Chapitre 5 - Le mode détecteur de vie
Cela faisait déjà une semaine. Une semaine qu'elle faisait des allers-retours entre Ostria et Teneris. Enfin, la frontière de Teneris pour être exact. Fenrir lui avait expliqué que bien que les fées du jour n'entraient jamais dans la forêt, le territoire de son père ne commençait qu'après le fossé qui faisait office de frontière naturelle. Il y avait donc une sorte de bande qui n'appartenait à personne. C'était d'ailleurs d'une extension de cette bande qu'était né le territoire neutre à la fin de la guerre.
Ce jour-là, Ellie était en tenue d'entraînement : T-shirt souple, pantalon ample et bottes. Fenrir avait enfin accepté de lui apprendre à voler dans la forêt. Ça lui ferait gagner du temps mais elle voulait surtout apprendre parce qu'elle ne pouvait pas s'empêcher de se sentir inférieure au prince et il était tellement classe quand il volait... Elle terminait de s'attacher les cheveux en queue de cheval quand son père entra dans sa chambre.
— Ellie, j'ai besoin de toi.
Son père tenait une feuille à la main et semblait désespéré.
— Que ce passe-t-il ?
— Tu sais que j'aide à l'organisation du festival du printemps ?
Au départ, le travail d'Iliakó consistait à organiser la garde afin de surveiller et protéger le festival mais, bien malgré lui, il arrivait que le roi Achéon lui donne d'autres tâches. À lui ou à Lila.
— Bien sûr que je le sais. C'est en partie à cause de ça que tu es tout le temps exténué.
Dire que le festival était un gros événement serait un euphémisme. Tous les habitants de Solum se rendaient à Ostria pour l'occasion et il était même retransmis sur une chaîne de télévision de Teneris. Ce qui faisait la popularité du festival du printemps c'était surtout son spectacle musical. N'importe qui pouvait s'inscrire et monter sur scène pour chanter ou jouer de la musique. Elle se souvenait de quelques années où elle et les princesses avaient bien rit devant certains numéros.
Mais un tel événement demandait une organisation monstre et le chef de la garde avait souvent plus de travail qu'il ne pouvait en faire.
— Quoi qu'il en soit, Achéon m'a demandé de vérifier le nombre d'inscription et les quotas et...
Oh ça, ça ne sentait pas bon.
— J'ai besoin que tu t'inscrives. Tu rentres dans les catégories artiste féminin, chanteur et membre de la noblesse. Ça me permettrait de terminer ces trois quotas d'un coup et j'en aurais fini. Je t'en prie Ellie...
Voilà, c'était exactement ce qu'elle redoutait. Son père savait très bien qu'elle n'aimait pas particulièrement chanter en public et c'était bien la raison pour laquelle il lui donnait tant d'arguments. Si elle acceptait, ça retirerait un poids de ses épaules et il était déjà tellement fatigué... Bon sang, il savait vraiment la prendre par les sentiments.
— Très bien, j'accepte.
— Oh merci ma chérie, je....
— Mais ! Il est hors de question que je participe à la répétition générale ou à d'autres trucs du genre.
— Pas de soucis, je ferais savoir au recenseur que tu n'as pas besoin de cette répétition. Merci ma puce, je t'adore.
S'en suivi un gros câlin avant qu'Iliakó ne sorte de la chambre de sa fille, le sourire aux lèvres.
— J'ai comme l'impression que je viens de me faire avoir.
Enfin, tant pis. Une petite chanson, ce n'était pas la fin du monde. Par contre... Elle était en retard !
Ellie ouvrit la fenêtre de son balcon à toute vitesse et s'envola en direction de Teneris. Aujourd'hui, elle allait apprendre une nouvelle technique de vol qui pourrait lui permettre de monter dans l'estime du roi. Elle ne pouvait pas se permettre d'arriver en retard... Ou trop en retard en tout cas.
Quand elle arriva à la lisière de la forêt, Fenrir n'était pas encore arrivé. Pour une fois, elle avait de la chance.
— Tu es en retard.
Il atterrit juste devant elle, les bras croisés. Il a dû se cacher dans les arbres pour guetter son arrivée. Zut, elle n'avait pas tellement de chance finalement.
Comme d'habitude, il s'enfonça dans la forêt sans rien dire de plus. Elle le suivit immédiatement. Parler en marchant était devenu une règle. Ils ne restaient jamais longtemps au même endroit.
— Désolée... J'étais prête mais mon père m'a supplié de chanter au festival alors... J'ai perdu du temps.
— Le festival du printemps ? Tu vas participer ?
Est-ce qu'elle avait vraiment eu le choix ? La réponse était non.
— On dirait bien oui. Tu regardes souvent ?
— Ça m'arrive, quand je n'ai rien d'autre à faire. Du coup, je regarderais cette année.
— Vraiment ? Tu n'es pas obligé de regarder parce que je participe tu sais.
Il s'arrêta et Ellie failli lui rentrer dedans. Cela faisait quelques fois qu'il la laissait marcher dans son dos. Habituellement, elle préférait marcher à côté de quelqu'un pour pouvoir le regarder en parlant mais le masque de Fenrir rendait la chose difficile. Cependant, ce n'est pas pour autant qu'il la laissait marcher derrière lui, du moins au début. Laisser quelqu'un marcher derrière soit était une marque de confiance et Ellie le savait bien.
— Je sais bien mais j'ai envie de te voir.
Cette simple phrase suffit à la faire rougir. Elle n'avait pas intérêt à choisir n'importe quelle chanson !
— Alors, pourquoi s'arrête-t-on ?
— Ton entraînement se fera ici. Les arbres ne sont pas trop proches les uns des autres, ce sera très bien.
Pas trop proche, pas trop proche, tout était relatif. Elle, elle trouvait qu'ils l'étaient bien assez pour qu'elle s'y brise les ailes.
— La première chose que tu dois apprendre à faire c'est réussir à ressentir ce qui t'entoure et, plus particulièrement, ce qui entoure tes ailes. La plupart des fées de la nuit peuvent le faire naturellement mais, pour toi, ça risque d'être plus difficile. Ça te permettra de ressentir la présence d'obstacles et de les contourner le plus facilement possible. Les sens habituels ne sont malheureusement pas suffisants dans cette tâche.
C'était bien mignon en théorie mais comment était-elle sensée faire ça ?
Fenrir était lancé dans ses explications. Il avait l'air d'aimer jouer au professeur. Tant mieux. Ellie se serait sentie mal s'il l'avait fait par obligation morale. D'ailleurs, rien ne l'y obligeait. Elle ne savait même pas encore comment elle allait le remercier.
— On va commencer au sol. Assieds-toi en tailleur.
Elle s'exécuta, évasant ses ailes pour ne pas s'asseoir dessus.
— Tend la main et ferme les yeux.
À nouveau, elle obéit et toucha un objet long et dur qu'elle agrippa.
— Je vais me promener autour de toi. Fais de ton mieux pour ressentir ma présence et me frapper avec ce bâton.
Ça avait l'air simple comme ça mais elle se doutait qu'elle allait vite comprendre la difficulté de l'exercice.
Toujours les yeux fermés, elle entendit un très léger frottement au sol, signe que Fenrir avait commencé à se déplacer, puis le son disparu. Cependant, Ellie était certaine que la fée se déplaçait toujours. Il était d'une discrétion exceptionnelle qui confirmait la difficulté de l'exercice.
Bien mais, comment ressentir la présence de quelqu'un autour de soi ? Elle n'avait pas le choix, elle se concentra, tous ses sens en alerte. Elle devait trouver Fenrir. Malheureusement, au bout d'un temps qui lui parut être une éternité, elle ne ressentait toujours rien. Elle s'écroula au sol, ouvrant les yeux.
— Je n'y arrive pas !
Elle se redressa pour constater que Fenrir était devant elle.
— Comment tu fais ?
Fenrir lui tendit une main qu'elle prit et se retrouva à nouveau sur ses jambes.
— Si ça se trouve, je ne suis pas capable de le faire.
— Je suis sûr du contraire.
— Comment pourrait tu le savoir ?
— La forêt me la dit.
La forêt ? La forêt lui aurait dit qu'elle pouvait le faire ? Pourquoi pas après tout. Il lui avait bien dit qu'il pouvait parler aux arbres et que son peuple les considérait comme des divinités alors...
Sans qu'Ellie puisse faire un seul geste de contestation, Fenrir lui prit une main et la plaça sur son torse. La jeune fée du jour rougi instantanément. Même si elle savait que ça faisait partie de l'exercice, elle n'avait jamais été aussi proche d'un homme jusque-là. Sans compter que ce qu'elle pouvait sentir sous ses doigts n'était absolument pas désagréable. Sous ses hauts amples et sa cape noire, Fenrir avait l'air de cacher une musculature bien dessinée digne du guerrier qu'il était et devait être de par son statut de prince.
— Est-ce que tu le sens ?
Ellie reprit finalement le contrôle de ses émotions tandis que la nouvelle information qu'elle venait d'acquérir se rangea bien au chaud dans un coin de son esprit.
— Sentir quoi ?
— Les battements de ma vie.
Ellie ferma les yeux, la main gauche toujours collée au torse de Fenrir. Cette fois-ci, il ne lui fallut que quelques instants pour pouvoir sentir des battements. Les battements de son cœur. Elle savait qu'elle devait sourire béatement mais elle garda les yeux fermés.
— Je le sens.
— Très bien. Maintenant recule tout en restant concentrée sur cette sensation. Tu dois réussir à me ressentir malgré la distance.
Malgré le profond désir qui la poussait à rester près de lui, Ellie recula. Au début, elle considérait qu'il était impossible de pouvoir ressentir les battements du cœur de quelqu'un à distance puis elle se rappela comment il avait appelé ça. « Les battements de ma vie. ». Sa vie continuait et elle devait donc être capable de la sentir. Après tout, les arbres avaient dit qu'elle pouvait le faire.
Elle se concentra alors autant qu'elle le pouvait sur la sensation dans ses doigts tout en reculant. Incroyable ! Elle les sentait encore ! Elle ressentait encore les battements malgré la distance !
— Bravo, tu as réussi. Nous sommes à présent connectés. Attrape.
Ellie ouvrit les yeux et attrapa le bâton au vol. Elle les referma ensuite, comprenant ce que Fenrir voulait faire.
Cette fois-ci, elle ne prit même pas la peine de s'asseoir. Elle comprenait, à présent, qu'elle n'aurait jamais pu réussir lors de son précédent essai. Ce qu'elle ressentait autour d'elle n'avait rien à voir avec ce que permettait de ressentir les sens habituels. C'était comme si elle voyait Fenrir se déplacer autour d'elle. Comme si elle voyait son énergie vitale se déplacer même les yeux fermés.
Sans réfléchir plus, elle donna un coup de bâton dans la direction de Fenrir quand son énergie recula. Le bougre, il a sauté en arrière.
C'est alors qu'un véritable échange d'estoc et d'esquive commença. Ellie attaquait et Fenrir se déplaçait obligeant la fée du jour à rester concentrée sur son énergie. Elle ne saurait donner la durée de leur échange mais quand le prince lui annonça qu'ils allaient arrêter pour aujourd'hui, elle s'écroula au sol, pour la seconde fois de la journée. Mais, cette fois-ci, elle était fière d'elle.
— Je suppose que ce n'est qu'une étape.
— Certes mais une étape importante.
Fenrir s'assis à côté d'elle alors qu'elle étirait ses ailes.
— La prochaine fois, tu feras pareil avec les arbres.
— Je ne compte pas me battre avec des arbres.
Sans qu'elle s'y attende, Fenrir éclata de rire. C'était la première fois qu'elle l'entendait rire et ça raviva considérablement son rougissement.
— Ce n'était pas prévu au départ mais j'avoue m'être laissé emporter.
Alors, comme ça, le prince de Teneris pouvait se laisser emporter, intéressant.
— Tu n'as pas du trop te laisser emporter sinon je serais au sol depuis longtemps. Nous n'avons pas dû suivre le même type d'entraînement tous les deux. Je ne fais pas partie de la royauté.
— Faire partie de la royauté n'est pas forcément une chance.
— Pardon ?
Il avait parlé si doucement qu'Ellie n'avait pas tout entendu mais sa voix était soudainement devenue beaucoup plus sombre.
— Ce n'est rien. Tu devrais rentrer, il se fait tard.
Toujours dubitative, elle se leva cependant. Il avait changé d'attitude en une seconde pour redevenir presque aussi froid que lors de leur première rencontre.
— Le festival est dans trois jours. Je ne pourrais peut-être pas venir demain.
Il ne lui répondit pas et ne la suivit pas non plus alors qu'elle s'avançait vers la lisière de la forêt. Et elle qui pensait avoir fait des progrès avec lui...
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— Votre Altesse, ça ne va pas ?
— Je vais bien Fatzìs, merci.
Depuis le temps qu'il le servait, le litard arrivait à deviner ses émotions malgré son masque. Ces temps-ci, il était particulièrement doué pour celles ayant un rapport avec Ellie.
— Sauf votre respect mon seigneur, vous devriez peut-être lui parler de votre passé.
Il ne lui répondit pas. Il savait que son serviteur avait raison mais il n'en était pas encore capable et ça l'énervait au plus haut point. Elle lui avait livré toute sa vie, sans filtre, sans arrière-pensée et lui ne lui avait dit que des choses générales sur la vie à Teneris. C'était en partie pour ça qu'il avait accepté de lui donner des leçons de vol. Il était heureux qu'elle partage ses problèmes avec lui et lui était incapable de faire de même.
Il entra dans sa cabane et s'enfonça dans un des fauteuils. Fatzìs avait pris l'habitude de le suivre jusqu'à la frontière et ce jour-là ne faisait pas exception. Le petit être s'assis sur une chaise derrière lui, silencieux. Fenrir se rendait bien compte que son serviteur s'inquiétait pour lui mais il ne pouvait rien y faire. Il retournerait à la frontière le lendemain et il y retournerait encore et encore jusqu'à ce qu'il réussisse à s'ouvrir à la fée du jour. Sa présence lui faisait du bien. Quand il discutait avec elle, il n'était plus le prince de Teneris jusqu'à ce qu'elle évoque le sujet...
— Tu crois que ma réaction était exagérée ?
— Je crois que mademoiselle Héliris ne peut pas savoir qu'il ne faut pas évoquer un certain sujet si vous ne lui dîtes pas.
Et il était tout à fait d'accord avec ça.
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