Chapitre 3

« - Donc l'état de ta mère a empiré ?

- Ouais... Elle ne peut plus bouger de son lit. L'arthrose n'a fait qu'empirer, son cartilage est devenu si fin qu'elle ne tient même plus cinq secondes debout. »

L'expression de Jisoo s'assombrissait à force qu'il décrivait l'état de santé catastrophique de la personne qui l'avait porté pendant neuf longs mois. Il se sentait si impuissant face à la situation, il ne pouvait rien faire à part la soutenir, l'encourager et prier pour que les choses puissent aller miraculeusement mieux.

Ses pieds traînèrent sur le sol terreux, ses épaules tombèrent en même temps que son visage s'abaissa et Seungcheol vint enlacer amicalement son ami pour l'encourager et le soutenir dans cette sombre épreuve.

« - Profite d'elle tant que tu le peux. »

Ce fut l'unique conseil de l'aîné qui renforça son étreinte tout en pensant sincèrement ses mots. Jisoo sourit tristement avant qu'un soupir ne finisse par quitter ses fines lèvres.

« - Mais c'est dur de voir son état se dégrader petit à petit... Rester à son chevet est un enfer puisque je vois ses muscles fondre de jour en jour et la nécrose ronge de plus en plus sa peau. Les rares médecins que j'ai pu payer m'ont tous sorti qu'on ne pouvait rien faire et qu'il vaudrait mieux l'achever sur le champ. »

Une bouffée de colère prit possession du jeune homme en se rappelant de la nonchalance avec laquelle les docteurs lui avaient dit de lui tirer une balle dans la tête lorsqu'elle dormait. Son pied tapa brusquement dans une pierre qui ricocha sur un vieux tonneau réveillant un chat errant qui dormait sur ce dernier.

Le maigre félin feula de mécontentement, son poil crème s'hérissa tandis qu'il sortit les crocs en direction du lanceur de la pierre qui ignora royalement l'animal : ce chat n'était qu'un parasite des quartiers.

« - J'ai dépensé la totalité de nos économies dans ces visites médicales pour qu'on me sorte à chaque fois qu'elle est perdue et que je dois me faire à l'idée qu'elle est morte. Y en a même un qui m'a expliqué comment fonctionne le ramassage des corps dans le quartier Sud... J'avais envie de l'étrangler.

- Je vois. »

Un lourd silence s'installa entre les deux garçons totalement impuissant face à la situation de madame Hong qui était malade et mourante. Elle était la dernière famille de Jisoo, son ultime accroche et cela était difficile pour le fils de voir sa mère dépérir de la sorte.

Dans le calme anxiogène, Seungcheol se sentit coupable d'avoir encore ces deux parents en bonne forme : il était chanceux. Ni son père, ni sa mère ne souffraient d'une quelconque maladie faisant qu'ils pouvaient encore travailler et ramener de la nourriture à la maison. Les Choi ne vivaient pas de manière aisés mais ils réussissaient plutôt bien à survivre.

Surtout qu'ils avaient accepté de nourrir une bouche supplémentaire en accueillant Jeonghan sous leur toit après la mort de ses parents. La mère de Seungcheol avait même offert un peu d'argent à Jisoo pour offrir des soins à sa maman souffrante.

Oui, l'aîné était extrêmement chanceux dans son malheur comparé à ses deux frères de cœur qui voyait, petit à petit, leur famille s'éteindre sans qu'il ne puisse rien faire.

« - Et si on l'amenait en haut ? »

Sortant ces mots sans réellement y réfléchir, Seungcheol fit sursauter son camarade face à sa soudaine idée.

« - En haut ? Genre dans le monde au-dessus ?

- Ouais. Apparemment ils ont des techniques médicales bien plus avancées que les nôtre, ils pourraient peut-être soigner ta mère ?

- Cheol... Je... Tu connais le prix du barrage pour rejoindre le monde du dessus ? Jamais je ne pourrais payer même en additionnant mon salaire avec le tien, celui de Han et de tes parents. C'est impossible de monter à la surface pour des gens comme... nous. »

Jisoo fit un geste pour les englober et il n'avait pas tort. Ceux qui montaient à la surface étaient souvent les soldats gradés ou les commerçants gérant l'ensemble des vivres puisque le prix pour prendre l'ascenseur ou les escaliers menant à la surface étaient extrêmement élevé.

« - Et même si j'arrive à amener ma mère à la surface, j'aurais dépensé toutes mes économies pour la faire monter. Comment après pour la soigner là-bas ? Ils ne font surement pas dans la gratuité. Désolé mais ce que tu proposes et impossible... Mais c'est gentil d'essayer de trouver des solutions. »

L'ambiance s'alourdit davantage alors que les garçons prirent un nouveau tournant. Le virage effectué, ils purent enfin voir le vieux grillage rouillé et Seungcheol commença à passer ses doigts sur la clôture comme il avait l'habitude de faire. Les foulées étaient silencieuses, le duo s'approcha sans un bruit du petit trou sous la grille qui était parfaitement camouflé par leur soin.

Un léger sourire apparut sur les lèvres de l'aîné qui s'apprêtait à retirer le camouflage de leur échappatoire. Un sentiment de liberté se diffusa en lui, il se mêla à l'excitation comme à chaque traversée hors du grillage. Le barbelé avait été mis pour délimiter la zone habitable de celle menaçant de s'effondrer car, effectivement, au-delà le plafond s'affaisser et les éboulements étaient très fréquents.

Cependant, les amis ignoraient ce danger et il s'aventurait dans cette partie interdite des bas-fonds pour rejoindre leur cachette secrète et souffler un peu. Mais, avant de retirer le vieux draps poussiéreux, Seungcheol remarqua qu'un de ses amis étaient bien silencieux aujourd'hui.

« - Dis Jeonghan, tu ne parles pas beaucoup. »

Le mouvement de Seungcheol fut suivi par celui de Jisoo qui réalisa à son tour du mutisme de leur ami mais, en tournant les talons, ils écarquillèrent des yeux en réalisant qu'il n'y avait que le chemin terreux et déserté en face. Dans un mouvement synchronisé, les deux s'observèrent avec effroi alors que leurs cœurs s'emballèrent à cause de la peur qui se diffusa à une vitesse hallucinante dans leur organisme.

« - Putain, il était derrière nous pourtant !

- Bah oui ! Je... Vous étiez ensemble devant ma maison. »

Sans perdre plus de temps, ils en avaient déjà trop mis à réaliser son absence, le duo fouilla l'entièreté de la rue avant de rebrousser chemin. Seungcheol retourna chaque tonneau tandis que Jisoo regardait à chaque ruelle parallèle, sous chaque toile de lin dans l'espoir de croiser leur ange perdu.

Les minutes passèrent, ils retournèrent lentement vers la première intersection alors que la panique monta drastiquement en eux : il n'y avait aucune trace de leur camarade. Seungcheol commença à perdre patience tandis que son ami rongeait son frein en priant que Jeonghan n'ait aucun problème et qu'il ne lui était rien arrivé.

« - Tu lui as bien donné une arme en partant, Cheol ?

- Oui, je lui ai donné son couteau. Il pourra se défendre même si je préférais qu'il n'en ait pas utilité... »

Tapant dans un tonneau, ce dernier tomba brusquement sur le sol et explosa en mille morceaux de bois ce qui fit fuir quelques souris cachés dans les environs. L'aîné n'en pouvait plus, il était terrifié que son ami d'enfance soit dans une situation délicate et qu'il puisse lui arriver quelque chose. S'il avait fait un peu plus attention...

« - Putain, Yoon Jeonghan. Où es-tu passé ? Pourquoi tu ne nous as pas suivi, abruti ? »

Dans sa colère et son inquiétude, Seungcheol ramassa une des lattes de bois et il la lança fortement contre le mur d'une des maisons abandonnées du quartier. Il n'était qu'à quelques pas du premier virage, le fameux endroit où leur route avait été séparé sans qu'ils ne puissent s'en rendre compte.

Le plus vieux sentait son cœur était douloureux, ses yeux le piquaient tandis qu'il se défoulait sur les planches en hurlant de rage.

« - J'ai promis à tes parents de te protéger ! Je leur ai juré sur leur lit de mort que je donnerais ma vie pour celle de leur fils, merde ! »

Jisoo s'approcha doucement de son camarade, ses mains vinrent attraper les poignets de son ami qui détruisait les bout de bois sans pitié.

« - Calme Cheol. J-Je... Il a dû tourner à gauche ou continuer tout droit ? On va vite le retrouver ne t'en fais pas, il ne doit pas être-

- Tout droit ? Non... Non, je t'en supplie. Je n'espère pas qu'il ait continué tout droit. »

La crainte qui scintillait dans les iris de Seungcheol donna des frissons désagréables à Jisoo qui ne compris pas le risque de continuer sa route dans cette direction.

« - Pourquoi donc ?

- Joshua. S'il a continué tout droit, il va dans la partie la plus au Sud.

- Non, ne me dis pas que c'est-

- La zone des Adieux... »

Jisoo blanchit brusquement alors qu'une nausée angoissée le secoua en s'imaginant Jeonghan dans ces quartiers maudits : personne ne revenait de la zone des Adieux.

« - S'il est parti là-bas, c'est-

- La merde. C'est la merde.

- C'est surtout la mort. »

La gorge noué, Seungcheol s'imaginait déjà les pires scénarios tandis que le blêmissement de Jisoo devenait inquiétant : on avait presque le sentiment qu'il allait s'évanouir dans la minute. Doucement, les pires images s'imposèrent à l'esprit des deux garçons qui n'arrivèrent plus à raisonner correctement. Il voyait leur ami dans les mains des Adieux, c'était le nom de ceux peuplant cette zone maudite, en train de subir les pires tortures.

Sans prévenir, Seungcheol eut un premier relent qui fut vite accompagné d'un second. A peine eut-il opéré son demi-tour vers le mur derrière lui qu'il se pencha pour vomir son maigre repas. Son corps tremblait, des images traumatisantes de son passé quittèrent les limbes de sa mémoire pour s'imposer à son esprit et un mixte étrange se créa entre le passé et le présent : il aurait voulu ne jamais les voir.

Le sang était omniprésent, il y en avait tellement sur le sol moisi. Mais si ce n'était que cela... Les veines, les viscères, les artères, les organes, le garçon voyait toute l'anatomie de cette personne dispersée dans cette cave imprégnée par l'odeur de la souffrance et de la Mort.

Les larmes coulèrent sur le visage de Seungcheol qui ne voulait pas revivre cette scène avec son ami à la place de cette personne. Un nouveau haut-le-cœur le secoua, ses sucs gastriques rejoignirent son repas et l'amertume de ses souvenirs fut réhaussée par l'acidité du goût de la bile se diffusant dans sa bouche.

Il devait à tout prix retrouver Jeonghan, sinon il subirait le même sort qu'elle.

« - On va le retrouver Cheol. »

La voix de Jisoo s'éleva dans l'air forçant le garçon à se reconnecter à la réalité, à s'accrocher au présent sans se noyer dans le passé.

« - Jeonghan sait se battre, tu lui as appris à se défendre et réagir en cas d'agression. Puis, il est rusé donc il trouvera un moyen de semer ses assaillants s'il est poursuivi. »

La main du garçon vint caresser le dos de son ami qui sentit les relents diminuer petit à petit même si son inquiétude restait majeure.

« - On n'a pas de quoi s'inquiéter, Cheol. Je suis sûr qu'il va très bien et, ça se trouve, il a simplement croisé un chaton dans une ruelle et il est allé le voir pour le caresser.

- Tu vois réellement Jeonghan nous perdre de vue pour un chaton abandonné ? »

Seungcheol avait un timbre de voix plus doux, il tenta de prendre la situation d'une autre manière pour éviter de plonger davantage dans ses sombres pensées et cela fut une victoire pour Jisoo.

« - Pas vraiment mais cela t'a permis de regagner ton sang-froid. Allez, continuons de rebrousser notre chemin ! Je suis sûr qu'on va le retrouver dans un endroit débile et il nous balancera qu'on l'a abandonné, que c'est notre faute et pas la sienne.

- Du Jeonghan tout craché en soi.

- Exactement ! »

Avec un brin d'optimisme et d'espoir, le duo reprit leur recherche dans l'espoir de retrouver leur camarade au coin d'une rue en train de renifler les rares fleurs trouvables dans les bas-fonds ou auprès d'enfants à jouer à cache-cache ou au loup.

Jeonghan n'était pas vraiment tête en l'air, sauf quand quelque chose le tracassait, mais lorsque cela lui arrivait il n'avouait jamais sa faute. Dans ce genre de cas de figure, il avait même l'audace de passer le temps en faisant des débilités jusqu'à que Seungcheol et Jisoo finissent par le retrouver.

Après une traversée de plusieurs minutes, les garçons arrivèrent à l'axe principal et possiblement l'endroit où leurs chemins s'étaient séparés. Seungcheol tourna sa tête dans tous les sens dans l'espoir de voir son ami d'enfance et Jisoo craignait que son ami finisse avec un torticolis tant il se dévissait le cou.

Hélas, tout ce que les garçons réussirent à discerner fut un vieux marchand de rationnements dans une ruelle parallèle qui semblait louche au premier regard, un garde qui roupillait au seuil d'une des maisons servant de poste de garde et le chat qui avait feulé sur Jisoo tout à l'heure.

Il n'y avait aucune traces de Jeonghan, même pas une mèche de cheveu sur le sol ou une empreinte sur le sol. Aucun un indice leur permettant de savoir où il était passé.

« - Putain, mais où est-il ? Je vais-

- Seungcheol ! Jisoo ! Je suis là ! »

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