Chapitre 10 - Passé coupable
- Je ne comprends pas très bien comment il s'y prenait, constata Muriel en fronçant les sourcils.
- Ah ah, c'est un truc archi-classique dans le milieu des assurances : tu es employé dans une compagnie et payé uniquement à la commission. A un moment, tes affaires vont mal, tu traverses une mauvaise passe et donc ton salaire se résume à la portion congrue. Là, un client veut ouvrir une assurance-vie pour placer de l'argent qu'il récupérera, majoré d'intérêts, au bout d'une durée fixée dès le départ, en général plusieurs années. Dans ce but, il te verse soit un capital d'entrée de jeu, soit des primes mensuelles, soit les deux. Tu encaisses l'argent pour ton propre compte mais tu n'ouvres pas le contrat auprès de la compagnie, comptant remettre l'argent dès que ça ira mieux pour toi : tant que le pseudo contrat n'est pas arrivé à terme ou que le type ne décède pas, on ne se rend pas compte qu'il n'y a jamais eu de contrat ouvert. Bien sûr, pour ne pas éveiller les soupçons, il faut lui adresser des documents bidons émanant de la compagnie. Et il ne faut pas faire ça pour trop de clients sinon la compagnie s'aperçoit que tu ne fais pas de nouveaux clients et te vire. Le problème c'est que lorsque tu t'engages dans cette spirale, tu ne remets jamais l'argent. Un jour, un de tes « clients » veut retirer son argent avant le terme, ou bien décède, ou bien arrive à l'échéance du contrat. Il demande son dû à la compagnie. Là on découvre qu'il n'y a jamais eu de contrat et tu vas en taule.
- Je vois, dit Muriel. Et tu dis que c'est classique ?
- Classique, j'exagère un peu. Mais ce n'était pas rare à une certaine époque où l'on plaçait des assurances vie au porte à porte et que, comme dans notre cas, les agents n'avaient pas de salaire fixe garanti. Tu sais, lorsque ça se met à marcher mal et que ton salaire du mois est ridiculement bas, tes dépenses mensuelles, elles, restent les mêmes. C'est tentant de penser que tu peux encaisser pour ton compte et que tu vas te refaire... Certains ont pratiqué ce truc à grande échelle, détournant des millions pendant des années avant d'être pris, car ils arrivaient à rembourser leur dû à des « clients » ou à leurs ayants-droit à l'aide de l'argent pris aux autres, en faisant croire que c'était la compagnie qui remboursait. Ce système s'appelle la pyramide de Ponzi. Mais c'est une inexorable fuite en avant et on se fait toujours choper, un jour ou l'autre.
Muriel termina son thé. Elle semblait plus pensive que choquée par cette histoire.
- Il est sûr que c'est de la malhonnêteté : escroquer ainsi des gens qui te confient leurs économies en espérant les voir fructifier...
- Et la compagnie, dit Franck en levant l'index. Car elle ne voit pas la couleur des sommes prétendument investies par les clients dupés.
- Oui, exact. Mais en même temps, pour la compagnie ça me choque moins car elle n'a pas payé les commissions à son agent puisqu'il n'a pas enregistré les contrats. N'empêche, tu te rends compte, il a fait un an de prison !
- Oui. Tu trouves ça cher payé ?
- Je n'en sais rien, je ne réalise pas ce que ça fait. En tout cas, il a payé pour ses bêtises et semble s'en être bien remis.
Elle se leva et embrassa Franck dans le cou.
Il coupa l'ordinateur et referma le couvercle, débranchant le fil de la prise.
- Tu vas lui en parler ? demanda Muriel en le regardant en biais.
Franck réfléchit mais il n'eut pas le temps de répondre : on sonnait à la porte.
Il alla ouvrir. C'était Christophe, rasé de près, l'air très en forme. Il portait un pantalon de lin clair et un polo Lacoste.
- Salut Franck ! dit-il en lui serrant la main. Alors, bien remis ? On dirait que oui, à ce que je vois. Et Muriel ?
- Hello Christophe. Oui, moi je me sens super bien. Muriel avait un peu mal aux cheveux en se levant, dit-il avec un clin d'œil.
- Ah ah ! Mélisa aussi. Elle tournait au paracétamol tout à l'heure, mais ça va déjà mieux. On a fait un peu de rangement. Dis-moi, hier soir j'ai oublié de te demander : là, je vais à un rassemblement de vieilles bagnoles organisé par un club local. Je connais l'un des membres. Ils se réunissent chaque premier dimanche matin quand il fait beau. C'est à un gros quart d'heure d'ici. Ca te branche ? Je pense qu'il y a de belles voitures à voir, tu sais.
Franck hésita. Il était 10 h 15. Pourquoi pas ?
- Vas-y Franck, si ça te tente ! cria Muriel depuis la cuisine. Salut Christophe, je ne me montre pas, je ne suis pas présentable !
- Bon, d'accord, je t'accompagne avec plaisir, dit Franck.
Christophe lui donna une petite tape sur l'avant-bras et dit :
- Je sors la Jag et je t'attends. On part dans 5 minutes, ok ? Dis à Muriel que si elle veut aller se baigner, ça fera plaisir à Mélisa. Elle est déjà dans la piscine.
Il s'éclipsa.
Muriel était ravie de la proposition et filait déjà sous la douche pour aller rejoindre Mélisa au plus vite.
Franck traversa la rue et entendit rugir le moteur du cabriolet Jaguar pendant que Christophe effectuait une marche arrière, sortant du garage.
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