― Deux jours et deux nuits.

Humm, on m'a conseillé de faire du racontage de vie dans cette petite NDA, du coup je me permets de poper comme une petite fleur sauvage venue de nulle part ! Enfin le terme "venue de nulle part" semble bien adapté à la situation car je débarque pour la première fois ici ! Du coup, enchantée, Heleya, grande fan du soukoku, qui se sent encore immensément honorée d'être ici à vous partager mon texte ! Et qui est extrêmement nerveuse aussi ! 

Sinon, je vous souhaite bienvenu.e.s sur cette histoire sur le thème de The Last Of Us ! Pour ceux et celles qui connaissent pas le jeu, je vous recommanderai donc d'avoir vos petits estomacs bien accrochés et un mental d'acier car je ne veux pas être tenue responsable de la mort cérébrale des plus sensibles ( bon, en vrai je suis pas la plus aguerrie pour les situations stressantes et les descriptions horrifiques, mais on sait jamais ! ) <3

PS : J'adore aussi bien le angst que le fluff dooooonc...
PS 2 : Faites les ignorants sur la longueur indécente de ce texte :)

 Des bisous sur vos crânes chevelus~~~


 ~☾~

| Mars 2054, 02h24 |
J + 2


Pour la première fois de sa vie, Dazai n'avait aucune envie de rire en discernant ce vide caractéristique que son chargeur lui offrait lorsqu'il était complètement dépourvu de balles. Par le passé, il aurait probablement soupiré en se lamentant ô combien le destin paraissait cruel avec lui et ne lui laissait aucunement l'occasion de mettre fin à ses jours, assorti d'un sourire ironique sur les lèvres.

Mais pour l'heure, rien ne pourrait lui procurer plus de réconfort que de se savoir en sécurité loin de l'être hideux qui se dressait à quelques infimes mètres de lui. Il était difforme, le virus lui avait ôté toute humanité en échange de cette forme abject. Cette chose restait théoriquement humaine en apparence -du moins ce n'était plus qu'une question de mois, voire de semaines, avant qu'elle en soit définitivement dépouillée. La maladie rongeait sa chair de la plus abominable des façons, nécrosant violemment ses tissus là où de précédentes plaies sévissaient, témoins de l'espérance de survie exubérante du monstre.

Le brun ne comptait plus le nombre de fois où il avait fait face à l'une de ses créatures, mais étonnement, il avait l'impression de redécouvrir l'odeur pestilentielle si singulière de ses cadavres ambulants, cette sensation de paralysie dans chaque parcelle de ses membres en leur présence, l'effroi de caresser une mort qu'il cajolait pourtant depuis une éternité.

Dazai mentirait en cet instant, s'il disait que cette scène ne lui procurait que de l'indifférence comme toutes les autres.

Lorsqu'il croisa ses yeux, son souffle se coupa dans sa gorge, et il sut... Il savait avec exactitude que sa vie allait finalement s'abréger d'une manière atroce, et il désirait du plus profond de son cœur pouvoir obtenir une dernière fois cette présence si chaleureuse à ses côtés.

Juste une toute dernière fois...


~☾~

| Janvier 2042, 21h31 |
J - 4439


Des hurlements barbares se mélangèrent aux cliquetis distinctifs des infectés de très longues secondes durant, au sein de l'obscurité étouffante de la forêt. Son cœur s'affolait avec une certaine forme d'excitation dans sa cage thoracique, c'était étrange... Et pourtant, cette sensation harmonisée aux pulsions de son pouls battant frénétiquement dans ses oreilles, l'adrénaline anesthésiant toutes ces précédentes blessures, c'était réellement quelque chose de bienvenue.

- Leçon de survie numéro un lors des missions, Dazai, débuta l'homme l'accompagnant d'un murmure à peine perceptible, un certain Mori si sa mémoire était exacte. Toujours laisser les Claqueurs faire le ménage à notre place si possible. La plupart se contentent de tuer leurs proies avant de dévorer une majeure partie de leur corps en ne laissant plus que les os.

Sa voix était absurdement trop détendue au vue des circonstances accablantes, souligna-t-il pour lui-même avec amusement. Son regard se porta inconsciemment sur l'homme pour l'évaluer en plein travail, ce dernier faisant discrètement signe à leurs camarades de camper sur leurs positions encore quelques minutes.

Le brun était né dans ce monde de chaos sans qu'il n'eut jamais l'occasion de franchir les barrières qui le séparaient du danger qui pesait sur l'humanité. L'organisation qui l'avait vu se faire mettre au monde, celle dans laquelle il avait grandi, avait toujours accordé une grande importance à l'entraînement de ses héritiers tout en les maintenant éloignés en permanence du monde extérieur.

En quinze misérables années d'existence, c'était la première fois qu'il découvrait finalement ce qui se cachait derrière ses immenses remparts de ses propres yeux. Sortir en dehors des murs figurait parmi les plus grands tabous de sa génération, les adultes esquivaient le sujet avec dégoût, et les enfants se contentaient de suivre bêtement les directives de ces derniers. Difficile de croire qu'il était ne serait-ce possible que d'envisager cette hypothèse, et que quelqu'un possédait l'autorisation de quitter les lieux.

Les exécuteurs de raid comme Mori étaient en réalité plutôt nombreux au-delà des apparences, mais figuraient très discrets. Leurs agissements n'étaient pas totalement commis sous silence, mais étaient en fait régulés par le patron de leur société indépendante des restes du gouvernement japonais.

Dazai l'avait déjà rencontré à plusieurs reprises, et par expérience, il pouvait bien souligner que derrière sa tignasse argentée qui accentuait ses traits sages, ainsi que son aura qui laissait pourtant place à une grande compassion, les mesures exercées par Fukuzawa, était bien loin d'être aussi pacifistes que mentionnées par les rumeurs.

Cet homme fut témoin comme tant d'autres des horreurs du monde, et portait le poids de ces visions ensanglantées dans ses yeux et ses actes. Mori possédait également ce genre d'expression, celle qui offrait une première impression à Dazai de la renonciation de sa propre humanité. Après tout, comment pouvait-on encore se prétendre humains lorsqu'on commanditait les meurtres en séries d'un groupe opposant de manière aussi lâche ?

- Ça fait bien trop longtemps que ces enfoirés s'amusaient à roder autour de chez nous, et à tuer certains de nos exécuteurs, accusa Dazai en observant à présent la scène macabre. Ce n'est que justice rendue.

L'adolescent ne savait même pas si employer le terme de « justice » était admissible. La majorité du pays vivait sur des zones de non-droits, et chacun des survivants exécutait sa propre loi pour prospérer tant bien que mal. Voir ces personnes défier continuellement la vie se faire arracher la tête de la sorte dans un bain de sang relevait bien plus du châtiment que d'une quelconque notion d'équité.

Dazai avait pleinement conscience de ce à quoi il s'exposait en insistant pour rejoindre les groupes armés qui parcouraient le territoire avoisinant pour repousser l'épidémie. Son cœur était vide de ce que les hommes appelaient sentiments, et par tous les moyens, il désirait expérimenter ce que cela pouvait représenter, même si cela signifiait se jeter dans les bras de la mort et subir le même sort que leurs victimes.

Le quadragénaire aux cheveux ébènes s'était proposé pour devenir son tuteur lors des futures expéditions, décelant cette capacité singulière chez le brun. Nul n'aurait su dire depuis combien de temps il lui portait une attention particulière, mais les faits étaient là.

Ce chef d'escouade venait finalement de lui offrir ce laissez-passer qu'il convoitait tant.

Soudainement, un énième cri d'agonie retentit avant que ces derniers ne se turent intégralement, à l'exception des crissements singuliers des quelques infectés restants. Tous portèrent leur attention sur Mori, guettant l'instant où il lancerait l'ordre d'éliminer le reste des contaminés le plus expéditivement possible.

L'attente était réellement pesante. Maintenant que les bois étaient à nouveau plongés dans le silence insoutenable de la mort, tout le monde était parfaitement capable d'imaginer que le moindre mouvement, le moindre son, ainsi que chaque petit détail du genre provoqué accidentellement pouvait mettre violemment fin à leurs jours. Ces infectés étaient aveugles, et le groupe se tenait pourtant loin d'eux, mais l'infâme bruit guttural qui sortait de ce qu'il restait de leur visage offrait cette impression de se tenir qu'à quelques infimes centimètres de ces derniers.

Finalement, le prétendu tuteur de l'adolescent donna l'instruction désirée. Il n'était pas difficile de deviner la familiarité que le groupe entretenait avec la cohésion, chaque individu suivant le schéma qui lui était attribué dans une danse ordonnée ; et même le froid hivernal semblait incapable d'altérer leur précision. Le début de l'intervention mit à nouveau les infectés en alerte, les faisant s'élancer, les bras fouettant le vide, en direction de la source chahut. Et comme pour accompagner cette valse devenue chaotique, les armes à feu se mêlèrent en cœur au spectacle.

Dazai, lui, continuait d'observer leur boss resté en retrait, avec un certain intérêt.

- Faites attention, certains humains doivent sûrement être encore en vie, avertit Mori en ignorant le regard lourd du garçon.

- Je suppose que j'ai toujours pas le droit de bouger ?

- Pas tant que ces monstres seront encore en train de brailler, en effet. Un sourire légèrement carnassier s'esquissa sur son visage, comme si la vision de leur corps disloqué par les balles était une source de délectation. Tu as suivi un entraînement, tu es doué. Mais j'aimerai ne pas avoir à observer l'expression de ce cher Fukuzawa quand je lui annoncerai que j'ai dû inévitablement tirer une balle entre les deux yeux de mon nouvel apprenti, après que ce dernier se soit fait mordre par un Claqueur à cause de son imprudence. Ce serait déplorable, tu ne penses pas ?

Un haussement d'épaules fut la première réponse que le brun lui offrit spontanément.

- Vous m'avez pourtant dit que leurs victimes ne s'en sortaient que rarement en vie, non ? Ce serait un accident regrettable effectivement, mais vous n'aurez pas à lui expliquer que vous vous êtes servis de votre arme pour me tuer.

Les yeux médusés de Mori le sonda durant de très longues secondes avant de rire. Cette conversation lui ferait presque oublier le vacarme assourdissant qui faisait office de bruit de fond.

Non définitivement, la formation de Dazai en dehors des murs promettait d'être amusante.

- J'en ai attrapé un !

Le cri d'un des membres de leur escouade eut le mérite de l'arracher de ses pensées, l'invitant à autoriser l'adolescent à s'activer en direction de ses troupes en sa compagnie. Dazai s'efforça de rester concentré sur le groupe, bien qu'il se surprit à admirer les détails du carnage laissé par les précédents affronts. S'il n'était pas aussi stoïque face à la mort, il aurait été à peu près sûr que son estomac se serait manifesté violemment pour se vider de tout contenu.

Des corps humains jonchaient le sol dans une mer écarlate, pour certains méconnaissables lorsque l'on cherchait à comprendre où se situait leur crâne. Pire étaient ceux que l'on ne parvenait pas à identifier comme infectés ou sains. Il n'était pas ardu de deviner la terreur dans laquelle était plongé leur ennemi quelques minutes plus tôt en saisissant l'expression éternellement figée par la mort de rares d'entre eux. C'était pesant, d'une extrême violence, et pourtant Dazai n'éprouvait aucune culpabilité à l'exception de cette infime stimulation qui essayait vainement de lui nouer les entrailles sans grand succès. Même la mélodie de leurs hurlements semblait s'être définitivement éteinte au fond de son esprit

Peut-être les choses seront-elles différentes lorsqu'il arracherait la vitalité de ces êtres de ses propres mains ?

- Putain, pesta une jeune femme reconnaissable à sa broche en forme de papillon entremêlé dans ses cheveux ébènes. Vous saviez qu'il y avait des gamins dans le lot ?

- Je l'ignorais, déclara Mori en observant les deux désignés.

- On fait quoi, Chef ?

Deux enfants d'une dizaine d'années étaient là, agenouillés de force par l'équipe armée. Aucun d'eux ne semblait capable d'utiliser à nouveau leur corde vocale, tous deux plongés dans un mutisme facilement devinable à la lueur que leur yeux dégageaient. Leurs iris étaient naturellement ternes, et pourtant ces derniers ne laissaient plus que place à un vide infini.

Le regard du dirigeant se posa dans celui de l'enfant le plus blafard. Son visage était si vide d'émotions qu'un doute plana quelque instant, se questionnant si le garçon était réellement en vie.

- On les emmène, inutile de faire plus de dégâts. Yosano, choisis quelques membres avec toi, et faites le tour pour s'assurer qu'il n'y en a pas d'autres.

La femme à l'accessoire représentant le papillon acquiesça avant de faire signe à deux personnes de la suivre. Le meneur profita de ce mouvement pour s'approcher des enfants et déterminer s'ils étaient capables de marcher.

Au vu de leur ressemblance physique, Dazai était parfaitement sûr qu'il s'agissait d'un frère et d'une sœur.

Chanceux. C'était bien le mot qui serait le plus apte à les définir. Dans leur monde où la vie est un combat perpétuel et mourir de vieillesse semblait relever d'une utopie ; pouvoir se vanter de posséder des liens de parentés avec un être vivant et en pleine possession de l'intégralité de ses sens figurait parmi les plus grands cadeaux que l'univers pouvait leur faire.

Ils étaient négligés à cause du précédent combat mais ils étaient tous les deux en vie. Leur regard absent, le sang coagulé en diverses éclaboussures sur la teinte gelée de leur peau, les mèches désordonnées dissimulant originellement une chevelure de jais...

Les cheveux du garçon était l'un des facteurs les plus inquiétants sur son état psychologique aux yeux de Mori. Leurs pointes révélant une dépigmentation assez agressive vers le blanc pouvait bien signifier qu'il avait subit un choc émotionnel important, il a de cela de nombreux mois ou années. La question était : qu'avait-il bien pu voir, ou vivre de plus traumatisant qu'une rencontre avec un infecté pour créer une faille aussi conséquente pour impacter son système immunitaire ?

Si le chef d'escouade interprétait cette information avec une certaine appréhension, Dazai était intrigué avec une absence cruelle de sens moral.

Il les enviait, du moins le brun désirait convaincre son esprit que c'était le cas, plongeant son corps dans un état de transe que lui-même ignorait. Qu'avaient-ils pu ressentir ce jour là ? Et en cet instant ? Est-ce que l'adrénaline se répandait inconsciemment dans leurs veines, immobilisé là sur la terre humide, redoutant à chaque instant que le groupe profite de leur impuissance et se résigne à leur dérober ce trésor si précieux qu'était la fraternité ?

Est-ce qu'ils hurleraient si la lame affûtée de son poignard venait s'enfouir dans la chair de l'un d'entre-eux ? Logée là, au creux des entrailles de sa victime, avant d'arracher l'arme avec violence en espérant déverser l'intégralité de ses organes sur le sol... Est-ce que cette dernière le supplieraient d'abréger ses souffrances, tandis que le survivant le prierait à son tour pour sa propre mort qu'il se ferait un plaisir d'offrir avec une brutalité encore plus inouïe ?

Est-ce que cela le ferait se sentir vivant ?

- Merde ! Attention !

La voix de Yosano était lointaine, cependant, la puissance du choc de son crâne contre le sol, et la douleur lacérante qui s'en suivit était si imminente, que ses sensations l'étreignirent jusqu'à l'étouffer. Lorsque Dazai prit enfin conscience de l'urgence, sa vision était entravée de cette même lame tentatrice qu'il désirait tant exercer, ironiquement plongée dans l'un de ses iris. La souffrance de ses nerfs écorchés était effroyable, et le réflexe de hurler semblait enfin s'être réveillé.

À travers ce voile écarlate, il discerna un garçon aux traits singuliers derrière ces mêmes habits de crasses et de sang que les deux autres. Le brun essaya de se débattre mais l'adolescent aux cheveux roux lui faisant face l'épinglait avec une telle précision, malgré les spasmes musculaires qui faisaient trembler son corps, qu'il lui était impossible de s'extirper de sa prise. Les cris déchirants de ce dernier lui martelèrent ses parois crâniennes en l'empêchant de se concentrer.

Chaque milliseconde paraissait danser au ralenti, durant lesquelles Dazai continuait de chercher une solution pour s'échapper de l'emprise de son assaillant, saisissant par la moindre occasion n'importe quelle chose lui tombant sous la main pour s'en servir à son avantage ; et durant chacune d'entre-elles, il sentait l'arme continuer à s'enfoncer à l'infini dans son crâne.

- Enfoirés, j'vais vous tuer ! Hurla-t-il, les yeux embués de larmes. C'est de votre putain de faute si ma sœur vient de mourir, et vous allez payer pour ça ! Vous, votre foutue organisation le PM, et tous autant que vous êtes ! Je va-

Le bruit assourdissant de l'impact du manche d'un fusil contre la tête de son agresseur retentit avant que le silence ne retombe et que l'un des membres du raid s'empresse de dégager l'adolescent inerte loin du brun et ainsi mesurer l'étendue de sa blessure.

- Vous auriez dû l'abattre ! Vous venez de laisser ce gamin en vie, alors qu'il vient clairement de compromettre la vie de l'un d'entre-nous en nous prenant pour une putain d'organisation que nous ne sommes pas, merde ! Yosano ne se priva pas laisser son énervement éclater, pendant qu'elle enroula le visage du brun de bandage en laissant volontairement la lame logée dans son crâne en lui empêchant une hémorragie. Ce serait une très mauvaise idée de te l'enlever maintenant, alors tâche de rester tranquille.

- J'ai été très clair, inutile de mêler ces gamins au conflit.

Le regard de Mori sonda le corps du rouquin en estimant le potentiel que ce dernier pouvait posséder, avant de finalement se poser sur Dazai.

- Ne te laisse jamais aveugler par l'hésitation, dans ce monde, seule la survie compte, asséna-t-il, réprobateur.

Curieusement, même dans une situation aussi critique que celle-ci, Dazai souffrait, mais n'éprouvait pas le moindre sentiment d'excitation sincère qu'il convoitait tant... Seule l'impression d'échec lui nouait le ventre...


~☾~

| Septembre 2044, 16h31 |
J - 3466


Dazai avait envie de hurler de frustration, et il était incapable de dire jusqu'où sa patience lui permettrai de tenir.

- Ta posture est trop raide ! Tu serais incapable de réagir en cas d'urgence, recommence !

Il ne saurait dire à quel instant Akutagawa était devenu la tare qu'il devait superviser aux entraînements depuis que sa sœur et lui étaient considérés comme les leurs, mais les faits étaient là : leurs supérieurs lui ont imposé cet adolescent maladif entre ses jambes pour le former au combat.

Même avec l'handicape dont il avait hérité, il a de cela presque trois ans maintenant, le garçon aux cheveux restés bicolores était incapable de le toucher.

Après sa première expédition à l'extérieur, Mori et Yosano s'étaient affairés à essayer de sauver son œil sans grand succès... Les heures qu'il avait passé en cet instant furent de loin les plus longues et les plus douloureuses en dix-huit ans d'existence ; le calvaire était interminable et si infructueux que la charpie logée dans son orbite droite lui fut finalement arraché contre son gré. Son visage était dorénavant scellé de bandages qui ne le quittaient presque jamais.

Akutagawa Ryûnosuke avait du potentiel, leur chef d'escouade ne s'était pas trompé sur ce point là, mais il ne savait pas l'exploiter. Et Dazai était bien loin d'être le meilleur mentor désigné pour prendre en charge son cas. Il était agressif, violent, et ne possédait aucune pitié avec le plus jeune. Ses collègues ne comptaient même plus le nombre de fois où ils avaient retrouvé les mains de l'adolescent tachées de rouge pour une autre raison que celle de sa maladie, mais à cause l'accumulation du sang qu'il essayait continuellement d'essuyer après les coups que le brun lui infligeait.

Personne n'acceptait pour autant de s'occuper de son entraînement à sa place, ne percevant seulement que le garçon chétif qui traînait la peste à ses pieds, seul Dazai semblait savoir où le mener pour qu'il devienne quelqu'un de puissant. Et sans de remise en question, Akutagawa acceptait la torture qu'il subissait quotidiennement.

Alors, il se redressa à nouveau, imitant cette posture qu'il était pourtant convaincu de maîtriser avant de s'élancer dans un mouvement technique sur le brun. Malheureusement, en moins de quelques secondes, il hérita d'un nouveau coup violent dans l'estomac avant de s'écrouler au sol, le corps endoloris et recouvert de sueur.

Dazai soupira avec lassitude, son indulgence définitivement consumée à cause d'un nouveau problème encore plus horripilant que l'incapacité du bicolore à exécuter ses dires. Cependant, il eut la décence de mettre un terme à cette session catastrophe.

- On recommence demain, à quatorze heures, ne soit pas en retard.

De son œil valide, son regard croisa celui azuré de celui qui en était la cause, et son esprit s'échauffa d'énervement.

Chûya...

Sans la moindre attention pour l'adolescent, il s'éloigna le plus possible de la zone d'entraînement dans l'optique de trouver quelque chose capable de l'aider à se détendre. Dans ce genre de situation, le brun avait souvent l'habitude de se rendre dans un lieu quelque peu clandestin de leur ville qui se faisait appelé le Lupin pour y rejoindre son ami Odasaku.

Mais de toute évidence, la source de son exaspération ne semblait pas décidée à le laisser faire.

- Hé ! Tu peux au moins me dire où est-ce que tu vas ! On doit retrouver Mori dans dix minutes !

- Si tu pouvais éviter de te comporter comme un petit chien surexcité en te jetant sur moi, ça m'arrangerait...

On ne pouvait pas dire qu'ils s'appréciaient mutuellement, ni même que l'idée de passer du temps ensemble les réjouissaient. Cependant, on ne pouvait pas dire non plus qu'ils se détestaient -du moins plus maintenant. Dazai le trouvait ennuyeux, et beaucoup trop survolté de manière générale, le simple fait de le voir lui donnait mal à la tête. Il ne comprenait même pas comment le rouquin était passé de celui qui avait promis d'éradiquer leur organisation jusqu'au dernier, à celui qui, pour une raison complètement incongrue, avait juré allégeance devant Fukuzawa et Mori...

Peut-être qu'il l'appréciait davantage à l'époque où Chûya mettait tout en œuvre pour le tuer de ses propres mains en le regardant échouer, encore et encore. Au moins, durant cette période, il s'amusait un minimum. Mais à présent, il était là, à devoir exécuter la majorité de ses missions avec ce « gugusse » assagi dans les pattes.

L'insulte de l'animal ou bien celle de l'adjectif définissant sa taille semblait, sans grand étonnement, l'avoir atteint, car en moins d'une seconde Dazai s'accroupit pour esquiver le prévisible coup de pied que ce dernier lui asséna.

- Tu es tellement prévisible que ça en devient affligeant, gloussa le stratège avant de voir ses lèvres s'étirer d'un rictus.

Dans une habitude connue, son aîné lâcha un râle aiguë, avant de persifler avec un agacement palpable.

- Arrête de faire l'enfant, c'est important cette réunion.

- J'ai pas envie, acheva le brun avant de tourner les talons.

- Et alors quoi ? Tu vas faire une nouvelle tentative ? Je suis celui qui mettra fin à tes jours, donc il est hors de question que je te laisse partir comme ça !

- J'attends ce jour avec impatience !

Pour appuyer ses paroles, la main de Chûya saisit son épaule pour l'empêcher de faire un mouvement de plus. Le regard de Dazai lorgna les doigts fermement accrochés du nuisible sur lui et se contenta d'y jeter une expression de dégoût qu'il espérait suffisamment convaincante pour que ce dernier lui fiche la paix

- Ta main gluante de limace sur mon épaule me répugne.

- Ferme-la ! Et viens maintenant ! Répéta le rouquin avec plus de fermeté.

Le brun se laissa traîner par la poigne irrévocable du plus petit à l'exact opposition du lieu qu'il souhaitait originellement rejoindre.

- J'ai d'autres méthodes de suicide à mettre en pratique, est-ce qu'il serait possible que tu arrêtes de te coller à moi de la sorte ?

Dazai ne le remarqua pas immédiatement, mais cette phrase eut un effet beaucoup plus inattendu et impactant sur l'esprit de Chûya qu'il le désirait. Alors, lorsqu'il se planta devant lui, le regard indescriptible, témoignant de tant de sentiments qu'il ne lui connaissait pas, la respiration du brun se bloqua quelques instants.

- Des centaines de gens rêveraient de pouvoir encore être en vie aujourd'hui, et toi tu craches sur cette opportunité avec tes tentatives de suicide débiles ! Apprends à faire preuve de compassion merde, cracha-t-il en criant. De nombreuses secondes lui furent nécessaire pour qu'il puisse retrouver son sang froid.

Ses tentatives de suicide étaient très loin d'être « débiles », seulement il n'avait rien de trouver de mieux pour compenser ce manque flagrant d'intérêt lorsqu'il sortait à l'extérieur des murs. Les quelques jours qui suivirent leur rencontre, Dazai s'était efforcé d'ignorer cette impression dérangeante, imaginant que ses prochains raids seraient vivifiants... Mais rien...

Le jour où sa lame fétiche s'était enfoncée pour la première fois dans la jugulaire d'un infecté était pour lui le nouveau synonyme de l'ennui. Lors du suivant, il avait tué un être humain sain, et l'impression restait effroyablement la même. Les espoirs qu'il avait placé en ces agissements se sont révélés décourageants, il ne savait plus quoi faire pour poursuivre son rêve illusoire, acceptant la fatalité de ne réussir à trouver un sens au fait d'être en vie. Même croiser constamment le regard de celui qui lui avait planté ce couteau dans l'œil ne lui donnait même pas l'envie de se venger.

Seuls les moments où il provoquait volontairement la Faucheuse possédait encore un attrait amusant. Le brun avait déjà songé à se laisser attraper par un infecté, mais d'après les études, les premières semaines étaient les plus atroces, les âmes restaient accrochées au corps manipulé durant des années avant de définitivement s'éteindre, ayant pleinement conscience de tous leurs actes commis contre leur volonté. Dazai était suicidaire, c'était un fait, mais il n'était pas fou au point de s'imposer une telle torture.

Alors il improvisait à chaque occasion. Tantôt se jetant dans la mer avoisinante, tantôt expérimentant de nouvelles drogues surdosées qu'il avait dérobé dans le laboratoire de Mori et autres médecins, tantôt profitant du manque d'attention du groupe armé pour programmer une pendaison rapide... et inefficace...

Le jeune homme ne pouvait se résoudre à quitter l'escouade pour une unique raison : son tempérament était connu de tous au sein de leur ville, et nombreux étaient ceux qui parvenaient à lui mettre des bâtons dans les roues et ainsi mettre fin aux plans macabres qu'il s'étaient destinés ; les sorties en dehors des murs restaient donc ses seules éventualités pour improviser de nouvelles idées en ce sens.

Dazai était bien loin de savoir « faire preuve de compassion » à ce sujet, il ne parvenait même pas à saisir pourquoi les gens désiraient encore être en vie dans une génération telle que la leur. Mais il pouvait au moins faire semblant par politesse.

Il s'arrêta en soupirant longuement. La raison pour laquelle le rouquin semblait autant impacté, Dazai était à peu près sûr d'en avoir trouvé la cause.

- Je suis désolé pour ta sœur, admit-il.

Le rouquin se figea complètement, fixant Dazai de très longues secondes durant. C'était une blague n'est-ce pas ? Il ne s'agissait que d'une nouvelle pique destinée à lui faire du mal ? Chûya ne pouvait se résoudre à imaginer que cet imbécile de suicidaire se sentait réellement attristé par la mort de sa sœur qu'il avait volontairement provoqué.

- Je te demande pardon ?

- Le soir où on s'est rencontré, je suis désolé de ce qui est arrivé à ta sœur.

Le brun mentirait s'il disait être complètement touché par cette tentative d'excuse, même Chûya était loin d'être dupe à ce sujet. Mais sincèrement, il essayait, avec la meilleure volonté du monde de faire preuve de compassion, ne sachant pas réellement comment s'y prendre. Doté de cette capacité de modeler ses émotions selon son envie, ne parvenant pas à les laisser parler par elles-mêmes, il était plutôt doué pour illustrer l'ironie et autres sentiments sans grand sérieux qui résultait d'une manipulation mentale parfaite. Mais pour la première fois, il s'efforçait de coordonner son attitude avec ses pensées et le résultat était loin d'être aussi satisfaisant qu'il l'espérait.

Ce décalage qu'il possédait avec l'introspection humaine, lui offrait cette chance de comprendre le fonctionnement si caractéristique du fil des réflexions des autres. Et Chûya était l'une des personnes les plus expressives et par conséquent l'une des plus faciles à cerner. Dazai était à peu près sûr qu'à sa place, il n'aurait jamais renoncé à l'envie d'égorger chaque personne ayant joué un rôle dans la mort de sa famille.

Bien que Dazai n'avait pas participé directement à leur assassinat, il en était témoin et avait réclamé faire couler le sang plus que n'importe qui. Rien que pour cette raison précise, Chûya n'était pas le garçon ennuyeux qu'il appréciait secrètement énervé, mais juste cet adolescent méritant cette compassion qu'il espérait inconsciemment recevoir de quelqu'un un jour.

- Je ne sais pas si tu le fais exprès, mais c'est vraiment très mal venu.

Le silence s'immisça un très long moment, apposant un poids dérangeant sur leurs épaules. Ne sachant pas quoi ajouter pour maintenir cette impression de compréhension, il ne prononça aucun mot. Il savait que quoi qu'il dirait, Chûya ne le prendrait pas au sérieux, et que ses paroles arriveraient à le blesser.

Le regard du rouquin était lourd de jugement, et ce dernier ne parvenait pas à comprendre les intentions de Dazai. Son cadet était manipulateur, et nombreuses étaient les fois où il lui avait fait volontairement du mal psychologiquement. Mais quelque chose pour la première fois aujourd'hui semblait différent de leurs précédentes altercations.

- C'était pas réellement ma sœur, mais c'était tout comme, avoua Chûya avec nostalgie. Elle s'appelait Kôyô... Lorsque ma mère est décédée, c'est la sienne qui s'est occupée de moi, et lorsqu'elle est morte à son tour... Il ne me restait qu'elle. C'était ma seule famille...

Entendre Chûya lui parler de son passé le fit sourire sans qu'il ne s'en rende compte.

- Elle était malade, et incapable de bouger. Lorsque l'infecté nous est tombé dessus, j'ai... Je l'ai regardé mourir sans savoir quoi faire, avant de retrouver mes esprits de réussir à l'achever... Le rouquin marqua un temps d'arrêt presque inquiétant, se remémorant chaque détail qui aurait peut-être pu sauver la vie de sa sœur. Si j'avais été un peu plus réactif ce jour là, peut-être qu'elle serait encore en vie à l'heure qu'il est...

C'était la première fois que Dazai l'écoutait évoquer sa mort sans être accusé directement d'être celui qui l'avait provoqué. Et pourtant, même en ayant conscience de la culpabilité qu'éprouvait le rouquin, il refusait de faire taire cette impression. Il était l'un des assassins de cette fameuse Kôyô, pas Chûya.

- Tu n'es pas responsable.

Le rouquin haussa les épaules sans grande conviction avant de défier le regard sombre du plus grand.

- Je suis désolé pour ton œil, conclut-t-il avec une faible expression amicale.

- C'est rien, assura le brun.

Et pour la première fois de sa vie, le sourire qu'il offrit à Chûya était sincère.


~☾~

| Août 2047, 12h06 |
J - 2402


Les missions solos ou confiés en petit groupe était d'ordinaire simple et rapide à exécuter, nuls n'auraient pu prédire que leur expédition commencerait à virer au drame en arrivant sur les lieux. La gare souterraine de l'ancien Yokohama était pourtant connue pour être l'un des endroits les plus déserts entourant leur base. La dernière fois que Dazai y avait posé les pieds ne remontait pas plus loin que le mois passé, et en parallèle il savait que d'autre groupes de raid y avaient posé les pieds il y avait de cela trois jours.

Absolument rien ne pouvait donc justifier que l'endroit était pratiquement gorgé de spores, ainsi que d'infectés de stades deux et trois. La zone était close, et étouffante à cause des mois d'été ; l'odeur qui s'en dégageait était de loin la plus infâme de toute. L'effluve si caractéristique des corps en décomposition était davantage oppressante, et la vue de ces derniers se voilant de plus en plus du champignon responsable de ce mal mondial renforçait la nausée déjà bien ancrée dans leur estomac.

La chaleur leur faisait tourner la tête à tous, et le carnage jusqu'à lors inconnu provoqué par les monstres il y avait à peine quelques jours, avait de quoi alimenter une certaine démence au sein de leur esprit.

Le petit groupe était là depuis seulement une heure, et plus leurs membres progressaient, plus ils avaient l'impression qu'ils n'en finiraient jamais.

- Le plus sage serait de rentrer et de ramener du renfort, proposa Odasaku.

- Tu déconnes ? Avec le nombre d'infectés qu'il y a, ils finiront par arriver à la ville avant nous !

Le ton de Chûya était ferme en essayant de se montrer discret, et Dazai devait bien reconnaître que le plus petit avait raison. Son meilleur ami aussi, mais il lui était impossible de savoir quel choix était le plus raisonnable.

Leur ville était de loin l'une des mieux protégées du Japon et les soins apportés à la défense étaient de loin les plus sophistiqués, mais comme tout système, il était impossible de faire l'ignorant sur certaines failles. La gare était l'une d'entre elles. Le lieu était extrêmement difficile d'accès depuis l'extérieur, mais offrait un allé simple à quiconque parvenait à s'y engager au sein même des murs. La raison précise pour laquelle de nombreuses patrouilles étaient nécessaires était la suspicion d'une éventuelle attaque par cet endroit.

- Si on continue de les laisser avancer, je ne leur donnerai pas moins d'une heure pour atteindre la ville, estima le brun avec une forme de gravité. C'est déjà étonnant qu'ils ne soient pas arrivés plus loin. Le reste du passage est complètement dégagé, si un seul comprend qu'il peut avancer par ici, c'est terminé.

- Il faut rentrer. On aura plus de chance si on la rejoint, on peut encore faire évacuer la partie sud, et ramener des renforts.

Évacuer la partie sud... Le pari pouvait sembler réalisable à première vue, mais n'en demeurait pas moins risqué. Il était vrai que leur cité s'était reconstruite au fur et à mesure des âges, offrant de nouveaux districts tous avec une sécurité indépendante des unes des autres leur permettant de faire face à ce genre de situations. Seulement, s'il parvenait à atteindre la surface sans un bruit, les vibrations provoquées par le mouvement de foule pourrait bien alerter les infectés, et ce n'était plus une heure qu'ils leur resteraient avant de se diriger dans cette direction, mais un peu moins de quinze minutes.

- Putain de merde, pesta Dazai en sentant le poids du regard de ses partenaires sur lui.

Son œil valide évalua en premier lieu le chemin qu'ils avaient emprunté avant de se porter sur la masse d'infectés logée sur les rails en contre-bas.

- Odasaku, remonte chercher de l'aide et ne préviens que le corps armé, on doit absolument empêcher une évacuation. Fais mobiliser autant de personnes que tu veux, mais surtout il faut au maximum éviter le déplacement des civils vers d'autres zones, on ne sait pas si d'autres passages se sont peut-être formés avec les éboulements récents. Nous risquerons moins gros à les attirer à la sortie de la gare si une barricade est mise en place.

- Et vous ?

- On va s'occuper de les distraire !

Cette réponse, semblant pour le moins beaucoup trop amuser l'homme aux cheveux foncés, fut gratifiée d'un soupir lourd de la part de Chûya.

Le souterrain était gigantesque, beaucoup trop enténébré, d'une instabilité des plus inquiétantes ces derniers temps, et pour finir dangerosité sans pareille. Le rouquin aurait aimé plaisanter sur le fait que cela pouvait sonner comme un suicide pur et simple, mais la blague était d'une extrême maladresse avec un suicidaire comme chef de troupe. Malheureusement, il n'était pas en mesure d'engager le débat, et savait par expérience que les décisions de Dazai étaient toujours les mieux apprêtées aux circonstances. En l'occurrence, lui et son cadet, étaient de loin les membres les plus offensifs des exécuteurs ; et par conséquent les plus à même de mener cette mission à bien.

C'était le plus logique.

L'auburn dû bien mettre de très longues secondes à sonder les deux hommes avec une expression perplexe, avant d'accepter de les gratifier d'un geste amical encourageant, enserrant leur épaule.

- Tâchez de rester en vie tous les deux, souffla-t-il en guise de salutations.

Après la séparation avec son ami, le brun s'étira tout en se relevant d'une façon excessivement peu discrète, comme si les dires d'Odasaku n'avait aucune importance à ses yeux. Chûya cru halluciner. Il était débile, n'est-ce pas ?

C'était de plus en plus fréquents, et Dazai adorait faire ce genre de choses sans un minimum de réflexion, profitant des réactions paniquées que le rouquin acceptait de laisser entrevoir sur son visage. Et encore une fois, sans grande surprise, le regard de ce dernier s'écarquilla avant de le saisir avec force par le poignet pour l'entraîner à l'abri des infectés. Chûya avait appris à faire preuve d'une extrême furtivité dans ce type de situations, même lorsqu'il plaquait cet imbécile de suicidaire contre un mur pour lui faire un sermon.

- Putain, arrête de jouer au con, t'es complètement malade ma parole !

- Aw, ma merveilleuse limace se fait du mouron pour moi maintenant, c'est si mignon~

- Ferme-la merde ! On est dans une putain de gare en ruine et ça grouille d'infectés ! T'as pas autre chose à foutre que ça ?!

- Mais mon petit Chûya, comment pourrais-je rater une occasion aussi unique que celle-ci ? Surtout si j'ai la chance d'avoir tes petites mains aussi fermement agrippées à mes vêtements... Susurra-t-il d'un ton absolument pas avisé.

Si le contexte avait été différent, peut-être que Chûya aurait rougit après l'avoir giflé. Ses émotions ressemblaient de plus en plus à un chaos instable lorsqu'il était question de Dazai. Mais force était de constater que plus il cherchait à le refréner dans ses idées stupides, plus il tombait dans le piège que cet idiot avait vicieusement installé à ses pieds pour le pousser à chaque nouvelle occasion à se rapprocher de lui.

Même le poids de son unique œil était devenu beaucoup tendancieux au fil des mois. Cette expression si singulière, qu'il était le seul à recevoir, était quelque chose de plus en plus compliqué à interpréter... Comment pouvait-il à ce point posséder cet air si séduisant quand il le regardait de la sorte, dans une situation aussi mal venue que celle-là ?

- Sincèrement, arrête de faire ça, somma-t-il, ignorant lui-même s'il faisait référence à son imprudence ou bien à son attitude déplacée.

- Ils sont aveugles, Chûya.

- Dazai, les putains de Rôdeurs sont très loin d'être aveugles et encore moins sourds !

Heureusement qu'ils se trouvaient encore assez éloignés de la source des contaminés -cela leur permettait par ailleurs de ne pas s'encombrer d'un masque gaz pour l'instant en empêchant de limiter leur champ de vision-, et que le rouquin parvenait à maîtriser la puissance de sa voix. Dans l'optique de retrouver sa maîtrise complète de soi, il prit une grande bouffée d'air avant de soupirer.

- Allons-y. Oda devrait en avoir pour une dizaine de minutes avant de mobiliser du monde, et si on veut éviter un carnage, on doit faire du ménage.

- Je ne savais pas que tu étais assez intelligent pour comprendre ça, Chûya !

- Oh je t'en prie, ferme-la...

Dans un total désarroi, Chûya relâcha les pans de sa veste sans aucune douceur. Il mourrait d'envie de se changer les idées avec pour simple but d'ignorer le sourire beaucoup trop ambiguë collé sur le visage de Dazai. Tuer ces bestioles semblait de loin la meilleure distraction pour mettre fin à son calvaire mental.

Malheureusement, quelle malchance pouvait encore justifier que le brun ne le tire à nouveau contre lui, pressant son dos contre son torse tout en plaquant une paume sur sa bouche, alors qu'il commençait à s'éloigner de quelques mètres pour se préparer à exterminer leur problème commun ? Le rouquin l'aurait probablement frappé après lui avoir fait regretter oralement ce geste. Seulement, Dazai n'était pas disposé à diminuer sa prise sur son corps en lui sommant silencieusement de ne pas faire le moindre bruit.

Un Claqueur glissa soudainement sur leur yeux de sa démarche disgracieuse, accompagné de son atroce mélodie tout aussi dysharmonieuse. La chose sonda auditivement le lieu où ils étaient cachés, fixant involontairement les deux hommes avec ce qui lui restait de son crâne, ce dernier gorgé de champignons. Cette vue était de loin répugnante, et l'odeur que cette bête dégageait était insupportable. La surprise que Chûya éprouva en détaillant l'infecté à quelques infimes centimètres fit accélérer son rythme cardiaque tandis qu'il s'enfonça davantage dans la prise de Dazai, désirant à tout prix disparaître à des années-lumière de cette gare.

Finalement, le contaminé s'éloigna jugeant que l'escalier à leur côté était plus digne d'intérêt.

- Si tu avais mesuré cinq petits centimètres de plus, tu aurais pu le voir~ Souffla Dazai au creux de son oreille en arrachant un frisson à son aîné.

Dieu qu'il donnerait n'importe quoi pour plonger ses dents dans cette maudite main sur son visage jusqu'à ce qu'il le supplie d'arrêter en s'excusant pour son attitude déplacée.

Comme si l'appel silencieux lui était miraculeusement parvenu, Dazai délivra le rouquin de sa pression en profitant de l'isolement de l'infecté loin de ses confrères. Dans une habitude familière, il s'avança en position accroupie, pistant la chose jusqu'à être suffisamment proche pour la saisir en toute rapidité. Sa lame se planta dans sa gorge avec une telle dextérité que le Claqueur n'eut pas le temps d'alerter ses semblables. Le sang gicla abondamment de la nouvelle plaie en arrachant le couteau de son corps.

Ce spectacle était devenu des plus familiers au cours des années mais n'en restait pas moins écœurant. Chûya finissait par oublier l'espace de quelques instants que eux aussi ont été humains un jour. Dazai, lui, ne paraissait jamais impacté par ce genre d'informations. Cela pouvait s'apparenter à une forme de force mentale inébranlable pour ceux qui ne le connaissait pas, mais en réalité il ne s'agissait que de la personnification de son âme brisée.

L'ôtant au fil de ses réflexions, le plus grand fit signe à Chûya de se préparer à avancer en leur direction. Alors, il équipa son masque sur son visage en observant ce dernier jeter une brique aussi loin que possible pour amadouer les infectés vers la nouvelle source de bruit, et d'une gestuelle scrupuleuse, signe d'un langage codé qui leur était propre à tous les deux, il lui ordonna de commencer à viser autant de contaminés que son silencieux pouvait lui permettre.

Le rouquin était probablement le meilleur tireur de leur groupe, il excellait dans les combats à distance. En revanche son tempérament, souvent qualifié de bourrin, présentait son lot de défauts, en particulier quand la condition première était de savoir se montrer discret. Chûya avait appris avec les années à travailler sur cette faute, et ce grâce à sa collaboration devenue quasi permanente avec quelqu'un d'aussi horripilant que Dazai.

Cependant, il devait bien reconnaître qu'il possédait une affinité presque parfaite avec l'homme aux cheveux bruns. Leurs missions étaient l'unique synonyme de réussite, et rien ne parvenait à se mettre en travers de leur chemin.

La situation actuelle était critique, certes.

Mais ils s'étaient déjà tirés de circonstances bien pires que celle-la, car Chûya faisait confiance à Dazai, et Dazai faisait confiance à Chûya.

Alors lorsque sa paupière gauche se ferma, affinant la vision de son œil opposé en mettant l'arme en joue, il prit une profonde inspiration en verrouillant sa cible sur le premier infecté parmi les dix agglutinés qui continuaient de chercher la cause du chahut. Et il tira ; encore et encore faisant pleuvoir leur corps sur le sol dans un feu d'artifice ensanglanté dans le contrebas.

Son pistolet démunit de sa capacité insonore, il le rangea dans son étui avant de saisir dans la même seconde la bouteille remplie d'alcool que Dazai lui tendit, et il enflamma le morceau de chiffon pendouillant à l'extérieur du récipient, se préparant à le lancer. Le brun explosa un nouveau projectile sur le sol à quelques mètres de l'ancien, rassemblant de nouveaux les monstres en un même point.

Lorsque Chûya visa à son tour la masse, il ne pouvait retenir cette envie de vomir à l'écoute des cris d'agonies qui semblaient interminables en s'imaginant à leur place. Son corps se paralysait incontestablement à chaque fois qu'il observait l'espace de quelques instants les flammes lécher chaque membre, les uns après les autres, de toutes les personnes ayant le malheur d'être confrontées à ce cas de situation.

Le rouquin détestait le feu.

Cette calamité lui avait volé bien plus que n'importe quel infecté. Le premier souvenir qu'il conservait de sa jeunesse était celui où cette masse ardente était venue dévorer son premier village, sa première maison, ses premiers amis... Les souvenirs de son enfance... Sa mère... Il lui arrivait encore par moment, même quatorze ans après cet accident, d'entendre ses hurlements pourfendre les cieux à travers ses divers cauchemars. Et chaque fois qu'il regardait ce brasier engloutir toute la vitalité d'un être vivant, il revoyait encore et encore ses traits tirés de l'expression déchirante qu'il immortalisa d'elle au sein de sa mémoire.

- Chûya, on doit avancer, lui rappela le brun avec une certaine neutralité.

L'écho de sa voix lui paraissait lointaine, et pourtant il parvint à acquiescer silencieusement en marchant dans les pas du plus grand, les faisant s'enfoncer plus loin dans l'obscurité de la gare. Le calme était revenu, et Chûya présumait qu'il n'était qu'une question de minutes et de mètres avant de voir surgir une nouvelle vague de contaminés qu'il espérait être abordable.

Si son silencieux venait de rendre l'âme, la suite de leur mission allait s'annoncer quelque peu mouvementée s'ils désiraient mettre fin à leur progression avec un minimum de sécurité que la discrétion pouvait leur apporter.

Néanmoins, plus ils évoluaient au sein du souterrain de très longues minutes durant, plus Chûya ressentait cette sensation de malaise lui nouer vicieusement la gorge. C'était calme... Beaucoup trop calme... Tendre l'oreille ne lui servait qu'à capter le son religieux que la mort daignait offrir à quiconque acceptait de bien l'écouter. Dans ce genre d'endroit clos, le moindre petit gravier projeté contre le béton suffisait à les avertir d'une éventuelle présence.

Mais en cet instant : absolument rien.

L'auto-persuasion voulait elle-même que les deux hommes ne s'acquittent de la position tendue dans laquelle ils étaient cloîtrés depuis ce qui semblait maintenant être une éternité. Pourtant, même si tout laissait croire que le danger était moins important que prévu, et avait été écarté, quelque chose ne concordait pas.

Le nuage toxique dans lequel ils nageaient depuis près de cinq cents mètres maintenant, n'avait certainement pas fait son apparition avec seulement un peu moins d'une vingtaine d'infectés... Enfin... Théoriquement, cela pouvait être possible, mais les monstres devaient s'être agglutinés là depuis de nombreux mois. Or, cela entrait en totale contradiction avec les missions régulièrement assignées en ces lieux.

Tout à coup, le parfum abject de la moisissure fleurissant sur le corps des victimes de la pandémie se fit oppressant, si bien que Chûya observa Dazai peiner à retenir la bile à l'intérieur de son propre estomac. La chaleur suffisamment écrasante, ne lui permit malheureusement pas de conserver le contenu de son ventre dans ce lieu confiné en détaillant l'allée de cadavre d'infectés disloqués et éparpillés çà et là dans une mer écarlate poisseuse et emplie de divers insectes répugnant en tout genre sur les rails.

Vomir n'avait jamais semblé si compliqué qu'en cet instant, ôtant son masque pour répandre l'ignoble concentré qui se mit soudainement à le gêner au sein de son corps. Parvenir à remettre le filtre à oxygène sur son visage sans répéter ce spasme musculaire une seconde fois en ne pouvant se permettre de prendre la moindre inspiration pour calmer le désordre que l'intégralité de son enveloppe charnelle était en train de lui faire subir, était pratiquement impossible.

- Dazai, je crois que-

Merde !

Une explosion résonna derrière eux et les murs constituant le chemin qu'ils avaient emprunté pour arriver jusqu'ici s'écroulèrent sous leur yeux. Cela aurait pu être le meilleur de leur soucis si les crissements si caractéristiques qu'ils redoutaient tant se mirent à résonner de toute part en leur direction.

D'une expression paniquée, Chûya supplia silencieusement son cadet d'être apte à courir là, maintenant. Il ne lui eût besoin que d'une fraction de seconde pour attraper son revolver de la main droite, et la le poignet de Dazai de l'autre.

C'était loin d'être la première fois qu'ils menaient une course-poursuite avec des infectés. En revanche, la situation allait s'annoncer très loin d'être banale à aborder ; ils étaient coincés sur le passage d'anciennes voies souterraines, cloîtrés au sein d'un tunnel étriqué qui ne leur laissait quasi aucune marge de manœuvre, et le seul moyen qui leur permettrait d'espérer pouvoir s'en sortir était de rejoindre l'une des stations d'arrêts de l'époque.

Le rouquin fut rassuré de constater que Dazai était parvenu à retrouver son indépendance à temps lorsque les premiers contaminés surgirent sous leurs yeux les uns après les autres. Aucun des deux hommes n'avaient le temps de se questionner sur la marche à suivre, visant chaque nouvel intrus qui apparaissait dans leur champ de vision. La plupart s'effondraient au sol d'une simple balle leur faisant perdre l'équilibre avant de revenir à la charge en les talonnant.

Leur nombre ne cessait de s'agrandir, et prit d'une idée complètement folle, le brun ne mesura pas les risques de ce qu'il s'apprêtait à commettre, mais ne pouvait s'empêcher de se dire qu'il s'agissait là de leur meilleure chance.

Les bombes à clous étaient des outils à la fois redoutables et extrêmement instables, un choc légèrement violent sur ces dernières, quand on les débarrait leur sécurité approximative, suffisait à réduire toute une troupe d'une dizaine de personnes en charpie méconnaissable.

- Attention !

Alors, lorsque le brun lança le projectile au visage qu'un infecté qu'il jugeait beaucoup plus éloigné que convenu, les éclats éparpillés à vives allures ne se contentèrent pas seulement de tuer une certaine partie des monstres.

De nombreux débris entaillèrent brutalement leur dos, l'arrière de leur crâne, et toutes zones malheureusement trop exposées de leur corps. En échange, la détonation se fit tellement féroce dans ce lieu si clos que le bourdonnement douloureux dans leurs oreilles leur empêchait de faire attention à ce genre de détails.

Par chance, cette feinte suffit à leur faire gagner assez de temps pour avoir la station en vue. L'endroit possédait une meilleure luminosité grâce aux fissures engendrées par les âges sur plafond, et par conséquent leur offrit une meilleure occasion de réfléchir à l'accès à emprunter pour se sortir de là. Dans un cri bref, Dazai désigna l'échelle raccordée à l'une des colonnes porteuses à plusieurs mètres de là.

Acquiesçant pour lui-même, Chûya entreprit de gravir le rebord de la voie ferrée pour atteindre la bordure du quai, les séparant de la fameuse échelle. Malheureusement, cette dernière était cassée au niveau de la partie raccordée au sol et ne pouvait s'atteindre sans un minimum de temps pour parvenir à saisir la marche la plus basse avant de se hisser dessus ; et d'un signe entendu, Dazai lui indiqua de commencer à ouvrir la marche tandis qu'il retenait les infectés continuant de s'amasser.

Avec quelques difficultés, le rouquin parvint à atteindre un point d'accroche et força sur ses bras pour obtenir une meilleure stabilité. Seulement, quelque chose lui enserra la jambe, l'empêchant de progresser, et l'attirant violemment dans la direction opposée.

- Merde ! Son regard croisa celui de l'infecté que Dazai ne pouvait maîtriser, tout en commençant à se débattre pour se libérer de sa prise. Lâche-moi, putain !

La chose persévérait à le faire tomber, mais avant qu'elle n'accède à cette chance, Chûya abattit violemment son pied libre de tout mouvement sur la chose en la faisant chuter sur les rails. Avec empressement, il parvint à s'élever jusqu'à la plateforme inaccessible.

- Dazai, grouille ! Résonna la voix du rouquin pour lui signifier que le champ était libre.

Repoussant les infectés de plusieurs mètres à l'aide des dernières balles offertes par ses armes dans le but d'effectuer la même démarche, le plus grand ne s'attendait certainement pas à se faire plaquer contre le béton par un Rôdeur surgit de nulle part. Le visage de la chose n'était qu'à quelques centimètres du sien, et mettait tout en œuvre, allant d'une gestuelle agressive à des cris incongrus, pour lui faire perdre ses moyens. Ses dents refermèrent sur le vide de multiples fois en essayant de le mordre.

Si le brun n'était pas autant concentré par l'urgence de s'extirper de la prise potentiellement fatale du contaminé, il aurait sûrement pu entendre le rouquin hurler son nom, alors que ce dernier observait la station se remplir de plus en plus de ces êtres abjects. Chûya faisait absolument tout ce qu'il pouvait avec la limite de réserves qu'il possédait pour les repousser depuis son perchoir. Mais plus les corps tombaient à terre, plus il avait l'impression que le nombre de ceux encore debout doublait de minutes en minutes.

Lorsqu'il entendit l'absence de détonation dans son chargeur son esprit vrilla, et c'était complètement impuissant qu'il continuait de sonder la scène.

Dazai était complètement bloqué sous le poids de la bestiole, et l'espace d'un instant il crut sentir le battement fébrile de son cœur s'accélérer d'effroi en percevant le claquement puissant de sa mâchoire à un demi-centimètre de sa peau. Pour la première fois de sa vie, le jeune homme ne voulait pas mourir.

Pas comme ça...

Pas sans avoir le contrôle sur sa propre mort, et encore moins en devenant assujetti à la maladie. Un énième appel pourfendit l'air, et cette fois Dazai l'entendit... Il entendit Chûya l'appeler en lui ordonnant de continuer à s'accrocher pour survivre.

Seulement, plus l'accumulation des sons bestiaux se faisait forte, plus le brun commençait à perdre la notion de cette demande. Dazai ne pouvait croire qu'il allait réussir à s'en tirer sans contrepartie...

Et Dieu seul ria à cette pensée loin d'être mensongère...

Se laisser sombrer paraissait tellement plus simple que d'espérer pouvoir rester en vie, alors pourquoi s'évertuait-il à se rattacher à cette illusion ? La vie n'avait jamais semblé vouloir lui faire don d'un unique souhait durant son existence. C'était ironique quand on y réfléchissait, ses suicides échouaient sans arrêt quand il désirait plus que tout mettre fin à ses jours ; et l'unique instant où il souhaitait exister encore un peu, cette dernière s'acharnait à le punir pour ses précédents actes.

Déconnecté du monde, il examina l'infecté pousser un énième cri de rage avant de fondre sur lui dents en évidence. Cet instant parut durer une éternité, et alors qu'il ne s'attendait qu'à sentir la douleur lancinante de la morsure, il ne perçut que la chaleur d'une giclée de sang abondante sur son visage.

Et lorsqu'il ouvrit les yeux, la chose déjà immonde sous ses yeux n'était devenue qu'un tronc sans tête, les os, les veines, et les artères déchirés de son cou lui faisant face directement. Avec horreur, il finit par balancer la dépouille loin de lui en réalisant avec soulagement qu'il était vivant grâce à une raison inconnue.

En moins de trente secondes, la masse d'infectés se fit cribler de balle, et plusieurs escouades les rejoints en formation, faisant tomber les têtes les unes à la suite des autres.

- Heureux de constater que tu es encore en vie, Dazai, sourit Mori en s'avançant après avoir maîtrisé la masse pourtant incontrôlable au premier abord.

Ce ne fut qu'au moment précis où le regard du brun croisa celui de son supérieur qu'il comprit. Dazai n'eut même pas un seul instant pour laisser sa respiration s'accélérer comme elle aurait dû initialement avec la terreur sournoisement installée en lui depuis le début de leur course. Les équipes chargées de surveiller le souterrain pendant le mois écoulé avaient toutes été sous le commandement de Mori...

Lorsque Chûya fut convaincu d'être à nouveau en sécurité grâce à l'intervention du groupe armé, il ne chercha nullement à s'interroger sur l'amas de coïncidence, et le brun voulut lui crier de s'enfuir, mais il n'en eut pas l'occasion. À peine eut-il touché un pied à terre qu'une nouvelle déflagration se fit entendre, et le rouquin s'écroula au sol en hurlant. Son regard se porta immédiatement à sa nouvelle source de souffrance, et il ne put que constater avec horreur le trou béant dans sa jambe laissé comme guise de signature de la balle tirée par ses propres alliés.

- Putain de merde, qu'est-ce que vous êtes en train de foutre ?!

Cette voix, Dazai était capable de l'identifier sans une once d'hésitation comme étant celle de la jeune femme présente lors de son tout premier raid, celle avec qui il avait fini par nouer une amitié quelque peu bancale mais appréciable... Dazai connaissait sur le bout des doigts sa tonalité si caractéristique, autant qu'il avait conscience des moindres détails de sa broche si singulière en forme de papillon qu'il trouvait si jolie...

- Ne te mêle pas de ça ! Le ton de l'homme était si puissant que tous se figèrent un court instant, l'écoutant pour la première fois dans cette démonstration vocale originale. Je croyais que tu faisais partie des nôtres, me suis-je également trompé sur ton compte, Yosano ?

Une tension animale régna entre les deux exécuteurs, tous deux prêts à se jeter à la gorge de l'autre avec un regard meurtrier. La jeune femme se serait résignée en temps normal, préférant faire profil bas pour sauvegarder sa propre survie ; mais cette fois-ci elle ne pouvait se taire. Cela faisait des années qu'elle acceptait avec impuissance la manipulation qu'exerçait l'homme aux cheveux ébènes sur elle en échange de sa vie. Il lui était impossible d'observer une nouvelle série de meurtre commise par ce dernier sur des hommes qu'elle avait elle-même côtoyée durant de nombreuses missions.

Elle ne voulait plus tuer !

- Il ne mérite pas de mourir, merde ! Pas plus que n'importe qui d'autre ici !

L'expression de Mori se fit déçue, et il soupira d'ennui.

- Je vois, tu m'en vois désolé dans ce cas...

Nul n'aurait su dire quand un nouveau coup de feu résonna, et que la jeune femme s'écroula au sol à son tour. Son abdomen se teinta de rouge, tandis que sa palette lexicale se résigna à quelques syllabes sans enchaînement logique. Son visage, lui, était des plus éloquent, et cela fut terrifiant de voir Yosano enchaînée à ce sentiment d'affolement. La quinte de toux ensanglantée surgit un instant plus tard, et fut la dernière chose qu'elle fut capable de prononcer avant de laisser ses yeux se remplir du vide, ainsi que le silence reprendre possession d'elle.

Le brun était complètement désemparé et dans l'incapacité de comprendre ce qu'il était en train de ressentir. L'absence totale de paroles était seulement obstruée par des cris étouffés d'agonie et de rage du rouquin qui ne parvenait pas à rassembler le moindre calme dans son for intérieur.

- Emmenez-les, déclara le dirigeant avant de tourner les talons.

Un coup à l'arrière du crâne, c'est tout ce qu'il se rappelait avant de reprendre conscience de très longues heures plus tard...


~☾~

| Août 2047, 20h34 |
J - 2402


Il faisait sombre. Beaucoup trop sombre... Les éléments l'entourant firent irruption dans son esprit les uns à la suite des autres. L'humidité de la pièce était étouffante, si bien que Dazai sentit sa gorge commencer à s'enrouer. Sa tête le lançait dans une multitude de petits piques douloureux, se massant au niveau du point d'impact, et ce simple fait suffit à lui faire réaliser le problème rencontré.

Mori...

D'un geste vif, il voulut se relever, mais se retrouva malencontreusement coupé dans son élan par la pression et le son métallique des chaînes qui maintenaient captifs ses poignets de toute liberté. En parlant de ses mains, il ne pouvait que se sentir dégoûté face à la sensation poisseuse dans laquelle ces dernières et le reste de son corps, en contact avec le sol, était baigné. Plus il y réfléchissait, plus il avait l'impression qu'il ne pouvait pas s'agir que d'autre chose que du sang... Énormément de sang à la texture coagulée.

L'esprit de Dazai vrilla l'espace d'une seconde.

- Chûya ?!

Aucune réponse...

Il n'avait aucune idée de l'endroit dans lequel il se trouvait, ni même si le rouquin allait bien lui aussi. Quelqu'un lui avait tiré une balle dans la jambe, et quelque chose lui soufflait que cela pouvait bien être son cadavre qui venait de se vider de son sang à ses côtés.

L'intégralité de ses sens lui envoyèrent des messages contradictoires, Dazai était convaincu qu'en cet instant la panique venait définitivement prendre possession de son être, mais parallèlement cette sensation l'étouffait et l'empêchait de réfléchir comme il savait pourtant si bien le faire. Il était prisonnier de son mentor, et se lamentait de ne pas être parvenu à remarquer les signes avant-coureurs. La seule chose qu'il était encore capable de faire fut de continuer à crier le nom de son partenaire.

Une éternité semblait s'écouler, durant laquelle ses appels lui cisaillèrent les cordes vocales en continuant de se questionner sur l'état de vie ou de mort de Chûya. Puis, un grondement sourd résonna dans la pièce, la porte de sa prison pour être exact. La faible lumière gratifiée de cette nouvelle ouverture lui suffit définitivement à déceler la présence d'une silhouette avachit par la mort à quelques mètres de lui, mais il était complètement incapable de l'identifier.

Le cadavre semblait défiguré, le visage boursouflé par les coups et maquillé d'une épaisse couche de l'immonde matière pâteuse écarlate. Lorsque son regard passa en vitesse sur l'état du reste de son corps, Dazai aurait pu vomir une nouvelle fois, si ce genre de spectacle n'était pas devenu un tant soit peu familier. Une coupure d'une profondeur considérable au niveau de l'abdomen servant d'échappatoire à une grande partie de ses organes qui avait finalement rejoint le sol dans une marre de sang grossièrement séché.

- Ce n'est pas ton précieux Chûya, si c'est ce qui te démange à ce point, avoua le nouvel arrivant. Pour être honnête, tu peux le remarquer par toi-même.

Suivi de ses paroles, il poussa sans aucun ménagement le rouquin dans la cellule en le faisant tomber sur le béton dégoûtant.

L'opposant s'approcha à nouveau du plus petit en soupirant.

- Excuse-le, Dazai, je crois qu'il n'a pas vraiment apprécié la séance de soin pour sa jambe, ironisa-t-il tout en attachant Chûya à son tour à l'opposé de sa cellule mais avec des liens beaucoup moins dérangeants que des chaînes. Mori tenait personnellement à le remettre sur pieds, malheureusement il n'a jamais été aussi délicat que Yosano. Pauvre femme... Enfin bon, déjà il sera sûrement plus pratique pour lui de parler sans bâillon.

La seconde suivante, il libéra Chûya de cette pression sur son visage, et ce dernier se mit à tousser violemment avant de laisser un sourire étirer ses lèvres.

- Vous êtes que des putains d'enfoirés...

Leur tortionnaire haussa les épaules comme si cette information ne lui faisait ni chaud, ni froid. Au contraire, cela le faisait rire. L'écho malveillant que cela entraîna était très loin de les rassurer, confortant les deux hommes dans cet état de mal-être.

- Voulez-vous que je vous raconte une histoire pour le moins amusante ? Fukuzawa a sombré dans la démence, et Mori a profité de cette occasion pour décider de ceux qu'il garderait à ses côtés, et vous voulez savoir le plus drôle ? Vous l'avez lamentablement déçu.

Quelque chose ne tournait vraiment pas rond, Dazai le sentait. Quel était l'intérêt pour eux de les garder prisonniers ici s'ils avaient cherché à les éliminer dans cette gare plusieurs heures auparavant ? Pourquoi avoir soigné Chûya de sa blessure ? Quelle finalité allait prendre cette conversation ?

- Il fait parti des leurs, n'est-ce pas, soupçonna le rouquin avec un mépris soudain.

- Mori ne démentait pas quand il disait que ta rancœur pour le PM ne pouvait pas être oubliée si facilement. C'est sûrement la raison pour laquelle il te veut mort d'ailleurs.

L'information le fit déglutir douloureusement. Chûya n'avait pas l'intention de mourir comme un chien, et certainement pas maintenant.

- Alors quoi ? Vous allez vous débarrasser de moi et lui rapporter ma tête sur un plateau ?

L'inconnu pouffa.

- J'aimerai bien, mais avant toi, je dois déjà lui ramener la tête de cette autre vermine avant, avoua-t-il en faisant un signe en direction du cadavre solitaire dans la pièce. Vous n'imaginez pas à quel point il était difficile à maîtriser, et vraiment pathétique. On l'a presque tabassé à mort avant de le ramener ici, juste un peu avant vous qui plus est, donc désolé si le ménage n'a pas encore été fait. À cause de lui, le plan de Mori a failli échouer, donc il a eu le droit à un traitement de faveur particulier... L'homme lorgna le défunt avec grossièreté avant de le gratifier d'un coup de pied, le faisant chavirer en direction de ses deux nouveaux prisonniers. Un peu plus et il réussissait à prévenir la surface du danger...

Un nœud commença en s'enserrer violemment dans la gorge de Dazai, et son regard ne pouvait se décrocher de celui de leur bourreau. Un nouveau rictus vint étirer les lèvres de ce dernier en adressant une expression des plus malsaines au brun.

- Il me semble que tu le connais, je me trompe ?

Non.

- Vous étiez amis, n'est-ce pas ?

Arrêtez.

- J'ai oublié son nom, mais je crois avoir le souvenir qu'il avait une photo de vous deux ainsi que de quelqu'un d'autre qui est décédé il y a plusieurs années maintenant. Un certain Ango qui passait beaucoup de temps avec vous ?

Assez !

- Mori m'a dit que sa mort te ferait probablement, pour la première fois de ta vie, comprendre le sens du mot douleur.

- STOP !

Et comme lors d'une coordination théâtrale, la lumière fut allumée précisément en cet instant par les soins du tortionnaire. Le corps de Dazai se paralysa instantanément en croisant les yeux vides de toute vitalité de son meilleur ami. Sa respiration s'accéléra tellement rapidement qu'il se questionna sur la manière de faire. Il voulait hurler mais il en était complètement incapable, sa voix resta bloquée par le nœud dans sa gorge.

- Oh putain de merde... Je vais vous saigner ! S'exclama le rouquin à sa place en essayant de se soustraire de la pression de ses liens.

L'oppresseur ignora les menaces de Chûya en continuant de porter son attention sur le brun de très longues minutes durant, évaluant chacune de ses réactions avec intérêt. L'instant où il jugea qu'il était suffisamment calme, il se permit d'avancer en sa direction pour le détacher de ses chaînes. Nul n'aurait su dire s'il était complètement inconscient, mais Mori lui avait assuré qu'il n'oserait pas faire un seul mouvement en essayant d'interpréter ce que ses sens essayaient de lui hurler.

Leur chef lui avait fait part des moindres détails dont il avait conscience sur les deux hommes. Chûya était un garçon agressif qui n'hésiterait pas une seule seconde pour se jeter à sa gorge si l'occasion se présentait. Et Dazai... Dazai était de loin l'être le plus complexe auquel il n'avait jamais été confronté. Ce dernier était tellement préoccupé par le fait d'être humain qu'il en oubliait ses priorités. Avec le temps, il était parvenu à trouver le point qui pouvait le faire flancher. Et Mori avait bien l'intention de se servir de sa faiblesse pour faire de lui la chose la plus vide d'émotions que l'histoire ait connu.

Finalement, il reprit :

- Néanmoins, Dazai, le boss te laisse une dernière chance de faire tes preuves. L'homme lui tendit un pistolet chargé en sa direction que le brun s'empressa d'essayer de saisir sans réussir. Avec un tic agacé, leur tortionnaire secoua négativement la tête. Tu crois réellement que je vais te laisser prendre cette arme alors que je suis encore ici et que je ne t'ai pas donné ses directives ? Bien, c'est très simple. Je vais sortir de cette pièce et te le faire parvenir. Ton objectif est simple : tuer Chûya avant la fin du compte à rebours, à savoir une seule minute, sinon vous serez tous les deux abattus comme cette charogne. Une unique balle entre ses deux yeux devrait suffire, je présume ?

- Alors c'est donc ça ? Vous allez jouer sa fidélité sur ma mort ? Intervint le concerné en déglutissant. Pourquoi ça ne m'étonne même pas ? Vous avez toujours été lâches bande d'enfoirés. Le soir où vous avez tué ma famille, ça ne vous a pas suffi ?!

- Visiblement pas, souffla l'homme en rejoignant la porte qu'il ferma une fois sortit. Un nouveau grincement métallique résonna en écho dans leur prison. Sur la porte, une petite trappe s'ouvrit, et ledit pistolet glissa jusqu'au centre de la pièce. Vous avez une minute, bonne chance !

Chûya observa sa vision devenir flou à cause de la pression, en essayant de réfléchir à toute allure. Son regard se porta automatiquement sur Dazai qui n'avait pas décroché un mot depuis l'instant où il avait pris conscience de la mort de l'auburn.

Il ne lui fera rien, n'est-ce pas ?

Odasaku était mort...

Son meilleur ami venait de mourir et son cadavre reposait à quelques mètres de lui, qu'est-ce qu'il lui restait maintenant ? Rien. Absolument rien. Seulement un vide infiniment grand qui le rongeait déjà de l'intérieur depuis des années.

- Dazai ? Le ton du rouquin se fit bancale en essayant de l'appeler alors que son regard demeurait vissé à l'arme sur le sol.

Chûya ?

Son corps était complètement secoué de spasmes lorsqu'il prit le pistolet en main, en le détaillant quelques secondes. Il était toujours parvenu à le saisir avec fermeté, alors pourquoi maintenant était-il incapable de poser son doigt sur la gâchette ? Ses doigts n'avaient jamais autant tremblé de toute sa vie, les battements de son cœur lui donnaient l'impression de devenir fou tant les pulsations dans ses oreilles étaient puissantes. Sa respiration était si lourde qu'elle lui donna mal à la tête.

- Bordel, Dazai, déconne pas ! Lâche cette merde !

C'était comme redevenir sourd lors de ce soir là...

Cette fameuse nuit où les interrogations sur le sens de son existence n'avaient jamais été aussi vives. Il appréciait énormément Chûya, du moins c'est ce qu'il avait cru jusqu'à présent... Du moins, il n'en était plus tout à fait sûr maintenant... Pourquoi est-ce qu'il ne ressentait rien maintenant ?!

Chûya ?

Oui ! Oui- il l'appréciait ? Il l'appréciait, c'était obligé ! Passer du temps avec des gens, ça signifiait qu'on les appréciaient ! C'était ce que Odasaku lui répétait tout le temps ! Quand il lui avait expliqué ça, il avait toujours l'impression d'avoir une boule de chaleur dans le ventre. Et Chûya... Chûya faisait toujours réchauffer son corps d'une façon différente qu'il ne comprenait pas tout à fait... C'était comme s'il avait pris son cœur dans ses mains pour l'envelopper de douceur. Mais en cet instant cela ressemblait bien plus à une hallucination qu'à un fait réel...

Est-ce que tuer un être cher lui permettrait enfin d'être vivant ?

Vivre ?

Vivre.

Vivre...

Sa conscience s'éteignit peu à peu, consumée par ces tourments qui le pesaient depuis vingt-et-un ans maintenant. Il avait tout essayé pour parvenir à être comme les autres sans jamais réussir. Alors et si...

- Putain ! Dazai ! Arrête, merde !

La voix de Chûya se transforma en un cri appelant son nom en l'observant planter le revolver sur son front en refusant de l'écouter. Jamais, le rouquin ne s'était senti confronté à un tel état de panique de toute sa vie. L'ironie voulait qu'il soit incapable de se débattre infructueusement pour se libérer de ses cordes, restant enchaîné sur le sol, tétanisé, en ne pouvant lâcher l'iris rouge sang du brun.

Lorsque le pouce de Dazai se pressa à l'arrière de l'arme pour faire tourner le barillet dans un clic de chargement caractéristique, son cœur arrêta de battre un court instant. L'homme qui était devenu son unique pilier au fil des années, était réellement là, sur le point de lui éclater la cervelle avec une balle pour une raison qu'il ne parvenait que partiellement à comprendre.

- Dazai ! Je t'en supplie ! Fais pas ça !

Chûya était devenu totalement incapable de respirer, plus il observait sa poigne se raffermir sur le revolver, plus il entendait le tic-tac oppressant, plus il hurlait, et donc plus il avait l'impression de chuter d'une falaise... Il ne savait plus quoi faire, et il continuait pourtant d'appeler Dazai en le suppliant jusqu'à s'en déchirer les cordes vocales en sentant ses yeux se remplir de larmes.

- Merde ! Dazai, c'est moi qui doit te tuer, pas l'inverse !

Pas un mouvement.

- Arrête ça !

Pas un son.

- Dazai !

Rien ne pouvant trahir sa concentration devenue infaillible.

- OSAMU !

Le prénom du jeune homme se répercuta en un écho infini dans la pièce, faisant s'arrêter le temps l'espace d'une seconde. Et soudainement, c'était comme si Dazai parvint à se remémorer les détails de la scène, croisant l'expression déchirée de Chûya sous l'arme, avant de la jeter avec effroi au sol.

Qu'est-qu'il avait tenté de faire ?!

Merde !

Chaque membre de son corps recommença à se secouer avec violence, le faisant se sentir défaillir. Il n'eut malheureusement pas le temps de se questionner davantage sur son état psychologique qu'une explosion résonna à l'extérieur de leur prison, avant que leur porte ne s'ouvre à la volée sur un Akutagawa recouvert de cendre.

Son regard était suffisamment explicite « dépêchez-vous de venir si vous voulez survivre ». Le bicolore ne prononça pas un seul mot et se contenta de sonder rapidement la scène. La dépouille d'Oda reposait le long d'un mur dans une mare de sang, Dazai se tenait debout l'expression complètement perdue un pistolet à ses pieds, et Chûya était ligoté à un ensemble de vieux tuyaux rouillés avec cette attitude qui lui donnait l'impression de voir la Mort en personne.

Une seconde, c'était le temps exact qu'il prit pour délivrer Chûya et les pousser tous les deux en dehors de la base ennemie. L'endroit moyennement entretenu était à présent sale, décoré çà et là de divers cadavres des individus les ayant escortés jusqu'ici.

Aucun de Chûya, ni Dazai, n'étaient capable de se souvenir du chemin emprunté, ni même de la durée du trajet, tous deux trop happés à mettre de l'ordre dans leur esprit.

Les secondes semblaient être des heures à leurs yeux, et ce ne fut seulement qu'au couché du soleil, protégés par les murs de leur ville qu'ils parvinrent à trouver un semblant de calme au sein de leur corps.

Dazai était parvenu à retenir quelques informations de l'interminable conversation que leur avait tenu divers membres de leur groupe.

Son prétendu mentor avait assassiné Fukuzawa, et venait par conséquent de céder sa place à Kunikida. Leur ville était parvenue à leur tenir tête et à le chasser, lui et ses recrues ; alors qu'ils avaient cherché à commandité les meurtres de la majorité des civils, et étaient parvenus à mettre fin à la vie d'une trentaine de personnes. Ils venaient de trouver refuge dans différentes bases éparpillées dans la forêt et autres lieux avoisinants. La cité se trouvait donc sous état de surveillance constant, et le district menant à la gare du vieux Yokohama venait d'être condamné à cause des infectés restants.

Cela faisait bientôt plus de cinq heures qu'il avait pris connaissance de ses éléments après leur sauvetage, et même devant l'immonde soupe qui lui faisait face, il était dans l'incapacité d'en avaler une bouchée, se contentant seulement de remuer inlassablement l'horrible mixture.

Son meilleur ami venait de mourir... Et il n'avait même pas pu lui dire au revoir comme il le devait en ayant abandonné son cadavre sur les lieux... C'était bizarre ? Dazai sentait bien se pincement caractéristique dans son cœur, mais il ne put laisser l'émotion prendre le dessus... Pourtant il avait cette impression de s'être fait arracher une partie de lui...

Un autre problème demeurait pour le moins plus grave à ses yeux...

Il avait manqué d'assassiner Chûya...

Depuis qu'ils étaient rentrés, aucun ne s'était échangé le moindre mot à ce sujet, et pourtant ils ne s'étaient pas réellement éloignés l'un de l'autre. Bizarrement, ils continuaient de se suivre mutuellement sans vraiment y prêter attention en attendant probablement d'engager une conversation. Aucun d'eux n'était parvenu à dormir d'ailleurs, l'aube était en train de faire son apparition, et les voilà en train d'attendre on-ne-sait-quoi dans la cafétéria en croisant les premiers réveillés.

Le brun n'avait juste qu'à lever le regard pour tomber sur la silhouette du rouquin, assis quelques mètres plus loin, jouant de la même façon que lui avec sa tambouille. Il paraissait... concentré ? En temps normal, Dazai était convaincu qu'il aurait réussi sans la moindre difficulté à mettre un mot sur son expression, mais pour l'heure il n'en avait pas les moyens.

- Je ne suis pas le mieux placé pour te le dire, mais tu devrais sûrement aller lui parler, proposa une voix assez reconnaissable.

Sans prêter attention, Dazai continua sa petite gestuelle répétitive avant de gratifier celui qu'il devinait être Akutagawa d'une réponse.

- J'ignorais que tu savais parler pour autre chose que ta valorisation personnelle.

Son ton était froid, en particulier car l'idée de se faire dicter ses faits et gestes dans cette situation précise l'énerva. Mais son cadet l'avait vu, dans cette pièce, avec cette attitude que lui-même ne parvenait pas à identifier ; et Akutagawa devait avoir conclu ses propres hypothèses de cette scène.

Pour une raison inconnue, Dazai se sentait obligé de s'expliquer. Probablement pour se donner meilleure conscience ?

- J'ai failli le tuer, bordel. Je ne mérite pas d'aller lui parler.

- Tu as manqué de me tuer à chaque entraînement avec bien plus qu'un simple flingue, et ce n'est pas pour autant que tu me jugeais méritant de t'éviter. Peut-être y a-t-il une autre raison à ça ? Conclut-t-il avant de s'éloigner.

Le plus jeune s'en alla retrouver un garçon aux cheveux argentés que Dazai ne connaissait pas vraiment, le laissant à nouveau avec ses démons. Son esprit se remémora instantanément le fil de ses réflexions quand il a failli commettre l'irréparable dans l'optique d'analyser leur sens.

Il a failli tuer Chûya pour se prouver qu'il l'appréciait et pourtant il avait eu peur pour bien moins que ça en s'inquiétant à plusieurs reprises de son état de santé. Il avait hurlé son nom à la mort tellement de fois depuis qu'il le connaissait... Lors de leur raid, pris au piège par des infectés et s'en étaient sortis in extremis, lors de ses rentrées de mission et qu'il passait des heures à l'infirmerie où il l'attendait devant la porte pour s'assurer qu'il allait bien ; et pas plus loin qu'à son réveil... Son premier réflexe avait été de l'appeler en étant terrifié à l'idée qu'il ait pu mourir.

Pourquoi avait-il fait ça ?!

« Chûya faisait toujours réchauffer son corps d'une façon différente qu'il ne comprenait pas tout à fait... C'était comme s'il avait pris son cœur dans ses mains pour l'envelopper de douceur. »

C'était les mots exacts utilisés par sa conscience lors de sa détresse psychologique... Quelqu'un lui avait déjà fourni une définition à ce genre de situation, il avait qualifié ça comme étant l'amour. Alors si tel était le cas, qui serait prêt à tuer l'être qu'il aime le plus au monde pour se prouver qu'il était capable d'éprouver des sentiments ?

Chûya était tout ce qui lui restait sur cette planète, et plus il s'interrogeait sur cette relation qu'il entretenait avec lui, plus son cœur semblait se compacter sous le poids de la culpabilité et de la douleur. Ce fut maintenant que l'image du corps éventré de son ami choisi pour apparaître sous ses yeux, et cette fois, ses entrailles se tordirent violemment le voulant le faire hurler.

Dazai ne chercha pas à débarrasser sa table et abandonna l'intégralité de ses affaires avant de sortir à l'extérieur pour prendre l'air. De nouveau, les battements de son cœur s'affolèrent, et il supplia silencieusement pour ne plus les entendre, ils lui rappelaient beaucoup trop sa perte de contrôle de soi et ça le terrifiait ?

Pourquoi ne pouvait-il pas être comme les autres ?!

Pourquoi ne pouvait-il pas comprendre le sens des sentiments qui semblaient enfin être décidés à se réveiller dans son corps ?

Lentement, il se laissa glisser contre le mur, en acceptant facilement ses émotions prendre le dessus pour la première fois de sa vie. La souffrance de cette nuit le percuta de plein fouet, l'empêchant de se calmer. Les larmes accédèrent à ses yeux pour le baptiser avec intensité.

Dazai s'était souvent imaginé le jour où enfin il ressentirait quelque chose de réel, il avait souvent fantasmé sur un moment joyeux, le plus bel instant de sa vie, qui l'empêcherait à tout jamais de commettre une nouvelle tentative. Cependant, cela était l'exact opposé de ce qu'il espérait. Ô grand jamais il n'avait éprouvé une envie aussi grande de prendre une arme à feu et de la poser contre sa tempe pour en finir. Il avait toujours voulu mourir car il ne comprenait pas ce que être en vie signifiait, et maintenant il souhaitait mourir car il comprenait le poids de ce que cela impliquait.

La porte à ses côtés grinça, et il chercha avec rapidité à enfiler son masque d'insensibilité sans grande réussite. Pourquoi était-ce si difficile d'arrêter de pleurer ? Des jambes s'immobilisèrent sous ses yeux, et Dazai n'eut pas besoin d'interroger leur propriétaire pour savoir de qui il s'agissait.

- Tu vas pas rester planter là quand même, souffla Chûya avec exaspération.

Pas de réponse.

La voix de Dazai resta bloquée dans sa gorge, se sentant coupable de lui adresser la parole. Cette absence de retour énerva davantage le rouquin qui ne pouvait accepter de le regarder jouer au sourd, tandis qu'il faisait l'effort de faire le premier pas, occultant tout ce qui venait de se passer cette nuit. Chûya n'avait pas encore remarqué les traînées humides sur le visage du brun, alors lorsqu'il s'accroupit à sa hauteur, saisissant ses cheveux pour le forcer à visser son regard dans le sien, il se figea.

Ses yeux s'écarquillèrent en sondant le visage de l'homme aux cheveux foncés en essayant d'interpréter les signaux de détresse qu'il envoyait pendant de très longues minutes. Il hallucinait, n'est-ce pas ? Dazai ne pouvait pas être aussi vulnérable... Pas lui...

Pourtant, il ne pouvait se détacher visuellement de lui, cherchant à savoir quoi lui dire. Le rouquin était statufié dans cette position en faisant tout son possible pour faire abstraction de l'incident passé. Pour se rassurer, il cherchait plus que tout à réveiller l'homme qui se moquerait de la proximité qu'il venait de provoquer. Chûya voulait entendre Dazai le taquiner pour se persuader que les choses étaient normales, que ce souvenir traumatisant n'était que le fruit de son imagination et rien d'autre.

En revanche, il ne s'attendait certainement pas à se faire entraîner par la prise du brun sur son t-shirt, provoquant inévitablement la rencontre de ses lèvres sur les siennes. La respiration de Chûya se bloqua automatiquement dans sa gorge en devinant cette pression qu'il avait tellement espéré connaître un jour. C'était donc ça son premier baiser avec Dazai ? Un geste empli d'un tel désespoir qui lui donnait envie de sombrer à son tour dans ce gouffre de peine.

Et pourtant, il était complètement incapable de faire autre-chose que de se laisser embarquer par le mouvement de cette danse condamnée. La douceur de sa bouche, c'était tout ce qui parvenait à canaliser ses émotions en cet instant, autant qu'elle lui rappelait la violence avec laquelle il voulait crier de douleur en cet instant.

Lorsque le manque d'air eut raison de leur concentration, Dazai se replongea dans son mutisme sans pour autant le lâcher en laissant Chûya désemparé face à la situation.

C'était une blague, hein ? Il se foutait de lui ?

- Quoi, c'est tout ?! Tu m'embrasses, et je dois me contenter de ça ?

Soudainement, il se sentit exploser en fusillant Dazai du regard, avant de rire nerveusement.

- Merde ! T'as foutu un putain de revolver sur mon crâne ! Cria-t-il en s'empêchant de céder une deuxième fois à la tristesse et l'obligeant à soutenir le poids de ses prunelles dans les siennes. Tu allais me tuer, bordel ! J'étais terrifié et incapable de bouger ! Tu ne me répondais pas ! Tout ce que je pouvais faire c'était te regarder et attendre le moment où tu allais presser cette putain de détente ! Tu peux pas te faire excuser comme ça ! Tu peux pas m'ignorer comme si de rien était ! M-merde, parle-moi !

À l'intérieur de son esprit, Dazai vrilla silencieusement à l'entente de ses paroles. Une très courte réflexion mentale lui avait été nécessaire pour réaliser tout seul de la gravité de ses actes, mais l'écouter directement de la bouche de Chûya suffit à l'achever définitivement. Sa poitrine se gorgea d'une culpabilité féroce et déchaînée.

- Je- je suis désolé... J-je...

Ses sanglots refirent surface beaucoup plus violemment que précédemment, et il hurla à s'en déchirer les poumons en ne pouvant soutenir le regard de Chûya. Le rouquin fut complètement déconcerté en sentant la poigne de son cadet se resserrer sur son vêtement, l'implorant douloureusement de ne pas s'éloigner.

- Daz- Dazai, arrête ! S'il te plaît... Calme-toi, s'il te plaît...

- Je veux pas te perdre, toi aussi ! Avoua-t-il la voix entravée de toute la peine qu'il avait contenu jusqu'à ce jour.

Le jeune homme recroquevillé contre son torse lui brisait le cœur. Chûya saisit ses joues entre ses paumes le forçant à ancrer de nouveau son regard dans le sien.

- Tu ne me perdras pas, ok ? Respire Dazai... Respire...

L'incitant à l'imiter, le rouquin pris une grande inspiration pour lui montrer la marche à suivre, le plus jeune peina à reproduire ce cycle à l'identique, plus il essayait de gorger ses poumons d'air, plus il avait l'impression de se noyer dans sa propre détresse.

C'était donc ça que les êtres humains appelaient la souffrance ?


~☾~

| Novembre 2049, 23h52 |
J - 850


Un soupir d'aise, c'était tout ce que Dazai avait besoin d'entendre pour être certain que l'instant passé avait satisfait son rouquin favori.

- Dois-je en conclure que c'était bon ? Souffla le brun avec amusement.

Dans ce genre de provocation sans aucune once de subtilité, Chûya avait souvent l'habitude de le lorgner du regard avant de siffler entre ses dents, signe d'agacement, comme pour contredire tous les autres signes témoignant de son bien-être flagrant. Mais cette fois, il se contenta simplement de lover sa tête contre le torse du brun en profitant des pulsations régulières de son cœur. C'était de loin l'un des gestes le plus cliché de l'existence humaine, mais il aimait faire ça, car Dazai le faisait régulièrement pour une raison évidente.

Ils voulaient s'assurer mutuellement qu'aucun d'eux n'allait disparaître, et écouter cet organe primaire battre dans leur poitrine était de loin le geste le plus rassurant pour eux deux.

- J'ai envie de te faire regretter ce genre de parole à chaque fois, tu le sais ça ? Chûya prit une grande inspiration calme avant de poursuivre. Ça fait quoi ? Plus ou moins quatre ans qu'on est ensemble ? Et tu me laisses jamais prendre les devants.

Quatre ans... Dazai ne savait pas par quel miracle, ils étaient parvenus à entretenir une relation stable tous les deux, en particulier en seulement quelques petits mois après l'incident. Chûya lui avait pardonné, avait passé son temps à s'assurer que son état psychologique s'améliorait, lui avait appris le sens de bon nombre émotion qu'il ne saisissait pas... L'évidence que le rouquin était de loin la personne la plus importe à ses yeux s'était imposée d'elle-même.

Et maintenant, le brun pouvait se vanter d'être à peu près humain, bien que la grande majorité du temps cela lui semblait beaucoup trop conventionnel... Apprendre le sens de quelque chose supposé être aussi inné que les sentiments, n'était pas une tâche aisée pour un adulte de vingt-cinq ans... Dazai mettait toujours autant d'acharnement dans son analyse de soit, ainsi que les interprétations qu'il pouvait énoncer des messages que son corps lui envoyait.

- Il me faudrait une raison suffisante pour te laisser faire ça, sourit le brun en caressant ses cheveux.

- Parce que j'en ai envie ?

- Et c'est pour ça que tu finis par te laisser dorloter à chaque fois que tu essayes ? Tu ne fais aucun effort Chibi~

- Hein ? Tu- Rah... Un soupir exaspéré franchit la barrière de ses lèvres pour s'empêcher de laisser libre court à son énervement. La prochaine fois, on en reparlera.

- Avec grand plaisir~

Rien ne pouvait être plus agréable que ce genre de moment qu'il passait ensemble après les missions pour terminer la journée, allongé dans leur lit, enveloppé de la présence réconfortante de l'autre.

Aucun n'avait besoin de plus que ça.

Alors que le brun pensait continuer à être gratifié du silence jusqu'à ce qu'il tombe dans les bras de Morphée, Chûya coupa son instant de méditation.

- Tu y crois à cette histoire, toi ? Je veux dire... Cette prétendue gamine immunisée aux États-Unis ?

- Pourquoi tu parles de ça ?

Il haussa les épaules.

- Rien, juste que cette rumeur semble tellement... invraisemblable ?

Cette histoire... Dazai en avait eu vent il n'y a pas si longtemps, quelques membres d'escouades ayant chahuté sur cette fameuse fille immunisée habitant à des kilomètres d'ici. L'avenir de l'humanité concentré dans une infime partie du cerveau d'une adolescente -peut-être même une jeune femme maintenant ?- cela semblait bien plus « qu'invraisemblable ».

- Non... Répondit-il finalement. Ça fait des décennies que le monde est plongé dans cette situation, si quelque chose d'aussi extraordinaire pouvait se produire, ça serait arrivé bien avant... Les chances pour que quelqu'un surpasse le virus avec toutes les mutations connues à ce jour sont quasi nulle. Si les armées avaient simplement isolé les premiers cas de contamination, elles auraient peut-être eu la possibilité de trouver des immunisés. Au lieu de ça, elles les ont tous abattus avant même que les gens perdent leur humanité.

- Je vois, souffla Chûya avec déception. Dans ce cas, faisons une promesse, tu veux ?

- Une promesse ?

Le jeune homme aux cheveux flamboyants acquiesça en se redressant, laissait un vide froid sur le torse du brun, dans l'optique de fouiller dans son sac. Le brun le regarda faire en s'interrogeant sur ses intentions. Après seulement quelques dizaines de secondes, il finit par revenir sur les draps, choisissant finalement de s'asseoir sur le rebord, et fit signe à Dazai de faire de même. Sa main était fermement serrée en ne laissant deviner qu'elle contenait quelque chose.

- Ceci, c'est le signe qu'on resterait toujours ensemble, commença-t-il en déposant une balle au creux de sa paume, et serrant la deuxième entre ses doigts. Disons... Hmm, disons que ces balles sont la représentation de notre relation, elles sont là pour nous assurer que l'autre veille sur nous même lorsque nous ne sommes pas ensemble.

- Si tu voulais qu'on se marie, j'aurai ramené de vraie alliance pour l'occasion, répliqua le brun avec ironie.

Chûya lui adressa un coup de poing léger sur l'épaule en luttant pour ne pas rougir davantage. En réalité, il pouvait remercier leur petite séance de démonstration amoureuse passée pour avoir conservé cette teinte échauffée sur le visage. Lui et Dazai, s'étaient déjà échangés des déclarations d'amour beaucoup plus intenses qu'une simple blague comme celle-la, mais l'évocation du mot « mariage » avait toujours cet effet aussi déstabilisant sur son esprit.

Finalement, il réussit à chasser son trouble avant d'ancrer son regard avec sérieux dans celui du brun.

- Ces balles ne doivent jamais être utilisées... Si on s'en sert, c'est seulement en cas de nécessité absolue. C'est la preuve qu'une part de nous aura défendu l'autre en cas de danger.

- C'est donc ça notre promesse ?

- Oui, assura Chûya.

Un sourire étira les lèvres de Dazai, et son expression fut sûrement l'une des plus chaleureuses qui lui fut destinée à ce jour. Doucement, il saisit le creux de son visage, tout en raffermissant la prise qu'il avait sur cette fameuse balle, et déposa ses lèvres sur celles de son aîné. Aucun d'eux n'osait intensifier le baiser pour ne pas briser le fil des émotions échangées en ce moment, ça n'avait absolument rien de pressant, juste de la tendresse à l'état brut.

- Je te le promets, susurra Dazai en ne pouvant réellement se détacher de lui.

Ses sentiments pour le rouquin, c'était la seule chose qui semblait avoir enfin du sens dans sa vie. Ce n'était pas qu'une impression de bien-être en sa présence, ça allait au-delà de cela. Chûya était devenu son unique raison de vivre.


~☾~

| Mars 2054, 02h24 |
J + 2


Le brun ne comptait plus le nombre de fois où il avait fait face à l'une de ses créatures, mais étonnement, il avait l'impression de redécouvrir l'odeur pestilentiel si singulière de ses cadavres ambulants, cette sensation de paralysie dans chaque parcelle de ses membres en leur présence, l'effroi de caresser une mort qu'il cajolait pourtant depuis une éternité.

Et cette impression si caractéristique de son cœur pris au piège des mauvais tours que la vie s'était souvent évertuée à lui offrir.

Dazai mentirait en cet instant, s'il disait que cette scène ne lui procurait que de l'indifférence comme toutes les autres.

Bien au contraire, jamais il ne s'était senti autant impliqué de toute sa vie.

Lorsqu'il croisa ses yeux, son souffle se coupa dans sa gorge, et il sut... Il savait avec exactitude que sa vie allait finalement s'abréger d'une manière atroce, et il désirait du plus profond de son cœur pouvoir obtenir une dernière fois cette présence si chaleureuse à ses côtés.

La respiration de Dazai se bloqua instantanément dans sa gorge, de même que le hurlement qui le déchirait intérieurement.

Juste une toute dernière fois...

Chûya...

Une seconde... Ce temps ne lui fut même pas accordé par une quelconque divinité pour lui permettre de faire le tri dans sa tête, l'infecté se jeta sur lui en le faisant chuter violemment sur le sol. Sa colonne vertébrale heurta le coin d'un des débris éparpillés çà et là dans cette pièce abandonnée et isolée du reste du monde.

Il ne pouvait que halluciner, n'est-ce pas ?

L'être infâme sous ses yeux n'était qu'un monstre lui ayant volé son apparence. Ce regard céruléen maintenant dépourvu de toutes émotions autre que celle de l'animosité bestiale emprisonné dans ce visage témoignant des débuts de la contamination. La teinte de sa peau originellement claire et au toucher doux en dépit des nombreuses cicatrices y ayant trouvé refuge ; plus qu'une sensation dégoûtante et à l'aspect rugueux. Ses cheveux flamboyants, eux aussi, n'étaient plus qu'un nouveau témoin de ce fait que Dazai refusait d'accepter.

Chûya était infecté...

L'homme qui l'avait sauvé de ses démons, l'homme qui comptait le plus pour lui, l'homme qu'il aimait... Il n'était plus maître de lui-même... Il-

Comment Dazai pouvait encore parvenir à déceler la voix de la raison au sein de son esprit ? Hurler était finalement un mot bien faible en comparaison de ce qu'il souhaitait réellement faire. S'arracher les cordes vocales et les poumons à vif, appelant son nom et priant quiconque voulait bien l'entendre, était une description beaucoup plus conforme de ce qu'il effectua en cet instant. Si d'autres infectés possédaient la capacité de l'entendre lui était bien égal, Dazai avait déjà été condamné en même temps que le rouquin...

Cela ne faisait que quelques heures pourtant... ? La réalité était tout autre : deux jours. Deux minuscules journées auxquelles il n'avait prêté la moindre attention, complètement assommé par la situation dont lui-même était pris au piège...

Chûya ne pouvait pas avoir été assujetti au virus... Et soudainement, Dazai se souvint, il se souvint de ces détails atroces sur les consciences des contaminés encore éveillées, mais passives face à la domination du champignon. Le rouquin pouvait l'entendre, il pouvait le voir, il pouvait penser, réfléchir, prier, supplier et crier intérieurement ; et pourtant il était complètement incapable d'aller contre l'instinct sauvage de l'infection.

C'était le point qui lui faisait le plus mal, lorsque le regard douloureux du brun restait accroché dans le sien en continuant d'éprouver ce rejet envers ce constat inévitable. Le corps de Dazai était endoloris aussi bien à cause des précédents chocs, que de cette lutte continuelle avec le poids hostile de Chûya, que ses émotions qui cherchaient également à lui faire perdre ses moyens.

- Chûya, merde ! T'as pas le droit, pas après ça !

Seul un grognement haineux lui répondit, et Dazai dut inévitablement user de sa force pour le repousser à quelques mètres de lui. Il savait exactement que ses paroles ne changeront pas le comportement de Chûya, seulement il se sentait coupable, et il ne pouvait rien faire d'autre que lui parler en espérant vainement pouvoir le ramener à lui.

- S'il te plaît, je t'en supplie, arrête ça !

Rien de ce qu'il lui demandait n'empêcha le rouquin de tenter une nouvelle fois de se jeter sur lui, et le brun ne chercha pas à l'empêcher une seconde fois de le laisser le plaquer contre le sol. Dazai ne savait plus ce qu'il devait faire...

« C'est bien toi qui parlait de suicide amoureux, non ? »

Pas maintenant...

« D-dès que l'un de nous commence à perdre la raison, on met fin au calvaire tous les deux en même temps, ça te va ? »

Non !

Ces mots, il les avait entendus quelques heures auparavant, il ne les avait pas imaginés, et Dazai était certain d'y avoir répondu positivement... Il avait accepté sa demande, et pourtant il avait failli à cette promesse. Jamais Chûya n'aurait voulu subir cet enfer, et pourtant, l'homme était dressé là, dans cette position voûtée, prêt à lui arracher les membres un à un.

- Chûya ! Réveille-toi ! S'il te pl-arh !

La mâchoire du rouquin se referma brutalement sur sa peau, lui arrachant l'un des cris de douleur les plus effroyables qui l'avait traversé à ce jour. Cela allait bien au-delà de la souffrance physique, cet unique geste déterministe pour l'avenir de chaque être humain subissant cette attaque, éveilla quelque chose en lui de bien plus destructeurs. Son œil valide se porta sur son bras et la vérité le frappa de plein fouet.

Il avait déjà été mordu...

Dazai avait été mordu en même temps que Chûya... Et lui seul ne fut pas affecté par la contamination...

Alors c'était donc ça ? La vie s'était donc vraiment décidée à le pourrir jusqu'à sa mort ? L'immunité ? C'était totalement impensable, néanmoins, tout lui prouvait le contraire, sa première morsure ne présentait aucun des changements caractéristiques connus de celles des infectés... Le temps moyen pour perdre la tête était pratiquement égal d'un individu à l'autre, si Chûya avait sombré, cela aurait dû être son cas également...

De même que cette révélation était soudainement apparut devant lui, il se remémora la demande du rouquin qui ne voulait pas vivre la transformation, et qui par sa faute lui fut imposée... Il devait respecter son engagement lorsqu'il lui avait promis de mettre fin à leur vie ensemble...

Il- il allait devoir réussir à puiser dans ses dernières ressources mentales pour accepter de commettre l'inévitable. Après tout, c'était son devoir de respecter le dernier souhait de Chûya... vrai ?

- Je suis terriblement désolée, Chûya...

L'information devait plus que difficile à digérer car tout au fond de la conscience du rouquin, celle qui ne pouvait que se contenter d'être spectateur de cette scène, observer l'expression du brun se décomposer à ces dires était bien plus douloureux que de ne posséder le moindre contrôle sur son propre corps.

L'instant d'après, il sentit le choc violent du retournement de situation, Dazai le maintenant à présent prisonnier de tous mouvements, son poids lourdement logé sur son torse, bloquant ses bras sous la pression de ses genoux. La main du brun se déplaça avec lenteur jusqu'à son cou avant d'y arracher son collier veillant sur la fameuse balle qu'ils s'étaient échangés comme promesse. Détailler ce processus avec impuissance lui donnait envie de pleurer. Il allait le faire hein ? Il allait enfin le libérer de ce cauchemar ?

Les doigts de son cadet tremblaient atrocement en essayant d'insérer la munition dans l'arme affamée depuis trop longtemps maintenant. Cet instant possédait tristement cet air de déjà vu qui n'avait aucunement la même symbolique cette fois-ci. Sentir le canon du revolver se poser contre son front la première fois ne lui avait inspiré que de la crainte et de l'incompréhension, maintenant elle lui offrait une étreinte chaleureuse...

Et lorsque le regard de Chûya croisa celui du brun en revanche, la vague d'émotions qui le traversa intérieurement était indescriptible, c'était comme faire une chute d'une centaine de mètres. En premier lieu, un mélange de panique, puis un flot de sentiments contradictoires, et pour finir la renonciation et l'acceptation de l'impact à venir... Son unique iris qui, la première fois, reflétait la lueur lugubre écarlate du sang, à présent ne ressemblait plus qu'à un prisme doré injecté de larmes et des rayons solaires.

Cette vision était magnifique...

Une dernière fois, Dazai prit une immense inspiration en occultant les tentatives du rouquin pour se soustraire de sa prise. Sa paupière se ferma douloureusement, faisant rouler certaines perles salées le long de ses joues. Et lentement, il pressa la détente... La dernière chose que Chûya ressentit fut la pression vive de leur symbole le traverser, il n'en était pas tout à fait sûr, mais il était persuadé d'avoir réussi à esquisser un sourire sur ses lèvres pour le remercier.

Le calme revint la seconde d'après et Dazai lâcha l'arme en s'écroulant à côté du corps éteint de Chûya, sa respiration s'accrut rapidement et les spasmes causés par l'affliction l'empêchaient de retrouver son souffle. Son crâne voulait exploser sous la surcharge d'émotions, et tout ce qu'il était capable de faire pour limiter les dégâts en extériorisant était de hurler.

Sa voix pourfendit les cieux durant ce qui semblait être une éternité.

Dazai se sentait déjà mort à l'intérieur, n'importe quel coup de poignard ne pouvait pas autant le torturer que ce geste. Bien qu'il l'avait fait pour le libérer de cette condition, les faits restaient les mêmes... Il avait lui-même mit fin à la vie de l'homme qu'il aimait. Dazai avait tué Chûya, et égoïstement il aurait donné n'importe quoi pour échanger son immunité avec lui et mourir sous sa main pour ne pas avoir à vivre cet instant.

Toutefois, lorsque ses sanglots s'apaisèrent légèrement, Dazai savait exactement qu'il lui restait une toute dernière chose à faire pour définitivement en finir avec ce supplice. Inconsciemment, il se mit à murmurer inlassablement les mots « je suis désolé » entre chacun de ses pleurs, tout en se redressant pour faire face au corps du rouquin. Avec une force surhumaine, il se fit violence pour empêcher son regard de se porter machinalement sur son visage défiguré ; et le brun chercha la trace du collier que Chûya possédait également.

La seconde qui suivit sa découverte, Dazai était incapable de lâcher la deuxième balle du regard... Est-ce que Chûya avait envisagé qu'elles les serviraient de cette façon ? Avait-il ne serait-ce pensé qu'il allait mourir de sa main ?

L'afflux de questions et de remords refusaient de diminuer. Dazai avait tellement mal au crâne que tout semblait se produire dans le corps d'un autre. Insérer la seconde cartouche, respirer, pleurer, prendre le pistolet en main, le poser contre sa tempe. Chaque geste semblait appartenir à un étranger.

Bizarrement, presser la détente une seconde fois n'avait jamais autant semblé être un geste aussi calme et simple que maintenant...

Il allait rejoindre Chûya...

Ces balles... Ce symbole aussi douloureux et libérateur fut-il, fut la dernière chose ayant eu le pouvoir de le briser intérieurement. Curieusement, en dépit que chaque morceau de son être se démantelant pour ne laisser place qu'à une forme entière de son âme qu'il avait toujours imaginé brisée, Dazai ne s'était jamais autant senti aussi bien... Il s'était enfin affranchi de ce corps l'ayant malmené vingt-sept ans durant... Et après tout, la mort n'était-elle pas seulement la figure de la fin, mais aussi celle de l'éternité ? Peut-être pourrait-il recommencer de zéro avec Chûya, dans un autre monde, et enfin lui témoigner cette affection étouffante qu'il éprouvait à son égard... Parce que Chûya était son univers, sa vie passée, présente, et future, continuerait de ne posséder aucun sens s'il n'était pas avec lui... Parce qu'il l'aimait... Parce que Chûya était son unique raison d'exister...


~☾~

| Mars 2054, 15h05 |Jour J


L'ambiance était comparable à un chaos infernal, au point où Dazai avait tellement mal au crâne qu'il était incapable de réfléchir à une solution fiable pour l'instant. Chûya et lui, s'étaient sortis de bons nombres de situations catastrophiques, mais aucunes n'étaient semblables à celle-là.

Se faire courser par un groupe d'infectés était ironiquement devenu une habitude familière. En revanche, être démunis de tout moyen de défense l'était un peu moins. Semer des êtres aussi féroces et cupides de chair restait un exploit pouvant sembler insurmontable, mais derrière tout ce chahut, Dazai continuait à être serein. Aussi étonnant que cela pouvait paraître, ils avaient l'avantage, car nul ne possédait des connaissances plus aiguisées que les leurs sur cet endroit.

Et pour cette unique raison, Dazai se permit de sourire insolemment en jetant un regard à Chûya qui était en train de le talonner à vive allure, esquivant les contaminés surgissant de tous les coins.

- À ton avis ma limace, chérie, qui de nous deux atteindra l'arrière salle dans l'autre bâtiment en premier ? Questionna ce dernier entre deux respirations.

- Putain, tu crois vraiment que c'est le moment pour faire la course ?! Ferme ta gueule, et bouge ton cul !

Si le rouquin ne le connaissait pas aussi bien, il l'aurait probablement traité de « suicidaire fou à lier ». Seulement, la confiance aveugle dont il le gratifiait nuit et jour l'en empêcha, au-delà des apparences, le brun n'était pas le genre d'homme à plaisanter sur ce type de problèmes s'il n'était pas sûr de la tournure des évènements à venir. Ils avaient failli mourir des centaines de fois, cela ne les changeaient finalement pas tant que ça de leur quotidien.

- D'accord, je prends ça pour un abandon !

Dans un tique agacé, le rouquin lâcha un râlement en faisant tomber une pile d'objets inconnus, bloquant accessoirement la voie à quelques infectés. Chûya, avait bien conscience que cela ne leur ferait gagner que dix précieuses petites secondes à tous les deux, mais cela fut probablement assez pour le convaincre d'entrer dans le jeu débile de son abruti de copain.

Malheureusement, il n'aurait pas pu prédire que cette décision leur aurait coûté la vie...

- Stupide maquereau, jamais tu ne gagneras contre moi !

Dépasser Dazai tout en slalomant entre les obstacles n'avait aucun secret pour lui, et ce dernier aurait bien dû se douter que le provoquer de la sorte ne lui accorderait qu'une infime chance de garder la tête de la marche. Chûya était de loin l'une des personnes les plus endurantes de cette planète, et si la fatigue venait s'immiscer vicieusement dans le corps de chaque personne pour les faire ralentir inconsciemment, ce n'était pas son cas.

Le bâtiment qu'il cherchait à rejoindre n'était plus qu'à une pièce et un saut risqué de l'endroit où il se trouvait, l'atteindre ne devait plus poser de problèmes à présent. Les cris des monstres continuaient de résonner derrière eux, et chaque projectile que l'un d'entre eux trouvait était toujours bon à prendre pour les ralentir un peu plus. En entrant dans ladite salle qui leur permettrait enfin d'accéder au lieu convoité, les deux hommes furent soulagés de constater qu'aucun autre contaminé était présent à l'intérieur de celle-ci.

Un unique saut, et ils seraient en sécurité.

Seulement, Dazai profita de cette absence d'assaillants pour déstabiliser le rouquin en le bousculant légèrement, suffisamment pour lui faire perdre la première place, mais pas assez pour lui faire perdre l'équilibre et risquer de le mettre en danger. Son cœur pulsait à une vitesse phénoménal, l'adrénaline parcourait ses veines avec empressement, et ce qui d'ordinaire était un signe de panique évident que son corps cherchait à compenser par tous les moyens, pour l'heure n'était juste que la traduction de ce sentiment d'euphorie enfantin pourtant excessivement mal venu.

La distance séparant les deux bâtiments était tellement importante que n'importe qui aurait renoncé à cette idée, mais lorsque Dazai fut confronté à ce saut la première fois, c'était l'unique option qui s'était présentée à lui sur l'instant. Par on-ne-sait-quel miracle, il y était parvenu, se rattrapant in extremis à un rebord, mutilant au passage ses mains qui en conservaient à présent les marques de vie. Depuis, il était revenu ici avec Chûya de nombreuses fois car cette zone demeurait l'une des abondantes en ressources, mais également l'une des plus jolies sous le règne végétal. Ils s'étaient entraînés plusieurs heures durant à travailler cette cascade au cas où un incident pareil ressurgirait, et ils ne se remercieraient jamais assez pour cela.

Alors lorsque le brun se hissa sans la moindre difficulté de l'autre côté du vide, suivit l'instant d'après du rouquin, il ne put retenir son sourire de satisfaction en détaillant ce dernier le lorgner du regard avec énervement, tandis que les quelques infectés sur leurs talons les observaient depuis le second bâtiment en beuglant. Dazai en remarqua même un chuter dans le vide en essayant de les atteindre.

- Tu as clairement triché, merde ! J'aurai pu tomber !

- Impossible, je gérais parfaitement la situation, ma limace, roucoula le brun, avec cette attitude supérieure qui avait le chic de l'insupporter.

Finalement, après un court instant à se défier du regard, Chûya ne parvint pas à retenir son rire. Ce moment aurait pu continuer sur une note positive, en profitant du calme après la tempête. En revanche, aucun des deux hommes ne s'attendait réellement à se que l'averse de cette dernière n'éclate aussi tardivement.

Le temps s'était comme figé, et tout était allé si vite. Dazai remarqua les yeux du rouquin s'écarquiller d'horreur, mais il était déjà trop tard. Il se sentit tirer en arrière par un infecté dont ils ignoraient la présence, puis soudainement poussé par Chûya pour limiter les dégâts. La seconde suivante, il observa le contaminé d'une tête de plus que ce dernier, se jeter sur lui alors qu'il chercha par tous les moyens de se débattre avec ce qui lui passait sous la main.

Avec rapidité, Dazai saisit une barre de métal sur le sol avant de la ramener contre la gorge de la chose, en essayant de la maintenir entre son corps et l'objet pour permettre à Chûya de se libérer. Seulement, le morceau de ferraille se brisa sous la pression, entraînant un faux mouvement de la part du brun, et l'infecté profita de la situation pour l'attaquer à nouveau.

Ce dernier se retrouva bloqué entre un mur et l'immonde créature, repoussant de toutes ses forces sa mâchoire en restreignant ses mouvements d'un avant-bras sur son cou. L'instant d'après, elle s'écroula au sol, en laissant de nouveau place au visage de Chûya marquée d'une expression à glacer le sang. L'ustensile lui ayant servi à mettre fin à la menace que représentait l'infecté, tomba sur le béton sans aucune cérémonie, tandis que son regard sonda avec gravité le bras de Dazai.

Son œil suivit les siens, avant de constater avec épouvante, la trace de sa peau creusée à vif par les dents de la chose. À nouveau, il chercha à analyser les détails révélateurs des traits du rouquin, mais ce dernier fut lui-même occupé à enregistrer la propre marque qu'il venait d'écoper sur l'épaule...

Les choses apparaissaient clairement dans la tête de Dazai : Chûya s'était fait mordre le premier en volant le sauver, et à son tour il s'était fait avoir en voulant faire de même... Aucun des deux ne parvint à prononcer le moindre mot avant de très nombreuses minutes, et le brun se laissa glisser contre le mur jusqu'à atteindre le sol.

- O-on fait quoi du coup ? Interrogea le rouquin en tâchant de ne pas défaillir plus rapidement que convenu.

- Je-... Les mots restèrent bloqués dans la gorge du brun, à l'instar de son regard qui ne pouvait se détacher de la marque des dents de la chose incrustée dans son bras. J'en ai aucune idée...

Un silence religieux s'installa quelques instants où une tension malsaine profita de l'occasion pour faire de même. Dazai s'était toujours imaginé que si cette possibilité se produisait un jour, il serait en train d'enlacer le rouquin jusqu'à ce que la folie les emporte tous les deux ; mais pour l'heure, il était incapable d'éprouver la moindre envie de tendresse. La fatalité s'imposait d'elle-même : s'il avait fait plus attention, il aurait été le seul à avoir été mordu, ou peut-être même qu'ils seraient tous les deux épargnés...

Or ce n'était pas le cas, par sa faute, ils étaient tous les deux contraints à accepter la mort d'ici les prochaines vingt-quatre heures...

Chûya avait ce besoin irrépressible d'amorcer un contact envers son cadet, mais il resta figé quelques minutes supplémentaires avant de se faire violence. Lorsque sa main chaleureuse se posa sur l'épaule de Dazai et qu'il s'accroupit à sa hauteur, il se retint de trahir une quelconque émotion tandis que son regard désaxé lui pourfendit le cœur.

- Je t'en prie, Dazai, on peut pas rester là à rien faire en attendant... Il marqua un temps d'arrêt. J'ai... j'ai pas envie de subir la transformation. Et je veux qu'on envisage la fin, toi et moi, ensemble... Un sourire douloureux vint esquisser ses lèvres. C'est bien toi qui parlait de suicide amoureux, non ?

La remarque peu subtile eut le mérite de lui arracher un rire bancal en guise de première réponse... Finalement le regard de Dazai soutint celui du rouquin malgré la difficulté, et il mentirait s'il disait que cet instant était facile à vivre... La discrète formation de larmes au creux des yeux du rouquin fut contagieuse, et lutter contre ces dernières semblaient être la mission la plus ardues à laquelle il avait dû faire face depuis des années.

- Ouais, t'as raison faisons ça...

Avec prudence, le rouquin chercha à encercler le corps du brun dans ses bras pour y trouver du réconfort, et heureusement pour lui, ce dernier accepta de lui offrir cette place étroite contre son enveloppe charnelle. Bien plus que cela, Dazai intensifia cette fameuse étreinte qu'il n'imaginait pas autant émouvante, en suivant ses mouvements, calant intimement à son tour ses membres à l'image d'une carapace protectrice autour de lui.

- D-dès que l'un de nous commence à perdre la raison, on met fin au calvaire tous les deux en même temps, ça te va ? Souffla-t-il en tirant la chaîne de Dazai logé autour de son cou dans la même main où il tenait son propre collier, faisant se percuter avec douceur l'endroit où était accroché les deux balles.

Le brun acquiesça en agitant la tête contre son corps. C'était horrible... Ce qu'il ressentait en cet instant n'était en rien comparable à tout ce qu'il avait éprouvé jusqu'à ce jour... Les mots ne parvenaient pas à franchir la barrière de ses lèvres, et pourtant il avait tellement de choses qu'il avait encore besoin de lui dire et lui raconter. Dazai n'était pas prêt à les laisser mourir maintenant...

- Je t'aime plus que tout, Dazai...

« Moi aussi, Chibi... »

Et pourtant ces précieuses paroles étaient incapables de sortir, malgré tout son être qui le hurlait de l'intérieur... La seule chose capable de répondre en ce sens, fut la force exercée par ses doigts sur les vêtements du rouquin.

Cette attente était longue, beaucoup trop longue, et les pensées fatalistes continuèrent d'affluer au sein de l'esprit de Dazai. Cela devenait tellement étouffant qu'il avait besoin de s'éloigner et s'isoler quelques instants pour reprendre le contrôle du fil de ses réflexions.

Malencontreusement, Dazai n'avait pas du tout conscience que cette détresse psychologique était plus affligeante qu'il le pensait, et que cet état de choc l'empêcherait de profiter une toute dernière fois de Chûya comme il aurait dû...

Suivant les directives de son cerveau, il se démêla du corps de celui qu'il aimait pour se redresser. Lorsqu'il croisa le regard de Chûya, ce dernier semblait commencer à présenter les premiers effets de la contamination, et il se retint pour ne pas lui faire la remarque avec effroi...

- J'ai juste besoin de réfléchir quelques instants, je suis à côté, je reviens, promit le brun en le gratifiant de cette même expression marquée par la peur.

- D'accord... Je t'attends là...

Dazai ancra une dernière fois son unique œil dans ceux de Chûya, avant que la porte de la pièce adjacente ne mette définitivement un terme à cet ultime moment de complicité.

Il allait revenir, d'ici une heure au plus, c'est ce qu'il espérait ! Jamais il ne pourrait trahir une promesse qu'il avait faite à Chûya. Intuitivement, ses doigts triturèrent la balle lovée contre sa poitrine en se remémorant cette fameuse nuit... Puis les différentes étapes de leur relation... Leur rencontre... Leur histoire était d'une complexité fascinante et cela le fit tristement sourire...

Le premier soir, il lui avait arraché un œil en guise de salutations... Et il y a quelques jours encore, ils étaient heureux à parler de projets futurs ensemble malgré le chaos mondial... Dazai l'aurait probablement demandé en mariage d'ici quelques semaines... ou mois ? À vrai dire, il y songeait déjà depuis une éternité, mais n'avait jamais trouvé le courage de se lancer. Il avait même fini par croire que Chûya le ferait avant lui. Or cet instant ne fut jamais arrivé.

Le rouquin voulait prendre les devants, et c'était sûrement l'un des points pour lequel il espérait le plus qu'il le fasse... Mais maintenant, ils étaient tous deux condamnés à périr de l'infection s'ils ne mettaient pas fin à leurs jours.

- Dazai !

Sa voix résonnait de l'autre côté, mais il était incapable de l'entendre, perdu au milieu de ses songes et de ses tourments. Cela faisait de nombreuses années qu'il n'avait pas ressenti cette sensation, et honnêtement, cela ne lui avait pas manqué, car en attendant, il n'avait absolument pas conscience de la tonalité caractéristique du rouquin lui suppliant d'être à ses côtés.

- J-je crois que je commence à perdre la tête...

Chûya était terriblement inquiet de cette absence de réaction, s'interrogeant sur le cause probable. Le brun avait-il sombré dans la démence avant lui ? Ne voulait-il plus avoir à faire à lui maintenant qu'ils se savaient tous deux condamnés ? Alors dans ce cas, pourquoi ne lui ouvrait-il pas cette putain de porte pour profiter de leurs derniers instants ensembles ?!

- D-arh-zai... Ne me laisse...pas... Pas comme ça...

Des heures s'écoulaient entre chaque demande peu innovatrice, et à chacune d'entre-elle, Chûya se sentait périr de plus en plus sous la domination de l'infection... Ce n'était plus qu'une question de minutes avant qu'il ne sombre définitivement et il le savait... Les tissus de sa peau étaient presque complètement pourris autour de la morsure, ses poumons ne lui permettaient plus de respirer convenablement, sa gorge ne lui laissait quasiment plus que le loisir de sortir des sons épouvantables qui le terrifiaient lui-même...

Alors c'est comme ça que ça allait se finir pour lui ? Abandonné de la dernière personne en qui il avait placé son avenir, isolé, et seul au monde sous le contrôle d'un parasite néfaste ?

Non !

Il ne pouvait pas l'accepter ! Avec une force qu'il ne se connaissait pas, il commença à marteler la porte violemment, prononçant bons nombres de phrases dont il était pourtant convaincu du sens, mais qui ne se révéla finalement être qu'une succession de geignements bestiales sans la moindre signifiée pour quiconque l'écoutait. Ses sanglots n'étaient plus qu'une nouvelle palette de sons effroyables qu'il lui déchirait son propre cœur.

La porte ! Il devait enfoncer la porte ! Car derrière la porte, une présence était là. Il devait atteindre la présence...

Une présence...

Quelle présence... ? Sa vision était trouble, et il se sentait incapable de réfléchir par lui-même... L'infection l'avait emporté n'est-ce pas ? ...Et Dazai n'était pas revenu pour l'en empêcher... Si sa condition lui avait permis un tel privilège, il aurait éclaté en pleurs...

Et durant toute cette torture... Deux jours et deux nuits... Dazai n'était pas parvenu à sortir de cette toute dernière transe, lui faisant oublier la notion de faim, de soif, du temps, d'urgence, car il n'avait pas laissé à Chûya la chance de le résonner...

S'il avait su, il aurait probablement utilisé cet instant à le chérir quelques heures de plus avant l'inévitable... C'était son plus grand regret... 

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