Chapitre 18 : Eymet
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Dans l'église, j'écoute d'une oreille distraite les paroles du prêtre en mexicain. Je ne comprends pas tout, malheureusement, hormis le nom de ma grand-mère, non sans un pincement au cœur à chaque fois. Mon esprit divague souvent vers Eskild, depuis que nous sommes arrivés dans un village proche de Ciudad Juarez. Je ne peux pas le contacter et je m'en veux de l'avoir laissé seul avec sa convalescence forcée aux Etats-Unis.
Je me demande ce qu'il fait, comment il va, en espérant qu'il ne se soit pas renfermé dans l'alcool comme il avait l'air de le faire ces derniers-temps. Il est jeune et le voir tomber dans les addictions comme ça m'attriste profondément. Quand il s'agissait des drogues, j'ai pu l'éloigner comme je pouvais mais pas ça. J'ai l'impression qu'il cherche à s'autodétruire en permanence, même si c'est inconscient. Il n'a vraiment pas l'air de se rendre compte de ce qui se passe en lui et je me sens impuissant face à cette situation.
— Hijo, c'est l'heure d'y aller, me chuchote mon père en se penchant vers moi.
Sortis de mes pensées, je me dirige vers le cercueil ouvert pour rendre un dernier hommage à abuela, habillée d'une robe traditionnelle mexicaine, le visage maquillé et les cheveux peignés, même si elle était toujours naturelle.
Ça faisait plusieurs fois qu'on ne s'appelait plus et je regrette de ne pas avoir passé plus de temps avec elle à cause du manque d'argent. Toute la famille de mon père est ici, pleurant pour la plupart de ses membres, se retenant au possible pour les autres.
Je ne suis pas réellement croyant, du moins, je ne pratique pas mais je crois beaucoup en la réincarnation et au fait que l'esprit des défunts puisse nous faire signe de temps en temps. Aussi, je n'énonce pas de prière comme les autres en allant voir le corps. Je me contente de lui souhaiter de trouver la paix et de lui dire combien je l'aime.
Nous partons ensuite pour l'enterrement. Sur le chemin, mon père me prend par les épaules pour me serrer contre lui. Je sens ses larmes tomber sur mon costume et ça me fait tellement mal que ma gorge se serre encore plus. Mais je suis incapable de pleurer. Ça fait bien longtemps que j'ai l'impression de ne plus pouvoir, d'ailleurs, à mon grand regret.
La tombe est affublée de l'année de naissance et de mort ainsi que du nom : 1942 – 2012, Emilia Parmani. Elle venait tout juste de fêter son soixante-dixième anniversaire et je n'avais pas pu le lui souhaiter. Le cercueil est plongé dans la terre et, à mes côtés, Felipe ne cesse de pleurer. Quant à Yasmine, ma frangine de maintenant quatorze ans, elle garde les bras croisés en essayant de rester neutre. Avec ses cheveux bruns tombant dans ses yeux noisette et sa peau dorée, c'est elle qui a le plus hérité du côté paternel.
Elle a toujours été proche de notre grand-mère également et je me demande comment elle fait pour ne pas céder au chagrin. Est-ce qu'elle aussi n'a déjà plus la capacité de pleurer ? Nous avons perdu plusieurs membres de la famille, ces dernières années mais un nouveau décès est toujours aussi difficile à digérer.
Une fois la terre recouverte, nous prenons la voiture pour rejoindre la maison d'abuela. Ma tante et mon oncle terminent de préparer le repas tandis que chacun raconte des anecdotes en rapport avec Emilia, comme pour se remémorer les bons souvenirs. Il y a parfois des pleurs mais chacun se console et nous arrivons à avaler quelque chose. Même si ce n'est pas beaucoup, je me dis que ce n'est pas le moment de se laisser mourir de faim. Ma famille a besoin de moi, en particulier Felipe et Yasmine.
Nous logeons chez une de mes tantes, moi et Felipe dans la même chambre tandis que Yasmine dort avec sa fille pour l'occasion. Je n'ai pas l'habitude de dormir avec mon petit frère et il est vrai qu'au début, j'étais quelque peu embêté avant de m'y habituer. Alors dès que je pouvais, je me portais volontaire pour les courses afin d'être un peu seul.
Yasmine est la première à partir de table et depuis que nous sommes là, je trouve son comportement froid et distant. Je suppose que l'adolescence y est pour beaucoup, mais je m'en veux de ne pas avoir été là pour elle ou Felipe, trop occupé à m'occuper d'Eskild et à travailler.
Je m'excuse en prétextant aller aux toilettes et décide de la suivre. Après chaque repas, elle s'éclipse et je ne la trouve jamais dans sa chambre. En parcourant la maison, je la vois entrer dans la salle de bain et je me sens stupide. Mais un bruit caractéristique d'une fenêtre me fait changer d'avis.
Est-ce qu'elle fait le mur et personne ne s'en aperçoit ?
Je toque doucement sur la porte mais pour seule réponse, d'autres bruits me font penser qu'elle est sortie. Je pars en direction du jardin en passant par la porte d'entrée et fait le tour de la propriété pour y accéder. C'est alors que je fouille les environs du regard, passant de la table avec les chaises de jardin jusqu'à tomber sur un renfoncement derrière le cabanon.
Yasmine sursaute en me voyant et cache immédiatement ce qu'elle a dans la main, mais je reconnaîtrais cette odeur entre mille : mes cigarettes.
— Bon sang, Yasmine ! chuchoté-je en vérifiant derrière moi que personne ne soit là. Qu'est-ce que tu fabriques ? C'est à moi, ça.
Elle peste tandis que je lui arrache le paquet des mains.
— Oh, ça va ! Je suis sûre que tu fumais déjà, à mon âge, se défend-elle d'un ton méprisant.
— Non, j'avais trop peur de me faire engueuler. Je te rappelle que je suis l'aîné, les parents étaient plus stricts avec moi.
— Regarde où ça t'a mené. T'es toujours dans ce restaurant moisi et tu traînes avec des gens bizarres. En plus, t'as jamais ramené de copine.
Un soupire s'échappe involontairement de ma bouche et je m'adosse au renfoncement à ses côtés.
— Ce restaurant est très bien et les gens bizarres dont tu parles sont mes amis. Bon, pas tous. Mais tu as compris.
— T'attends le mariage ou quoi ?
— Pourquoi ma vie amoureuse t'intéresse autant, d'un seul coup ? Il y a quelque chose que tu veux me dire ? demandé-je, intrigué par ses propos.
— Non... T'as gâché ma pause clope.
— Heureusement. Pourquoi est-ce que tu fais ça ? C'est parce que tes amis du collège le font ? Ou pour paraître cool ? dis-je en appuyant sur mes mots avec exagération.
Elle se met à rire et semble se radoucir.
— Tout le monde autour de moi le fait, alors... Je crois que j'avais besoin de me sentir normale sur un point.
— Comment ça ? On t'a fait remarquer que ce n'était pas le cas ?
— Disons que je suis pas la plus populaire, ni la plus aimée de ma classe. Il y a d'autres personnes de couleurs avec moi, mais pas avec un mélange bizarre comme le nôtre. Et puis, je n'ai jamais d'argent pour sortir avec les autres, donc je suis souvent mise de côté.
— Je vois. Je sais que la situation est un peu difficile de ce côté-là mais je travaille dessus. Ça devrait bientôt s'arranger. Promis.
Je tends mon petit doigt, qu'elle prend avec le sien tout en souriant comme nous avions l'habitude de faire une pinky promise quand elle était enfant. C'est un truc qu'on voyait souvent dans les films quand je la gardais après l'école et c'est resté.
— De ton côté, tu me promets d'arrêter de fumer ? dis-je d'un ton rassurant.
Elle hésite quelques instants et serre un peu plus l'étreinte autour de mon doigt.
— D'accord. Mais tu as intérêt à respecter notre promesse. Je te fais confiance.
— Tu sais que je les tiens toujours.
Nous séparons nos mains et, arrivés devant le seuil de la maison, elle s'étonne de ne pas me voir entrer.
— Tu viens pas ?
— Non, j'ai un ami qui n'habite pas loin que j'avais promis d'aller voir. Je reviens demain, si tu peux le dire aux parents.
— Oh ! répond-elle avec une certaine déception dans la voix. Je pensais qu'on pourrait regarder un film tous les deux comme avant.
— Désolé. On le fera demain, si tu veux. Je file.
Elle hoche la tête puis passe l'entrée. Une fois la porte refermée, je remonte de quelques pas la rue puis sors mon téléphone.
— Je suis disponible. Où est-ce qu'on se retrouve ? Je pensais au bar sur la place de la fontaine.
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