Chapitre 4 - Echange d'informations
Pourquoi ? Par tous les Selkys pourquoi ? Pourquoi n'arrivait-elle pas à se sortir ce prince de la tête ? Il était clair que leur rencontre était pour le moins originale et qu'elle avait bien envie de savoir ce qu'un membre d'une famille royale faisait aussi prêt de la frontière. Mais était-ce suffisant pour qu'elle ait autant envie de retourner là-bas ?
Il était vrai que rester chez elle devenait de plus en plus difficile. Elle qui, en temps normal, adorait passer du temps avec ses parents en venait à fuir le contact paternel. Elle n'arrivait tout simplement pas à aborder le sujet de Ronan et ça la frustrait. De son côté, Iliakó avait bien compris que quelque chose ne tournait pas rond et, étant donné que sa fille passait tout son temps à changer de sujet dès qu'il parlait travail, il avait vite compris de quoi il en retournait. Elle était au courant.
Tel père, telle fille, le chef de la garde ne savait pas comment parler de son futur successeur avec Ellie et le malaise finit par totalement s'installer.
Au final, la jeune fée du jour ne faisait peut-être que se chercher des excuses. Elle mettait sur le dos de la tension familiale, son envie de retourner à la frontière. Dès le départ, elle avait été curieuse au sujet de Fenrir sinon elle ne serait pas allée chercher son dossier. De toute façon, rester à proximité du palais, là où elle pourrait croiser Ronan à tout moment, n'était pas vraiment une bonne idée. Elle n'avait pas encore trouvé comment montrer sa valeur au roi et elle ne savait pas si elle réussirait à se contenir si elle se retrouvait face à face avec cet... Ce type.
C'est ainsi qu'elle se retrouva à voler au-dessus des plaines verdoyantes qui séparaient Ostria de la frontière entre les deux royaumes.
Finalement, il n'y avait rien de mieux que voler pour oublier ses problèmes. Ses ailes avaient retrouvé leur fluidité malgré une légère douleur à un point bien précis. Heureusement, les médecins royaux étaient les meilleurs et leur crème fonctionnait à merveille. Le pire qui aurait pu lui arriver était bien de se retrouver handicapée. Pour une fée, être cloué au sol était bien pire que la mort.
Ellie arrivait à un point spécifique de Solum. De là, elle pouvait voir la fin des prairies fleuries baignées de lumière de son royaume et le début de l'infinie forêt de Teneris. En faisant attention, on pouvait même voir la fameuse pente à descendre pour se retrouver sur le territoire du roi Miloren. De cette distance, la forêt ne paraissait pas si menaçante : le soleil se reflétait sur les feuilles des premiers arbres qui formaient la coupole qui empêchait la lumière solaire d'entrer. Le tout était d'un vert éclatant, une couleur magnifique.
Quelques petites minutes suffirent à la fée du jour pour se poser devant la première rangée d'arbres. Elle leva la tête en direction d'un des plus grand se trouvant sur sa droite.
— Tu vois, j'ai fait attention cette fois. Dit-elle, ironiquement.
Cette forêt avait vraiment un drôle d'effet sur elle. Voilà qu'elle se mettait à parler à un arbre comme s'il allait lui répondre.
— Il te remercie.
Surprise, Ellie se retourna brusquement vers l'entrée de la forêt. Là, se tenait la fée au masque.
— Vous parlez aux arbres ?
— Tous les habitants de Teneris n'en sont pas capable mais j'ai passé plus de temps dans cette partie de la forêt que n'importe qui.
À vrai dire, elle ne savait pas si le « vous » qu'elle avait employé était un vouvoiement ou une marque de pluriel mais la fée de la nuit l'avait pris comme tel. Tant mieux, ça voulait dire qu'elle pouvait le tutoyer. Malgré le fait qu'il soit un prince, elle avait du mal à vouvoyer quelqu'un du même âge qu'elle. Enfin, d'après les hypothèses formulées dans son dossier.
— Sinon, que fais-tu ici, petite fée du jour ? Demanda-t-il d'un ton d'une neutralité effrayante.
Question légitime mais elle n'était pas du genre à se laisser impressionner.
— Je pourrais vous retourner la question votre Majesté. Qu'est-ce qu'un prince fait aussi loin de son palais ?
Le vouvoiement était ici uniquement ironique et elle était sûre qu'il l'avait compris.
— Je vois que tu as fait des recherches. Tu as l'air plus sûre de toi que la dernière fois.
En même temps, la dernière fois c'est à peine si elle était capable de voler et elle était perdue dans un lieu inconnu. Elle n'en menait pas large. D'ailleurs, il avait magnifiquement ellipsé sa question.
— Néanmoins, pour répondre à ta question, toi et ton royaume m'intéressent, répondit-elle.
Elle aimerait bien décrire les expressions de son interlocuteur mais son masque était toujours aussi présent. Par contre, il lui fit signe de la suivre ce qu'elle fit sans même réfléchir. Elle n'allait pas rentrer chez elle maintenant.
— Et, puis-je savoir pourquoi mon royaume et moi t'intéressons ? Demanda-t-il tout en marchant à côté d'elle.
Ils s'enfonçaient dans les bois mais ne semblaient pas avoir de destination fixe. Ils n'allaient pas vers la cabane sinon Ellie aurait reconnu le chemin.
— Curiosité maladive je présume et puis, j'ai besoin de me changer les idées.
— Par rapport à celui qui a pris ta place ? Demanda le prince, surprenant Ellie.
Elle ne savait pas quoi penser du fait qu'il se souvenait de leur conversation. Elle était à la fois émue et légèrement embarrassée.
Tout ce qu'elle put faire pour répondre fut un hochement de tête. C'était tout ce dont elle était capable sur le sujet Ronan. En parler la mettait encore en colère et elle aimerait éviter de s'énerver devant lui. Il sembla comprendre car il ne continua pas sur sa lancée.
— Bien, dans ce cas j'accepte de te parler de mon royaume mais à une condition.
— Qui est ? Interrogea Ellie, méfiante.
— Tu devras répondre à mes questions. C'est du donnant-donnant.
Ça ne lui posait pas particulièrement de problème. Qu'est-ce qu'elle savait de si important ? Il y avait bien les stratégies d'attaque des gardes de Solum mais il était impossible qu'il sache qu'elle les connaissait.
— Ça marche ! Fenrir c'est ça ?
— Oui. Héliris ?
— Ellie. Alors, qu'est-ce que tu fais aussi loin de ton château ?
Bien qu'ils se soient mis d'accord, poser des questions personnelles à un parfait inconnu lui faisait bizarre mais elle voulait les poser, elle voulait savoir. Simple curiosité ou non, quelque chose la poussait à vouloir en savoir plus sur lui.
— Je ne reste jamais très longtemps au château. Je préfère vivre ici. Répondit-il très évasif.
Surprenant quand on comparaît ça aux princesses qui ne pourrait pas vivre très longtemps en dehors du luxe dans lequel elles étaient nées.
— Tu vis dans la cabane de l'autre fois ? Je veux dire... Tu es tout seul ?
— Fatzìs n'est jamais très loin.
Il disait ça comme si elle savait de qui il s'agissait. Il surestimait grandement les informations qu'elle avait réussi à collecter.
Alors qu'elle allait poser une autre question, elle glissa et faillit dévaler la pente à sa droite. Heureusement, ses réflexes lui firent déplier ses ailes et elle put se projeter en arrière. Elle n'avait même pas remarqué qu'ils marchaient le long de la pente séparant les deux royaumes.
— Marcher le long de la frontière est difficile pour les étourdis. S'exclama Fenrir, son ton neutre laissant la place à un peu d'humour.
Pardon ? Il se moquait d'elle alors qu'elle avait failli se blesser pour la seconde fois en quelques jours ? Il vivait peut-être seul mais ça ne l'empêchait pas d'avoir l'arrogance d'un membre de la royauté.
— Néanmoins, joli réflexe. Je vois que ton aile est guérie. Reprit-il, plus conciliant.
— Plus ou moins. J'aimerai éviter de m'embrocher à nouveau.
Et le petit rajout de compliment qui faisait passer le tout. À croire qu'il faisait ça tous les jours.
— Comment se passe la vie à Solum ?
— Tu n'as pas plus vague comme question ?
Ellie avait répondu ça du tac au tac alors qu'elle reprenait sa marche derrière Fenrir tout en jaugeant le fossé du regard.
— Hum... Oui tu as raison... Restreint toi à ta vie alors.
Elle avait comme l'impression qu'il ne changerait plus sa question. Bien, elle allait devoir résumer tout ça.
— De base, je n'aurais pas dû naître. Elle savait bien que sa phrase était un peu dure mais elle n'avait pas d'autre termes. À l'époque, mon père était devenu chef de la garde royale depuis peu de temps et il était censé se marier à la princesse Cassandre, la petite sœur du roi Achéon, mais il aimait déjà quelqu'un. Il était tombé amoureux, des années auparavant, d'une servante, ma mère.
— Il a donc refusé son mariage arrangé ? Demanda curieusement Fenrir.
— Oui mais ça n'a pas été si simple. La princesse Cassandre était véritablement amoureuse de mon père. Ils avaient grandi ensemble, Iliakó étant le meilleur ami du roi Achéon. Mais elle était pure gentillesse. Mon père m'a raconté plusieurs fois à quel point elle était bonne et à quel point elle aurait fait une princesse incroyable une fois adulte.
— Je ne comprends pas. D'après mes sources, Achéon est le seul membre de la famille royale habitant dans le palais si on ne compte pas ses filles.
Ellie soupira. Cette histoire était toujours dure à raconter. Ses parents lui avaient dit mille fois qu'elle n'y était pour rien mais elle ne pouvait pas s'empêcher de culpabiliser.
— Cassandre ne voulait pas rendre mon père triste en l'obligeant à l'épouser mais elle se referma sur elle-même jusqu'à ce qu'un événement la fasse définitivement quitter le palais.
— Un événement ? Comme quoi ?
— Ma naissance.
Elle pouvait comprendre Cassandre. Ça avait dû être si dur de voir celui qu'elle aimait être heureux auprès de quelqu'un d'autre. Elle avait dû tellement souffrir. Quand Ellie est née, la princesse a dû atteindre ses limites et elle a quitté sa famille pour ne jamais rentrer. Aujourd'hui, personne n'était capable de dire si elle était encore en vie ou non.
— Enfin bref, ma naissance n'est pas particulièrement passionnante...
Parler de ça ne la dérangeait pas. Après tout, ça faisait partie de son histoire. En revanche, elle n'était pas sûre que ça intéresse vraiment le prince.
— La noblesse de Solum est peut-être moins coincée et arrogante que je ne le pensais.
— Par...
Elle aurait voulu s'énerver mais elle se rendait compte qu'elle avait elle-même pensé la même chose un peu plus tôt. Que la royauté de Teneris était arrogante, sans même les connaître.
— Je suppose que c'est un préjugé assez courant sur les familles royales.
Elle prit le risque de lever la tête, éloignant son regard du fossé, et regarda autour d'elle. En soit, la forêt était belle mais sombre, tellement sombre. Même maintenant, en pleine journée. Ce n'était pas pour rien que Teneris était surnommé le royaume de la nuit.
— Ça ne te dérange pas ? Demanda-t-elle sans réfléchir.
Elle se rendit alors compte que sa question n'avait aucun sens pour qui n'était pas dans sa tête.
— Je n'ai connu que ça. Pour moi, comme pour les autres habitants de Teneris, c'est normal de vivre ainsi. Il m'arrive cependant de voir le soleil à la frontière et la lumière dans quelques endroits particuliers.
Mais comment avait-il fait ? Il était télépathe ? Ou est-ce elle qui était lisible comme un livre ouvert ?
— Et comment vous vous éclairez ? Continua-t-elle.
— Sache qu'il y a beaucoup d'autres formes de lumière que celle du soleil Ellie.
— Ça ne répond pas à ma question...
Cette façon qu'il avait de prononcer son prénom. Doux et sec à la fois, très masculin. Pour une fois, elle était bien contente que la luminosité soit si faible. Peut-être qu'il ne la verrait pas rougir.
Néanmoins, ça ne l'étonnerait pas qu'il soit capable de voir dans la nuit comme en plein jour. Sans compter le fait qu'elle lui arrivait à peine au-dessus de la poitrine. Elle ne s'était jamais sentit petite mais là...
Elle observait toujours le paysage quand un sifflement lui fit relever la tête.
— C'est un colibri-messager.
Elle en était certaine. Leur petit sifflement était reconnaissable entre mille.
— On dirait bien que tu vas devoir rentrer chez toi. Affirma la fée de la nuit.
Elle se retourna vers Fenrir. Il avait raison et pourtant... Elle ne voulait pas rentrer. Elle avait encore tant de choses à lui demander, tant de secrets à découvrir.
— Demain même heure ? proposa le Prince.
Le sourire qui apparut sur le visage de la jeune fée du jour était éblouissant et rare. Il n'aurait pas pu dire quelque chose de plus réjouissant.
— Évidement ! À demain !
Elle courut dans le sens inverse, s'éloignant progressivement du fossé. Ce serait génial si elle pouvait demander à Fenrir de lui apprendre à voler entre les arbres mais ce serait sans doute trop demander...
Ellie se rendait compte que sa méfiance à l'égard du prince était quasi-nulle en cet instant et ça l'amusa grandement. Elle avait hâte de savoir ce que le futur lui réservait encore.
Une fois sortie de la forêt, le colibri qu'elle avait entendu se posa joyeusement sur son bras.
— Tu es venu me chercher Phila ?
Un sifflement joyeux lui répondit. Phila était le colibri de sa famille. S'il était là c'était que ses parents l'appelaient. Heureusement, cela ne signifiait pas qu'ils savaient où elle se trouvait. Les colibris étaient capables de retrouver leur propriétaire sur des kilomètres sans qu'on leur donne aucune indication.
Le soleil commençait déjà à se coucher. Elle était restée à Teneris beaucoup plus longtemps qu'elle ne le pensait. Elle qui avait l'habitude de se repérer grâce à la luminosité, c'était impossible dans la forêt du royaume de la nuit. Il faudrait qu'elle demande à Fenrir comment il faisait. En fait, il faudrait qu'elle note toutes ses questions pour ne pas les oublier.
Ce soir-là, Iliakó et Lila ne lui posèrent aucune question. Il était habituel pour elle d'aller se balader autour de la capitale même si c'était bien la première fois qu'elle programmait Teneris comme destination. Par ailleurs, ils tenaient bien trop à leurs moments à trois pour déclencher des disputes aussi futiles que l'heure de retour d'Ellie. Si ses parents avaient envoyé Phila, c'était surtout pour l'avertir que son père était rentré et qu'ils allaient bientôt dîner.
Ils étaient d'ailleurs installés à table, Lila servant les plats, quand elle mit une main sur le front de son mari.
— Tu as l'air exténué mon amour...
— Ne t'en fais pas Lila. Plusieurs grands événements sont à venir et la garde se doit d'être prête.
Comme toujours, Iliakó ne parlait pas de l'entraînement du futur chef de la garde qui devait aussi lui prendre du temps. Il n'a jamais ne serait-ce qu'évoqué le sujet en la présence de sa fille. Il pensait ainsi, éviter le plus possible le malaise de s'installer trop longtemps.
— Même Achéon avait l'air désespéré quand il a vu la montagne de papiers qu'il lui restait. Il m'a dit : « Mon vieux, toi et moi, on est bien meilleurs une épée à la main. ».
— Je ne peux pas le contredire, la paperasse ça n'a jamais été ton truc.
Les parents d'Ellie s'échangèrent alors un court mais tendre baiser qui fit sourire cette dernière. Voir l'amour que se portaient ses parents, un amour qui avait dépassé les classes sociales, lui faisait toujours plaisir et la remplissait de fierté. Peu importait que sa mère ne soit pas princesse, son père l'aimait. Oui, ils avaient su détruire les barrières qui les séparaient.
Un peu plus tard, Ellie était assise sur le balcon de sa chambre, les jambes dans le vide. Les maisons d'Ostria possédaient presque toutes ce genre de balcon sans rebord. Ils permettaient aux fées d'atterrir sans risque de se prendre les jambes dans de la pierre.
En pensant à cela, elle se dit qu'ils étaient vraiment précieux en comparaison des fées de la nuit qui avaient réussi à dompter leur environnement et voler entre les branches. Ce qu'elle aimerait savoir faire ça... Enfin, elle verrait plus tard. En attendant, demain, elle retournait à la collecte d'informations !
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