède-t-il.
— Et ton boulot ? demandé-je, surpris.
Il se contente de rire avec amertume en secouant la tête, alors je me lève et retourne dans ma chambre parce que ça veut dire « Cette fois c'est à ton tour de travailler ».
En fermant la porte, je m'allonge dans le lit et les larmes me montent aux yeux, me serrent la gorge. L'heure sur mon téléphone indique qu'il me reste deux heures avant mon entretien alors j'en profite pour informer Eymet de la situation par message, puis regarde le plafond, les mains soutenant mes cheveux blonds en pagaille.
J'espère ne jamais faire subir ça à mes gamins, plus tard.
***
— Quel âge avez-vous monsieur...
— Hagen. J'ai dix-sept ans.
La femme en embonpoint me regarde avec perplexité. Je m'aperçois que je tire sur la peau de ma lèvre inférieure avec ma dent alors j'arrête immédiatement.
Elle m'explique la suite du processus de recrutement pendant que je tire sur ma chemise, mal à l'aise. J'ai l'impression que tout est flou et j'entends seulement le bruit de l'horloge derrière elle. Je sais que je vais travailler pour moi et pas pour les autres. Mais j'ai la sensation que je ne peux pas.
J'ai chaud et je transpire à grosses gouttes alors qu'il fait deux degrés dehors. Je frotte mes yeux et me lève en arrachant le CV des mains potelées, puis pars du bureau sans même m'excuser.
Pourquoi est-ce je pars comme ça ? Il y a pire que ranger des boîtes de conserves dans des étales toute la journée.
C'est vrai. Mais il y a aussi mieux. La course, le trafic, les sensations fortes. Le danger. C'est ça qui m'anime.
***
Je m'adosse dans le lit à côté d'Eymet, attrapant la cigarette qu'il me tend mais prenant le temps de reprendre ma respiration avant de l'allumer. Lui commence à fumer, une main sur son torse nu tenant la cigarette, l'autre sous sa tête.
— J'aime quand tu t'énerves, lance-t-il avec un regard tendre.
— Tu veux que je sois en colère plus souvent ? demandé-je en recommençant à mordre ma lèvre. Attention, tu pourrais le regretter.
— Hm, possible. Comment tu vas ? Ton message de ce matin était plutôt déprimant. Et cet entretien ?
Je pousse un soupir et allume la cigarette.
— Ça va, affirmé-je. Nathalia est partie à l'hôpital et personne n'a été blessé, excepté Bjørn et ses cacahuètes.
Eymet souffle comme s'il ressentait sa douleur alors je souris d'amusement.
— Sinon, j'ai quitté l'entretien. Je n'ai pas ma place dans ce genre de jobs. De toute façon, je fini par quitter au bout de quelques mois parce que je me lasse vite.
— T'as de la chance d'être blanc. En plus, t'es blond et tes yeux sont presque bleus ; un vrai petit aryen. Tu devrais quitter tout ce bordel et rentrer dans les cases, au lieu de prendre le risque de mourir toutes les semaines, indique Eymet en regardant le drap, les yeux sombres.
— Rentrer dans les cases ? répété-je, surpris. Tu sais que j'aime la course.
— Ouais, t'es drogué à l'adrénaline.
— Exactement, bon sang !
Je laisse tomber mes mains sur le lit et secoue la tête, agacé par sa remarque. Je ne lui ai jamais demandé conseil. Je ne lui ai pas demandé son avis.
— À part ça, ta soirée s'est bien passée ?
— Euh ouais, dis-je avec hésitation. Non, en fait, c'était affreux.
— Je croyais qu'elle avait grave aimé ? rétorque Eymet, confus.
— Ouais mais je parle de moi. Je préférais penser à devenir pilote professionnel plutôt qu'à jouir.
Eymet éclate de rire et je ne peux pas me retenir non plus.
— Sérieusement ? Tu t'en es tiré comment ?
Je me penche vers son visage et pose la cigarette dans le cendrier derrière moi.
— J'ai pensé à toi, murmuré-je tout près de sa bouche.
— J'aime quand tu penses àmoi, sourit Eymet avant de m'embrasser.
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