02. L'absence et le vide



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Jungkook



Automat est pour moi l'échappatoire parfaite pour fuir ma piètre réalité ; celle qui m'accompagne depuis de nombreuses années.

Trois, pour être exact.

Elle va de mèche avec la solitude, amie intime de la famille. D'ailleurs, c'est sûrement pour cette raison-ci que ce tableau est mon œuvre favorite. Triste huile sur toile qui représente l'absence et le vide. Une peinture quelque peu mélancolique.

Tel un automate, je m'avance vers l'homme toujours posté devant l'œuvre picturale.

Profondément plongé dans sa contemplation, il ne me remarque que tardivement et se décale sur la gauche lorsque nos épaules s'apprêtent à se frôler. J'incline la tête pour le remercier et me place à ses côtés. Il ne m'accorde aucun regard, mais je ne m'en soucie pas car, cette fois-ci, je comprends. Parce que, tout comme lui, je me laisse absorber par le tableau et sa représentation, oubliant momentanément sa présence et le son enroué de sa respiration. Sans doute qu'en raison de la pluie, le rhume est venu lui porter compagnie.

Une bulle se forme autour de moi.

Je n'entends plus rien, hormis un silence agréable et délicieux, me retrouvant complètement happé par le génie artistique d'Edward Hopper. Je suis subjugué par cette toile que j'observe légèrement en biais. Fasciné par les courbes, émerveillé par la précision de chaque trait. La palette de couleurs m'envoûte. Sombres et percutantes, leurs nuances me frappent en plein cœur et me font tomber avec elles sous le charme de l'unique demoiselle au centre du tableau.

Solitude.

Un thème particulier, intense, mais que je comprends. Que je ressens. Ça me transperce, me transcende au plus profond de mon être. Un jeu de regards débute entre la femme et moi, ça devient dangereux tant ça me bouscule. C'est addictif. Exaltant. À la fois, je m'y perds et m'y retrouve tellement.

Les secondes s'accélèrent. Les minutes s'écoulent et bientôt, une, puis deux, puis trois heures passent. Pourtant, lorsque je tourne les pupilles de mon regard fatigué, l'autre homme est toujours là, également.

Malgré le temps qui file, il continue de contempler le vide.

Un vide qu'il semble apprécier tout autant que moi. Peut-être que, pour lui aussi, Automat est son refuge. Ou alors, son purgatoire qui le condamne à s'isoler du monde. Je ne sais pas et je ne le saurais sûrement jamais.

― Que voyez-vous ?

Je sursaute, pris sur le fait.

Un murmure grave et à peine audible s'élève dans l'air et circule librement entre nous.

Se sentant très certainement observé, il se tourne dans ma direction et, aussitôt, deux billes obsidiennes se plongent dans les miennes. Un nez droit, des cils longs, des yeux en amande et un regard sombre. Un confrère coréen. Cependant, il y a chez lui une finesse dans ses traits qui me déstabilise. Son visage anguleux se trouve proche de la perfection et j'ai dû mal à détourner les yeux. Sa peau est hâlée, rappelant celle du caramel qui est typique, ici, à Boston quand le soleil ne se retrouve pas englouti par la pluie.

Mes yeux le découvrent encore et encore, de tout son long, de tout son être, ne sachant où s'arrêter. De ses mèches noires à ses lèvres praline, ils parcourent un monde entier.

Cet inconnu, d'une beauté semblable à celle d'Apollon, semble émerger d'une peinture de Michel-Ange.

― Quelque chose de, euh, v... vous êtes...

Un bégaiement m'échappe. Il m'impressionne.

― Vous êtes beau.

Un écho blanc résonne dans la salle.

Quelques secondes s'étendent dans l'espace et rendent l'instant encore plus long.

Mais contre toute attente, un souffle amusé rebondit jusqu'à mes oreilles avant que sa réponse suive le même chemin.

― Je parlais du tableau, mais merci.

L'embarras me prend tout entier.

Ma respiration se coupe à l'inverse de ma poitrine qui effectuent des folies rocambolesques à l'intérieur. Mes pommettes rougissent de cette chaleur incandescente qui s'empare de mon âme mortifiée par la honte. Je lui chuchote quelques excuses et baisse la tête face à son regard perçant. Mes orbes se détournent alors de lui et, de justesse, j'échappe à son sourire charmeur et son air mystérieux.

Se rend-il compte de sa beauté ?

Elle m'intimide, je dois bien l'avouer.

Pourtant, derrière son aura assurée, je perçois quelque chose de plus agité, de plus instable. Une sorte de névrose sous-jacente qu'il semble vouloir cacher. Une fissure engloutie par l'obscurité.

Peut-être que, lui aussi, il est une âme esseulée.

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