Chapitre 12 - La magie des Litards

Ellie ne s'est jamais habillée aussi vite de sa vie. Au diable les bonnes manières, elle ne pouvait pas se permettre d'être pudique quand des gardiens de son père se trouvaient à Teneris, devant la cabane de Fenrir. Elle eut tout juste le temps de passer ses cheveux par-dessus son haut quand de grands coups retentirent. Qui que soit celui qui avait été envoyé ici, il n'était pas patient.

Elle ouvrit la porte, suivit de Fenrir et de Fatzìs, caché derrière son maître et c'est, sans réelle surprise, qu'elle découvrit Ronan, arborant fièrement l'uniforme de la garde de Solum, lui sourire de toutes ses dents.

— Excusez-moi de vous déranger dans votre... Intimité. J'ai reçu l'ordre de ramener Héliris à Ostria sans délai. Le conseil souhaite lui parler.

Le conseil ? Mais qu'est-ce que les vieux dignitaires de Solum lui voulaient ? Le roi Achéon avait pourtant semblé approuver son inscription au tournoi la veille.

Ronan a dû comprendre à quoi elle pensait parce que c'est avec un sourire satisfait qu'il s'expliqua.

— Ils pensent que la future femme du chef de la garde ne devrait pas s'amuser ainsi et fricoter avec le prince de Teneris.

Bizarrement, elle était presque certaine que « fricoter » n'était pas le terme qu'avaient employé les anciens du conseil. Elle ne savait pas ce que Ronan avait fait mais il ne s'en tirerait pas comme ça.

— Comment ça ta future femme ? Tu...

Ellie réagit immédiatement en agrippant le bras de Fenrir. Il ne devait surtout pas s'énerver devant Ronan, ça lui ferait trop plaisir et ce serait avouer qu'il gagnait une manche.

— Ne t'en fais pas, je vais arranger ça. Mon père fait partie du conseil, ça va bien se passer, lui murmura-t-elle.

Laissant Teneris derrière elle, Ellie ne put s'empêcher de sourire tout en suivant Ronan et les quelques gardiens qu'il avait pris avec lui. Fenrir était toujours d'un calme exemplaire et, pourtant, il est parti au quart de tour en entendant Ronan. Il ne supportait pas l'idée qu'elle soit liée à quelqu'un d'autre. Cette pensée fit remonter les souvenirs de la veille à l'esprit de la jeune fée et des papillons s'agitèrent dans son ventre. Néanmoins, elle avait l'impression qu'elle n'allait pas pouvoir tout de suite profiter de sa nouvelle vie de couple.

La traversée de la forêt ne lui a jamais paru si courte. Elle eut à peine le temps de réfléchir à la stratégie qu'elle allait adopter qu'elle se retrouvait devant la porte de la salle du conseil. Les gardiens étaient retournés à leurs postes respectifs avec, pour quelques-uns d'entre eux, un regard compatissant dans sa direction. Elle avait donc encore du soutien au sein de la garde, c'était toujours plaisant à savoir.

Ronan ouvrit la grande double porte, un sourire suffisant sur le visage. Ellie ne considérait pas ça comme étant bon pour elle. Pas du tout. À l'intérieur, le conseil était réuni autour de leur table en demi-cercle, le roi présidant la séance. Ellie ne savait pas ce qu'elle devait penser de cette situation. Elle savait que son père et le roi plaideraient en sa faveur, qu'elle que soit la raison pour laquelle elle a été appelée. Quant aux anciens, ils étaient intelligents mais avaient à cœur les anciennes lois. La fée aux ailes d'or espérait que Ronan n'avait pas réussi à jouer là-dessus.

— Héliris Bagueria. Avancez, je vous prie.

Quand c'était l'ancien elfe blanc qui prenait la parole et non le roi, c'était rarement bon signe...

Ellie s'avança et s'arrêta au centre du demi-cercle, face au roi. L'elfe blanc reprit alors la parole.

— Mademoiselle Bagueria, Monsieur Ronan Cavs vous a trouvé dans le territoire du royaume de Teneris. Réfutez-vous ce fait ?

Face à un elfe, toujours dire la vérité.

— Non, mon seigneur.

— Et réfutez-vous le fait d'avoir été en compagnie du prince Fenrir Azares de Teneris ?

— Non, mon seigneur.

Les murmures des anciens n'étaient vraiment pas bon signe. Pas plus que le regard baissé du père d'Ellie.

— Très bien... J'ai encore une question à vous poser. Étiez-vous en relation avec le prince Fenrir durant la durée du tournoi du jour et de la nuit ?

— Oui, mon seigneur.

Cette fois, c'est Ronan qui s'avança, un sourire sadique sur le visage. Décidément, il était d'humeur joyeuse ce jour-là.

— Je tiens à ajouter que, lorsque que j'ai trouvé Héliris, elle sortait d'une cabane perdue au milieu de la forêt de Teneris en compagnie du prince Fenrir. Je confirme donc les soupçons que j'avais à propos de Teneris. Ils veulent nous voler nos guerriers en commençant par la fille du chef de la garde actuel et la femme du prochain.

— Pardon ? Mais qu'est-ce que tu racontes ? J'ai rencontré Fenrir tout à fait par hasard et ma participation au tournoi n'a rien avoir avec lui ou son royaume !

— Vous voyez ? Elle l'appelle par son prénom. Elle a déjà perdu un peu de son libre arbitre. Nous devons absolument protéger Héliris et arrêter Teneris !

— Quoi ? Mais...

— Tu n'as plus la parole Héliris, s'écria un ancien. Votre majesté, nous devons prendre les mesures qui s'imposent.

Ellie espérait de tout cœur que le roi Achéon et son père ne croyaient pas une minute à ces histoires. D'autant plus qu'Iliakó n'était pas du genre à imposer un mariage à sa fille. Toute cette histoire était une belle plaisanterie menée par l'esprit tordu de Ronan. Serait-il prêt à déclencher une guerre pour pouvoir la maintenir en laisse ? Juste parce qu'elle l'a vaincu au tournoi ?

— Il est trop tôt pour nous attaquer à Teneris. Je préfère en parler avec Miloren au préalable. Après toutes ces années de paix, je ferais tout pour ne pas entraîner une nouvelle guerre. Quant à Héliris, par mesure de sécurité, elle sera enfermée dans une des prisons du château. Cette décision vous convient-elle ?

Les anciens n'avaient pas l'air en joie mais acquiescèrent tout de même. Ronan agrippa alors le bras d'Ellie, l'emmenant vers la prison. En sortant de la salle du conseil, elle vit le roi discuter avec son père. Elle espérait qu'il n'aurait pas de problèmes à cause d'elle. Même si elle n'avait rien fait de mal à proprement parler, elle avait quand même servi des éléments compromettant à Ronan sur un plateau d'argent. D'ailleurs, en parlant d'éléments compromettant, elle n'avait plus qu'à croiser les doigts pour que Fenrir ne fasse rien qui envenimerait encore la situation.

Quand Ronan referma la porte à barreaux sur Ellie, il lui lança un regard noir.

— Ne pense pas que tu as gagné parce que le roi veut utiliser les pour-parler. Rien n'est terminé. Ton petit prince ne pourra rien faire. Ni pour toi, ni pour son royaume.

— Pourquoi tu fais ça ? Pourquoi vouloir déclencher une guerre ? Pourquoi me vouloir pour épouse ?

— Pourquoi ? Je te croyais plus intelligente que ça. En te gardant à mes côtés, je m'octroie les faveurs des nobles d'Ostria. Je suis déjà considéré comme le prochain chef de garde mais si je suis celui qui vainc le royaume de Teneris en mettant un complot à jour, je monterai encore dans l'opinion publique ! De plus, quand nous aurons vaincu Teneris, le roi Achéon aura besoin de quelqu'un pour gouverner ce nouveau territoire. Et je serai là !

— Tu es fou ! La dernière guerre a durée plusieurs années et personne n'a gagné au final !

— Ne me fait pas croire que tu t'y connais en stratégie militaire. Allez, bon séjour !

Soit il était fou, soit il avait un atout dans sa manche dont elle n'avait aucune idée. Dans les deux cas, il fallait à tout prix qu'elle empêche cette guerre. Mais, enfermée au dernier sous-sol du château, ça risquait d'être compliqué...

Elle réfléchissait à s'en faire mal au crane quand elle entendit un battement d'ailes près de la porte de sa cellule. Elle regarda à peine le nouveau venu, sachant parfaitement différencier le son des ailes de fée de celui des ailes d'animaux à plumes, mais quand le corbeau se mit à taper contre les barreaux, elle s'y intéressa plus fortement et elle eut raison. Dans son bec, un morceau de papier pendait. Elle le prit et lit.

« Je t'attendrais à l'orée de la forêt. Je sais que tu vas trouver un moyen de me rejoindre. Je t'aime. Fenrir. »

Ce petit mot suffit à redonner le sourire à Ellie. Il l'attendait. Néanmoins, elle ne savait toujours pas comment sortir de sa prison. Elle regarda à nouveau le corbeau après avoir mis le papier dans sa poche et ses yeux se mirent à briller quand elle se rendit compte de quelque chose.

— Fatzìs ? C'est toi ?

À peine eut-elle fini sa phrase que l'animal à plumes laissa place au petit serviteur, agenouillé devant elle.

— Je commence à comprendre pourquoi les anciens craignent autant les Litards. Vous deviez être des espions de premier ordre durant la dernière guerre.

— Et nous le sommes toujours, Mademoiselle. Puis-je vous aider à sortir d'ici ?

— J'ai bien peur que seuls les membres du conseil ne possèdent une clé pouvant ouvrir cette porte. Notre meilleure chance serait que tu trouves mon père.

— Grand, blond aux yeux bleus, de grandes ailes dorées ?

— C'est lui.

— Je m'en occupe Mademoiselle. Considérez que vous êtes déjà auprès de mon prince.

— Je te fais confiance, Fatzìs.

Sur ce, le petit être se transforma à nouveau en corbeau et s'envola, sans doute vers la fenêtre la plus proche. Ellie dû attendre un certain temps avant d'entendre les portes du couloir s'ouvrir et de voir son père arriver devant sa cellule, une clé à la main. Il lui ouvrit, sans un mot, et alors qu'elle s'apprêtait à s'excuser, il la prit dans ses bras.

— Nous n'avons pas beaucoup de temps, ma chérie. J'ai une confiance totale en toi. Je ne connais pas toute l'histoire mais je sais que tes choix seront les bons et, surtout, je sais que tu seras plus en sécurité auprès du prince de Teneris qu'ici.

— Papa, Ronan, il...

— Je sais. Cela fait un moment que j'enquête sur lui. Pour l'instant, il vaut mieux que tu t'en ailles. Je te préviendrai dès que la situation se sera calmée. Maintenant va-t'en ! Je n'ai pas le temps de t'en dire plus pour le moment.

C'est avec difficulté qu'Ellie quitta les bras de son père pour courir en dehors du palais. Là, elle trouva Fatzìs, sous sa forme animale, qui l'attendait. Celui-ci s'envola dès qu'elle arriva à sa hauteur et elle le suivit non sans un dernier coup d'œil en arrière.

— Ne t'inquiète pas Solum, tu ne subiras pas une nouvelle guerre. Nous ferons tout pour.

La fée du jour eut l'impression de mettre un temps fou à parcourir la distance qu'elle avait pourtant déjà fait des dizaines de fois auparavant. C'était, en partie, parce qu'elle suivait Fatzìs dans un itinéraire tout sauf simple, permettant de ne pas se faire repérer, mais, surtout, parce que la situation actuelle lui faisait atrocement peur. Et si Iliakó ne réussissait pas à arrêter Ronan ? Et si le conseil se laissait aveugler par son désir de vengeance ? Et si le monde des fées tout entier était mis en péril par sa faute ? Rien que d'y penser, elle en avait des sueurs froides.

Heureusement, une lueur de joie illuminait cet avenir incertain : les bras de Fenrir, tendus vers elle alors qu'elle atterrissait. Il ne portait pas son masque et n'attendit pas pour l'embrasser dès qu'elle mit pied à terre.

— Nous ne pouvons pas rester là. Ronan pourrait avoir des espions dans le coin.

Ellie acquiesça et suivit son amant dans la forêt. Elle dû utiliser toute la dextérité de vol qu'elle avait acquis pour pouvoir suivre le prince dans une partie de la forêt qu'elle n'avait encore jamais vu.

— Où est-ce qu'on va ?

— Il serait trop dangereux d'aller à la cabane que j'utilise habituellement mais il y en a plein d'autres dans cette forêt. J'ai demandé à une amie de nous retrouver là-bas.

Il fallut encore un petit temps de vol pour, enfin, arriver devant le point de rendez-vous. Ellie ne savait pas trop quoi en penser. Cette cabane était exactement identique à celle dont elle avait l'habitude mais, en même temps, elle était différente, comme abandonnée.

Fenrir lui prit la main et entra dans la cabane. À l'intérieur, une Ermine attendait. Cette race ressemblant à des fées sans ailes mais avec des attributs animaliers, existait aussi bien à Solum qu'à Teneris, contrairement aux Litards, mais Ellie fut quand même surprise d'en voir une dans cette cabane.

— Ellie, je te présente Luna, une Ermine loup comme tu peux le voir. Elle va te déguiser pour que tu puisses entrer sans problème à Pétris.

— Je suis enchantée de vous rencontrer Mademoiselle Héliris. C'est un honneur de pouvoir vous aider.

— Je t'en prie, oublie le cérémonial. On a un peu près le même âge non ? répondit la jeune fée, un peu gênée par tant de politesse venant d'une inconnue.

— Oui Mademoiselle...
— Ellie, juste Ellie.

Luna souri et partit au fond de la cabane chercher son matériel. Sa queue se balançait au rythme de ses pas et ses oreilles blanches restaient bien droites, signe d'une vie dans la noblesse. Néanmoins ses cheveux bruns-noirs attachés en chignon serré et sa queue de neige, légèrement repliée sur elle-même, montraient qu'elle avait l'habitude d'obéir aux ordres.

Fenrir s'approcha d'Ellie et lui expliqua doucement.

— Luna travaille à mon service depuis des années ; j'ai totalement confiance en elle. Grâce à ses compétences, je te ferais entrer au palais sous mon service et, une fois que la situation se sera calmée, je te présenterai à mes parents.
— Le roi et la reine de Teneris... C'est étrange, j'en viens à avoir peur que la situation se calme trop vite.

Fenrir se mit à rire et prit Ellie dans ses bras par derrière.

— Ne t'en fais pas pour ça, je serais toujours là pour toi et Luna restera avec toi durant tout ton temps d'adaptation. Elle est au courant de notre petit problème politique.
— Je ne m'en fais pas, j'ai confiance en toi.

Fenrir était en train de lui caresser les cheveux quand Luna revint, les bras pleins.

— Pouvons-nous commencer ? Demanda-t-elle.
— Je te la laisse. Je vous attends dehors avec Fatzìs.

Luna se pencha dans une légère révérence pendant que Fenrir quittait la pièce et s'approcha d'Ellie.

— Le plus simple est que je te déguise en Ermine. Il serait trop risqué de te faire passer pour une fée de la nuit : voler te serait impossible. Un lynx t'irait ?

Ellie ne s'était pas attendu à être déguisée en Ermine mais, Luna avait raison, c'était le choix le plus logique. Maintenant, elle se demandait comment la louve allait réussir à cacher ses ailes.

— Ça me va très bien. Je te laisse faire.

Luna souri simplement et lui demanda de s'asseoir dans une des chaises présente dans la pièce. Pièce qui n'avait strictement rien à voir avec ce qu'elle connaissait de la cabane de Fenrir. Elle était à peine aménagée et ne contenait que quelques chaises, une table et quelques cartons.

— Cette cabane, comme toutes les autres, était utilisée pendant la dernière guerre comme poste de guet. Aujourd'hui, la plupart sont abandonnées.
— Et sont devenues les repères de Fenrir.
— Oui, en effet. Le Prince préfère la tranquillité de la forêt à la folie du palais royal.
— Tu as l'air de bien le connaître.

— Disons que ça fait longtemps que je le sers. Quand on a la chance d'avoir un bon maître, on essaie de le garder.

Ellie n'était absolument pas jalouse de Luna. Elle sentait bien la soumission que cette dernière ressentait envers son Prince mais leur relation l'intéressait. Elle se demandait comment une personne pouvait se sentir inférieure à une autre et, pourtant, avoir ainsi gagné son amitié et sa confiance. Fenrir aimait décidément sortir des sentiers battus.

Une bonne heure plus tard, la porte de la cabane s'ouvrit sur deux Ermines. L'une était une louve souriante et fière et l'autre, un lynx rougissant à la queue pendante, ses longs cheveux lâchés lui arrivant au niveau des hanches.

La fée de la nuit qui attendait à l'extérieur en compagnie d'un Litard, envoya un regard entendu à la louve et souri au lynx tout en prenant son visage en coupe.

— Tu es parfaite, nous pouvons y aller. Direction Pétris. 

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