Chapitre 16 : Eskild

[ Nosedive - BoyWithUke ]

Le soir venu, je m'arrache les cheveux devant ma garde-robe en pagaille sur le sol, incapable de choisir comment m'habiller pour le dîner. Je pousse les différents T-shirts jusqu'à en choisir un, puis un autre que je jette finalement sur la pile à l'aide de mon seul bras valide. Je suis tenté de tous les essayer mais mon plâtre me rappelle aussitôt la dure réalité : j'ai besoin d'aide pour m'habiller.

Ce matin, j'avais tellement de mal à demander parce que je me suis toujours débrouillé seul que j'ai simplement enfilé une veste sur mon haut de pyjama. À l'hôpital, Eymet m'a filé un coup de main – non sans que je rouspète bruyamment – et maintenant, je me retrouve comme un idiot à ne pas savoir quoi faire.

— Génial. Je vais me ridiculiser devant Eymet, murmuré-je pour moi-même. Après, il ne voudra plus revenir parce que ma famille est dingue et moi aussi.

Alors je commence à pleurer. Bêtement. Je ne sais même pas vraiment pourquoi, mais c'est la seule action que mon corps à décider de faire pour manifester son impuissance. J'essuie rapidement mes larmes et sursaute car on frappe à la porte. Et comme d'habitude, personne n'attend de savoir si je suis occupé pour rentrer, ce qui m'agace doublement.

— Eh oh ! Ça coûte rien de demander avant d'entrer.

— Je t'ai entendu pleurer. Qu'est-ce qui se passe ? demande mon frangin en restant sur le seuil, la main encore sur la poignée.

Je le repousse d'un bras pour refermer et souffler un coup.

— Punaise, Eskild ! J'essaye de faire la paix, au cas où ce serait pas clair.

— Il fallait y penser avant.

Des bruits de pas étouffés repartent dans le couloir et, en regardant ma pile de vêtements, je regrette immédiatement ces paroles. Il tombait bien mais c'était plus fort que moi de le recaler.

— Bjørn ! Reviens, dis-je finalement. S'il-te-plait...

Il s'arrête puis après une hésitation, ou un sourire de satisfaction, il décide de revenir. J'ouvre la porte et il entre avant de jeter un œil au bazar sur la moquette, les mains sur les hanches.

— T'arrives pas à choisir ?

— Non. Et impossible de m'habiller tout seul.

— Tu me demandes de l'aide ? fait-il, un sourire en coin.

— Apparemment, réponds-je en levant les yeux au ciel.

Bjørn se penche et commence à faire deux piles puis à assembler des hauts et des bas pour composer des tenues qui feraient l'affaire. Il met ensuite un T-shirt mauve ample avec un pantalon cargo blanc devant moi et le miroir.

— Simple mais efficace. Arrête de te prendre la tête. C'est qu'un mec.

Son dégoût quand il prononce ce mot se fait clairement ressentir mais je préfère passer au-dessus. Je n'ai toujours pas la force de me battre.

— C'est plus que ça...

— Si tu veux, rétorque-t-il d'un ton las. En tout cas, ne compte pas sur moi pour enfiler ton caleçon.

— C'était pas dans mes plans, rassure-toi.

Quelques minutes de galère plus tard, je suis enfin habillé.

— Je suppose que je dois te remercier, dis-je en ramassant les vêtements inutilisés.

Bjørn termine de ranger avec moi et c'est tellement étrange de le voir agir de la sorte que je croirai presque qu'il a été enlevé par des extraterrestres.

— C'est ce qu'on fait en temps normal, ouais. Je file dans ma chambre me préparer mentalement à te voir papillonner avec un gars.

Encore ce dégoût. Mais au moins, il ne m'a pas insulté. Du moins, pas encore. Je reste donc sur la défensive, au cas où il redeviendrait la brute que j'ai toujours connue.

Une fois seul, j'ai tout juste le temps de cacher mes vêtements sales sous le lit et de replacer mes cahiers de dessins traînants çà et là sur le bureau. La sonnette m'informe que l'invité de la soirée est là et mon cœur commence à battre la chamade.

Notre discussion de ce matin m'a travaillé toute la journée et j'ai vraiment envie de lui dire ce que je ressens. Mais une partie de moi a peur de ces sentiments, c'est un fait. Moi non plus, je n'ai jamais ressenti ça auparavant et ça m'angoisse plus qu'autre chose. Je veux dire, j'ai vraiment pris conscience que c'était plus que de l'amitié quand j'étais complètement surexcité dans les toilettes d'un restaurant.

En descendant les escaliers, je constate que ma mère est déjà en train de saluer Eymet, habillé d'une chemise noire légèrement ouverte sur le début de ses pectoraux. Ses différents bracelets aux poignets ajoutent une touche plus décontractée à sa tenue, tout comme son jean et ses sneakers. Ce mélange me fait presque rire, étant donné qu'il est plutôt du genre à porter des T-shirts de groupes de métal avec une veste en cuir, la chemise étant visiblement réservée au restaurant... Et aux dîners de famille.

Eymet passe une main dans ses cheveux bouclés tandis que nous nous postons l'un en face de l'autre.

— Merci d'être venu, dis-je avec un grand sourire.

Il me le retourne et nous partons nous asseoir autour de la grande table rectangulaire en bois. La table est déjà dressée et ma mère s'occupe d'aller chercher le plat. Eymet se propose aussitôt pour l'aider mais elle refuse. Bjørn arrive à son tour et nous commençons à manger tout en discutant de choses et d'autres.

— C'est très bon, Nathalia, lance mon ami la bouche pleine.

La concernée se met à rire et se resserre de l'eau. Mon frangin, lui, observe la scène avec mépris, comme je m'y attendais.

— Merci, Eymet. Ça fait longtemps que tu connais Eskild ?

— Quelques mois. On s'est croisés à une fête et on a vu qu'on écoutait la même musique alors ça a direct collé.

Mes lèvres se pincent aussitôt. Ma mère n'est absolument pas au courant de cette fameuse fête, et heureusement.

— Je vois. Ta famille a un restaurant indo-mexicain, de ce que me disait Eskild ? Tu travailles là-bas ?

— Ouais, la plupart du temps, réponds Eymet en prenant une fourchette de haricots verts.

— Il faudrait qu'on y aille, à l'occasion. Mais dis-moi, je me demandais l'âge que tu avais. Tu as l'air vieux comparé à Eskild, lance ma mère sans prendre de pincettes.

J'espère que personne ne voit mes yeux s'ouvrir en grand, mon assiette dans la bouche. L'âge est un des sujets que je voulais absolument éviter avec l'alcool et les drogues.

— Merci, madame Hagen, mais la barbe est trompeuse, dit Eymet en lâchant un petit rire. J'ai tout juste vingt ans.

— Eh bien, les jeunes d'aujourd'hui ne font déjà plus leur âge !

Ils rient entre eux et j'ai l'impression d'être dans une mauvaise comédie, complètement mal à l'aise devant leur mauvais jeu d'acteur exagéré. Heureusement pour moi, le repas passe rapidement et nous décidons de sauter le dessert pour monter dans la chambre pendant que ma mère et Bjørn lavent la vaisselle.

Une fois seuls avec nos sourires, je m'adosse au mur et Eymet se poste devant moi, son corps presque collé au mien. Il pose une main à côté de ma tête et m'embrasse langoureusement comme si la fameuse discussion n'était plus au programme. Ses doigts se glissent sous mon T-shirt et un frisson parcourt mon ventre.

— Je ne crois pas que ce soit une bonne idée avec ce plâtre nul, chuchoté-je.

— Je peux m'occuper de toi, enfin si tu en as envie. Ou tu préfères peut-être qu'on regarde un film ou autre chose ? murmure-t-il en caressant doucement ma joue, son nez contre le mien.

Mon corps me fait clairement comprendre l'option à choisir, mais moi, je me pose la question. J'ai attendu notre discussion toute la journée en me torturant l'esprit et je suis presque déçu qu'elle n'ait pas lieu.

— On devait parler, dis-je alors pour prendre les devants. J'ai vraiment envie de discuter de nous.

Eymet sourit de plus belle et passe ses doigts entre les miens.

— Je pensais que je t'avais fait peur, ce matin. Ça me rassure que tu me dises ça. Mais je dois te parler d'autre chose.

Nous nous allongeons sur le lit et commençons à fumer après avoir ouvert la fenêtre.

— On voit bien les étoiles, ce soir. C'est rare, remarqué-je en observant le ciel au-delà du lampadaire.

— Oui. C'est aussi beau que toi.

J'émet un petit rire, surpris par ce compliment, puis expire la fumée.

— C'est la première fois qu'on me compare à des étoiles. Et comme j'ai aucune disquette sous le coude, je vais simplement dire que tu es tout aussi beau.

Je l'embrasse puis pose ma tête sur son épaule.

— De quoi est-ce que tu devais me parler ?

— J'ai appris hier soir que... Ma grand-mère paternelle était morte, explique Eymet d'une voix basse, son sourire ayant soudain disparu.

Cette annonce me choc tellement que je me redresse brusquement.

— Oh. Tu tiens le coup ? Je sais combien vous étiez proches, dis-je sans vraiment savoir comment m'exprimer sur le sujet.

— Je ne sais pas trop, alors ce dîner m'a permis de me changer les idées. Merci, Eskild.

— Pas de problème. Qu'est-ce qui s'est passé ?

— Arrêt cardiaque donc elle n'a pas trop souffert apparemment. Ma famille part au Mexique demain pour participer aux funérailles et j'ai décidé de venir avec eux.

Nouvelle révélation qui me fait louper un battement.

— Je ne sais pas quand est-ce que je rentre. Apparemment, il y a plein d'affaires familiales à régler par rapport à mon père, donc je suppose que ça prendra le temps que ça prendra, ajoute-t-il en caressant ma main.

— Je comprends. Il va falloir que je me fasse à l'idée de ne plus te voir. Comment a réagi Aksel quand tu lui as annoncé ton congé ? demandé-je presque sur la défensive.

— Il est en voyage d'affaire alors c'est à Keith que j'en ai parlé et tu le connais, il est vraiment sympa. De toute façon, je suis en temps partiel, il n'y a pas trop de travail alors ça ne change pas grand-chose que je sois là ou non. Par contre, je ne suis pas sûr de pouvoir te contacter, le téléphone pour l'étranger coûte cher.

En guise de réponse, je hoche la tête plusieurs fois lentement. Je suis tellement détendu que mes paupières sont lourdes et j'ai une soudaine envie de dormir, même si ce n'est absolument pas le moment.

— Alors j'aimerai rester comme ça pour toujours...

Mes yeux se ferment et j'entends Eymet terminer sa cigarette puis prendre la mienne.

— Attends avant de dormir, je vais t'aider à te mettre en pyjama, dit-il d'une voix encore plus douce que d'habitude.

Je suis à moitié dans les vapes alors j'émet un mouvement de sourcils en guise d'approbation pour le laisser faire. Une fois muni de mon T-shirt pour la nuit et de mon caleçon, je rabats la couette sur moi et me recouche contre son épaule avant de plonger dans le début du sommeil.

— Je t'aime, Eskild. Dors bien.

Ces mots me parviennent mais je crois rêver, ne sachant pas vraiment où j'en suis dans ma tête. Tout ce que je sais, c'est que je m'endors le sourire aux lèvres et le cœur mou, emplit de douceur et d'espoir.

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