Chapitre 10

Zachary Riggs avait un peu repris contenance maintenant qu'il était en sécurité dans le salon de la Meute. Il dardait néanmoins un regard méfiant sur Isabeau et Alexander, qui de leur côté lui lançaient à intervalles réguliers des œillades noires, dans leur meilleure imitation de vilains de série Z. Lorsque je les rejoignis, propre et habillé de frais, seul un léger signe de tête de Lucius m'accueillit, ce qui me soulagea. Apparemment, mon léger craquage avait échappé aux autres. Léo avait l'air encore plus jeune qu'à l'accoutumé, les yeux rouges et l'air exténué, mais se tenait debout, les bras croisés, dans une posture qu'il devait espérer virile et intimidante mais que je jugeais plus attendrissante qu'autre chose. Je secouai la tête sous ma bêtise. Lucius s'installa confortablement dans un des fauteuils de cuir, surplombant d'une bonne tête le gros humain rougeaud et confus et lui dédia un sourire terrifiant et plein de crocs aigus. Je reniflai avec dérision. Il rejouait sa scène du méchant flic à laquelle j'avais eu droit quelques jours plus tôt.

- Alors, Zachary... Mon cher Zachary... Mon allié... Tu vas probablement pouvoir nous expliquer deux ou trois choses qui nous posent question, pas vrai ? Qui est ce Sidhe et pourquoi voulait-il te buter ?

L'humain palissait à vue d'œil en se tordant frénétiquement les mains.

- Je ne sais pas du tout de quoi tu veux parler, Lucius, ces feys ont attaqué le Conseil des Guildes mais cela n'a rien à voir avec moi. Je ne pense vraiment pas qu'ils m'en voulaient à moi en particulier.

Debout sur sa droite, les narines grandes ouvertes et l'air concentré, Alex secoua doucement la tête. Je souris. De toute évidence, Zachary sous-estimait largement les capacités olfactives des Loups en matière de détection de mensonge.

- Et moi je pense précisément l'inverse. Il était plutôt clair que c'était toi qu'ils visaient et j'aimerais bien savoir pourquoi. Est-ce que c'était pour bloquer notre futur accord ?

Zachary se racla la gorge à plusieurs reprises avant de trouver ses mots, incertain.

- Je n'y avais pas pensé mais oui, ça semble évident maintenant que tu le dis Lucius. Tout le monde sait que les feys en veulent aux Meutes, donc ils cherchaient simplement à nous empêcher de conclure notre marché.

Derrière lui Alex n'avait pas l'air convaincu et je partageais son opinion. Je décidai de jouer le tout pour le tout et m'avançai vers lui, me plaçant juste dans son angle de vue. Il me dévisagea avec frayeur, les yeux exorbités.

- Tu me reconnais Zachary ? Est-ce que tu sais qui je suis ?

Il parut confus, son double menton tressautant sous l'effet du stress.

- Euuh oui tu es le loup qui a tué le fey avec les écailles !

Je bloquai une seconde, surpris. Jamais on ne m'avait pris pour un méta. Je n'en avais tout simplement pas la carrure et encore moins le comportement. Mais d'un autre côté, Zachary m'avait vu vaincre le fey et sans connaitre mes petites spécificités, il s'agissait d'une hypothèse raisonnable. Je ne pus m'empêcher de décerner un grand sourire à Isabeau qui me regardait d'un écœuré.

- Hey princesse, t'as vu, je ressemble à un Loup !

Elle renifla avec dédain.

- A un coyote plutôt, ou un chacal. Un fenec...

Je souris encore plus grand.

- Hoooo et c'est sensé me vexer ? Essaye encore plus fort, ma belle !

Lucius toussota, me ramenant à mes moutons. Je me retournai vers Zachary dont le front était constellé de petites gouttes de sueur. A côté de lui, Alex arborait le regard dangereux du Loup affamé, faisant encore monter la pression alors que Léo grognait doucement. A ce rythme notre pseudo allié n'allait pas tarder à se pisser dessus.

- Je ne suis pas un méta, je suis un humain. Et je pense que nous avons quelqu'un en commun, Zachary. Est-ce que le nom d'Asos t'évoque quelque chose ?

Il sursauta violemment. Ce mec était à coup sûr très doué en vente et négociation d'argent et de plomb, et paraissait de taille à ourdir quelques complots machiavéliques correctement ficelés mais putain, il était vraiment une brèle en interrogatoire. Sans le quitter des yeux, je m'approchai un peu de lui, le scrutant avec attention.

- Tu connais Asos pas vrai ? Un fey, grand et tatoué, mon intermédiaire pour certaines affaires disons... délicates ?

Il ne put dissimuler son air surpris et son visage le trahit en se déformant violement. Il reprit vite contenance mais au sourire carnassier de Lucius, il s'était trahi.

- C'est toi qui as engagé Hai...

L'alpha s'interrompit juste à temps sous mon regard impérieux et reformula.

- C'est toi qui a engagé le voleur pour nous dérober la carte ?

- Mais pas du tout !

Zachary avait l'air de plus en plus affolé. Même sans le moindre odorat surnaturel, je pouvais presque percevoir l'odeur de peur qui émanait de lui.

- Nous sommes alliés, je n'aurais jamais fait une chose pareille !

Alexander intervint de sa voix grave.

- Il ment.

- Ho je vois bien qu'il ment. Par contre ce que j'aimerais bien comprendre, c'est pourquoi il nous a trahis de la sorte.

L'alpha se leva et dévisagea Zachary, laissant son visage se transformer comme durant la bataille avec le fey. Sa mâchoire se déforma, pointant vers l'avant et dévoilant des rangées de dents aussi blanches que mortelles. Zachary haleta bruyamment à cette vision d'horreur.

- Ma patience à des limites Zachary, je n'aurai aucun scrupule à te faire payer ta trahison ici et maintenant.

- Vous ne pouvez pas me faire de mal ! Vous avez promis aux gardes de me ramener chez moi ! Je vous ai entendu ! Les métas tiennent leurs promesses, tout le monde le sait !

- C'est vrai, répondit Lucius d'une voix que sa transformation rendait rocailleuse et malaisée. Nous avons de l'honneur et nous respectons nos promesses auxprès de ceux qui en ont également. Nous n'avons aucune pitié pour les parjures ou les traitres.

- Ne me faites pas de mal je vous en prie ! Je vous en supplie! Ce sont les mages, ok ? Les mages de New Francisco ! L'un d'entre eux a débarqué chez moi il y a quelques jours et m'a menacé pour que je refuse de traiter avec vous !! Il a déjoué mes gardes et il a menacé ma famille ! J'avais peur, d'accord ? J'étais pris entre le fer et l'enclume ! Si je disais non les mages allaient se venger sur mes enfants et ils sont terrifiants, mais si je leur obéissais vous alliez me dévorer ! Je n'avais pas d'autre choix ! Alors j'ai eu l'idée de faire voler la carte pour retarder notre marché, le temps de trouver une autre solution. Je suis désolé je ne savais pas quoi faire d'autre !

Les larmes qui avaient commencé à glisser sur ses joues adipeuses se transformèrent en torrent et il s'effondra sur le fauteuil, la tête entre ses mains, secoué de spasmes. A ses côtés Alexander hocha gravement la tête. Il disait enfin la vérité. Lucius eut un sourire satisfait qui ressortit de manière perturbante sur ses traits déformés et continua de l'interroger.

- Que vient faire le Sidhe là-dedans ? Pourquoi s'en prendre à toi ?

- Il pensait que j'avais la carte de la mine. Il savait que j'avais embauché un voleur pour la dérober et il pensait que je l'avais en ma possession. Mais je ne sais pas pourquoi il la veut.

J'intervins.

- C'est plutôt logique du coup. Le Sidhe m'a vu partir avec la carte ce jour-là, il m'a cherché mais ne m'a pas trouvé. Donc il est allé à la source, soit mon commanditaire, en supposant que je lui aurais déjà transmis. C'est pour cela que tu as du le sentir Alex, il devait trainer autour du Conseil pour y repérer Zachary.

- Mais pourquoi enlever les enfants en ce cas ? demanda Léo, qui fasciné par notre discussion en avait oublié de jouer les gros durs et ouvrait de grands yeux.

- Pour couvrir toutes les possibilités !

Tout me paraissait parfaitement logique désormais.

- Soit j'avais gardé la carte et il se garantissait un moyen de pression en enlevant ma famille, soit je l'avais remis à Zachary, via Asos ou directement, et il pouvait la récupérer auprès de ce dernier. Je ne l'ai gardé aussi longtemps que parce que je m'étais fait mal à la cheville, le soir du cambriolage. J'ai attendu 24h pour chercher Asos et lui remettre et ça a suffi à ce dernier pour savoir qu'il était recherché, me prévenir et se barrer... J'aurais très bien pu chercher Zachary ensuite pour lui remettre la carte.

Par souci d'honnêteté, j'ajoutai.

- C'est ce que j'aurai fait si j'avais su qui il était, d'ailleurs, pour me faire payer.

Lucius pinça les lèvres mais continua.

- Donc si le fey a attaqué Zachary c'est qu'il pense que tu travailles encore pour lui et par conséquent...

Je complétai sa phrase d'un air entendu.

- C'est qu'il ignore que nous sommes maintenant alliés!

Isabeau leva ses sourcils parfaitement épilés en arc de cercle.

- Je ne vois pas ce que ça change.

Lucius soupira.

- Peut-être rien, mais toute information que notre adversaire ignore est à notre avantage.

Je réfléchissai, dessinant un tableau d'ensemble dans ma tête.

- Par contre il y a deux trucs que je ne comprends toujours pas. D'abord, comment le Sidhe a pu savoir que Zachary était mon commanditaire, et ensuite, que viennent foutre les mages dans ce merdier ?

Isabeau assena une pichenette sur l'épaule du marchand, toujours prostré sur son siège.

- Tu as entendu le monsieur ? Comme est-ce que le Sidhe t'a trouvé ?

Il releva un visage ravagé et avoua d'une voix éteinte.

- Il est possible que je n'aie pas été aussi prudent que j'aurai dû l'être...

Il leva les deux mains, paumes vers le ciel, comme pour en appeler à notre indulgence.

- Contrairement à ce que vous pouvez penser de moi je suis un négociant honnête ! Je n'ai pas de contacts parmi la pègre de Portal ! Lorsque j'ai cherché quelqu'un susceptible de vous subtiliser la carte, j'ai dû envoyer des gardes du Conseil poser des questions pour trouver à qui m'adresser et je crains qu'ils n'aient pas été aussi discrets que je le pensais.

Je ricanai avec mépris.

- Tu m'étonnes... Ils ont du se faire repérer à trois kilomètres et quelqu'un aura pris l'initiative de les suivre pour remonter jusqu'à vous.

Comme Lucius me regardait d'un air étonné je développai :

- L'information c'est de l'argent. Les gens de Muck Square n'ont pas besoin de savoir ce qui se trame exactement pour comprendre qu'un truc louche se prépare, et essayer d'en tirer profit. Quelqu'un a dû se dire que cette info vaudrait quelque chose un jour et ça a dû payer, je suppose... Et pour les mages ?

- Ces enfoirés se prennent pour les arbitres du monde magique... gronda Lucius, la voix dégoulinante de rancoeur. S'ils ont entendu parler de nos projets et de la réaction des feys, il n'est pas surprenant qu'ils mettent leurs grands nez dedans. D'après eux, les Peuples magiques sont censés n'être qu'une grande et heureuse famille et eux se visualisent un peu trop bien dans le rôle du grand frère bienveillant qui guide et surveille les jeux des petits.

Il renifla avec dédain.

- Si je mets la main sur leur émissaire, il regrettera de ne pas s'être mêlé de son cul...

J'étais profondément abattu.

- Puisqu'il n'y a pas de vrai lien entre le Sidhe et Zachary, et dans la mesure où ce salaud s'est enfui, cela signifie que nous n'avons plus aucune piste pour retrouver Jordan et Sarah...

- Je suis désolé Haiko... Moi aussi j'espérais que nous trouverions quelque chose au Conseil...

Le ton de Lucius était doux, presque compatissant, contrastant fortement avec sa gueule de cauchemar. Je soupirai, laissant apparaitre mon désarroi.

- Je... euuh... Je peux peut-être vous aider. Enfin, si vous le souhaitez.

Zachary avait repris quelques couleurs maintenant que les menaces imminentes de démembrement paraissaient s'éloigner, même si ses mains continuaient à trembler.

- Le Sidhe a enlevé des amis à vous si j'ai bien compris ?

Je consultai l'alpha du regard et constatant son air méfiant, je hochai la tête avec prudence. Même si Alexander avait confirmé la version de l'humain, et donc de son excuse d'avoir agit sous la menace, j'étais très très loin d'envisager de lui porter la moindre confiance. Et d'après ses sourcils furieux Lucius était d'accord avec moi.

- En quoi cela te concerne ?

Il leva les paumes dans une posture défensive.

- Je comprends que vous ne me fassiez pas confiance mais j'ai véritablement besoin d'alliés ! Si je vous assure de ma bonne foi, peut-être pourrions-nous envisager de revenir à notre accord initial ?

Sous les traits de l'homme abattu et effrayé, le marchand roué était en train de revenir en force.

- Le Conseil a des moyens que vous n'avez pas. Les gardes sont très présents, partout en ville, et notre réseau d'espion est tout à fait opérationnel, je vous le garantis. Je peux vous aider à retrouver vos amis disparus, en échange de quoi nous pourrions tirer un trait sur toute cette regrettable histoire ?

Il tenta un sourire commercial bien qu'un peu pâlichon.

- Après tout vous ne m'aviez pas choisi pour rien, vous savez que je suis votre meilleure chance d'exploiter cette mine.

- Et votre famille ? interrogea Alex durement. Vous n'avez plus peur pour elle maintenant ?

Il s'assombrit.

- Le vol de la carte et la pagaille qui a suivi m'ont permis de gagner le temps dont j'avais besoin. Je les ai fait évacuer en zone Tech, j'y ai de nombreux contacts et ils sont à l'abri.

Il se permit un nouveau sourire incertain.

- En revanche je ne dirais pas non à rester sous votre protection, pour ma part. Ça me parait un marché honnête ?

Je restai muet de stupeur en constatant que Lucius semblait m'interroger du regard, comme si mon opinion lui importait un tant soit peu. Isabeau intervint.

- De toute façon il n'est pas question de le laisser filer non ? Si pendant qu'il nous colle aux basques, ses hommes cherchent les gamins du voleur, c'est toujours ça de gagné.

Elle me retourna un rictus sarcastique.

- Avec un peu de chance cela nous aidera à limiter dans le temps notre... association avec ce sale petit humain.

Je la jaugeais de toute ma morgue, à deux doigts de lui tirer la langue.

- Le sale petit humain a été plus utile que toi jusqu'à présent, princesse, je ne t'ai pas beaucoup entendu contribuer à la réflexion. Et sur le plan de la force, comment dire...

Elle était sur le point de m'asséner ce qui promettait d'être une réplique acerbe quand Lucius nous fusilla tous deux du regard.

- Isabeau a raison.

J'ouvris la bouche, offusqué et il leva les yeux au ciel.

- Pas au sujet de notre association ! Je voulais parler du fait que de toute façon nous devons garder Zachary à l'oeil. S'il arrive à se rendre utile tant mieux, sinon... (il sourit en dévoilant tous ses crocs), il en subira les conséquences...

Pendant que le marchand chancelant et transpirant était guidé vers l'étage par Isabeau et toute sa charmante hospitalité, je suivis Lucius et Alex à la cuisine. J'étais naze, encore sous le coup de mon utilisation désordonnée de la magie, et démoralisé. Je m'avachis à la grande table alors que les Loups s'affairaient. Tout à mes sombres pensées, je ne percutai qu'après de longues secondes qu'une assiette odorante avait été posée sous mon nez.

- Ho, euh, je peux me faire à manger tout seul hein, pas besoin de vous embêter.

Mon air revêche agaça Lucius qui leva les yeux au ciel. À la longue, nos interactions allaient finir par lui créer des tics.

- Ça ne m'embête pas de te nourrir, gamin, et inutile de froncer le nez comme ça. Tout est comestible je te le garantie.

Comme j'avais toujours un air hésitant il continua d'une voix lasse

- Que tu en sois ravi ou non, nous sommes une meute, nous prenons soin les uns des autres. Et tant que tu seras avec nous, nous prendrons soin de toi également.

J'allais protester, après tout je n'avais pas besoin qu'on prenne soin de moi, je n'étais plus un enfant, mais il posa brièvement sa main sur ma tête et je restai immobile sous le contact totalement inattendu. D'une voix basse, il reprit.

- Je n'ai pas envie de me battre, Haiko. Est-ce que juste pour ce soir, tu pourrais accepter que je sois sympa avec toi sans te battre contre moi?

J'étais décontenancé et franchement perturbé mais le pli amer de sa bouche et ses yeux fatigués me dissuadèrent. Le combat avait laissé ses traces sur lui aussi et je constatai qu'il avait l'air épuisé. Mon assiette sentait bon. Je me saisis simplement d'une fourchette et commençai à manger. Le regard profondément satisfait de Lucius ne m'échappa pas mais j'étais de toute façon trop claqué pour redémarrer le débat. Il voulait me nourrir? Qu'il me nourrisse. Il serait toujours temps de nous opposer demain.

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