1. Stratégie de guerre

La première chose à faire en terrain inconnu, c'était d'étudier l'ennemi. Et en l'occurrence, l'ennemie de Brunehilde se trouvait être une blonde d'un mètre soixante-dix aux courbes sculptées. Elle faisait régulièrement les pages de la presse people adolescente grâce à un sens du style inné. C'était la petite-amie de l'héritier. Et le pire, c'est qu'elle était d'une gentillesse et d'une générosité rares, rendant sa popularité tout à fait légitime. Autant de qualités dans une seule personne, cela ne pouvait que cacher quelque chose de louche.

Cependant, ce n'était pas ça qui faisait de Jessica de Jolibois une cible à abattre. Non, c'était plutôt ses résultats scolaires.

Si Brunehilde avait réussi à obtenir une place dans ce lycée après deux ans de tentatives infructueuses, c'était bien grâce à ses notes exceptionnelles. Elle pulvérisait ses camarades avec une facilité déconcertante. Néanmoins, là, elle sentait que ce serait différent. Après une rapide recherche et une interrogation en règle, elle avait appris que Jessica était la meilleure de la promotion, toutes classes confondues. Et ça, ce n'était pas tolérable.

C'était pour ces raisons que Brunehilde poignardait en rythme, avec son couteau, la pomme qu'elle avait prise comme dessert à la cantine, imaginant sans doute à la place du fruit le visage parfait de Jessica.

« Qu'est-ce qu'elle t'a fait, cette pauvre pomme ? »

Son bras suspendu dans l'action, prêt à continuer son méfait, Brunehilde bougea simplement les yeux et tomba sur le visage circonspect de Sixtine, toujours accompagné de ses boucles blondes et de son regard chocolat. Elle était mignonne, mais pas à se rouler par terre. Pas une rivale potentielle, donc... à l'inverse de Jessica.

Sixtine était la fille d'un des plus grands fabricants de nourriture pour animaux du pays. Elle était riche, mais elle était une nouvelle riche et ça, cela semblait être préjudiciable si l'on voulait rentrer dans certains cercles très select. Par chance, Sixtine n'en avait pas envie : elle était très bien dans son coin, à papillonner amicalement (et surtout pour les potins) de groupe en groupe, sans avoir à s'attacher.

Toujours de mauvaise humeur (ce qui ne changeait pas de son habitude), la jeune fille ne répondit pas. Pour le moment, elle n'avait pas comme ambition de s'occuper du côté social. Cela viendrait, néanmoins, son plan n'était pas encore assez finalisé.

Cependant, cela n'empêcha pas du tout Sixtine de venir s'asseoir face à elle, avec son plateau alors vide. Il y avait certaines personnes qui ne savaient pas quand l'affaire était perdue d'avance.

« Je peux m'asseoir là ?

- Pourquoi tu me poses la question alors que tu l'as déjà fait ? grogna Brunehilde.

- Par politesse, j'imagine... Enfin... Est-ce que c'est vrai ? »

L'avantage qu'avait Sixtine lorsqu'il s'agissait d'approcher notre amie aux cheveux criards, c'était qu'elle n'en avait strictement rien à faire de se faire envoyer promener. Et puis pour être honnête, elle avait un intérêt certain dans cette affaire : elle aimait les ragots et la nouvelle avait l'air d'en être une source particulièrement abondante. Surtout vu l'événement qui s'était passé quelques jours plus tôt.

« Qu'est-ce qui est vrai ? demanda la cible en découpant avec méthode le reste de sa pomme. »

Brunehilde avait une petite idée de ce dont elle parlait. Toutefois, il ne fallait pas attendre d'elle qu'elle avoue. Elle s'était rendu compte après coup qu'agresser l'héritier du trône, fût-il maladroit et inutile, n'était pas la meilleure des méthodes pour arriver à ses fins. À savoir, conquérir le lycée. Pour le monde, elle verrait plus tard.

« Que tu as envoyé de toutes tes forces une balle sur Jolan. Et que tu lui as fait un doigt d'honneur.

- Tu ne devrais pas écouter ce que dit n'importe qui. La plupart du temps, ce n'est qu'un ramassis de mensonges.

- ça vient directement du prince et de ses amis. Ils en parlaient dans le couloir. Pourquoi est-ce qu'ils inventeraient quelque chose d'aussi saugrenu ?

- Parce que ce sont de piètres joueurs de croquet et qu'il leur fallait une affaire sensationnelle pour masquer leur incompétence ? »

Sixtine n'avait pas l'air convaincue par sa supposition. C'était bien dommage parce que c'était tout à fait probable : cette bande de sportifs du dimanche était vraiment mauvaise pour arriver à envoyer leur boule sur sa tête. Le principe du croquet, ce n'était pas que cela restait tout le temps au sol ? Brunehilde n'osait imaginer ce que cela aurait donné s'ils avaient fait du rugby : elle aurait sans doute eu le droit à un plaquage en règle. Très peu pour elle.

« Tu peux me le dire, tu sais, je ne vais pas te juger. »

La juger, certainement pas, mais lui tailler une nouvelle réputation, bien sûr que oui. Enfin, une encore plus mauvaise que celle qu'elle s'était créée avec l'affaire du prince. Mais ce n'était tout de même pas de sa faute si cette blondasse lui avait tapé sur les nerfs, en plus du crâne. La seule qualité qu'elle lui voyait, c'était qu'il était riche. Sinon, il était juste gentil. Et être gentil, ce n'était pas non plus un fait digne d'être chanté.

« Je réitère ce que je t'ai déjà dit : je n'ai rien fait. Maintenant, si tu veux bien m'excuser, je dois aller en cours de physique-chimie.

- ça sonne dans trente minutes. »

La jeune fille aux cheveux roses l'ignora totalement et, après avoir laissé son plateau à l'endroit indiqué (et tenter de jeter mentalement une malédiction à Jessica), quitta la salle d'un bon pas. Sixtine se contenta de souffler face à ce comportement. Toutefois, une nouvelle résolution se forma en elle : la nouvelle était définitivement source de potentiel et elle n'allait pas l'abandonner. Après tout, elle avait toujours rêvé d'être l'acolyte d'une super-héroïne. Bon, dans ce cas-ci, Brunehilde avait plutôt l'air d'être une super-vilaine, mais il ne fallait pas chipoter.

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Lorsque Brunehilde arriva devant la classe une petite dizaine de minutes plus tard, elle n'était pas seule. En effet, un jeune homme attendait lui aussi. Elle n'eut aucune difficulté à reconnaître ces boucles blondes et ces yeux bleus, dignes du plus mauvais prince Disney. Jolan de Barbon, dans toute sa splendeur.

L'unique chose qu'il avait pour lui, selon Brunehilde, c'était son pantalon qui ne rendait pas si mal au niveau de son derrière. Mais ça, c'était une autre histoire qui n'avait que peu d'intérêt au final.

Lorsqu'il la vit, ses yeux se plissèrent. Elle l'ignora. Pour autant, elle ne pouvait s'empêcher de se demander pour quelle raison il n'était pas entouré de sa petite clique habituelle : c'était le prince hériter tout de même, pas le premier péquin du coin. Néanmoins, ça, Brunehilde évitait de trop y penser. Notamment parce qu'agresser le futur souverain, ce n'était pas le meilleur des mouvements quand on était aussi ambitieuse qu'elle. Maudit était son caractère.

Il y eut un moment de silence durant lequel la jeune fille regarda avec beaucoup d'intérêt les murs en pierres de taille. C'était un magnifique bâtiment, elle devait bien l'avouer. Faire un projet de fin d'année sur l'architecture du lieu devait être devenu un sujet bateau.

Mais, son étude fut interrompue par Jolan qui avait l'air de bouillir depuis quelques secondes, telle une cocotte-minute royale.

« Tu pourrais t'excuser, quand même ! lança-t-il d'une voix indignée.

- Et pourquoi ferais-je ça, au juste ? rétorqua Brunehilde qui semblait décidée à s'enfoncer dans sa bêtise.

- Tu m'as fait un doigt d'honneur !

- Tu m'as provoqué un traumatisme crânien.

- Pour quelqu'un avec un traumatisme crânien, tu m'as l'air en plutôt bonne forme ! »

À ce moment, Brunehilde porta une main à sa tête de manière dramatique, le visage figé dans une moue pathétique de douleur. Elle s'affaissa un peu contre le mur pour rajouter de la crédibilité.

« Oh ! Que je souffre le martyre. »

Son jeu d'actrice était pitoyable. Jolan la fusilla du regard : qu'est-ce que c'était que cette fille ?


Publié le 30/10/18.

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