Chapitre 25
Je n'aurai pas cru cela possible au regard de la méfiance généralisée qui pesait sur chacun d'entre nous, et ce sans même compter les rancœurs personnelles qui persistaient, mais la proposition du mage le plus conciliant porta finalement ses fruits. À croire que tous autant que nous étions, nous étions avides de réponses et lassés d'avancer à moitié dans le noir. Je voulais découvrir où étaient les feys et les enfants, et s'il me restait la moindre chance de leur venir en aide. La meute souhaitait comprendre le rôle des mages dans l'affaire et dénouer le sac de nœuds qu'ils avaient créé et quant à Saturnin, lui voulait tout savoir. Concernant Zachary, je ne me faisais pas d'illusions. Le marchant n'avait pas abandonné ses espoirs de fortune et sa motivation restait essentiellement pécuniaire, maintenant que la menace sur lui et sa famille paraissait levée, du moins en partie.
A contrecœur, Lucius et Saturnin acceptèrent donc de s'assoir avec les mages en compagnie du négociant, une moue furieuse toujours collée sur ses lèvres dodues, ainsi que Kelliran, pâle et muet. Mes deux alliés paraissaient terriblement déplacés dans l'espace confortable et luxueux, meubles délicats finement ouvragés, tapis précieux et murs couverts de tentures tissées main. L'alpha semblait trop costaud pour le décor fragile et à sa façon de gigoter sur son fauteuil aux pieds fins et sculptés, il en était tout à fait conscient. Quand à Saturnin, son odeur nauséabonde avait fini par le rattraper et commençait à envahir la pièce fermée, et ses dreadlocks laissaient sans doute des traces de crasse sur les dossiers de la petite chauffeuse où il s'était vautré.
Appelé par ses mentors, et après avoir reçu une soufflante franchement injuste pour nous avoir laissé rentrer, le bébé mage de la porte vint, en tremblant, leur apporter à tous une tasse de thé. La mage aux boucles brunes avait disparu et je croisai les doigts pour qu'elle ne soit pas en train de nous préparer un coup fourré. Je m'étais rangé contre le mur, à côté d'Isabeau, Jonas, Alex et Léo, bien content de ne pas trop me faire remarquer. Antonius me considérait comme quantité négligeable, au même titre que les métas qui m'encadraient, mais Varenne avait plissé le front en m'apercevant et il continuait de me jeter ça et là des regards curieux qui me mettaient très mal à l'aise et me donnaient envie de me tortiller. Je n'étais jamais apparu dans le radar des mages locaux, ce qui était parfait, et je ne voulais surtout pas attirer l'attention des dirigeants de New Francisco sur ma petite personne aux lourds secrets.
Le mage Varenne but une gorgée en papillonnant de ses longs cils clairs et s'éclaircit la voix avant de lancer la discussion d'un ton posé.
- Je me doute que cela doit être difficile à croire, Lucius, mais nous ne sommes pas vos ennemis.
Le Loup se renversa sur son fauteuil, un rictus sardonique sur les lèvres.
- Effectivement ce n'est pas évident vu de ma lorgnette, après que vous ayez menacé mon négociant en métaux et tenté de faire capoter notre marché.
- Je suis désolé, à nouveau. Nos méthodes n'étaient pas les plus appropriées, je vous le concède, mais nous nous sommes affolés. Nous cherchions à gagner du temps.
- Comment avez-vous appris que nous étions en train de négocier avec Zachary? Est-ce que vous nous espionnez depuis longtemps?
Varenne fit la moue et évita son regard.
- Nous préférons penser que nous gardons juste un œil sur nos alliés. Vos projets d'exploitation de la mine d'argent et de plomb ont fait du remous dans les territoires magiques. Lorsque les feys ont commencé à s'agiter, le Concile a décidé qu'il était de notre responsabilité d'intervenir.
Je me penchai vers Alex et lui chuchotai :
- Le Concile?
- L'organe dirigeant des territoires gérés par les mages, me répondit-il sur le même ton. La plupart des membres sont des anciens généraux de la Guerre. Je pense que les deux-là en font probablement parti.
Je hochai la tête. Je ne savais pas grand chose de la vie dans les Territoire magiques et encore moins ceux sous tutelle des mages et j'avoue ne jamais m'y être intéressé, au delà d'un post-it mental me rappelant de ne surtout jamais y foutre les pieds.
- Et je peux savoir au nom de quoi? gronda Lucius en croisant les bras. Il s'agit de NOTRE mine, sur NOS terres. Dois-je vous rappeler les traités de répartition que nous avons tous signés? Les garanties de souveraineté et de non ingérence que nous avons pris? Souhaitez-vous réellement raviver les conflits immémoriaux qui ont opposés nos peuples depuis des millénaires?
Le visage d'Antonius se déforma de rage. Le vieux mage était bien plus en rage que son compagnon et il pointa Lucius de son doigt noueux et accusateur :
- C'est vous qui ravivez les conflits, comme tu dis, Loup. Nous refusons de vous laisser déclarer la guerre aux feys à travers ce projet insensé et cette remise ne cause de tout ce pour quoi nous nous sommes battus.
- Les feys sont notre problème, pas le votre. Ils ne se sont jamais satisfaits des terres obtenues à la fin de la guerre et cette histoire de mine n'est qu'un putain de prétexte. S'ils ont besoin d'une guerre pour se rappeler que nous ne nous couchons devant personne, qu'il en soit ainsi!
- L'utilisation de la tech en terres magiques nous inquiète tous, nuança Varenne d'un ton apaisant. Je ne nie pas que nos alliés feys peuvent se montrer revendicatifs mais nous sommes également très inquiets de revoir l'affaiblissement magique reprendre, comme nous l'avons enduré durant des centaines d'années.
- Ce n'est pas notre problème, répliqua Lucius, coupant. Nous sommes différents, nos corps sont différents, nos modes de vie sont différents. Notre magie est moins sensible que la vôtre à la pollution tech et si le développement d'une zone mixte, sous contrôle et sans excès humains, nous permet de répondre à nos propres défis démographiques et de nous développer sur nos propres terres, vous n'avez pas à vous en mêler. Sinon, il s'agit également d'une déclaration de guerre, ni plus ni moins, et je vous garantie que Carlos ne la laissera pas passer!
Varenne hocha sobrement la tête et Antonius serra les dents mais ils prirent note de cette déclaration sans ambiguïté. Ils échangèrent un regard entendu et Varenne se pencha vers Lucius, la voix vibrante de convictions.
- Nous devons nous entretenir avec Carlos. Le Concile nous a donné tout pouvoir pour régler cette situation et nous avons besoin de rassembler le plus d'informations possibles. Pourrions-nous convenir d'un ajournement de vos projets, en attendant qu'une position commune ait-été adoptée?
- Vous pouvez demander audience à Carlos, concéda le méta, mais je ne stopperais pas ma mission pour autant. J'ai prévu de ramener Zachary dans les Terres-Blanches avec moi afin qu'il puisse évaluer lui-même les contraintes techniques liées à l'exploitation et analyser le métal extrait pour nous éclairer sur la rentabilité que nous pouvons espérer. Tous les deux, vous pouvez nous accompagner si vous le souhaitez et quémander une audience à Carlos. Vous pourrez toujours tenter de le convaincre de tout arrêter mais à votre place, je n'y compterai pas trop.
Pardon?! La nouvelle me frappa comme un tacle au niveau de la poitrine et j'aspirai vivement sous le choc, attirant l'attention sur moi d'Alex et Jonas. Le premier avait l'air inquiet et le second furieux et je fis un effort délibéré pour redonner à mes traits une apparence d'impassibilité, même si un nouveau vide s'était ajouté à celui que je portais depuis la disparition des enfants. Je n'étais pas idiot. J'avais bien conscience que la présence à Portal de Lucius et de sa meute était transitoire et qu'il n'allait pas tarder à repartir sur les Terres-Blanches. Mais apprendre que ce départ était bien plus proche que je ne l'avais songé me porta un vilain coup et me fit chanceler. Je n'avais rien entendu de cette histoire d'emmener Zachary dans les Territoires magiques et la surprise était totale. Je me demandai quand est-ce qu'ils avaient convenu d'une chose pareille et pourquoi je n'en avais pas été informé. Je veux dire, Lucius avait eu quelques occasions pour ça, ne serait-ce que la veille. Pourquoi ne l'avait-il pas fait? A moins qu'il ait jugé que cette information allait perturber son dessein de me convaincre que je comptais un peu pour lui, histoire de pouvoir me sauter.
Mais quel connard, une fois de plus!
Je pris quelques instants pour me reprendre et finis par desserrer les poings, des demies lunes blanches creusées dans les paumes de mes mains. Je ne devais pas me laisser atteindre. Après tout, la réalité était que Lucius et moi n'étions rien l'un pour l'autre, sinon des alliés de circonstances. Et quand à nos relations interpersonnelles, dieu merci, elles n'étaient pas allé plus loin qu'un baiser. Torride et extraordinaire, peut-être, mais seulement un baiser.
Au prix d'un effort dantesque, je parvins à calmer la brulure aigre qui avait envahi mon estomac et je revins à la discussion en cours, dont j'avais complètement décroché. Le buste penché en avant, Varenne tentait de convaincre Lucius de quitter Portal au plus vite pendant qu'Antonius, les bras croisés et droit comme un i sur son siège, envoyait des regards enflammés a son frère, affalé sur les coussins et un sourire narquois étalé sur ses lèvres fines. Cette vision ne fit rien pour m'apaiser et j'étais sur le point d'exploser de cette perte de temps, métal en fusion sur la colère et la frustration qui montaient en moi, lorsque Lucius finit par lever la main vers le mage en grognant sèchement, ce qui le fit enfin taire.
- Nous partirons lorsque je l'aurais décidé. Vous n'êtes pas maître de mon agenda, mages, et j'ai des choses à régler avant de quitter la Frontière.
Il glissa un regard vers moi et je grinçai des dents en songeant que je faisais partie des choses à régler. Mais sa phrases suivantes me surprit, dans le bon sens, et m'apaisa très légèrement.
- Nous sommes à la recherche de deux enfants que les feys ont enlevé. Il est hors de question pour nous de quitter Portal avant de les avoir retrouvé.
Varenne ouvrit la bouche et se renfonça dans son siège en plissant le front.
- Qui sont ces enfants? Et en quoi cela concerne-t-il la meute?
Lucius m'interrogea en silence pour vérifier si j'étais d'accord pour révéler quelques éléments concernant mon rôle dans ce bordel, et je lui accordai la permission d'un geste du menton hautain. Non, je n'étais pas du tout à l'aise à l'idée que New Francisco découvre mon existence mais si les mages avaient la moindre chance de nous être utile, encore fallait-il leur donner quelques informations. Et malgré mon énervement légitime contre les cachotteries de l'Alpha et ses petits projets furtifs de voyage, j'avais suffisamment confiance en Lucius pour savoir qu'il ne leur révèlerait que le strict minimum à mon sujet. Il pouvait se conduire comme un crétin menteur et manipulateur, je venais d'en avoir la confirmation, mais il ne me trahirait pas. Cette réalisation que ouais, je lui accordais ce crédit là, m'enragea un peu plus et attisa la confusion qui régnait en moi mais je chassai ces idées inopportunes pour le moment. Ce n'était ni le temps ni le lieu de me prendre le chou au sujet d'un Alpha et de ses putains de messages contradictoires.
Lucius parvint effectivement à résumer la situation en m'impliquant au strict minimum, me présentant comme un voleur local entraîné malgré lui dans la rivalité entre les Loups et le Sidhe. Il passa très vite sur nos deux confrontations avec le fey meurtrier, tut notre virée des jours derniers ainsi que mes problèmes avec Caius et globalement, mit surtout en exergue mon désir de me dépêtrer de cette sinistre affaire ainsi que notre serment inviolable qui l'engageait à m'aider à retrouver les enfants. Au fur et à mesure qu'il avançait dans son récit, Antonius se crispait de plus en plus, sans chercher à atténuer le mépris qu'il ressentait pour ma branche d'activité. Son visage austère se creusait de dégoût à chaque minute qu'il me dévisageait et il finit par cracher à son frère.
- Alors c'est le genre de gens que tu fréquentes, Saturnin? Décidément, tu es tombé bien bas.
Mon ami rigola et se racla la gorge avant de cracher délibérément sur le sol, tirant un cri de dégoût de Varenne et un son offusqué de son grand frère.
- Et bien, contrairement à ce que vous autres de New-Francisco aimez penser, je ne partais pas de bien haut non plus. Mieux vaut encore un honnête voleur qu'un salopard de manipulateur convaincu d'œuvrer pour le bien, alors qu'il ne sert que ses propres intérêts.
Antonius répliqua avec fiel à la provocation et le ton monta à nouveau entre les deux mages, si différents mais aussi semblables, et à la même langue acerbe. J'avoue que même si ce n'était pas le moment, la part la plus mauvaise et curieuse de moi aurait apprécié de les voir s'affronter sur le terrain magique. Leurs auras déchaînées étaient si fortes et si vives dans la colère que j'en restais subjugué. J'étais certain que nous aurions assisté à un duel d'anthologie. La teinte bleu roi qui les auréolait, une des plus soutenues que j'ai jamais eu l'occasion d'observer, était exceptionnelle et je m'interrogeai une seconde si c'était en raison de leur lien de sang ou d'un entrainement commun. Varenne, par exemple, me paraissait tout aussi puissant mais sa couleur outre-mer me révélait une magie plus fine, plus proche de la nature et de celle des chamans que celle, brute et destinée au combat, des frères ennemis. Car Antonius avait beau les dissimuler sous ses langues manches grises, les couleurs chatoyantes que j'avais aperçu sur ses avant-bras me révélaient que lui aussi avait été formé comme un mage combattant, tout comme son cadet.
Lucius commençait à s'agacer sur son siège - je pouvais le distinguer à ses iris qui virait lentement de couleur et sa mâchoire qui jouait sous la pression des crocs - et je m'attendais à ce qu'il se mette à gueuler, ou les bouffer. Mais il n'eut pas besoin de sortir les dents puisque c'est le moins âgé des deux mages qui coupa une nouvelle diatribe de son collègue. Il ne m'avait pas lâché de son regard plein d'acuité et les mots qui sortirent de sa bouche rendirent mes mains moites et affolèrent mon pouls.
- Ce jeune homme n'est pas seulement un voleur. Il a une aura de mage, je le vois bien.
Il fronça les sourcils.
- Une aura étrange, d'ailleurs. Je n'ai pas souvenir d'en avoir jamais rencontré une semblable.
Je sentis un frisson glacé me courir l'échine et remonter jusqu'à ma nuque, couvrant ma peau de sueur froide au passage. Varenne était un clairvoyant, tout comme moi, et cette compréhension amollit mes genoux. Je n'avais croisé que deux clairvoyants auparavant. Même si je n'avais que six ans à l'époque, je gardais un souvenir vif du tout premier. On oublie rarement ceux responsables de votre malheur et même si, quinze ans plus tard, j'étais capable de faire la part des choses et de comprendre que son destin avait sans doute été encore pire que le mien, la mémoire de son visage couvert de cicatrices, de ses traits creusés, de ses yeux mornes et de ses mains enchaînées continuait de hanter mes pires cauchemar. La seconde avait été une jeune mage de passage à Portal, croisée dans la boutique d'Asos. Son aura ne luisait que faiblement, révélatrice de capacités modérées, et effectivement elle n'avait pas paru lire grand chose en moi. Je n'avais pas tenté le diable, bien sûr, et m'étais rapidement éclipsé mais cette brève rencontre m'avait un peu rassuré. A tort, clairement, à en croire les yeux luisants de curiosité qui tentaient de me lire jusqu'aux tréfonds de mon âme.
Je sentis Jonas et Alex se tendre à mes côtés. Les sens aiguisés des métas leur permettaient de déceler mon malaise, à travers ma respiration précipitée, mon cœur emballé ou l'odeur acide de peur que je devais dégager et ils semblaient prêts à intervenir. Lucius se retourna vers moi, les yeux plissés, évaluateurs, mais c'est de Saturnin que vint finalement mon salut.
Il éclata d'une rire rauque et déplacé dans le salon cosy où nous étions installés.
- Vous avez démasqué mon ami. Haiko est un bon clairvoyant, comme toi Varenne, et c'est ce qui fait de lui un excellent voleur.
Varenne fronça les sourcils tout en continuant son examen de ma petite personne.
- Mais ces volutes gris...
- Tu vois en direct les effets de la pollution tech chez les habitants de Portal, espèce d'imbécile, le coupa mon ami. Mais ce n'est pas vraiment le moment de nous faire une étude comparative sur les auras des habitants de la Frontière. On a franchement autre chose à foutre, vous ne croyez pas?
Lucius abonda dans son sens, la mine exaspérée.
- Saturnin a raison, nous perdons notre temps. Savez-vous où se trouve le Sidhe et les autres feys?
- Non. Nous avons perdu sa trace il y a quelques jours et pour être honnête, nous ne l'avons pas fait chercher.
- Vous étiez trop occupés à me pourrir la vie, marmonna l'Alpha.
- Nous cherchions un autre angle d'approche, admit Varenne. Mais nous l'avons désormais trouvé. Nous repartirons avec vous dans les terres-Blanche et demanderons une audience à Carlos.
- Si ça peut vous faire plaisir...
Lucius se leva de l'assise trop petite avec une grâce que ne laissait pas soupçonner la force brute qu'il était capable de déployer en d'autres circonstances.
- Mais je ne partirai pas avant d'avoir retrouvé les gamins enlevés. Alors si vous voulez une chance de vous rattraper et d'entrer dans mes bonnes grâces, et dans celles de Carlos, vous savez ce qu'il vous reste à faire.
- Nous allons chercher le Sidhe, accorda Antonius de mauvaise grâce, sans cesser de fusiller des yeux un Saturnin amusé. Mais vous devez vous engager à ne pas le tuer, il fait partie de nos alliés.
Lucius retroussa ses lèvres et laissa échapper un rire dangereux.
- Je ne m'engage à rien du tout. Il a envahi ma demeure, tenté de m'assassiner, enlevé des innocents et essayé de réduire mon partenaire humain en bouillie. Lorsque je mettrais mes mains dessus, nous nous combattrons à mort et vous n'avez rien dans votre main pour m'en empêcher.
Il releva le menton avec morgue.
- Vous avez toutefois raison sur une chose, et une seule. La guerre couve, mages, et un jour ou l'autre elle va finir par éclater. Prenez bien garde à ne pas choisir le mauvais côté.
Sur le chemin du retour, je traînais des pieds. J'étais fatigué, encore mal remis de ma débauche d'énergie de la veille, ou l'avant-veille, je perdais le compte, et nous n'avions pas avancé d'un poil, une fois de plus. Même si je m'en défendais, l'information que la meute préparait son départ me minait et je refusais de me demander pourquoi cette idée me donnait envie de pleurer. Alex dut percevoir mon abattement car il ralentit le pas et adopta son rythme au mien. Devant nous, Lucius et Saturnin marchaient en marmonnant leurs projets, suivis d'Isabeau et Léo, mais Jonas qui était resté à mes côtés lui décerna un rictus torve lorsqu'il prit la parole à voix basse.
- Il n'a pas eu le temps de t'en parler.
- Je ne vois pas de quoi tu parles...
Le grand méta à la peau sombre souffla doucement et reprit.
- Nous avons pris cette décision hier soir, pendant que nous patrouillions avec Lucius. Même si nous retrouvions rapidement les échantillons volés par ces connards de feys, Zachary nous a expliqué qu'il aurait besoin de se faire une idée de la situation, en vrai. Il peut amener avec lui un ingénieur spécialisé en extraction ce qui nous permettra de nous projeter de manière certaine.
Ha ok. Bien. Bien noté. Donc, en gros, entre le moment où il avait enfoncé sa langue dans ma bouche et celui où il se l'était joué peluche géante dans mon lit, Lucius avait pris la décision de se barrer. Je ne savais pas trop ce que cela disait de mes capacités de séduction et de mes techniques de baiser mais la vexation s'ajouta à la contrariété en un cocktail toxique qui se mit à bouillir dans mon estomac.
- Bon débarras, grinça Jonas.
Alex l'ignora et se concentra sur moi, ses yeux noirs fouillant mon visage faussement impassible. Le béta était celui des Loups avec lequel j'avais le moins échangé depuis notre rencontre, si on pouvait qualifier les noms d'oiseaux qu'Isabeau et moi aimions nous lancer d'échanges. Il avait un caractère centré et calme, tempérait les excès de rage de son Alpha et veillait à la sécurité des troupes, comme son rôle l'exigeait. Un parangon de stabilité et de tempérance qui, à cet instant, semblait légèrement inquiet.
- Il allait t'en parler. Il n'a juste pas eu le temps.
- Je m'en fous, de toute façon.
Ouais bon, je n'étais pas très subtil et au milieu de métas capables de sentir les mensonges, cette petite entorse à la vérité ne passa pas inaperçue. Jonas ricana et Alex soupira à nouveau.
- Je comprends ce que Lucius voit en toi. Tu es au moins aussi borné que lui.
- Lucius n'a rien à faire avec Haiko, intervint Jonas à point nommé pour me permettre de bouder en paix. Plus vite il se cassera et nous foutra la paix, mieux cela vaudra pour tout le monde.
- Tu sais que ce n'est pas aussi simple, rétorqua Alex à mon ami.
- Ça pourrait l'être. Haiko n'est pas un méta, de toute façon, et encore moins un Loup. Il n'est pas concerné par vos conneries de couple alpha à la mords-moi le nœud.
Je relevai vivement la tête des pavés irréguliers que je m'obstinais à fixer.
- Qu'est-ce que tu veux dire par là? Je ne suis pas en couple avec Lucius!
- Non, bien sûr, tempéra le béta. Mais tu ne peux pas nier qu'il se passe quelque chose entre vous. Tu es couvert de son odeur.
- Et alors? Ça ne veux rien dire du tout! On n'a fait que dormir ensemble, lui sous sa forme de Loup. Et même si on avait baisé ça ne changerait rien. Tu connais le concept de coups d'un soir?
Il pouffa et secoua la tête.
- J'en ai entendu parler vaguement, ouais. Normalement, je serais d'accord avec toi, une nuit ne fait pas de vous un couple. Si vous aviez baisé comme des lapins depuis votre rencontre, je ne serai pas inquiet non plus. Mais les choses sont un peu différentes parce que vous ne l'avez pas fait, justement. Et parce que Lucius est un alpha, chef de meute de surcrois.
- Bordel je comprends que dalle à ce que tu essayes de me dire, rageai-je. Balance ce que tu as de coincé ou ferme là, mais arrête avec cet espèce de suspense à la con.
- Haiko a raison. Lucius se comporte avec lui comme avec un autre Loup mais Haiko ne connait pas les règles de ces petits jeux de meute. Et je ne suis même pas certain que ton emmerdeur d'Alpha sache lui-même ce qu'il est train de foutre.
Jonas avait l'air furax et Alex tendu comme un string. Nous approchions de la maison et Lucius se retourna pour surveiller que nous suivions toujours, comme il l'avait fait à plusieurs reprises depuis notre départ de la maison des mages. M'éviter tout en continuant à me surveiller, signaux contradictoires, bonjour!
Alex passa une main lasse dans ses cheveux crépus coupés ras.
- Je n'ai pas le temps de faire un cours sur les traditions de séduction des Loups. Mais Haïko, sache juste que la plupart des Loups avec une meute à gérer vont avoir tendance soit à rechercher des Loups faibles et soumis, qu'ils pourront protéger et sur lesquels ils devront veiller, soit à l'inverse d'autres Loups alpha, pour diriger la meute à leur côté.
- Je - ne - suis - pas - un - Loup! crachais-je avec furie.
- Tu en l'es pas, convint le grand méta alors que nous accédions au jardin qui clôturait la maison. Et tu n'as rien de faible ou soumis non plus mais tu es un humain, donc fragile par définition. Tu brouilles les instincts de mon alpha et c'est pénible pour nous tous de le voir errer avec toi. Les Loups sont curieux de nature, en prime et ne pas savoir dans quelle case te ranger n'arrange rien pour Lucius.
Il m'attrapa par le bras en me retenant sur le seuil :
- Les Loups connaissent la notion de coups d'un soir. Lucius? Pas tellement. Il n'a pas encore trouvé comment se comporter mais il ne joue pas, Haiko. Je ne sais pas ce qu'il imagine pour vous deux et je préfèrerais me faire bouffer par les feys que de lui poser la question mas je connais bien mon alpha. Quels que soient ses actes à ton égard, quelles que soient ses tentatives d'approche, même les plus pourries, elles sont sincères, n'en doute pas.
Et après un dernier silence intense, il me planta là, dévoré par la confusion que ses mots avaient fait germer en moi.
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