Chapitre 4

Léon regardait l’heure sur l’horloge de la salle réservée aux employés de l’auberge, soit sa famille. Elle indiquait midi et quarante-cinq minutes. A cette heure si, d’habitude, il arrivait à la boulangerie pour récupérer celle qu’il considérait comme sa petite sœur à son travail. Mais en ce moment la boulangerie était fermée. Personne là-bas n’avait le morale suffisant pour travailler, trop affectés par les récents évènements. Et puis les clients n’affluaient pas non plus. Il faut dire que tout le petit village était au courant de l’accident de Safia. L’ambiance était d’ailleurs plutôt pesante. A tel point que Léon ne sortait plus que pour se rendre dans la petite chambre blanche tapissée de machine dans laquelle se trouvait à présent son amie. Il remarquait à chaque fois les nouveaux changements dans la décoration. Les machines ne bougeaient jamais, mais ce matin deux nouveaux bouquets de fleurs ornaient la triste chambre. Ce sont les villageois qui ne manquaient jamais d’en apporter régulièrement. Le fleuriste n’avait probablement jamais autant travaillé que ces trois derniers jours.

    Ce midi Léon n’aidait pas ses parents pour le service. Il se sentait trop mal pour ça. Les taverniers, préoccupés par l’état de leur fils, ne l’avaient pas forcé. Alors il attendait là, le den den mushi familial trônant à côté de sa tête posée sur la table. Il redoutait tellement l’appel qu’il attendait depuis plus d’une heure. Il avait également tellement envie de faire pipi. Cela faisait plus de dix minutes qu’il repoussait à chaque instant son passage aux toilettes par peur que l’escargot ne sonne à ce moment-là. Mais il ne tenait plus et s’il continuait, il finirait par se faire dessus. A contrecœur, il se leva pour se rendre aux cabinets à l’étage. Il traversait la salle de service où quelques personnes mangeait puis il grimpa les escaliers avant de rentrer dans la première salle à droite et de se poser sur le trône. Là, il repensa à sa dernière visite à l’hôpital ce matin. À la façon dont il avait été viré de la chambre de Safia où les machines s’étaient tout à coup emballées. À la discussion qu’il avait eue avec Marco qu’il était allé chercher juste après. Ils avaient beaucoup échangé tous les deux ces derniers temps. Au « c’est un arrêt cardiaque » qu’il lui avait lâché comme une bombe, et aux explications de ce dont il s’agissait. Son cœur s’était arrêté de battre. Le cœur de Safia s’était stoppé! Et personne ne savait s’il allait repartir. C’était ça l’appel qu’il attendait autant qu’il redoutait : l’annonce du, peut-être, décès de son amie, de sa sœur.  

- LEON !

A l’entente de son prénom hurlé par sa mère, le susnommé sut qu’il avait manqué l’appel fatidique. Il se précipita hors des toilettes et descendit en trombe les marches sans même prendre le temps de se laver les mains.

- Maman ! C’était l’hôpital ? Comment va-t-elle ? Je t’en supplie ne me dis pas qu’elle est…
-Vient ! l’interrompit sa mère en lui saisissant le poignet et en le tirant vers la sortie des employés. Papa pourra gérer le service seul.

Elle n’ajouta rien de plus et entraîna son fils dans son sillage, en direction de l’hôpital. Ce dernier pleurait. Il avait si peur. Pourquoi sa mère ne lui disait pas ce qu’il était advenu de son amie ? Redoutait-elle tant que ça sa réaction ? Si tel était le cas, qu’une seule issue était envisageable : la pire. La mort. Il nageait, non, il courait en plein cauchemar dans les pas de sa mère.

    Arrivés à l’entrée de l’hôpital, ils firent une pause pour reprendre leur souffle. Léon en profita pour ravaler ses dernières larmes et sécher ses yeux humides. Puis ils pénétrèrent tous deux dans le bâtiment. Une fois devant l'accueille, aucun des deux, que ce soit la mère ou le fils, n’eurent le temps d’expliquer l’objet de leur visite. La secrétaire les devança.

- Je suppose que c’est pour la petite Safia ?

La  mère de Léon acquiesça, ce dernier ayant la gorge trop nouée par l’angoisse pour répondre. 

Une fois les formalités de visite faites, ils se dirigèrent vers la chambre d’hôpital. Mais plus ils s’en rapprochaient, plus Léon ralentissait le pas. Il voulait retarder le plus possible le moment où il découvrirait le corps sans vie de celle qui fut jadis bien plus à ses yeux que sa meilleure amie, sa petite sœur. Il savait pertinemment que Safia détestait quand il l’appelait ainsi, “j’ai déjà un grand frère”, lui répétait-elle sans cesse. Mais c’était plus fort que lui. Depuis quatre ans déjà, elle vivait avec lui. Au début, elle louait une chambre à l’auberge, mais sans travail du fait de son jeune âge à l’époque, elle dut très vite quitter sa chambre, par manque d’argent. Léon et elle se côtoyaient déjà beaucoup à l’époque. Et lorsqu’un soir il découvrit sa nouvelle amie pelotonnée contre un arbre à même le sol, tremblante de froid, il comprit que c’était là qu’elle dormait depuis qu’elle était partie de son auberge par manque de moyen. Il la força donc à revenir y vivre. Elle tenta bien de refuser, mais le froid et l'insistance de son ami finirent par avoir raison d’elle. Pourtant elle n'accepta de revenir qu'à une seule condition. Elle voulait aider les aubergistes dans leurs tâches pour payer son loyer. Léon lui accorda cette “faveur” et c’est ainsi qu’elle commença à aider la petite famille. D’abord en salle, mais très vite, elle rejoignit les cuisines où elle se découvrit une passion pour cet art. En particulier pour la pâtisserie. Et c’est ainsi que, de fil en aiguille, elle devint apprentie dans la boulangerie du village. A présent elle avait un revenu pour payer son logement, mais cela faisait bien longtemps que les parents de Léon avaient fait passer cette idée aux oubliettes. Dans la famille, ils considéraient tous Safia comme un membre à part entière des leurs. Alors Safia a continué d’aider Léon les soirs à l’auberge, mais plus par plaisir que par obligation réelle.

Une fois arrivés devant la quatrième chambre de l’aile, la maman de Léon toqua. Un “entrez” leur parvint et Léon reconnut la voix de Marco. Mais avant d’ouvrir la porte, la mère du garçon, les cheveux aussi bleus que son fils, posa une main sur son épaule et lui murmura à l’oreille.

- Ça va aller mon grand, je te le promets. 

Mais Léon ne réagit pas, trop absorbé par l’angoisse qui lui serrait le ventre. Alors quand la femme ouvrit la porte et que Léon aperçu son amie branchée à une assistance respiratoire, une larme coula, puis une deuxième, pour finir par un flot de larmes qui lui brouillairent la vue. Pourtant il ne rêvait pas, elle était bien là, assise sur son lit et un grand sourire aux lèvres. Sa Safia, sa petite Safia, sa petite sœur. Il se précipita sur elle pour la serrer dans ses bras, en pleurs. 

- Léon, tu m’étouffe là, parvint à murmurer Safia tant bien que mal.
-Pardon, excuse-moi Saf’, je suis désolé ! s’exclama-t-il en se reculant immédiatement.

La jeune fille tenta de rire mais fut prise d’une quinte de toux.

- Vas-y molo gamine, tu viens tout juste d’être extubée, la prévint Marco.
- Comment te sens-tu Safia? Tu as mal quelque part? s’enquit la mère de Léon.
- En vrai, ça va plutôt bien, hormis ma jambe droite que je ne sens plus. 
- Quoi? Mais c’est pas possible ! Comment ça se fait ? Ça va revenir, hein ?
- Hélas, non, intervint Marco. Mais pour le moment, la bonne nouvelle c’est que sa paralysie de la jambe droite semble être la seule séquelle qu’elle ait de son accident. 

Des larmes commencèrent à parler aux coins des yeux du jeune homme aux cheveux bleus. Ce dont Safia s’aperçut bien vite et tenta de le rassurer en lui disant qu’elle préférait cent fois perdre une jambe plutôt que sa vie. Sa remarque eut l’effet escompté sur son ami qui tentait vainement d’essuyer les larmes qui coulaient encore sur ses joues malgré un léger sourire. Il était soulagé, tellement soulagé, d'entendre ces mots sortir de la bouche de son amie si chère. Il sentait comme un poids s'envoler de ses épaules, elle avait choisi de se battre et elle avait gagné. Il la prit instinctivement dans les bras et lui murmura à l'oreille.

- Merci Safia. Merci de t'être battu, merci de m'être revenue. Je sais que tu n'aimes pas que je te dise ça, mais tu es tellement plus que ma meilleure amie, pour moi tu es comme ma petite sœur. Et te perdre aurait été insupportable.
- Je sais Léon, répondit-elle, excuse-moi de t'avoir inquiétée comme ça. Mais tu as raison sur un point. J’ai déjà un grand frère et je n'ai pas besoin que quelqu’un le remplace…

Elle avait dit cela en détournant les yeux. Elle savait pertinemment que Léon souhaiterait qu’elle le considère plus que comme un simple ami, qu’ils aient cette complicité qu’une fratrie partage. Mais il savait également que personne ne pourra remplacer son grand frère. Bien qu’il soit mort depuis un bout de temps et qu’elle ne l’ait jamais rencontré, elle ne voulait pas le remplacer. Chaque personne est un être irremplaçable. Et Léon connaissait son opinion à ce sujet.  

    Tout d’un coup, Safia laissa lui échapper un bâillement et, comme par réflexe, ses mains vinrent frotter ses yeux qui la piquaient. Elle sentie comme une vague de fatigue la submerger. 

- Je pense qu’on devrait laisser Safia se reposer Léon, elle à l’air épuisée.
-Mais Maman, je peux rester à son chevet en attendant qu’elle se réveille, non?

La mère de Léon tourna la tête vers Marco pour lui demander implicitement son avis.

- Écoute Léon, l’heure des visites va bientôt s’achever et ton amie vient tout juste de se réveiller d’un profond coma. Elle a besoin de se reposer, regarde, dit-il en tournant la tête vers une Safia qui dormait déjà à point fermé. Elle sera encore là demain, ne t’inquiète pas. Tu reviendras la voir à ce moment-là. Et puis je resterai à son chevet pour la veiller en attendant que tu reviennes. Ne t’en fais pas, elle est tirée d'affaires à présent.

Frustré, Léon acquiesça malgré tout, comprenant que sa chère Safia avait besoin de sommeil pour récupérer. Et puis il avait pleinement confiance en le phénix. Il savait qu’il veillerait au grain et qu’il l’informerait en cas de besoin. Safia était entre de bonnes mains. Alors c’est avec le sourire aux lèvres et un soulagement non négligeable qu’il quitta l’hôpital. Il décida même d’aller prévenir le boulanger du réveil de son apprentie.

~*~*~*~*~*

    Lorsqu’elle se réveilla, plusieurs heures après s’être endormie, Safia fut surprise de découvrir Marco à son chevet en train de relever les données incompréhensibles des différentes machines qui étaient reliées à elle. Lorsqu’elle tenta de se redresser avec difficulté, le phénix se retourna vers sa patiente avec un sourcil arqué. 

-Tu ne préfèrerais pas rester allongée ?
- Non, c’est bon, j’ai passé je ne sais pas combien de temps dans cette position. Je préfère me redresser.

Alors Marco l’aida dans sa tâche, la tirant contre son torse pour l'asseoir et lui recala correctement ses oreillers pour qu’elle puisse s’y appuyer.  Une fois qu’elle fut correctement installée, il vit Safia froncer les sourcils.

- Que se passe-t-il miss?
- Ma jambe… Elle ne bougera plus jamais, pas vrai ?

Cette phrase sonnait plus comme une dure constatation que comme une question réelle. Marco confirma néanmoins, lui expliquant que pour le moment, elle devrait se déplacer en fauteuil roulant. Mais peut-être qu’avec le temps et une rééducation adéquate et assidue il pourrait être envisager une orthèse ainsi que des béquilles. Elle acquiesça, les larmes aux yeux. Elle avait annoncé ça à sa famille adoptive avec un certain détachement qui, visiblement, était feint. Pas étonnant, elle était encore si jeune pour qu’une chose pareille lui arrive. 

- Comment vais- je faire pour reprendre mon apprentissage ? murmura-t-elle alors que les premières larmes commencèrent à dégringoler ses joues. 
- Tout d'abord, tu dois te concentrer sur ta santé Safia, tenta Marco pour essayer de détourner son attention. 
-Je sais bien, mais après ? Je ne peux pas cuisiner en fauteuil roulant et avec des béquilles dans les mains ça sera impossible...

Finalement elle fondit en larmes. La pâtisserie  était sa plus grande passion. Elle ne s’était jamais sentie aussi épanouie qu’en train de confectionner puis de faire déguster à ses proches l’un de ses desserts. C’était ce qui lui avait sorti la tête de l’eau quand elle avait appris le décès de son frère… Son frère… Et dire qu’elle ne le rencontrera jamais. Tout ça à cause de ses foutus parents. Elle les détestait. 

Elle avait pensé ça tout haut. Et Marco s’assit à côté d’elle, sur le lit, posant sur son épaule une main se voulant réconfortante.

- Tu sais, ton frère, on peut en parler si tu veux, je peux te raconter quel genre d’homme il était.
- Parce que tu sais qui il était peut-être ? s’emporta Safia dont le désespoir commençait à l’engloutir.
- À d’autres, gamine. Léon m’a raconté ton histoire et elle se rapproche étrangement de celle de celui qui fut mon petit ami. Sans compter vos ressemblances physiques. Vous avez les mêmes yeux, la même flamme de rébellion qui brûle au fond d’eux. Le même sourire aussi, et la même fossette au menton qui, soit dit en passant, est héréditaire et rare. Puis, tout comme toi, il avait une passion débordante pour la cuisine. Il y a encore bien d’autres ressemblances en Thatch et toi. Alors, souhaites-tu que je te parle un peu de lui ?
- Tsss, Léon en à encore trop… Attends ! Thatch nii-san et toi sortiez ensemble ?!
- Ahahah ! Oui, effectivement belle sœur, lui répondit-il avec un petit clin d’oeil. 

Safia pouffa à l’entente de ce surnom qui lui fit plaisir. Ce n’était pas sur un plateau d’argent qu’on lui avait servi la possibilité de rencontrer son frère au travers des yeux de ceux qui avaient partagé sa vie, mais bien sur un plateau de platine. Après tout, qui mieux que son petit ami pouvait lui parler de son frangin ? Et c’est ainsi que Marco et sa belle-soeur, comme il aimait à l’appeler, partirent dans une longue conversation à la découverte de qui était Thatch, de son parcours dans la piraterie et de l’histoire d’amour qu’avaient partagé les deux compagnons. Bien que Marco, sur ce sujet, resta très vague. 

 Finalement, une fois que le sujet Thatch fut épuisé, Marco revint sur une autre conversation qui l’avait interpelé.

- Dis-moi belle soeur, tu ne considères vraiment Léon que comme ton meilleur ami ?
- Qu’est-ce que tu entends par là Marco ? lui répondit Safia sans comprendre.
- Tu sais, ce garçon tient à toi. Vraiment énormément. J’ai vu dans ses yeux toute l’inquiétude qu’il avait éprouvé lors de ton accident. Et cela allait bien au-delà d’une simple amitié, aussi forte soit-elle.
- Marco, si tu sous-entends par là qu’il pourrait y avoir quoi que ce soit entre Léon et moi, tu te méprends. Certes nous tenons énormément l’un à l’autre, mais c’est purement platonique. Et cela est clair entre nous depuis le début.  
- Non, ça je l’avais parfaitement compris Safia. Après tout, qui appellerait la femme qu’il aime “petite soeur” ? Personnellement je considérerais ça comme de l’inseste. 
- Ah, c’est à propos de ce surnom débile, comprit Safia. Bien sûr, les parents de Léon m’ont accueilli comme leur propre fille, et Léon comme une sœur. Ça je ne peux pas le nier. Mais j’ai déjà un grand frère et je ne veux pas le trahir, expliqua Safia penaude. 
- Tu sais Safia, notre capitaine nous appelait ses “fils” et en retour nous le nommions “père”. Ce qui faisait qu’au sein de l’équipage, nous nous considérions à peu près tous comme des frères et sœurs. Thatch également. Est-ce que tu te sens trahie pour autant ?
- Non, bien sûr que non, c’est différent !
- Et bien c’est la même chose entre toi et Léon. Ne te mens pas à toi-même Safia. Une fratrie va bien au-delà des liens du sang. 

Marco vit la petite Safia bâiller et se frotter les yeux. Il lui intima donc de se reposer. Après tout, la nuit porte conseil.

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