2
Gauthier
Je n'arrive pas à y croire ! Ce n'est pas possible ! L'univers a décidé de se foutre de ma gueule ! Il fallait que la seule route pourrie que je décide de prendre soit celle où elle tombe en panne. Elle ! La rousse du club ! Jude ! Je n'y crois pas. Et elle ne m'a même pas reconnu ? Sérieusement ? Elle a joui comme une dingue, j'ai joui comme un dingue ce soir-là, et elle ne m'a même pas reconnu ? Et ces fringues ! C'étaient quoi ces fringues ? Elle a dévalisé l'armoire de sa petite sœur? J'ai cru que je me trompais au début. Au club, c'était plutôt le genre femme fatale, ultra sexy. Là, elle aurait pu être confondue avec une lycéenne. Oh mon Dieu ! Est-ce que c'est une lycéenne ? Je me suis tapé une gamine de dix-huit ans dans un club ? J'espère que non. Pitié, j'espère qu'elle est plus âgée que ça.
— C'est le dernier carton ! annonce triomphalement Josiah en passant la porte de mon nouvel appartement.
C'était celui de Solène, sa femme, avant qu'ils n'emménagent ensemble chez Josiah. Il a une petite maison à la sortie de la ville, plus confortable pour eux, pour commencer leur vie de couple. Solène a voulu faire les choses dans les règles. Les vieilles règles. Celles qui disent qu'il ne faut pas vivre ensemble avant le mariage. Bon, ils ont presque tenu le pari. Mais Solène a longtemps gardé son appartement qu'elle avait reçu de ses parents. En fait, c'est elle la propriétaire, c'est à elle que je dois payer mon loyer. Mais elle me laisse faire ce que je veux. Je peux tout changer si ça me plaît. Et pour l'instant, tout ce que je veux, c'est déballer mes cartons et picoler pour finir par croire que rencontrer Jude sur le bord de la route n'était qu'une mauvaise blague de mon esprit. Et me convaincre qu'elle était belle et bien majeure quand je l'ai rencontrée dans ce club, il y a quelques mois.
— Merci, Jos'. Je me débrouillerai pour le reste.
— C'est sûr, compte pas sur moi pour t'aider à tout déballer.
Il est vraiment sympa mon cousin, n'est-ce pas ?
— T'as trop hâte de retrouver ta bien-aimée ?
Il m'adresse un doigt d'honneur et un sourire qui me laisse comprendre bien trop de choses. Il a clairement hâte de rentrer chez lui.
— Tu commences demain à 09 heures, il me rappelle en allant vers la porte.
— Je sais. Je serai à l'heure. Je n'ai jamais été en retard.
— T'as plutôt intérêt, je suis un patron horrible.
Je ris et le pousse presque hors de l'appartement.
— À demain Jos'.
Il lève la main en signe d'au revoir et s'engage dans les escaliers pour les descendre en courant. Atos, déjà installé dans son panier sous la fenêtre, ronfle comme un bienheureux. Tu parles d'un chien de garde !
Je commence à déballer mes cartons, je n'en ai pas beaucoup, la plupart de mes affaires sont stockées chez ma mère. J'ai eu un peu de mal à partir loin et la laisser, mais mon frère Thomas assure la relève et sa femme est devenue la fille que ma mère n'a jamais eue. Je n'ai pas trop à m'en faire pour elle.
Les premiers cartons sont vite déballés, mais en sortant mes affaires, je retrouve un vêtement qui n'est pas à moi, et qui me ferait sans doute passer pour le pire des pervers, mais je n'ai pas pu me résoudre à la jeter. Ce minuscule morceau de dentelle noir que portait Jude sous sa robe et qu'elle m'a laissé avant de s'enfuir. Je me demande si elle a même réalisé qu'elle me l'a laissé. Je me sens vraiment idiot d'avoir gardé ça et surtout de l'avoir apporté ici. Mais dans un coin de mon esprit tordu, je me suis dit que ce sous-vêtement me porterait peut-être chance pour retrouver sa propriétaire et je crois que ça a fonctionné. Sauf que Jude ne semble pas du tout se souvenir de moi. Il lui faut sans doute des néons multicolores et de la musique trop forte pour s'en souvenir. Ou alors un coin sombre au fond d'un couloir. Cette fille m'obsède à un point qui en est devenu maladif. Mais à l'évidence, elle m'a oublié, je devrais donc me résoudre à faire la même chose. Surtout si elle est aussi jeune qu'elle le semblait aujourd'hui. La capitale doit être remplie de nanas tout aussi intéressantes. Je trouverai un moyen de ne plus penser à elle. Après tout, je n'ai quasiment aucune chance de la retrouver dans cette ville, alors autant me faire à l'idée.
Distraitement, je glisse le morceau de dentelle dans le tiroir à sous-vêtements et continue de déballer les cartons. Je vais finir par l'oublier et profiter de ma nouvelle vie.
Réveil matinal oblige, il me faut une bonne dose de caféine. Mais mes placards sont encore vides. Je m'habille rapidement, emmène Atos avec moi et sors à la recherche d'un café. Le salon de tatouages de Jos' n'est qu'à quelques rues, et comme Atos m'accompagne, j'y vais à pied. Inutile de prendre ma voiture alors qu'il fait beau. Je passe deux rues avant de trouver un café. J'attache la laisse de mon chien à un arbre, bien que je sache qu'il n'ira nulle part sans moi, et entre dans le petit café de quartier déjà rempli de personnes âgées qui lisent le journal en sirotant leurs tasses fumantes. Je m'avance jusqu'au comptoir et attends mon tour.
— Bonjour m... monsieur.
La gamine derrière le comptoir vient de virer au rouge vif. Une écrevisse.
— Qu'est-ce que... euh... qu'est-ce que je vous sers ?
J'essaye de ne pas rire et lui demande un grand café noir. J'ai l'habitude de ce genre de réaction, surtout chez les filles. Ça peut paraître prétentieux, mais à chaque fois, il y a deux options. Soit elle rougit de la tête aux pieds et ne trouve plus ses mots, soit elle part presque en courant. Mes tatouages sont un peu trop impressionnants pour certaines, ces derniers associés à mon physique les mettent presque à ma merci. La jeune fille revient avec un grand gobelet en carton et positionne le couvercle d'une main tremblante avant de me le tendre. Je lui donne la monnaie en essayant de lui adresser un sourire plus compatissant que moqueur et m'apprête à m'en aller quand je me retrouve face à mon pire cauchemar.
Ou plutôt, mon meilleur fantasme.
Jude est là, juste en face de moi. Elle passe la porte du café, la tête baissée vers son sac à main, à farfouiller pour chercher je ne sais quoi à l'intérieur. Je n'arrive plus à bouger. Je la regarde s'approcher, se poster devant le comptoir à côté de moi, et je n'ai plus qu'une envie, c'est de la balancer sur mon épaule et l'emmener dans un coin pour rejouer ce que nous avons fait au club quelques mois plus tôt. Putain, ça fait quand même deux mois, et je n'ai toujours pas réussi à l'oublier. Cette fille est un démon. Pourtant j'ai essayé, j'ai fait tout ce que je pouvais pour l'oublier, mais même si c'était un coup rapide dans un couloir sombre, c'était génial. Et j'ai vraiment très envie de recommencer.
— Un chocolat chaud, s'il vous plaît, elle demande d'une voix lasse.
Un chocolat chaud. Le genre de chose que boivent les ados, pas vrai ? Mais elle a une voiture, alors elle a au moins dix-huit ans. Une chose est sûre, elle est majeure.
La serveuse derrière le comptoir s'en va et Jude pianote de ses ongles sur son sac. Lasse et impatiente, je ne suis pas certain que ce soit une bonne idée de lui parler, mais ma main est déjà posée sur son épaule.
— Bonjour.
Elle sursaute et se tourne vers moi. Ses yeux s'écarquillent et je me dis qu'elle se souvient enfin de moi, mais je réalise qu'elle doit juste se souvenir d'hier.Malheureusement.
— Bonjour, qu'est-ce que...
Elle regarde tout autour de nous et dehors avant de me regarder de nouveau.
— Qu'est-ce que vous faites ici ?
Non, elle ne se souvient définitivement pas de moi. Et qu'elle me parle en me disant « vous » m'énerve au plus haut point.
Je t'ai fait jouir, merde ! Tu pourrais t'en souvenir ! On ne peut pas être ivre à ce point ?
Avec une petite grimace, je ravale ma frustration et essaye d'entamer une conversation qui pourrait m'aider à arriver à mes fins.
— Tu es bien rentrée chez toi ?
Elle hoche la tête au moment où la serveuse revient. Elle s'apprête à payer, mais je pose ma main sur la sienne et paye à sa place.
— Oh, non, ce n'est pas la peine, elle proteste.
Mais trop tard, la jeune femme derrière le comptoir a déjà encaissé.
— Ça me fait plaisir, je lui réponds d'une voix un peu trop agressive.
Elle se tait immédiatement et fronce les sourcils. Il faut que je me calme.
— Deux services, deux jours de suite. Vous cherchez à me rendre redevable ?
Son air soupçonneux est presque amusant.
— Tu as un peu de temps ?
— Pour faire quoi ?
Que je te prenne dans un coin pour te rappeler qui je suis.
— Pour boire un café. Ou un chocolat, j'ajoute en pointant son gobelet.
Elle regarde ses mains, se mord la lèvre, puis hausse les épaules.
— Pourquoi pas ? J'ai ma journée. Mais je tiens à rappeler que j'ai protesté il y a quelques minutes, donc je ne vous dois rien.
Je lève les yeux au ciel et pose une main dans son dos pour la guider jusqu'en terrasse. Je sens que ça va être long. Si j'appelle Jos' pour lui dire que je ne viens pas aujourd'hui, il va me virer ? Je suis son cousin tout de même ! Mais le connaissant, il me jettera illico. Je n'ai donc pas très longtemps pour essayer de lui rappeler qui je suis.
— Allons nous asseoir.
Je la suis jusqu'à une table au soleil. Atos n'est pas loin et attend patiemment, couché au pied de l'arbre. Et maintenant commence la conversation gênante. Pire, il n'y a pas de conversation. Je la regarde sans doute comme si j'allais me jeter sur elle d'une minute à l'autre, parce que c'est ce que j'ai envie de faire, et elle inspecte les alentours en évitant mon regard, l'air de rien. Il faut que je trouve quelque chose à dire, n'importe quoi.
— Tu ne travailles pas aujourd'hui ?
Elle secoue la tête et me regarde droit dans les yeux. Les siens sont encore plus verts que dans mes souvenirs, c'est hypnotique. Il me reste deux options à cette question pour être certain qu'elle n'est pas aussi jeune que je l'ai cru hier. Soit elle ne travaille pas parce qu'elle est étudiante, soit elle est en vacances.
— Pourquoi ?
Elle a un petit rire.
— Bien que ça ne vous regarde pas, j'ai pris un jour pour aller chez le médecin.
Mon coeur a un raté.
— Tu es malade ?
Elle était trempée hier, et moi je l'ai laissée rentrer chez elle en métro. Elle devrait être couchée au lit, bien au chaud. Elle hausse les épaules et boit une gorgée de son chocolat.
— Je...
Elle soupire et me regarde à nouveau dans les yeux. Je vois presque de la peur cette fois. Qu'est-ce que j'ai fait ?
— Je me souviens de vous, elle dit d'une petite voix coupable.
Je suis submergé par une vague de soulagement, mais son expression soupçonneuse la dissipe. Je hoche lentement la tête, l'enjoignant à continuer.
— Je ne me souviens pas de tout. En fait... je ne me rappelle de presque rien. J'ai juste... Hier, j'ai repensé à vos tatouages, et je me suis souvenue où je les avais vus.
C'est pour ça que vous n'étiez pas content hier, pas vrai ? Parce que je ne me souvenais pas de vous ? J'ai envie de la prendre dans mes bras et de l'embrasser et en même temps j'aimerais lui donner une bonne fessée pour avoir bu au point de coucher avec moi et ne plus s'en souvenir.
— Ouais, c'est pour ça. Tu te souviens de quoi ?
Elle mord sa lèvre et gigote sur sa chaise.
— C'est... gênant.
Je me penche un peu plus vers elle.
— Dis-moi. Je suis certain que tu n'es pas du genre à te soucier des choses gênantes.
Elle plonge son visage dans ses mains et secoue la tête. Cette fille est frustrante. Mais j'ai passé deux mois à fantasmer sur cette nuit que je pensais ne plus jamais pouvoir revivre alors il est hors de question que je la laisse s'en tirer comme ça.
— Donne-moi ton numéro.
Elle écarte les doigts pour me regarder.
— Donne-le-moi. Tu dois t'en souvenir maintenant, non ?
Je lui tends en même temps mon téléphone pour qu'elle l'enregistre. D'une main hésitante, elle le prend et entre son numéro puis me le rend. J'appelle le numéro et elle sort son téléphone de son sac. C'est bon, elle ne m'en a pas donné un faux.
— Maintenant, tu as le mien aussi.
— D'accord, elle souffle sans vraiment avoir l'air enthousiaste.
— Je t'emmène dîner ce soir.
Elle lève les yeux brusquement vers moi. Ouais, moi aussi ça m'étonne. Ce n'est pas mon genre. Ça ne l'est plus depuis un moment.
— Quoi ?
— Ce soir. Je passerai te prendre à 20 heures.
— Mais...
Je lève la main pour l'interrompre.
— Ce soir, 20 heures. Tu m'enverras un message avec ton adresse.
Je me lève et consulte ma montre. Je vais devoir accélérer le pas si je veux arriver à l'heure.
— Je n'ai pas dit que j'étais d'accord. Peut-être que je ne suis pas libre ce soir, elle dit en haussant le menton d'un air provocateur.
Je lui adresse mon sourire spécial chantage.
— Je sais que tu en as envie.
Posant une main sur sa hanche, elle laisse échapper ce « han ! » particulier que seules les femmes savent faire.
— Je ne sais même pas comment tu t'appelles.
Le « tu » me fait sourire bien plus que nécessaire. Elle m'accompagne jusqu'à l'arbre où j'ai laissé Atos.
— Tu le sauras ce soir.
— Et je t'appelle comment d'ici là ? Monsieur tatouages ?
Je relève qu'elle ne rejette plus ma proposition. Le surnom qu'elle m'a donné au club me fait sourire un peu plus et je hausse les épaules.
— Pourquoi pas ?
Je m'approche de l'arbre et récupère mon chien. Jude est juste à côté de moi et caresse sa tête.
— On se voit ce soir, Jude.
Elle ne confirme pas, mais j'ai bon espoir, et si elle ne m'envoie pas son adresse d'ici la fin de ma journée de travail, je la harcèle jusqu'à ce qu'elle décroche. Je m'apprête à partir, mais un éclair de lucidité traverse mon esprit.
— Au fait ?
Elle se redresse et avale une gorgée de son chocolat.
— Tu as quel âge ?
Elle lève un sourcil, me défiant d'insister.
— Plus que dix-huit ? je demande quand même.
— Oh oui, elle répond dans un soupir.
— Plus que vingt-cinq ?
Elle penche sa tête sur le côté avec un sourire amusé.
— Tu connaîtras mon âge quand je connaîtrai ton nom.
Je suis tenté de le dire tout de suite, pour m'enlever cette angoisse, mais elle m'a déjà dit qu'elle a plus de dix-huit ans alors je peux attendre encore un peu pour savoir son âge exact. Avec un sourire, je hoche la tête et m'en vais. Je suis certain qu'elle s'attendait à ce que je lui donne mon nom. Elle devra attendre. Nous verrons qui est le meilleur négociateur de nous deux. Le hasard ou le destin a fait que je la croise de nouveau, je ne vais pas gâcher cette chance. Je dois tout faire pour la revoir. C'est presque un besoin vital. C'est totalement idiot, mais je sens mon estomac se tordre, rien qu'à l'idée de ne plus jamais la revoir. Je n'ai plus ressenti ça depuis bien longtemps.
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