Chapitre 18
Après toute une journée passée à nous organiser nous étions aussi prêts que possible. J'avais pris le temps de refaire un tour discret de la zone fortifiée, afin de m'imprégner des spécificités du terrain, puis j'avais revu les plans encore et encore, révisant la disposition des lieux et repérant les systèmes électroniques indiqués sommairement sur les schémas grossiers. Ils étaient mon terrain de jeu et d'après ce que j'avais sous le nez, j'allais avoir du pain sur la planche.
Le plan était aussi sommaire sur le papier que périlleux à mettre en œuvre. Natasha devait nous créer une jolie petite diversion explosive, suffisamment bruyante pour attirer l'attention des fidèles présents, mais assez loin du bâtiment retranché pour éviter un branle-bas de combat général. Le but était d'inquiéter sans affoler. J'étais sensé profiter du bazar pour entrer dans le bunker. Mon objectif principal était d'ouvrir les portes à Jonas, Lucius et Jim voir, dans l'idéal, de prendre complètement le contrôle de la structure et mettre ainsi à l'abri les non combattants. Notre principale peur était que, sentant le vent tourner, le gourou ne retourne ses armes contre ses fidèles les plus fragiles et que tout se termine en bain de sang. Lucius m'avait parlé à mi voix d'assauts de ce type ayant terriblement mal tournés, Avant, et ma priorité était d'éviter que notre intervention ne vire à l'hécatombe. C'était une sacrée responsabilité la nervosité me tordait les tripes.
Le soleil finissait de sombrer derrière les arbres et je m'habillai soigneusement devant la tente de Jonas. Je n'étais pas tellement d'une nature exhib mais la toile tendue, vouée à être discrète, était trop basse de plafond pour que je puisse m'y changer sans me cogner, malgré ma stature moyenne. J'avais apporté des fringues spécifiques dont la couleur, comme la coupe, étaient supposées m'aider à réaliser mon taf. Le pantalon en cuir que je portais avait pour fonction de préserver mon délicat postérieur de la morsure des barbelés, tout en restant suffisamment flexible pour me permettre de courir et grimper, mais l'effet en était pas mal seyant, je devais bien l'admettre. J'enfilais également un haut sombre rembourré et près du corps, cousu sur mesure pour moi par Maniko, quand j'entendis un raclement de gorge.
- Ouais ?
Lucius s'était figé à quelques mètres, les yeux exorbités et le teint rouge, toute son attention braquée sur moi. Ou plutôt sur une partie spécifique de moi. Une partie basse, disons. Je relevai les yeux, un peu surpris de cette attention soutenue.
- Lucius? Il y a un problème ?
- Mmmh non. Aucun problème. C'est une tenue... originale... C'est ça, très... pratique, non? Pratique, c'est le mot. Tu ne la portais pas quand tu t'es introduit chez moi, non? Je pense que je m'en souviendrais.
Je cillai à plusieurs reprises, déconcerté par son comportement étrange, puis mon cerveau prit enfin le relais et un sourire maléfique gagna lentement mon visage.
- Tu apprécies ma tenue Lucius? C'est bon à savoir. Qu'est ce que tu préfères ? La coupe ? La couleur ? Ou peut-être... le pantalon?
Je pivotai sur moi-même, un sentiment de pouvoir et de triomphe tout à fait inopportun irriguant mes veines et me poussant à le laisser me dévorer des yeux. Je sentais son regard brûlant sur mon corps et je m'en délectai. Je ne savais pas du tout ce qu'il me prenait. Pour ma défense, j'étais un peu stressé par la mission à venir et taquiner l'alpha me distrayait de mes plans, et des risques que j'allais prendre. Je n'étais pourtant pas le genre de mec à allumer les gars pour le plaisir, surtout dans le cas d'un type aussi ambivalent à mon égard que l'était Lucius. D'autant que j'avais rarement été aussi exaspéré par quelqu'un, le méta ayant le don quasi magique de me faire exploser d'agacement à tout bout de champ. Mais je ne sais pas... Le fait qu'il apprécie mon corps, probablement contre son gré, me faisait un peu plaisir malgré tout. J'étais loin d'être un musclor comme Jonas ou Alex mais j'étais relativement bien foutu. J'étais mince et élancé et mon cul avait toujours reçu une appréciation positive de mes partenaires. Alors je n'allais pas bouder mon plaisir à le voir béer un peu.
Je l'entendis déglutir, toujours rivé sur ma chute de reins, et je ricanai d'un air narquois.
- Allez Grand Loup, tu t'es assez rincé l'œil, la récréation est terminée. Je dois aller voir Natasha pour mon sort.
Je lui tournai le dos, toujours bien plus lentement que nécessaire, histoire de maximiser le spectacle, et traversai le camp en souriant pour moi-même, balançant peut-être un tout petit plus les hanches qu'à mon habitude. Et quand je me retournai une dernière fois pour en évaluer l'effet, je ne pus manquer le sourire affamé qu'il me dédia et qui me fit frissonner.
Mais flirter avec un Loup était à mille lieues de mes pensées lorsqu'une heure plus tard, je guettais la diversion promise, tapi dans les fourrées. Je tremblais légèrement, d'adrénaline mais surtout de froid. Le sort de gel Natasha me permettrait d'échapper aux caméras thermiques que j'avais repéré mais il me donnait l'impression d'avoir été recouvert de givre et je me pelais le cul.
Je consultai une dernière fois la montre connectée, made in territoires techs, que Jonas m'avait confié avant de prendre position et qui devait nous permettre de nous coordonner. Nous avions au final prévu de mener l'assaut en pleine nuit, espérant que la majorité des occupants non combattants de la grande maison seraient couchés, donc plus facile à maîtriser et moins exposés aux représailles. A trois heure pile, comme prévu, un tintamarre puissant démarra soudainement à quelques centaines de mètres de mon emplacement, sous la forme de magnifiques feux d'artifice magiques qui illuminèrent l'horizon en éclairant le ciel de couleurs chaudes et faisant un potin de tous les diables. Je les ignorai afin d'éviter la légère fascination artificielle qu'ils pouvaient induire, et inspirant profondément, je sortis mes bébés de mon sac à dos.
J'avais acheté le drone en métal léger et plastique à un contrebandier tech quelques mois plus tôt et j'avais dépensé une petite fortune en plomb pour le trafiquer à ma convenance. Je n'avais pas besoin de télécommande pour le piloter, et d'une légère poussée de mon esprit, il décolla avec grâce, prit son envol et dépassa sans difficulté les deux enceintes de barbelés, passant au dessus des projecteurs pour s'approcher du bâtiment de béton. Alors qu'une partie de mon esprit était profondément investi dans les circuits électroniques de mon précieux, je m'approchai furtivement du grillage et m'accroupis, prêt à grimper dès que la voie serait libre.
Le drone esquiva les lumières blanches en dansant discrètement dans les airs, répondant à chacune de mes impulsions mentales. Il était particulièrement discret, peint en noir dans une peinture mate et à moins d'être pris dans le faisceau direct d'un projecteur, il resterait invisible. Il se posa avec douceur, directement sur le haut de l'armoire de métal blindée qui avait été ajoutée sur le flanc du bâtiment qui, d'après les plans de Jonas, abritait le générateur alimentant l'électricité de la clôture et les projecteurs. Je soufflai doucement alors qu'il se stabilisait, assez mal à l'aise d'utiliser un pouvoir que je ne maîtrisais qu'imparfaitement et qui me fatiguait.
A la place de la caméra précédemment embarquée, dont je n'avais pas l'usage, le drone avait emporté avec lui l'autre prunelle de mes yeux, un jouet que j'avais passé des mois à mettre au point. Répondant immédiatement à mon commandement psychique, le petit robot s'activa avec un grésillement imperceptible. Il se déploya et se mit à rouler sur quelques centimètres à peine pour s'éloigner de sa monture avant de débuter son travail de forage.
Je retins mon souffle, l'anticipation faisant battre mon cœur.
C'était l'instant qui allait me permettre de savoir si mon plan A, bien moins dangereux que mon plan B, était viable.
Ces gens n'étaient pas des habitants de Frontière de longue date mais j'espérais de tout cœur qu'ils avaient quand même pris les précautions minimales en matière de protections anti-magique et doublés les parois de plomb afin de préserver le générateur des effluves. J'avais misé beaucoup sur cette hypothèse, raisonnable et logique mais pas forcément évidente, et lorsque le petit robot atteint une résistance je faillis pleurer de soulagement. C'était bien du plomb.
En plus d'être terriblement dangereux, difficile à maîtriser et extrêmement risqué pour ma survie à moyen et long terme, mon pouvoir m'avait longtemps frustré en raison de mon incapacité à le projeter à distance. Durant des années, je n'avais été capable de m'en servir que lors d'un contact direct et continu, ce qui en amoindrissait énormément l'intérêt. Ce n'est qu'une fois mes premiers butins ramassés, dans ma nouvelle carrière de monte-en-l'air, que j'avais miraculeusement trouvé une parade à cet handicap. J'avais pourtant conscience que le plomb me faisait un effet inédit, mais je n'avais jamais réfléchi plus loin. J'aimais le tenir dans mes mains, j'en accumulais instinctivement sur moi, dans mes poches, j'en collectionnais la moindre particule, au point que Maniko m'avait fait examiner à plusieurs reprises pour suspicion de saturnisme. Mais il m'avait fallut en posséder une importante quantité pour la première fois pour comprendre que cette affinités était de nature occulte, malgré le contre-sens complet que cela représentait pour tout être familier de la magie et de son fonctionnement. Cette prise de conscience m'avait ouvert les portes d'un tout nouvel univers dans lequel je m'étais immergé avec beaucoup de prudence et que je continuais à explorer doucement.
Le plomb était mon élément, le mien, mon focus à moi. Il s'adaptait à ma magie, attirait ma magie, conduisait ma magie, tout comme l'or répondait à celle des mages et les cristaux aux pouvoirs des chamans. Et j'avais appris au fil de mes tâtonnements et expériences que suffisamment manipulé par mes mains, un bout du métal mat et lourd s'imprégnait suffisamment de mon essence pour devenir un relais parfait, y compris à distance. Voilà comment je pouvais diriger mes appareils sans manettes et sans source d'énergie. Et voilà pourquoi mon pouvoir coula sans effort du robot foreur vers l'intérieur de l'armoire, jaillissant à travers la doublure de plomb et envahissant le moindre circuit qu'il y trouva.
Il y a quelques années, j'aurai été incapable de décrire le fonctionnement d'un appareil électrique, mais à force d'en décortiquer au gré de mes trouvailles, j'en avais acquis une compréhension instinctive. Mon magie se répandit et se déversa dans chaque composant, chaque fil, parcourant les circuits à la vitesse de l'électricité et s'appropria sans la moindre difficulté le fonctionnement de chaque pièce. J'étais un peu déçu. J'avais espéré que le générateur serait aussi connecté aux circuits à l'intérieur du bâtiment, mais il s'agissait d'un système fermé, uniquement dévolu au grillage électrifié et aux caméras extérieures. C'était intelligent et bien pensé mais contrariant. J'allais devoir bosser sérieusement, tant pis.
Le système bien en main, j'arrêtai d'une pensée délicate les palpitations létales qui couraient le long du grillage et escaladai les barbelés, mes gants épais et mes vêtements m'assurant une relative sécurité. Je jetai une vieille couverture sur le sommet pour passer au dessus sans m'écorcher le fondement et basculai vivement de l'autre côté, attirant le tissu avec moi pour me tapir dans les herbes vertes et humides. Je n'avais pas prévu d'éteindre les projecteurs et les caméras, cela aurait été trop flagrant si quelqu'un surveillait le périmètre, mais lorsque je me mis à courir, je pris soin de les diriger mentalement dans un ballet bien coordonné, à travers lequel je passais inaperçu. Le sort de glace déjouant les capteurs thermiques devait commencer à s'estomper mais il tiendrait encore quelques minutes, suffisamment pour me laisser le temps de passer le second mur et de me rapprocher suffisamment du bunker jusqu'à être hors de l'angle de vue des objectifs.
Une fois bien calé contre le mur de béton, le souffle court, je pris le temps d'évaluer la situation. J'avais passé la première étape, aucune alarme n'avait troué la nuit, je considérai donc que mon approche était passée inaperçue. Mais il me fallait encore entrer.
Je posai ma main sur le mur, tâchant de forcer mon pouvoir à travers mais sans résultat. La pierre et le béton, n'étaient pas conducteurs et je ne sentais aucun fil électrique à ma portée. J'allais donc devoir faire ça de manière... traditionnelle, disons...
J'avais récupéré mes pics à escalade sur le mur extérieur de la maison des Loups, où ils étaient restés gentiment invisibles, et sans attendre, je débutai mon ascension. Ma cible était une étroite fenêtre protégée de barreaux qui rompait à peine la monotonie du bâtiment à plusieurs mètres du sol.
Une fois positionné devant, en équilibre très instable, j'approchai ma main avec prudence. Bon, il y avait une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne nouvelle était que la fenêtre n'avait, comme nous en étions persuadés, aucune protection magique susceptible de me barrer le passage. Seule une alarme électrique me faisait gentiment de l'œil pour que je la phagocyte de mon pouvoir. La mauvaise ? Les barreaux de métal bien épais qui en protégeaient l'accès n'avaient rien d'électroniques, eux, et me narguaient de leur inertie hostile.
Mmmh... Il s'agissait d'un alliage d'acier et je m'étais équipé en conséquence. J'avais besoin de mes mains aussi je me stabilisai du mieux que je pouvais et plantai plusieurs clous au-dessus de moi pour m'y arrimer, puisque tout geste inconsidéré me vaudrait une chute et probablement des blessures fort douloureuses. Puis je sortis une fiole de mon sac avec circonspection. L'acide fluorhydrique est naturellement capable de corroder l'acier. La version boostée par la magie des alchimistes de Portal ? Putain, elle ferait fondre les diamants eux-mêmes. Sans parler de mes doigts, si je faisais une fausse manip. Seul le kudzu magique de Portal avait acquis une certaine résistance à cette saloperie, d'après la rumeur, mais des simples bouts de ferraille n'allaient pas être à la hauteur.
Avec mille précautions, la main crispée de concentration, je déversai le liquide bleuté et mortel sur les barreaux. Il s'y colla immédiatement, produisant de légères vaguelettes et un grésillement ténu. Une fumée noire et puante s'éleva rapidement dans un tourbillon nocif et je retins ma respiration devant la toxicité évidente qu'elle dégageait. Très rapidement, l'espace de quelques minutes à peine, les barreaux attaqués dans leur structure moléculaire même commencèrent à se ramollir et se tordre sous mes yeux, alors que le liquide visqueux se répandait avec une volonté magique qui lui était propre avant de s'évaporer. J'attendis encore un peu quand je jugeai que les barreaux avaient suffisamment fondus, je les dégageai d'un léger coup de coude, les délogeant de leurs montants et me libérant le passage. J'attendis encore un peu que le produit finisse par se dissiper puis, avec prudence, je scrutai l'ouverture étroite. Le passage allait être tout juste mais le bâtiment était silencieux et je ne percevais aucun mouvement en provenance de l'intérieur du bâtiment.
Ça allait le faire, mais heureusement que je n'étais pas bien gras!
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