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Judith
Donnez-moi une raison, une seule, pour laquelle je ne devrais pas sortir sous la pluie battante et marcher le long de cette route merdique de campagne dans l'espoir qu'une voiture veuille bien s'arrêter et me ramener jusqu'à chez moi ? Parce que là, je n'ai vraiment plus d'autres solutions. Ma jolie petite voiture vient de rendre l'âme, comme une lâche. Je suis perdue au milieu de la campagne, à quelques kilomètres de la civilisation, de la ville, du téléphone le plus proche pour appeler une dépanneuse parce que mon portable ne capte pas. Sérieusement ! Il ne capte pas ! On pourrait croire qu'avec toutes ces antennes, ces satellites, on peut capter de n'importe où, mais non. Pas sur cette foutue route de campagne, au beau milieu de nulle part, sous une pluie torrentielle en plein après-midi. Non, ce serait trop demandé de me permettre d'appeler une dépanneuse ou mon père pour qu'il vienne me chercher et m'éviter ainsi de faire du stop sous la pluie, dans l'espoir de ne pas tomber sur un psychopathe.
Avec un soupir à fendre l'âme, si, si, même Hades aurait pitié de moi, j'évalue mes options. D'après la force du vent qui accompagne la pluie, je ne suis pas certaine que mon petit parapluie me sera bien utile. Il n'y a pas l'ombre d'une cabine téléphonique à l'horizon, d'ailleurs je pense que ça n'existe plus ce genre de chose, à part peut-être à Londres. Il ne me reste que mon imperméable et mon courage à toute épreuve.
— C'est bien ma veine !
Je sors de ma voiture avec toute la motivation que je trouve en moi et commence à marcher le long de la route qui, évidemment, n'a pas de trottoir. Mes converses sont pleines de boue après seulement deux mètres et mon visage se prend des rafales de pluie et de vent. Je ne suis même pas certaine de pouvoir entendre une voiture arriver. Resserrant mes bras autour de moi, mon téléphone inutile dans une poche et mes clés dans l'autre, je marche pendant ce qui me semble être une éternité. J'ai dû traverser la moitié du pays depuis que je suis sortie de la voiture, non ? Je suis congelée et je crois que j'ai le nez qui coule. Je n'en suis pas certaine avec toute la pluie qui dégouline sur mon visage. Et toujours pas une seule voiture.
Je vais mourir ici, dans le fossé. On me retrouvera peut-être dans quelques jours quand une autre voiture passera. Je serai toute gonflée à cause de l'eau que mon corps aura imbibée et il me manquera peut-être de la peau et mes yeux parce que les corbeaux seront passés entre temps. Ça y est, avec mes conneries, j'ai envie de vomir maintenant. Je m'arrête et me penche en avant, les mains sur les genoux. Ça va passer. J'inspire et expire longuement. Ça m'arrive souvent depuis quelques jours. J'ai dû manger quelque chose de pas frais au resto italien. J'avais proposé chinois, mais Kiara a insisté pour l'italien. Les gouttes de pluie tombent du bout de mon nez pour aller s'écraser dans l'herbe avec toutes les autres. Et comme un signe divin, une lumière apparaît au loin derrière moi, faisant briller les gouttes d'eau. Mais j'ai encore trop envie de vomir pour me redresser et lever mon pouce, en affichant mon plus beau sourire pour inciter le conducteur ou la conductrice à s'arrêter. Je prendrai la prochaine, ce n'est pas grave, je risque juste de mourir en l'attendant. Oh mon Dieu, pourquoi ai-je autant envie de vomir tout à coup ?
La lumière se rapproche, il faut que je l'arrête. Je ne vais pas attendre encore trois heures ici. Je me redresse et me tourne vers la route, mais trop tard. Mon estomac se retourne et je me penche en avant, recrachant tout ce que j'ai mangé depuis ce matin. Là, c'est certain, à part un psychopathe, personne ne va décider de s'arrêter en me voyant dégobiller sur le bord de la route. Mais contre toute attente, la camionnette qui me dépasse s'arrête juste quelques mètres plus loin, enclenchant ses feux de détresse avant que la portière côté conducteur ne s'ouvre. Un homme en sort et court vers moi. Je me retourne, légèrement honteuse, et lève mon visage vers la pluie. Ça fait du bien.
— Madame ? Vous allez bien ?
J'ai envie de rire. Je viens de vider mon estomac à mes pieds et il me demande si je vais bien. Eh bien, quand on y réfléchit, je vais mieux, je n'ai plus envie de vomir.
— Madame ?
— J'ai l'air si vieille que ça ? je demande avec un léger froncement de sourcils.
— Pas de dos en tout cas.
Je me retourne, laissant ma honte de côté et évitant soigneusement de marcher dans mon vomi. L'homme reste sans voix quelques secondes, les yeux écarquillés. Qu'est-ce qu'il a ? Je sais que je ne suis pas super belle là tout de suite, mais quand même, un peu de respect !
— Et de face non plus, il continue de cette voix grave qui me fait presque peur.
Il est grand, plus grand que moi, et pourtant je ne suis pas petite. De larges épaules musclées se devinent sous ses vêtements, il doit faire beaucoup de sport. Ou peut-être tue-t- il beaucoup de femmes paumées au bord de la route ? Son isage est aussi trempé que le mien, mais au moins j'ai une capuche, lui n'a rien pour se protéger de la tempête, et ses cheveux bruns sont déjà dégoulinants. Il devait être bien coiffé avant, mais là ça ne ressemble à rien. Plusieurs mèches de cheveux tombent sur son visage en ondulant sous le vent et une partie est collée sur sa peau comme des algues. Le reste est encore coincé dans le chignon très masculin qu'il a sur la tête. Il a l'air de sortir d'une machine à laver.
Oh, excusez-moi, maintenant c'est sexy !
D'un geste rapide, il a passé sa main dans ses cheveux, ramenant les mèches vers l'arrière de sa tête. Dégageant son visage à la mâchoire carrée. J'ai la bouche ouverte comme une idiote. Lui a les sourcils froncés, l'air d'attendre quelque chose. Avec cet air suspicieux, il me semble familier, mais je ne saurais pas dire où je l'ai déjà vu. Pourtant, un homme comme ça, je devrais m'en souvenir.
— C'est ta voiture là-bas ?
Je me retourne pour voir que ma voiture n'est qu'à quelques dizaines de mètres.
— T'as eu un accident ?
Le passage du « madame » au tutoiement me perturbe un peu. Il me parle comme s'il me connaissait. Première tactique du serial killer pour m'amadouer.
— Non, juste... une panne.
Je me retourne vers lui et grimace. Il repasse sa main dans sa tignasse sombre et je remarque que son bras droit est couvert de tatouages. Du moins, pour ce qui dépasse de la manche relevée de son t-shirt. Un t-shirt qui commence à dangereusement coller à son corps. Si c'est un psychopathe, je veux bien qu'il m'enlève finalement.
Je ne vois qu'un amas de dessins difficiles à distinguer à cette distance, mais je crois qu'il y a des mots écrits vers son poignet. Carpe Diem peut-être ? Je n'en suis pas certaine. Mon regard remonte le long de son bras et finit par rencontrer à nouveau le sien. Bleu. Comme l'océan un jour de tempête. Je frissonne, certainement à cause du froid.
L'homme a l'air contrarié, mais il ne dit rien. Et il finit par secouer la tête d'un air déçu. Je ne suis peut-être pas sa victime idéale.
— Si tu n'as pas l'intention de vomir encore une fois, il serait mieux d'aller dans la camionnette.
— Vous n'allez pas me séquestrer dans une cave et me torturer, n'est-ce pas ?
Il lève les yeux au ciel et prend un air féroce.
— Il y fera plus chaud qu'ici.
Je regarde ma voiture abandonnée au loin, la pluie, puis sa camionnette. Le choix est vite fait. Non, je ne suis pas suicidaire, juste légèrement désespérée.
— D'accord.
Je le suis jusqu'au grand véhicule blanc au logo d'une agence de déménagement et monte à l'avant. Mes parents ne seraient pas très fiers de moi. Je suis accueillie par un aboiement et une masse de poils.
— Atos, couché.
Je lève un sourcil et observe le gros berger allemand s'affaler sur le sol devant mes pieds.
— Atos ? Comme Atos, Portos et Aramis ?
J'ai droit à un regard noir et mon sourire amusé s'envole. Mon sauveteur psychopathe recouvert de tatouages a donc un chien qui porte le nom d'un mousquetaire et n'a pas d'humour. Tout est normal. Le voyage jusqu'à chez moi va être très divertissant. Il met le chauffage à fond et, sans un mot, il commence à rouler, les essuie-glaces balayant le pare-brise à une vitesse folle. Il ne m'a même pas demandé où il doit me déposer. Première trahison du serial killer.
— Euh... vous m'emmenez où ?
— Dans ma cave, il rétorque froidement.
J'y croirais presque. Pourquoi a-t-il l'air si énervé maintenant ? Ou plutôt vexé. Ça va, je n'ai pas dit que le nom de son chien est ridicule. J'essaye de détendre un peu l'atmosphère.
— Portos et Aramis nous y attendent ?
Il me foudroie du regard avant de regarder à nouveau la route.
— Où dois-je vous déposer ?
La façon dont il insiste sur le « vous » me trouble. C'est quoi son problème à la fin ? Il me regarde de la tête aux pieds puis reprend avant que je n'aie le temps de lui répondre.
— Dans le collège le plus proche ?
Je baisse les yeux vers mes converses boueuses, je m'en voudrais de salir la camionnette s'il était un peu plus aimable. Mon jeans troué et mon t-shirt Iron Man n'ont rien d'extraordinaire. D'accord, c'est peut-être surtout à cause de mon imperméable Bob l'éponge qu'il se moque de moi. Parce que, soyons honnêtes, personne ne critique Iron Man.
— Très drôle, je grimace. Vous pouvez me déposer à la première station de métro que vous trouverez dans Paris, je me débrouillerai pour le reste.
Il me regarde à nouveau de la tête aux pieds, mais cette fois, il a l'air d'hésiter. Quand je lève un sourcil, il hoche une fois la tête et continue à fixer la route.
Plus nous approchons de la ville, plus nous rencontrons de voitures. Le retour à la civilisation est libérateur. J'envoie rapidement un message à mon père pour lui dire que j'ai eu une panne et lui expliquer où se trouve ma voiture, sans oublier de lui préciser que je suis dans une camionnette de déménagement avec un mec flippant et un gros chien. J'évite juste de lui dire que le mec flippant est super sexy quand il est tout mouillé.
— Il y a une station là-bas, je lui dis en pointant une bouche de métro. Arrêtez-vous ici.
Il se gare le long du trottoir sans broncher.
— Merci beaucoup monsieur... euh...
— De rien, il se contente de marmonner sans me donner son nom.
Tant pis pour lui, il n'aura pas droit à une super carte de remerciement. Je me penche en avant et caresse la tête du chien qui n'a pas bougé depuis que monsieur le psychopathe le lui a ordonné.
— Salut Atos.
Le chien lève à peine les yeux vers moi. Ils ne m'aiment vraiment pas ces deux-là.
— Je n'ai pas le droit de rester là, vous pourriez accélérer ?
Non, il ne m'aime vraiment pas. Je sors de la camionnette, claque la porte aussi fort que je peux, et pars vers la station de métro sans me retourner. Mon téléphone sonne au moment où je sors du métro pour rejoindre ma rue et mon appartement. La pluie s'est arrêtée et quelques rayons de soleil apparaissent. Mon père, aussi stressé qu'un paresseux sur une branche au soleil, me demande où je suis. Quelle preuve d'amour !
— Je viens d'arriver près de mon appartement.
— Qu'est-ce qui s'est passé avec ta voiture ?
— Je ne sais pas. Je crois qu'elle est morte.
Il rit et je l'entends dire quelque chose, à ma mère sans doute.
— J'irai la chercher demain avec Gérard. S'il ne peut pas la réparer, il va falloir t'en acheter une autre.
— Oui, je sais. Il est temps. J'ai de l'argent de côté. Je vais m'en acheter une autre ce week-end.
— Comment tu vas faire en attendant ?
— Je vais prendre le métro. Ici dans la civilisation, il y a des téléphones, le métro et des taxis.
Il rit de nouveau.
— Avoue que tu es tranquille quand tu reviens à la maison.
Je soupire en entrant dans mon immeuble.
— Plus ou moins.
Je me sens de nouveau mal. J'ai dû manger un truc vraiment pas bon. Je devrais faire plus attention quand Kiara décide du resto. Oh, rien que l'idée me donne envie de vomir maintenant.
— Je viendrai te chercher samedi matin et on ira te trouver une voiture.
— D'accord.
J'ai à peine le temps d'ouvrir la porte de mon appartement et courir aux toilettes avant de rendre ce qu'il reste de mon estomac. Je récupère mon téléphone que j'ai lâché au sol et le remets à mon oreille.
— Judith ?
— Euh... je crois que j'ai mangé quelque chose de pas frais.
La nausée revient. Oh Seigneur, c'est horrible ! Je me penche au-dessus des toilettes, mais quelques secondes suffisent pour que le malaise passe.
— C'est bon. Ça va mieux.
— Chérie, tu devrais te reposer. Tu veux qu'on vienne te chercher ? Quelques jours de plus chez nous te feraient du bien.
— Non, papa, ça va aller. Merci. Je vais me reposer, et demain, je serai en pleine forme.
Je me lève et me plante devant le lavabo pour me regarder dans le miroir. J'ai une mine affreuse, mon mascara a coulé sur mes joues à cause de la pluie, je ressemble à un panda malade.
— Prends soin de toi, Judith.
— Oui, papa. Promis.
Je raccroche avant qu'il n'essaye à nouveau de me persuader de retourner chez eux. C'est vrai que ça fait du bien de retourner dans ma maison d'enfance, à la campagne, au calme, mais seulement à petite dose. Mes parents deviennent vite insupportables. Mais ça va aller. Je vais bien. Un petit lavage de dents, une bonne douche, une grosse couette et demain, je serai en pleine forme pour aller travailler.
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