Chapitre 1 - Eskild

[ Woman / Wolfmother ]

— Hé ! Revenez ici !

Mon épaule puis mon flanc heurtent avec violence le goudron et mon nez saigne abondamment. Je grimace de douleur mais je n'ai pas le temps de m'apitoyer sur mon sort qu'Eymet m'attrape sous l'aisselle pour me relever.

Nous courons comme des possédés dans la rue, nos rires retentissants contre les murs de briques. Les flics nous suivent alors nous n'avons pas le choix : il faut escalader les grilles, sauter sur des poubelles et espérer ne pas tomber.

Sur la route, les voitures s'arrêtent en klaxonnant pour ne pas nous écraser, ralentissant la progression des policiers à pied. Je saute par-dessus le capot d'une Ford et vacille mais Eymet me pousse pour continuer d'avancer.

Nous arrivons dans une ruelle en briques rouges et il me tire pour se cacher derrière une benne à ordures. Nous nous accroupissons et il plaque sa main sur ma bouche, m'intimant le silence malgré mon envie irrépressible de rire.

Les pas des policiers arrivent dans notre direction, alors je retiens mon souffle et écoute attentivement. Au bout d'un moment, l'un d'eux jure et ils partent. Eymet retire sa main et nous continuons de rire en sortant de notre cachette. Il me plaque contre le mur et m'embrasse à pleine bouche, une main empoignant ma joue, l'autre sur ma taille.

Nos langues se touchent et sa main descend pour toucher la bosse dans mon jean, me faisant lâcher un soupir.

— J'ai envie de te prendre, là maintenant, contre ce mur, murmure-t-il de sa voix profonde.

Son souffle contre ma bouche me réchauffe et je ne peux m'empêcher de sourire malicieusement.

— Si tu veux te faire arrêter pour détournement de mineurs, fais-toi plaisir, susurré-je à mon tour.

Il passe sa langue dans mon cou, sa main entourant ma nuque et son entrejambe contre la mienne.

— Même pas en rêve. Je leur dirai que tu m'as forcé.

Je lâche un petit rire et Eymet s'écarte pour souffler.

— Ben voyons, dis-je en souriant avant de l'embrasser. C'est bien toi qui m'as fait des avances le premier, non ?

— Tu veux dire quand tu m'as regardé comme ça ? J'étais obligé d'intervenir.

Il mime un regard sensuel, assoiffé puis j'entends des pas venir vers nous, l'adrénaline et l'excitation faisant battre mon cœur à cent à l'heure. Une femme fait claquer ses talons aiguilles à côté de nous, ses bras croisés contre sa poitrine recouvert d'un long manteau en feutre, ses longs cheveux blonds, lisses, volant autour d'elle.

Eymet la suit du regard et elle nous lance un air perplexe.

— Belle journée, hein ? lance-t-il en levant la main pour la saluer.

Elle sourit et continue sa route en nous ignorant puis nous rions de plus belle.

Eymet remet ses vêtements en place et attrape le sac avec les affaires volées qu'il a jeté par terre avant de m'emballer. Nous marchons et j'attrape la bouteille de vodka pour boire quelques gorgées, mais il me l'arrache aussitôt des mains.

— Wow, doucement cowboy, ricane-t-il. Il est onze heures du matin. Tu te murgeras ce soir.

— Après la course, tu veux dire ?

— Non, avant. Après, je compte m'occuper de ton petit cul.

Sa main se presse contre ma fesse, ce qui me fait sursauter. Je lui envoie un petit coup dans l'épaule et reprend la bouteille.

— Aksel nous a dégotté de superbes Porsche, à ce qu'il paraît, indique-t-il en allumant une cigarette. Wilson ne nous battra pas, cette fois-ci.

— J'y compte bien. Je ne laisserai pas ce connard homophobe gagner une deuxième fois, lâché-je avec une grimace.

Un silence s'installe et nous arrivons dans un carrefour occupé par les passants et les diverses boutiques.

— Comment va ton frère ? demande mon coéquipier en fumant.

Je descends légèrement mon caleçon et lui montre les ecchymoses les plus récentes. Il ouvre en grand ses yeux noisette et je remets aussitôt mon sweat à capuches par-dessus, honteux.

— Bordel, Eskild ! s'écrie Eymet en jetant son mégot par terre. Quand est-ce que tu vas réagir ? Je vais finir par croire que tu aimes te faire frapper. Si c'est le cas, je veux bien te mettre une ou deux fessées.

— Facile à dire, il mesure deux mètres de haut et c'est un colosse, murmuré-je en ignorant sa tentative de blague, les mains dans les poches.

— Tu fais juste dix centimètres de moins que lui, rétorque Eymet en recoiffant ses cheveux bruns qui tombent sur les deux côtés de son visage. Tu attends qu'il te tue, pour faire quelque chose ?

Je déglutis et ma salive me brûle la gorge à cause de la vodka.

— Bien sûr que non, je ne veux pas mourir. Mais ce type me fout les jetons parce qu'on est de la même famille.

— Il y a plus timbré que lui.

— Exact, il y a ma mère, soupiré-je en prenant une autre gorgée.

Au croisement, le brun prend à gauche et je m'arrête.

— On se voit ce soir ? lance-t-il par-dessus son épaule avec un sourire. Et ne soit pas en retard, je n'ai pas envie de croiser ta cinglée de mère en venant te chercher par la peau des fesses.

Je souris d'amusement et prend le chemin de la maison en regardant la bouteille, puis hausse les épaules avant de boire la moitié.

Nous sommes quasiment voisins, alors j'arrive rapidement chez moi et en montant les escaliers vers la chambre, je descends immédiatement, le cœur battant à tout rompre. Je me planque dans la buanderie, à côté de la machine à laver, accroupie pour que l'on ne puisse pas me voir.

Les pas se rapprochent de la porte et s'arrêtent, hésitants.

— Je t'ai entendu rentrer, enfoiré.

Mon frère Bjørn. Je laisse tomber ma tête en arrière pour reprendre ma respiration que j'ai automatiquement coupée pendant quelques secondes.

La machine tourne et je remarque que sur le dessus, c'est toujours autant le bazar. Je pose la vodka à côté de moi, sentant que la bouteille de lessive est sur le point de tomber, mais en levant le bras pour la prendre, la boisson alcoolisée se casse la figure, produisant un bruit pile quand la machine s'arrête.

La porte s'ouvre en trombe et Bjørn presse le pas vers moi ; je parais minuscule à côté de lui, assis dans ce coin. Ses énormes mains attrapent le col de mon sweat et me soulèvent pour me plaquer contre la machine. Ses yeux noirs me sondent l'âme et je tente de ne pas montrer la peur que je ressens, serrant les dents et mes doigts contre ses phalanges.

— T'étais encore avec Arabica, je me trompe ? Non seulement, t'es gay, mais en plus, tu te tapes un putain d'arabe. Qu'est-ce qui cloche, chez toi ? crache-t-il à quelques centimètres de mon visage.

Son haleine empeste le tabac froid et l'herbe, ce qui est fort désagréable.

— Lâche-moi, espèce de taré ! grogné-je en tournant la tête.

— Au moins, je me prends pas des...

J'ignore complètement ce qu'il raconte, habitué à ses discours répétitifs et cherche quelque chose qui pourrait me servir à me défendre. Je tombe alors de nouveau sur la bouteille de lessive dans mon dos. Je le fixe droit dans les yeux et empoigne l'objet.

— Et moi, je ne suis pas un putain de camé ! hurlé-je en le frappant.

Il pousse un cri de douleur et me lâche pour se tenir la joue tandis que je lâche la bouteille pour détaler dans ma chambre à une vitesse folle. Bjørn pousse diverses injures en norvégien et ses pas lourds résonnent contre la moquette de l'escalier. Je mets la chaise de bureau sous la poignée de la porte et attrape la batte que je garde sous mon lit pour me placer de façon à le surprendre.

Il tambourine contre la porte plusieurs fois, puis les coups cessent et je constate que ma nuque est trempée de sueur, tout comme mes mains moites. Je souffle un coup et me laisse tomber par terre en regrettant la bouteille de vodka, laissée dans la buanderie.

Je me lève, retire mes baskets puis ouvre légèrement la porte pour voir si la salle de bain est occupée avant de m'y engouffrer à pas de loup. Je prends soin de verrouiller derrière moi et en allumant la lumière, je constate les dégâts sur mon visage.

Mon nez est recouvert de sang qui a déjà séché avec le froid et ma lèvre est abîmée. Avec l'adrénaline, je ne sentais rien mais maintenant que je suis dans mon état normal, la douleur me revient en pleine face. J'enlève mon T-shirt et repense aux paroles d'Eymet. Je suis une brindille, maigre comme un clou. Qu'est-ce que je peux bien faire contre Bjørn ? Il ne broncherait même pas avec un coup de batte, je parie.

J'attrape une serviette que j'humidifie grâce à un mince filet d'eau et éponge mon visage en reniflant.J'examine ensuite les diverses ecchymoses sur mon torse mais mes yeux fixent rapidement mes côtes apparentes. Je déteste mon corps, comment Eymet fait-il pour l'aimer ? Comment fait-il pour coucher avec moi ? On dirait un squelette ambulant.

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