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Kiara

Quatre ans plus tard...

Une journée entière d'avion, dix heures de décalage horaire, une escale, une migraine affreuse et une fatigue presque insurmontable, ou comment partir de Sydney et venir s'installer à Paris pour poursuivre des recherches en biologie.

Je m'avance devant le carrousel à bagages de l'aéroport et essaye tant bien que mal de garder les yeux ouverts en attendant ma grosse valise. Elle doit sans doute rivaliser avec celles que j'ai sous les yeux. Je n'ai presque pas fermé l'oeil de tout le voyage. Non seulement parce que j'angoisse à la pensée de vivre ici, mais également parce que je me suis retrouvée devant un gamin insupportable durant la moitié du vol. Quelle idée de venir en France pour travailler ? C'est la question que je me pose depuis maintenant dix heures alors que je viens à peine de poser le pied à Paris. L'offre avait l'air alléchante quand on me l'a proposée. Venir à Paris, bosser avec l'équipe de recherche de l'université, profiter d'un voyage tous frais payés par mon département à Sydney, et améliorer mon français. Et éventuellement, valider mon diplôme par la même occasion. Rien de plus intéressant pour la fille d'un avocat français et d'une couturière australienne, que je suis. Mais seulement voilà, l'offre ne comprend pas de logement, et elle ne prévient pas non plus pour le calvaire du voyage. Par chance, ma cousine Judith, surnommée Jude, m'accueille sur son sofa le temps que je trouve où vivre. Elle est charmante, je ne l'ai vue que très rarement, mais nous nous sommes beaucoup parlé ces derniers temps et elle m'offre tout de même tout ce qu'elle peut, c'est-à-dire un canapé dans son minuscule appartement.

Ma grosse valise enfin de retour, je la traîne derrière moi pour trouver désespérément Judith qui m'a promis de venir me chercher. Seulement, je réalise que je ne sais pas exactement à quoi elle ressemble. Nous ne nous sommes vues que par photos et webcam interposées, la réalité peut être très différente. Je la reconnaîtrais sans doute plus facilement à sa voix qu'à son apparence. Ces derniers mois, nous nous sommes parlé pendant des heures au téléphone et sur internet.

La magie de la technologie.

J'ai l'impression de marcher au ralenti tant je suis fatiguée. Des centaines de personnes passent à côté de moi en m'ignorant totalement pendant que j'erre dans le hall, et ce n'est pas du tout pour me déplaire. Je ne dirais tout de même pas non à une âme charitable qui me proposerait de tirer ma valise à ma place. Je crois qu'au point où j'en suis, même porter un verre d'eau à ma bouche relève du défi. Je suis prête à m'allonger sur le sol et prier pour qu'on me laisse tranquille. Les énormes vitres qui donnent sur la piste de décollage font entrer la lumière éblouissante du soleil qui brille dans le ciel légèrement nuageux. Au moins, il ne pleut pas. C'est un minuscule point positif à cette journée.

— Kiara ?

Je sursaute presque en entendant mon prénom. Je cherche frénétiquement du regard la personne qui m'a appelée et découvre une jeune fille rousse, plus grande que moi, courant dans ma direction, son sac à main en bandoulière sautillant sur sa hanche, un large sourire sur les lèvres. Je lui souris en retour, enfin je crois. Je ne saurais décrire parfaitement l'expression de mon visage là tout de suite, mais l'intention y est. Elle ressemble exactement à ce que j'ai vu en photo. Une épaisse chevelure rousse, un visage fin et pointu, des taches de rousseur sur les pommettes, des yeux d'un vert presque irréel, fine et élancée. Par rapport à elle, j'ai l'impression d'être grosse et trop petite. Pourtant, je cours souvent, mais j'ai des formes, surtout des hanches. Mon visage est rond, mes cheveux sont blonds et mes lèvres m'ont parfois l'air trop petites. Notre seul point commun est la couleur de nos iris.

Jude s'arrête juste devant moi, hésite une seconde, puis me prend dans ses bras. Je l'étreins en retour, luttant pour ne pas m'endormir sur son épaule.

— Tu as fait bon voyage ? elle me demande avec énergie en attrapant la poignée de ma valise pour la traîner derrière elle à ma place.

Elle est vraiment gentille et pétillante.

— Pas vraiment, je lui réponds dans un français fortement marqué par mon accent.

Je n'ai aucun mal à comprendre le français, mon père mettait un point d'honneur à parler cette langue le plus souvent possible avec mon frère et moi. En revanche, nous lui répondions la plupart du temps en anglais, alors je ne trouve pas toujours mes mots pour m'exprimer dans la langue de Molière.

Judith fait une grimace et s'arrête en plein milieu du hall de l'aéroport pour me scruter. Je manque de trébucher et un homme rouspète derrière moi avant de prendre une autre direction.

— J'ai un petit imprévu, elle dit en se tortillant d'un pied à l'autre. Je n'ai pas pu libérer ma journée pour m'occuper de ton installation, alors je dois retourner au labo.

— Oh.

Ma cousine travaille dans le laboratoire dans lequel je dois me rendre. C'est une chance, je ne serai pas totalement déboussolée ou seule. Nous ne bossons pas dans la même équipe, mais nous serons proches si jamais j'ai un problème. Plus âgée de trois ans, elle est déjà titulaire, moi je ne suis encore considérée que comme une stagiaire. C'est ma dernière année d'étude et j'ai passé tous mes examens en Australie avant de venir. Autre avantage de ce voyage, j'ai pu prendre de l'avance sur le programme pour me consacrer uniquement à la recherche ici. Mais je ne saurai si j'ai réussi mes exams que dans deux mois.

— Si tu veux, je peux te laisser à l'appartement avant d'y aller ? elle propose.

— Tu ne seras pas en retard ?

J'ai atterri un mardi, en pleine semaine donc, à 10 heures du matin. Je ne suis même pas certaine qu'elle ait pris quelques heures libres pour venir me chercher.

— Un peu, mais de toute façon, je le suis déjà.

— Je suis tellement épuisée que je pourrais dormir dans ta voiture en attendant que tu aies terminé ta journée.

Elle rit et m'attrape le coude pour que j'avance.

Nous retrouvons les ascenseurs, descendons jusqu'au niveau où elle a garé sa voiture, une petite smart rouge qui ne passe pas inaperçue. Elle fourre ma valise dans le coffre et je grimpe sur le siège passager.

— Je te laisserai à l'appartement. C'est au dernier étage, mais il n'y a pas d'ascenseur.

Elle grimace de nouveau, mais je n'ai même pas la force de me plaindre, pas à voix haute en tout cas.

Tout en roulant pour sortir du parking, elle fouille dans son sac et me tend un trousseau de clés. Spiderman, Bob l'éponge et le marteau de Thor se balancent avec cinq clés.

— Tu vois la clé rose ? elle me demande en sortant du parking.

Les clés se ressemblent toutes, mais n'ont pas la même taille. Elle a mis du verni à ongles dessus pour les différencier plus facilement. Pas bête !

— Yes.

Elle sourit.

— Décroche-la, c'est celle de l'appartement.

Je m'exécute et la glisse dans mon sac à main.

— Le code pour la porte d'entrée c'est 72 34. Si quelqu'un te pose une question, réponds-leur en anglais et ils te laisseront tranquille. Les gens sont un peu trop curieux dans mon immeuble, mais ils ne sont pas méchants.

Elle se tourne vers moi une fraction de seconde pour voir ma réaction, ou si je suis toujours réveillée, et je lui souris faiblement. C'est le mieux que je puisse faire. Jude slalome dans la circulation, sa voiture se faufile partout et nous arrivons devant un petit bâtiment à la porte rouge foncé sans que je ne comprenne vraiment comment. Je n'ai même pas eu le temps d'être perturbée par la conduite à droite. Elle s'arrête en double file, enclenche les feux de détresse et sort de la voiture plus vite que moi.

— C'est ici. Dernier étage, elle m'indique en me tendant ma valise. Je suis vraiment désolée de devoir te laisser t'installer toute seule, mais je serai de retour à 18 heures. En attendant, fais comme chez toi.

Elle parle beaucoup et vite. Ça m'avait l'air plus facile de la comprendre au téléphone. Je n'arrive pas toujours à la suivre, mais je devine l'essentiel. Je hoche la tête, essaye un dernier sourire, et m'avance jusqu'à la porte rouge. Je me plante devant, comme si elle allait s'ouvrir comme par magie et Jude klaxonne deux fois. Je me retourne, elle agite la main et s'en va.

Avec un soupir, je regarde le clavier à côté de l'entrée. Le code ! C'était quoi encore ? 72... quelque chose. Je ferme les yeux quelques secondes et tente de le retrouver. Je manque de m'endormir sur place, mais le klaxon d'une voiture qui passe me fait sursauter. Ça me revient : 72 34. J'entre le code et accueille le buzz qui indique l'ouverture de la porte avec joie. Poussant avec mon épaule, je tire ma valise à l'intérieur du hall carrelé et laisse la porte se claquer derrière moi. D'un seul coup, sans que je sache d'où il sort, un monsieur trapu, les cheveux hirsutes et grisonnants, se plante à côté de moi, le regard mauvais et les poings sur les hanches. Je crois qu'il était de l'autre côté de la porte se trouvant derrière lui. Un peu inquiète et franchement étonnée, je me fige.

— Arrêtez de claquer cette porte ! il dit d'un ton sévère.

— Sorry (1), je réponds avec une petite grimace d'excuse.

L'homme lève les yeux au ciel et ronchonne.

— Une Américaine, ben voyons.

Il soupire et je m'apprête à le corriger, mais abandonne l'idée. S'il croit que je ne comprends pas ce qu'il me dit, il me laissera tranquille. Mais malheureusement, il se met à faire des signes vers la porte, l'air de me prendre pour une débile et s'essaye à un franglais très drôle :

— Not claquer the door (2), il articule.

Je retiens un rire et hoche la tête.

Joue la débile !

Puis l'homme regarde ma valise, me regarde, moi, et enfin les escaliers. Il a l'air d'avoir pitié.

— Quel... étage ? il s'intéresse.

Sa façon de détacher chaque mot comme si j'avais un problème mental m'agace légèrement.

— Dernier, je réponds en appuyant mon accent.

Il hoche la tête et sans rien me demander, prend ma valise et s'en va vers l'étage supérieur. Étonnée, je

reste quelques secondes sans bouger. Une fois qu'il a disparu à l'angle des premières marches, je me précipite derrière lui. Il monte les cinq étages sans rien dire, l'air toujours mécontent, mais je crois que c'est son air naturel. Enfin, il dépose mon bagage devant la seule porte de l'étage.

— Merci, je lance essoufflée.

Il est peut-être proche de la soixantaine, mais il est constamment en forme ce Monsieur. Il est à peine essoufflé tandis qu'il a porté ma valise sur cinq étages sans s'arrêter. Il hoche à nouveau la tête. Je sors la clé de mon sac et essaye de la mettre dans la serrure, mais elle refuse. Alors l'homme me la prend des mains et ouvre la porte à ma place. En fait, il faut la mettre à l'envers, avec les dents vers le haut. Quelle idée de mettre une serrure à l'envers ! Soit il est sympa, soit il est très agacé, je ne sais pas encore.

— Merci Monsieur...

— Bodieu, il marmonne en me rendant ma clé.

Je lui tends la main, il l'observe quelques secondes avant de la serrer.

— Kiara Guillaume, je lui précise.

Il hoche simplement la tête et s'en va. Conclusion : il est gentil, mais un peu grincheux.

J'entre dans le petit appartement de Judith, situé juste sous le toit. Poutres apparentes, plafond en pente douce avec quelques fenêtres, décoration similaire à une chambre d'adolescent fan de comics avec des figurines de supers héros, des coussins ressemblant au bouclier de Captain America et un tapis vert Hulk sous une table basse en bois, à côté d'un grand canapé d'angle noir. Je laisse ma valise là, dans le salon, et fais quelques pas de plus dans l'appartement. Sur la droite, derrière le sofa, se trouve une table ronde et blanche, avec quatre chaises et une petite cuisine tout équipée. De l'autre côté, deux portes. Je m'approche et ouvre la première pour découvrir une large salle de bain, avec une douche, des toilettes, une machine à laver et un sèche-linge à côté du lavabo.

Derrière l'autre porte, une petite chambre avec un lit double, une commode et une penderie. Le tout toujours agrémenté de personnages de comics. Avec un lourd soupir, je retourne dans le salon et prends la couverture pliée au bout du canapé, même s'il ne fait pas très froid. Nous sommes en avril, le soleil brille et sous le toit, il fait plutôt chaud. Je m'installe en prenant seulement le temps de retirer mes ballerines et, tout en faisant tourner mon bracelet en cuir autour de mon poignet, je m'endors dès que mes paupières se ferment.

J'entends une voix parler dans un anglais approximatif. Une voix féminine et lointaine. J'ouvre un oeil, totalement désorientée. J'ouvre le second et en voyant Batman me fixer d'un air impassible depuis la table basse, je me souviens. Je suis chez Judith, ma cousine, en France, à Paris, loin, très loin de chez moi.

Je me redresse doucement et regarde l'heure. Il est 18 heures 15. J'ai dormi toute la journée. Mauvaise idée. Je vais avoir encore plus de mal à me remettre du décalage horaire. La porte de la chambre s'ouvre et Jude en sort, le téléphone à l'oreille. Son visage se fend d'un sourire de soulagement et elle dit en anglais :

— She's awake(3).

Sans plus d'explications, elle me tend le téléphone.

— Hello(4) ?

Ma voix est rauque et hésitante, aucun doute que je suis perdue et que je viens de me réveiller.

— Kiara ! s'exclame ma mère sur le ton du reproche. Je t'avais dit de m'appeler quand tu serais arrivée !

Je soupire et me laisse aller contre le dossier du canapé. Après un rapide calcul, je me rends compte qu'il est 02 heures du matin à Sydney.

— Je suis désolée maman, j'étais épuisée, je me suis effondrée.

— Nous étions inquiets.

— Je sais, je suis désolée. Mais vous pouvez dormir maintenant, tout va bien. Jude est géniale.

Ma cousine me fait un clin d'oeil puis s'en va vers la cuisine.

— Ton père a téléphoné à quelques amis, mais aucun n'a pu trouver un appartement pour toi. Il va falloir te débrouiller toute seule.

— Ce n'est pas grave. Le canapé n'est pas si désagréable pour l'instant.

Ma mère a un léger rire puis je l'entends dire quelque chose sans que je ne comprenne quoi exactement.

— Si tu as le moindre problème, elle reprend, tu nous appelles, d'accord ?

— Oui, je sais. Je ne suis pas seule, maman, tout va bien. Tu devrais aller te reposer maintenant.

Elle émet un léger soupir.

— D'accord. Tu me manques déjà.

Je lève les yeux au ciel.

— Je te rappelle bientôt maman, bonne nuit.

— Bonne nuit chérie.

Je raccroche avant qu'elle ne se mette à pleurer. Ma mère a toujours été un peu trop protectrice. Elle ne m'a pas laissé aller à l'école toute seule avant mes douze ans, m'obligeait à la prévenir au moment où j'arrivais à bon port si je prenais la voiture sans être accompagnée, elle a constamment refusé que j'apprenne à faire du surf, elle stressait même plus que moi quand j'allais dormir chez une copine. Alors forcément, me laisser partir à l'autre bout de la terre, ou presque, c'était pratiquement inconcevable. Une libération pour moi, un supplice pour elle. Je n'ai pas su lui expliquer pourquoi j'avais besoin de tout quitter.

Judith vient s'asseoir à côté de moi et me tend un verre d'eau.

— Ta mère est...

— Hystérique, je termine à sa place.

— J'allais dire angoissée, mais hystérique lui convient aussi.

Nous éclatons de rire et qu'est-ce que ça fait du bien ! Je suis vraiment heureuse d'avoir eu la chance de trouver une cousine aussi géniale, même si ça ne fait que quelques heures que je suis arrivée.

— Tu es fan de comics, je commente en désignant la pièce d'un geste vague.

Il y en a partout, peu importe où je pointe le doigt, il y a au moins un objet en référence aux comics. Elle me répond par un large sourire, fière.

— Tu as déjà un appartement en vue ?

Je secoue la tête, dépitée.

— Tu peux rester ici aussi longtemps que tu veux.

Ça ne me déplaît pas d'avoir un peu de compagnie.

Elle se lève et s'en va vers sa chambre. Je l'entends ouvrir et fermer des tiroirs puis elle revient avec une grosse couverture et un grand oreiller, ainsi qu'un drap. Elle dépose le tout sur la table basse qu'elle recule contre le mur.

— Je vais te montrer pour le canapé.

Je fronce les sourcils, mais me lève. Elle me fait signe de bouger et se penche vers le canapé pour tirer dessus. La partie où l'on s'assied habituellement et où j'ai dormi, coulisse vers nous. Jude se penche et rabat le dossier qui comble l'espace vide et voici un large lit carré en plein milieu du salon.

— Tada ! elle s'exclame en écartant les bras.

— Compris, je dis en hochant la tête avec amusement.

Rapidement, elle redresse le dossier, met ce qu'elle a amené dans l'espace vide et repousse le bas du canapé.

— J'ai super faim, mais je n'ai vraiment pas envie de cuisiner, elle annonce. Pizza ?

— C'est parfait.

Ravie, elle tape dans ses mains et sautille jusqu'à la cuisine où elle attrape un prospectus et compose le numéro inscrit dessus. Passant une main dans mes cheveux, je réalise que j'ai sérieusement besoin d'une douche. Alors j'ouvre ma valise, en sors le nécessaire pour me laver et un pyjama.

— Je vais me doucher, je la préviens.

— D'accord, prends ton temps.

Quand je ressors de la salle de bain, une pizza encore fumante trône sur la table derrière le canapé dans le coin cuisine. Jude me fait signe de venir et je ne me fais pas prier. Les repas dans l'avion laissaient à désirer et cette napolitaine a l'air succulente.

— Demain, je t'accompagne pour ton premier jour, elle m'annonce.

Je lui adresse un sourire reconnaissant.

— Tu as déjà parlé avec quelqu'un de l'équipe ?

Je secoue la tête.

— Juste Monsieur Todde.

Elle sourit. Comme toujours en fait. C'est agréable.

— Éric ?

Je fronce les sourcils en essayant de me rappeler de son prénom, mais finis par hausser les épaules.

— On s'appelle tous par nos prénoms là-bas, c'est plus simple et convivial. Éric est le chef de ton équipe.

Il a eu quarante ans il y a deux semaines.

Je hoche la tête, ingurgitant les informations qu'elle me donne tout en mangeant ma part de pizza.

— Tu verras, ils sont sympa pour la plupart.

— Pour la plupart ? je répète avec une grimace.

Elle hausse les épaules, l'air de s'excuser.

— On est des scientifiques, on n'est pas toujours très sociables.

Je ris de ce cliché que je me suis pris en pleine figure plus d'une fois. Quand je dis que je travaille dans un labo, on me regarde comme si j'étais une extraterrestre, que ce n'était pas normal que je me retrouve dehors au milieu de journée. Et étrangement, on s'attend constamment à ce que je porte une blouse blanche en permanence.

— Je vois.

Nous continuons à manger en silence. Jude a allumé la télévision pendant que j'étais sous la douche et le journal nous sert de fond sonore.

— Il y a autre chose que je devrais savoir sur l'équipe ? je demande alors que nous débarrassons la table.

Elle réfléchit quelques instants et me fait signe de m'installer sur le canapé.

— Je ne connais pas très bien ton équipe, nos labos sont dans le même couloir, nous nous croisons seulement de temps à autre et à la cafétéria. Éric est le seul que je vois souvent parce que c'est le chef, alors nous échangeons de temps en temps sur nos avancées respectives.

— C'est toi la chef de ta team(5) ?

Elle lève le menton avec fierté.

— Yep ! L'ancien chef est parti à la retraite l'année dernière et j'étais la plus qualifiée pour le remplacer.

Je soupçonne aussi ces deux-là de m'avoir aidée à obtenir la place.

Elle passe ses mains autour de sa poitrine, plutôt généreuse il faut l'avouer par rapport à sa silhouette toute fine. Je reste sans voix.

— Ne rougis pas ! elle s'exclame en riant. Je n'ai rien fait. Je ne suis pas passée sous le bureau comme on dit, mais le grand chef lorgne toujours sur les poitrines. Ne t'étonne pas si son regard est planté plus bas que ton visage quand il te parle. Il n'a jamais rien fait de déplacé, du moins pas à ma connaissance, mais il ne manque pas une occasion de se rincer l'oeil.

Maintenant je redoute un peu plus d'aller travailler dans ce labo. Je regarde ma cousine qui trouve ça très drôle, et n'ose pas faire de commentaire.

— Il faut le comprendre, il est toujours enfermé dans son bureau, à lire des rapports, des dossiers, des articles, il ne voit pas beaucoup de monde, alors dès qu'il se retrouve en société, il ne sait plus trop comment se comporter.

Malgré mon appréhension, j'éclate de rire.

J'imagine un homme vieux, peu habitué à la lumière du jour et complètement mal à l'aise dès que quelqu'un lui parle.

— J'ai prévu de regarder quelques épisodes de The Big Bang Theory ce soir, tu te joins à moi ?

Je la regarde un sourcil levé, l'air de lui demander si elle est sérieuse. Cette série reprend tous les clichés qu'on nous attribue. Mais il faut avouer qu'elle est drôle.

— Je t'aide à faire ton lit au cas où tu t'endors, et j'ai même des pop-corn si tu veux.

Mes lèvres s'étirent à l'image des siennes et je hoche la tête. Après tout, je n'ai rien d'autre à faire que de paniquer à l'idée de me retrouver demain dans un laboratoire totalement étranger, avec des inconnus.

1Signifie « Pardon ».

2Signifie « Ne pas claquer la porte. »

3Signifie « Elle est réveillée ».

4Signifie « Bonjour » ou plutôt dans ce contexte « Allô »

5Signifie « équipe ».

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