Chapitre 3
- Mais puisque je vous dis que je suis médecin et que je pourrais au moins aider à stabiliser l'état de la gamine !
- Médecin, peut-être, mais pirate ça, c'est sûr ! Et jamais, au grand jamais, nous ne confirions les soins de l'une de nos enfants à une raclure de votre espèce !
Cela faisait plus de vingt minutes que Marco essayait d'argumenter avec le médecin chef de l'hôpital pour qu'on le laisse s'occuper de la petite pâtissière. Certes il était pirate, oui, mais avant tout humain. Il avait des sentiments comme tout le monde et laisser mourir une gamine qu'il pourrait aider à sauver, probablement mieux que personne aux vues de ses pouvoirs, lui était tout bonnement inenvisageable. Mais il ne se laissera pas mettre à la porte par un jeunot qui faisait passer la vie d'une enfant après son égo. Il balaya la salle des urgences d'un regard blasé avant de repérer la cible parfaite. Un homme d'une cinquantaine d'années avait une grosse entaille infectée à l'épaule. Oï, si c'est comme ça qu'ils soignent les patients ici, la petite n'a aucune chance de s'en sortir vivante. Il s'approcha de l'homme en question et posa sa main droite sur la blessure. Au même instant, des flammes bleues jaillirent de son avant-bras tout entier et avant même que le médecin chef n'ait pu esquisser le moindre geste dans sa direction, retira sa main. Tout le monde regarda avec une stupeur non dissimulée le bras du patient. À la place de la balafre suintant le pue, une légère cicatrice blanche et fine, presque invisible à l'œil nu, avait pris place.
- Si je suis capable de soigner en moins de trente secondes une blessure que vous auriez mis plusieurs jours à traiter , imaginez ce que je pourrais faire pour une commotion cérébrale. Cette gamine n'a peut-être même pas demain devant elle. Je vais vous le demander une dernière fois. Et si vous refusez, je l'embarque avec moi pour la soigner. Laissez-moi sauver la petite.
Le médecin chef hésita encore quelques secondes avant de céder. De toute façon, il ne pourrait rien faire pour empêcher ce monstre de kidnapper l'enfant.
- Très bien. La chambre de la patiente se trouve dans le bâtiment quatre, au quatrième étage, chambre numéro quatre. Ça va, ça sera suffisamment simple pour vous en souvenir ?
Marco ne releva pas la remarque du gamin en face de lui qui, visiblement n'avait pas apprécié de voir son autorité remise en question et qui désirait le faire payer au pirate. Mais plus mature que lui, le nouveau capitaine des pirates de Barbe Blanche se contenta de filer sous sa forme hybride au chevet de sa patiente. Il était beaucoup plus rapide ainsi et n'avait plus une seconde à perdre. Déjà que ce demeuré lui avait fait perdre un temps fou !
Son cœur se serra quand il aperçut la gamine branché à toute une multitude de tuyaux pour tenter désespérément de la garder en vie. Il récupéra machinalement la planche d'état de santé au pied du lit et la consulta. Effectivement, la petite Safia avait une grave commotion au cerveau qui pourrait laisser de sévères séquelles si elle s'en sortait. Quelques plaies superficielles recouvraient également sa peau. Il décida de les traiter en premier afin que le corps de la petite n'ait pas à s'occuper de ça aussi, ce qui la fatiguerait encore plus. Car l'énergie qu'elle ne mettra pas à soigner ces blessures, elle l'utilisera pour se battre. Une fois qu'il eut terminé avec les dizaines d'entailles présentes, le phénix s'attaqua au gros du morceau : le cerveau. Il commença à travailler sur la résorption de l'hématome. Mais comme ces gestes étaient devenus automatiques de par les années de pratiques, l'oiseau bleu permit à son esprit une nouvelle fois de divaguer.
Il songeât tout d'abord à Thatch. Aux plus des dix-sept années qu'ils avaient partagé à bord du Moby-Dick. Ils avaient tout de suite sympathisé pour devenir par la suite les meilleurs amis du navire, et même un peu plus au fil du temps. Mais cela, peu de personnes le savaient. Ace avait quel âge à l'époque ? Deux, trois ans ? Quelque chose du genre oui... Et environ quinze ans plus tard, cette tête d'allumette les avait rejoints. Son intégration avait été très compliquée pour lui. Mais au final il avait fait sa place en tant que second commandant de l'équipage. Thatch avait fait un tel festin en son honneur pour célébrer sa montée de grade. Oui, à cette époque c'était le bon temps. Ils ne se prenaient pas la tête. Sauf quand Ace faisait une connerie. Soit environ... tout le temps, oui c'est ça. Donc en gros ils se prenaient toujours la tête. Marco se souvint de courses poursuites mémorables entre le quatrième commandant et le deuxième, lorsque ce dernier allait chaparder dans la précieuse cuisine de l'autre. C'était le territoire de Thatch, mais Ace se faisait toujours un malin plaisir à aller le piller.
Marco remarqua qu'étrangement, il n'avait pas envie de pleurer. Au contraire. Pour la première fois depuis des mois entiers, repenser à ses amis disparus l'apaisait. Ils lui manquaient, certes, mais dans ces souvenirs empreints d'une certaine nostalgie, il retrouvait la saveur de la joie d'avoir partagé un bout de sa vie avec ces personnes, ses amis les plus chers.
Son regard se reporta finalement sur sa petite patiente. Enfin petite, à dix-sept ans elle commençait déjà à entrer dans l'âge adulte. Étrangement, il remarqua une larme dégringoler tranquillement la joue de la jeune femme. Ses cils aussi étaient mouillés. Il ne chercha même pas à en savoir la provenance. Pour lui, une réaction physique de la part d'un patient plongé si profondément dans le coma était la meilleure preuve d'amélioration de son état. Il resta encore un bon quart d'heure à activer ses flammes régénératrices sur le crâne de la pâtissière avant qu'il n'estime ne plus pouvoir faire grand-chose d'autre. Il posa une main protectrice sur le front de la petite, lui murmura quelques mots d'encouragement, avant de quitter pour de bon son chevet. À présent, il passait la main aux médecins titulaires de cet hôpital, car son pouvoir ne pourrait rien apporter de plus que les méthodes classiques.
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Des images flottaient dans son esprit embrumé. Les images d'un homme souriant, bien veillant, mais aussi énervé, pris dans une course folle. Que poursuivait-il, ou que fuyait-il, elle l'ignorait. Mais c'était la première fois qu'elle voyait ce visage, souvent observé sur des avis de recherche, animé. Est-ce que cela voulait dire qu'elle était morte ? Allez savoir. Mais ces images étaient accompagnées d'une phrase, une phrase en suspend dans le temps et l'espace. Une phrase qui n'avait de cesse de revenir et de se répéter en boucle. « Ne veux-tu pas découvrir ce qu'il y a après l'horizon ? » Bien sûr qu'elle le désirait, mais comment faire ? Déjà, elle n'avait que dix-sept ans, et non dix-huit, l'âge qu'elle attendait pour partir depuis déjà un moment. Mais elle n'aurait jamais dû attendre aussi longtemps. À cause de ça, elle ne le rencontrerait jamais, son grand frère. Ce frère qu'elle voulait apprendre à connaître depuis la première fois que ses géniteurs lui en avaient parlé. Mais il était mort, elle ne le verra donc jamais. Les images réapparurent, floues mais quand même discernables. Elle observait, pour la elle ne savait pas combien de fois, le visage tantôt souriant, tantôt en colère de cet homme qu'elle n'avait jamais vu. Mais une chose ne changeait pas cependant, c'était l'aura de bienveillance qui émanait de lui. Une aura douce et réconfortante. Mais est-ce que tout ceci était seulement réel ? Elle en doutait. La vision semblait trop embrumée pour paraître vraie.
Malgré ces images et la phrase se répétant inlassablement, il faisait noir autour d'elle. Une obscurité brumeuse et froide. Des ténèbres à glacer le sang. Et elle ignorait comment s'en échapper. La phrase retentit de nouveau « Ne veux-tu pas découvrir ce qu'il y a après l'horizon ? » La première fois elle avait répondu sans aucune hésitation. Mais à présent elle doutait. Pourquoi partir en voyage maintenant ? Plus personne ne l'attendait sur les mers. Alors à quoi bon... Pourtant quelque chose l'empêchait encore de lâcher prise. Elle repensa à son frère qu'elle ne connaîtra jamais, mais que d'autres avaient côtoyé. Elle pourrait partir à leur recherche, apprendre à connaître son frangin à travers les yeux de ceux qui ont partagé un bout de sa vie, découvrir qui il était. Et peut-être lui rendre une petite visite sur sa tombe, s'il en a une, histoire de se présenter. Mais si elle entreprenait ce voyage, par où commencer ? La réponse lui avait été pourtant servie sur un plateau d'argent quelques jours avant qu'elle ne se retrouve coincée dans ce brouillard noir. Maintenant, toute la difficulté de l'épreuve allait être de trouver le chemin vers la bonne sortie. Mais comment se réveiller ?
~*~*~*~*~*
Après avoir quitté l'hôpital sous les regards haineux des titulaires, Marco se dirigea vers l'auberge. Il avait passé plus d'une heure et demie au chevet de la petite Safia et cela l'avait épuisé. Il rentrait donc se reposer un peu, bien qu'il ne soit que le milieu de l'après-midi. Il passa vers l'arbre à l'arrière du bâtiment, s'attendant à y retrouver le fils des aubergistes là où il l'avait laissé en partant. Mais il n'y avait personne. Tant pis, je lui parlerai quand je le croiserai. Là j'ai beaucoup trop besoin de dormir pour partir à sa recherche. Sur ces pensées, le Phénix contourna la taverne pour rejoindre la porte d'entrée. Il pénétra dans la salle de restaurant et aperçut la tenancière de l'établissement en pleine conversation avec son fils. Ce dernier, en train d'essuyer les tables pour aider sa mère, avait les yeux rouges et bouffis, preuve s'il en était besoin, qu'il avait pleuré. Marco s'approcha donc du garçon et l'appela.
- Oï Léon, viens voir un peu.
Le susnommé se retourna vers le blond les yeux pleins d'espoirs. Marco reprit :
- J'ai fait tout ce que j'ai pu pour elle. Je lui ai apporté les soins que les médecins de l'hôpital ne pouvaient lui prodiguer, et accéléré le processus de ceux déjà mis en place pour minimiser au maximum les séquelles qu'elle pourrait avoir à son réveil. Mais je ne peux rien te promettre. Je lui ai mis toutes les cartes dans ses mains, à présent c'est à elle de jouer.
La lueur d'espoir dans les yeux de Léon s'amenuisa mais il acquiesça d'un petit « d'accord » dépourvu de toutes convictions. Et à cette réponse, Marco partit se reposer.
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La phrase et les images de cet homme bienveillant tournaient encore et toujours dans son esprit embrumé. Mais cela faisait combien de temps, quelques minutes ou bien des semaines? Elle n'en avait aucune idée. Et Safia en avait marre d'attendre comme ça, emprisonnée dans un brouillard beaucoup trop épais. Alors quand l'homme se remit à courir, elle tenta de le rattraper pour lui poser les questions qui la tourmentaient. La première était « qui es-tu ? » Simple, basique même, mais pas dénuée d'intérêt. Loin de là d'ailleurs. Pourtant, lorsqu'elle fut assez près pour lui frôler le bras en tentant de l'attraper, l'image s'évapora tel un petit nuage qui disparaît dans un coup de vent. Coup de vent qui en profita pour aspirer avec lui tout le brouillard présent, laissant Safia seule dans un noir glacial. La voix qui était toujours présente en fond retentit de nouveau, beaucoup plus fort que les fois précédentes. Un peu comme si le brouillard l'avait étouffé jusqu'à maintenant. À présent, au fur et à mesure que la phrase se répétait, le volume de la voix montait crescendo au même rythme qu'elle devenait plus pressante et oppressante. Ne supportant finalement plus ce son devenu strident, Safia se mit à hurler avant de répondre que « si j'adorerais, mais à quoi bon maintenant que mon frère est mort ? » Puis plus rien. Après un tel vacarme, le silence n'avait finalement rien de rassurant, bien au contraire. Il en devenait même inquiétant. Puis, tout à coup, Safia se sentit aspirée. Seul hic, elle ignorait vers où.
Safia sentit son cœur s'accélérer, se mettre à battre de plus en plus fort. A tel point qu'elle se demandait même comment il arrivait à tenir une telle cadence. Elle se sentait mal, si mal. Elle avait l'impression d'étouffer. Alors elle tenta d'inspirer une grande bouffée d'air. Mais celle-ci lui parvint étrangement. Elle se bloqua dans sa gorge, sans parvenir à ses poumons. Elle retenta encore une fois l'expérience , mais la même chose se produisit. Aucune goutte d'oxygène n'arrivait à s'infiltrer en elle. Cette constatation l'angoissa d'un coup. Alors que quelques minutes auparavant elle ne ressentait rien, elle avait l'impression d'être comme un fantôme flottant dans le vide, une âme détachée de son corps. A présent tous ses sens lui revenaient. Son enveloppe charnelle était bien là, mais dans quel état. Elle ressentait tout, mais rien n'était agréable. Il y avait le manque crucial d'oxygène, son cœur qui battait à tout rompre, sa bouche et sa gorge sèches, le bourdonnement beaucoup trop présent dans ses oreilles, et cette douleur. Cette douleur atroce et lancinante, comme si elle était plongée presque intégralement dans un bain d'acide. Bizarrement, seule sa jambe droite était épargnée. Tous ses sens étaient en alerte, mais son corps fonctionnait si mal. De façon beaucoup trop anarchique. Si ça continuait ainsi, qu'allait-il se passer ? Elle était sortie du brouillard et de l'obscurité, l'angoisse était si présente qu'elle ouvrit les yeux d'un seul coup. Mais la blancheur immaculée et beaucoup trop lumineuse qui lui parvint lui brûla la rétine. Elle referma presque instantanément les yeux. Le néant l'aspirait à nouveau, irrémédiablement. Le bourdonnement dans ses oreilles s'intensifia à un point insupportable et se mua en un long bip strident. Ce fût la dernière sensation qui lui parvint avant de perdre connaissance.
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