Chapitre 13 : Eskild
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— Tu vas bien ? T'as l'air d'avoir vu un fantôme, mon gars.
Keith semble perturbé par mon attitude. Il est vrai que je tente de faire bonne figure alors qu'un véritable chaos se passe dans ma tête. Alors, je n'imagine même pas l'expression de mon visage.
— Ouais, ça va. On peut commencer à parler de la course ?
Eymet, qui était déjà là quand je suis arrivé, me regarde avec suspicion. En fait, tout le monde me regarde de la sorte et c'est insupportable.
J'ai rien fait, bon sang ! Qu'est-ce qu'ils ont tous ?
— La course se passe sur la Belt Parkway, le départ est au cinéma Sheepshead Bay, explique Aksel en pointant du doigt des points sur la carte devant lui.
J'ai un mal fou à me concentrer et je pense que je vais oublier la moitié des informations, alors je me contente de hocher la tête machinalement en espérant arriver à suivre le trajet.
Après ces indications, nous allons manger dans un restaurant proche du garage et je me rends aux toilettes pendant le repas. Une fois dans une des cabines, je sors une flasque métallique de ma poche de veste et bois de grandes gorgées de vodka avant de m'avachir sur le siège.
Le plafond gris est sale et un des néons peine à éclairer le tout, rendant l'atmosphère presque angoissante. Mes pensées se calment légèrement alors je bois de nouveau jusqu'à vider la moitié. Je n'ai aucune envie de sortir de là et qu'on me pose des questions, mais il va bien falloir. Je me décide finalement, ingurgitant de l'eau pour atténuer un peu mon haleine. En inspectant le miroir, je plaque mes cheveux en arrière et laisse quelques mèches rebelles tomber devant mes yeux en souriant.
Difficile d'en vouloir à Jenny pour s'être jeter sur moi avec un physique pareil.
La porte s'ouvre et la silhouette d'Eymet s'engouffre dans la petite pièce en carrelage.
— Tout va bien ? demande-t-il en la refermant.
— Parfaitement bien. On y va ? dis-je en passant un bras autours de ses épaules.
Il le retire aussitôt et tique.
— Qu'est-ce que tu fais ? Tu veux que tout le monde se fasse des idées ?
— Des idées sur le fait que toi et moi on est plus que de simples collègues ? Il serait peut-être temps, en effet.
Eymet émet un petit rire et j'ai du mal à savoir ce qu'il cache. J'ai débité tout ça sans trop m'en rendre compte et je n'ai qu'une envie : lui dire à quel point je tiens à lui mais aussi le dire à ma famille. Leur dire à quel point je les aime.
— Tu me demandes d'être ton mec dans des toilettes ? Il y a plus glamour pour faire ça !
— Tout ce que je dis, c'est que tu es vraiment important pour moi. Je tiens à toi à un point que tu n'imagines même pas, avoué-je en le prenant dans mes bras.
— Oh ! Eh bien, moi aussi c'est ce que je pense, mais...
La porte s'ouvre à nouveau et un type en uniforme apparaît tout en nous regardant bizarrement, grommelant des propos clairement homophobes.
— Quoi ? Deux gars ne peuvent pas se faire un câlin, c'est ça ? lancé-je d'un ton provocateur.
L'homme lève les yeux au ciel tandis qu'il lave ses mains et Eymet agrippe aussitôt mes épaules, comme s'il savait ce qui allait se passer.
— Non, laisse tomber. Allons finir ce repas et gagner cette course, murmure-t-il à mon oreille.
Dans un élan d'euphorie, je l'embrasse à pleine bouche, savourant ses lèvres comme si c'était la première fois, avant de me détacher et de jeter un regard plein de mépris envers l'intru en costume.
— Bye, Monsieur l'aigri ! lancé-je d'un ton exagéré.
Eymet et moi sortons des toilettes sous des yeux lacérant et je ne peux pas m'empêcher de rire.
— T'es pas possible ! ricane mon ami discrètement. Dépêche-toi de boire de l'eau avant qu'Aksel remarque tu es pompette.
***
La course est sur le point de se lancer et Wilson, dans la voiture d'à côté, me regarde comme s'il avait vu un alien. Moi, je me contente de lui faire un doigt et augmente le son de ma musique en fermant la fenêtre. Les voitures se lancent à toute allure sur l'autoroute, faisant vrombir les moteurs et actionnant l'adrénaline contenue dans mes veines.
Je chante à tue-tête tout en dansant, tenant à moitié le volant, je me sens pousser des ailes et c'est tellement agréable que je me laisse emporter, levant mes mains dans les lignes droites et souriant de toutes mes dents. La victoire en tête, je me dépêche de passer les vitesses et je ralentis à peine dans les virages, me permettant même quelques gorgées supplémentaires de la flasque.
Wilson tente de me dépasser à plusieurs reprises pendant qu'Eymet se charge de couper la route à son collègue. Mon corps entier tremble de joie, rempli d'une énergie folle. La crise d'angoisse à la plage est loin derrière moi ; à présent, je suis inarrêtable.
Personne aura ma peau. Je suis libre et j'emmerde Jenny, Aksel... Tout le monde.
La dernière ligne droite est toute proche. J'accélère mais je ne prends tellement plus en compte les virages que les roues glissent et le poids de la voiture se déporte sur la droite. Je n'ai plus aucun contrôle sur mon véhicule, sur la situation et, de toute manière, tout se passe bien trop vite.
Je me sens soulever du siège pendant un court instant. Mon torse se cogner au volant. Mes bras se portant devant mon visage pour me protéger en un vieux réflexe de tous les coups reçus. Mon cœur, qui palpitait si fort jusqu'à présent, s'arrête. La ceinture me coupe la respiration et me retient. Le choc est brutal. L'odeur de l'essence. Les rebondissements contre le siège. Puis l'obscurité.
Et mon cerveau qui s'éteint.
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