5 - Vidéosurveillance


Le second étage était la représentation même de l'impersonnel grisâtre. Le couloir était placardé d'affiches diverses vantant les revendications obscures d'un syndicat exsangue, de rapports trimestriels sur l'activité du groupe et de photos cornées de Frank en train de serrer la main du maire. Ces clichés remontaient à une époque que je n'ai pas connue, et je n'admirais pas assez le directeur pour m'y attarder plus que nécessaire. 

Amir et moi passâmes la salle de pause, déserte en cette fin d'après-midi, puis les vestiaires et les toilettes, illuminées par la lumière grisâtre pointant derrière les fenêtres sales. Le bureau des ressources humaines était vide depuis longtemps – je ne sais même pas si le service avait été un jour actif ou s'il existait simplement pour le principe.

La même moquette granuleuse qu'à l'entrée du magasin sévissait ici comme une maladie tenace. Les portes se succédaient, rouges et anonymes. On arriva enfin au poste de sécurité, un nom clinquant donné à une antichambre aveugle bardée d'un matériel informatique de la génération précédente. 

Confortablement installé dans son fauteuil, Nasser leva sa tasse en nous voyant arriver.

— Je peux vous être utile, messieurs ? annonça-t-il avec un air espiègle.

— Y'a le petit qui veut voir les bandes de la fameuse nuit du frigidaire, dis-je en indiquant Amir.

— Faites-vous plaisir, déclara Nasser en se levant. Pendant que vous faites mumuse, je vais aller te remplacer en bas, alors.

— Merci, camarade, fis-je d'un ton faussement ému en lui tendant une main tremblante. Ton sacrifice ne sera pas vain.

— Dis à mes enfants que je les aime, poursuivit Nasser d'un ton solennel. Et dis à Frank qu'il me doit sept heures de récup.

— Adieu, grimaçais-je.

— Vous avez fini ? s'enquit Amir, qui ne goûtait que moyennement notre humeur potache.

— Parle mieux à l'homme qui se sacrifie pour la patrie, le sermonnais-je alors que Nasser s'en allait avec son sourire en coin.

Il se contenta de secouer la tête, puis s'affala plus qu'il ne s'assit dans le fauteuil précédemment abandonné par mon collègue.

— Comment ça marche ? demanda-t-il, curieux comme un enfant.

Je me penchais sur le poste de travail, composé d'un bureau un peu ébréché et de trois écrans vieillots. Trouver le fichier de la nuit du trente novembre fut facile. Tout était stocké sur le même disque dur, qui s'effaçait automatiquement toutes les soixante-douze heures. 

J'ouvris la vidéo et l'étalais en plein écran. La qualité était immonde, malgré le format numérique. Quelque chose devait avoir foiré au niveau de l'encodage. Je pris un post-it aux couleurs de Redmart et écrivis : « faire un ticket GLPI pour la vidéo » à l'intention de Nasser, puis demandais au logiciel d'accélérer la lecture.

L'enregistrement était flou, mais on distinguait tout de même le large rayon consacré aux meubles. Dans un coin, je reconnus les deux banquettes en fourrure synthétique près desquelles le frigo avait été déposé. Le code temps indiquait vingt-trois heures. 

Absolument rien ne bougeait. Amir fixait l'écran avec intensité, comme prêt à bondir de son siège au moindre son. Je m'abstins de lui faire remarquer que la vidéosurveillance était muette.

L'image tremblota, la lentille peinant à faire la mise au point, puis elle se rétablit, révélant le mastodonte blanchâtre dans le coin supérieur droit. Je clignais des yeux, abasourdi. 

Amir ouvrit la bouche, puis la referma.

— Rembobine, dit-il.

Je m'exécutais. De nouveau, la focale de la caméra qui déconne, transformant la vidéo en une bouillie insipide et pixelisée, puis le retour de la netteté. 

Le frigo s'était tout simplement matérialisé.

— C'est quoi ce délire, soufflais-je.

Amir fixait l'écran avec détresse. 

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