12-À l'intérieur

Balbutiant un flot d'injures sans cohérence, je reculais précipitamment. Le sol se déroba soudain sous mes pieds, et je me retrouvais projeté sur mon séant, le pantalon trempé par une substance sombre qui recouvrait le sol. Je crus d'abord à de la confiture. Mon téléphone me glissa des doigts quand je me rendis compte que le liquide était un mélange ignoble de pourriture sanguinolente et de débris de viande rance. 

La petite lumière salvatrice fut avalée par le marécage, disparaissant dans un chapelet de bulles à quelques mètres de moi.

Se dressant au milieu de cette mare immonde, le réfrigérateur General Electrics était allumé. Son compresseur fonctionnait à plein régime. Je crus devenir fou. La vieille prise était posée par terre, ne le reliant à rien. 

Une odeur rance de produits périmés et de moteur défectueux filtrait du frigo, suintant en même temps que le goutte à goutte sombre s'échappant des joints entre les portes.

— Je suis à l'intérieur, gémit la voix d'enfant. Aidez-moi.

Je faillis vomir. Patinant, je me redressais tant bien que mal, l'esprit en proie aux pires contradictions. Je ne voulais surtout pas m'approcher de l'armoire blanche. Me tirant de ma tétanie, plusieurs coups, de plus en plus faibles, furent frappés des profondeurs closes du frigidaire. Je sentis quelque chose de chaud couler le long de ma cuisse.

Je ne pouvais arracher les yeux de ses portes. Je ne pouvais arrêter de les fixer. Mes jambes me portèrent vers lui bien malgré moi. 

Je revis madame Wainwright se frapper la tête contre le blindage blanc, une fois, deux fois, trois fois, le sang qui coule sur son front, les pupilles dilatées par la folie et la mort.

— Hors de question ! hurlais-je en bondissant en arrière.

Je faillis glisser à nouveau dans la crasse collante répandue au sol mais retrouvais mon équilibre in-extremis, moulinant des bras comme un dément. 

Saisissant le premier objet qui me tombait sous la main, à savoir un grille-pain en bakélite vintage, je l'envoyais valser contre le General Electrics. Le toaster rebondit contre la poignée de chrome, disparaissant dans le noir environnant.

Mon corps entier se paralysa quand je vis que le loquet terne pivotait lentement.

Cette saloperie était en train de s'ouvrir.

L'interstice s'agrandit lentement, régurgitant une mélasse hideuse. 

Des cheveux et des ongles y étaient pris au piège, rebuts d'une digestion vorace.

La gueule noirâtre s'écarta tout à fait, vomissant un véritable flot de détritus organiques, enroulés sur eux-mêmes à l'instar d'intestins grisâtres. La bile me monta à la gorge, manquant de m'étouffer. Se débattant dans cette purée infecte, une petite silhouette d'enfant tentait de ramper à l'air libre, mais quelque chose la tira en arrière. 

Le garçonnet hurla de sa bouche invisible, happé dans le cloaque insondable et tremblotant qui s'épanouissait à l'intérieur du réfrigérateur.

Un instinct outré m'hurlait de me jeter dans cette bouche d'égout organique afin d'aider cette pauvre créature qui n'avait plus rien d'humain. La répugnance fut pourtant plus forte. 

Un moignon lacéré s'accrocha à mon pied pour me faire tomber et m'entraîner avec lui, et je me tortillais de plus belle, lui abandonnant ma chaussure.

Je me mis à courir sans me retourner. 

Derrière, j'entendis le General Electrics se remettre en route en toussotant. 

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