Chapitre 36 : Retrouvailles & dette


Point de vue d'Artémis


Je n'ai jamais été quelqu'un de très sensible. Si quelqu'un doit mourir, il meurt, point. Comment faire autrement quand on est soi-même une tueuse ? La pitié n'a pas lieu d'être dans mon monde. Pourtant, devant le désespoir de mon fils, je ne peux m'empêcher de détourner le regard. J'avais deviné l'intention de Camille au moment où elle prenait possession d'Iliane. Tout s'est enchaîné si vite, que mon instinct à prit le dessus sur mes émotions. Elle souhaitait mourir en héroïne ? Je lui ai tendu mes crocs recouverts de poison, elle n'a eut qu'à tendre la main, et tout s'est fini. En un seul toucher, elle a disparu, laissant Sam en larmes derrière elle. Comment puis-je lui avouer que je ne regrette rien ? Que si c'était à refaire, je le referai sans hésiter ? Si ça n'avait pas été Camille, quelqu'un d'autre aurait prit sa place. C'était le seul moyen pour détruire Cronos.

- J'espère que tu es satisfaite.

J'ai parfaitement entendu le murmure de mon rejeton, à demi étouffé par ses sanglots. Sa colère ne tardera pas à se déployer, autant retourner sur l'Olympe le plus rapidement possible. Je suis désolée pour son amie. Désormais, le trio qu'ils formaient avec Iliane est brisé. À eux de continuer à vivre avec ce souvenir, tout est une question d'entraînement. Après tous les morts qu'il y a eut, un de plus ou un de moins ne changera pas grand chose. Je grogne, et me dirige vers Hermès. Enfin, non. Plutôt vers le garçon non loin de lui. Un humain assistant à un combat de dieux, et au décès d'une apprentie. Devrais-je le laisser en vie ? Je n'ai pas l'habitude d'accorder ma compassion aux personnes trop curieuses.

- Tu ne le toucheras pas, Artémis.

Je vois. Je sors mes griffes, et continue mon avancée. Personne n'a le droit d'interrompre un chasseur, pas même la fille de ma meilleure amie disparue. Je veux voir de quoi est capable cette chose si fragile, qu'Iliane couve trop à mon goût. Allons, ne me regarde pas avec cet air idiot, petit homme. S'il est du genre froussard, rien ne me dit qu'il gardera pour lui les secrets qu'il a accumulé. Qui sait, les populations non divines seraient assez bêtes pour croire les informations qu'il pourrait divulguer à notre sujet. Et en aucun cas je ne tolérerai ça.

- Artémis !

Des dizaines d'ombres se jettent sur moi, tentant de m'immobiliser. C'est qu'elle y tient, à son petit. Mais pas moyen que je perde contre elle. Je pousse mon rugissement de guerre, et me met à courir vers son protégé. Le pouvoir d'Iliane s'illumine, c'est incroyable comme on se sent minuscule à côté. Dommage pour elle, je n'en suis pas à ma première bataille, ce n'est pas une concentration d'énergie, aussi énorme soit-elle, qui me fera reculer. Ses petits soldats ténébreux ne savent pas que se diriger vers moi équivaut à un suicide. Je mord, je griffe, j'arrache sans aucune peur tout ce qui passe trop près de moi. Je maîtrise pleinement le terrain, contrairement aux ombres, qui s'écroulent en même temps qu'Iliane.

C'est facile. Beaucoup trop facile. Je sens la colère et la peur émaner de la fille d'Aphrodite, mais même elle a ses limites. Se battre contre Cronos a consommé presque toute sa force. Beaucoup seraient tombés sous l'influence de Cronos. Elle a su tenir jusqu'à la fin. Enfin, peu importe. Maintenant que je suis devant ma proie, je vais pouvoir décider. Vivre, ou mourir, telle est la question. La dernière avant qu'un choix ne soit fait. Je tourne lentement autour de lui, le laissant me contempler. C'est étrange, je n'ai pas l'impression qu'il soit terrifié. Ma présence n'aurait aucun effet ? Je montre les crocs, et hérisse ma fourrure.

- C'est inutile. Je sais que vous n'attaquez pas les innocents.

Je n'en crois pas mes oreilles. Comment ? Il a confiance en moi, alors qu'il me suffirait de l'effleurer pour l'envoyer dans un cercueil ? Il est bien trop sûr de lui. Je suis décrite comme étant sauvage, après tout.

- Il connaît déjà notre univers, ajoute Iliane, et ne dira jamais rien de compromettant. Tu n'as pas besoin de le menacer.

- Pour une fois, elle a raison !

- Comment ça, pour une fois ? Tu veux qu'on se bagarre, Cod ?

- Avec plaisir, miss mégalo !

J'entend Hermès ricaner, amusé par cette dispute de couple. Car ça ne peut pas être autre chose. Ces chamailleries de gamins montrent leur lien. Si j'étais sous ma forme humaine, j'aurai souri, et abandonné l'affaire. Mais mon côté animal n'en a pas finit. Il est au courant de qui nous sommes, soit. Rien ne me garantit en revanche qu'il restera silencieux. En parlant de ça... Mon attention se porte de nouveau sur mon fils, qui n'a toujours pas bougé. Le dos courbé, le corps tremblant, il est bel et bien le plus affecté par la perte de Camille. Une fois rentré, il ne me parlera plus, c'est certain. Je serai un élément de sa vie à effacer. Que ne ferait-on pas pour la paix ? De toute façon, je n'ai plus longtemps à vivre.

- Iliane, marmonne Apollon, épuisé, tu devrais aller voir du côté de Sam.

L'apprentie déesse lance un sourire complice au dénommé Cod, et rejoint son ami sans plus tarder. Elle ne sait pas. Elle ne sait rien. À chacun de ses pas se rapproche une vérité qu'elle aurait préféré ne pas connaître. Le réveil de l'humain lui a fait perdre tout sens de la réalité. Un moment de joie après toute une série de malheurs ? Aphrodite, je te demande pardon. Pardon, que ta fille subisse toutes ces épreuves alors qu'elle n'a pas encore atteint ses quinze ans, et que je n'y puisse rien. C'est sa destinée. Et malheureusement, il lui reste tant à supporter. Garder ses deux pouvoirs malgré une première mort ne sera pas sans conséquences. Et à ça se rajoute la découverte du cadavre de Camille. En comparaison, la vie peut être bien plus cruelle que moi.

- Sam, qu'est-ce qui ne va...

Hermès pousse un soupir, et détourne les yeux, accablé. Qui ne le serait pas, en voyant la réaction de l'apprentie déesse ? Plus aucun mouvement ne l'anime. Elle aurait pu s'arrêter près de Sam. À deux, le choc aurait pu être plus facile à porter. Mais non. Ici, immobile face à une situation qu'elle ne soupçonnait pas, elle est seule. Définitivement, seule. Son sourire était lumineux, son humeur, heureuse. Avant d'apercevoir ce que la joie d'avoir retrouvé Cod lui avait caché. Même dos à moi, la tempête qui se prépare en elle est palpable. L'atmosphère se charge d'électricité, au point que même le seul être non divin le remarque. Son air confiant se change en anxiété, tandis qu'il se lève et rejoint Iliane.

- Qu'est-ce qui... s'est passé ?

La voix hachée de la jeune fille semble sortir Sam de sa torpeur. Il se met lentement debout, et la fixe en silence. Son visage est dépouillé d'émotions, comme si Camille les avait emportées avec elle. Il semble... Vide. Se remettra-t-il de cette mort ? Qui sait, il pourrait bien mettre fin à ses jours dans l'unique but de la rejoindre. Après tout, l'amour a ses raisons que la raison ne connaît pas.

- Tu ne me diras rien ? fulmine l'adolescente, les poings serrés

- Tes pouvoirs. Sans eux, elle serait encore en vie.

Chaque mot à la lourdeur d'une ancre. Ils tombent et hurlent à qui veut l'entendre la responsabilité d'Iliane dans ce drame. Alors qu'elle n'aurait jamais souhaité ça. Il ne se rend pas compte. La force de ses paroles est bien plus affligeante que n'importe quelle blessure.

- Tu oses me traiter de meurtrière ? Je n'ai jamais rien fait qui puisse provoquer une telle horreur !

- Elle a contrôlé ton corps, siffle Sam, une lueur accusatrice dans le regard. Le temps d'enfermer Cronos en elle grâce à ta magie, et de toucher au poison d'Artémis, c'était terminé.

Toute force quitte le corps de l'apprentie. Il n'en faut pas plus pour que Cod se précipite auprès d'elle, et ne la rattrape avant qu'elle ne s'effondre. Bon timing, humain, mais ça ne changera rien à son état. Si les mots de mon descendant ont ouvert une profonde brèche dans son coeur, l'impression d'être fautive doit être son principal cauchemar.

- Tu n'y es pour rien, Iliane, affirme Poséidon. Quelqu'un devait y passer, et Camille a choisit sa voie. Vous êtes toutes les deux nos héroïnes.

- Tout ce que je retiens, crache mon fils, c'est que vous, vous n'avez rien fait du début à la fin.

En une seconde, Apollon est près de Sam. Il le domine de toute sa hauteur, appuyé par l'aura qu'il dégage. Jamais les paroles qu'il a prononcé n'auraient dû s'échapper de ses lèvres. Que justice soit faite. Comme pour répondre à ma requête, un son résonne aussitôt au travers des environs, sec, distinct de tout. Une gifle méritée. La perte d'une personne aimée ne donne en aucun cas le droit de manquer de respect.

- Agis comme un adulte, au lieu de nous reprocher de l'être. Tu nous dit inutiles ? Nous n'avons pas menti, trahit, ni même participé à la destruction de villes et de vies humaines. Peux-tu en dire autant ?

Je n'aurais pas dit mieux. Mon frère pousse un soupir exaspéré, et fait volte-face, ignorant royalement la stupéfaction de sa cible. Accuser les autres à cause d'un reproche envers soi-même n'est pas et ne sera jamais la bonne solution. Surtout lorsqu'on a soutenu une cause ennemie.

- Hermès, marmonne Poséidon, tu pourrais nous téléporter directement à la salle du Conseil ?

- C'est comme si c'était fait !

Le dieu des voleurs joint ses deux mains, et ferme les yeux. Une lumière jaillit instantanément au creux de ses paumes, s'allongeant de plus en plus jusqu'à former un fin cylindre. Deux étincelles s'entrelacent autour de lui, pareils à des corps de serpents, surmontée d'une paire d'ailes brillant encore plus intensément. Le fameux caducée, le bâton d'Hermès, symbole du commerce et du transport. Rien que de plus simple que de l'effleurer pour se retrouver à n'importe quel endroit.

- Le bus magique est prêt ! En voiture les jeunes !

- Où tu vois un bus?

- J'oubliais que tu n'as pas eut d'enfance digne de ce nom, Apollon, soupire Hermès. Ta culture des dessins animés doit être proche du zéro.

Mon frère ronchonne, mais ne tarde pas à se placer près de notre camarade, la main sur le bâton. Poséidon et moi les rejoignons en même temps, et les imitons. Plus que trois personnes. Au loin, des sirènes d'alarmes, affolées, se rapprochent de plus en plus. Il faut partir maintenant, et vite. Les humains sont imprévisibles, autant ne prendre aucun risque en restant trop longtemps ici. Déjà que l'immense vague du dieu de la mer a traversé la ville dévastée dans le plus grand des calmes...

- Bon, vous comptez dormir là ? s'impatiente Apollon, agacé.

Les yeux de Sam en disent long sur ses pensées. Une ou deux promesses de mort, au minimum. Néanmoins, il s'empare du corps de Camille, et se dirige vers nous. Après quelques secondes d'hésitation, il finit par toucher du bout des doigts le caducée. Son silence me donne l'impression qu'il a de sombres projets en tête. Je ne souhaite pas supprimer mon fils, mais si ses fins visent la destruction de l'Olympe, je n'aurai pas d'autre choix que de mettre un terme à ses plans par la violence. Enfin, si je suis encore en vie pour m'en occuper.

- Iliane ?

L'apprentie sursaute. Il fallait bien la voix d'Hermès pour sortir la jeune fille de son hébétude. Cod l'aide à se relever, mais tient fermement sa main dans la sienne. Je vois. Sam le remarque aussi, et lance un regard noir au garçon. La situation que je redoutais est arrivée. Il va falloir choisir. Elle ne vient pas du monde humain, ne le connaît que dans les livres, et se retrouverait seule si celui à qui elle tient l'abandonnait. L'Olympe est bien plus rassurante. Alors, amour ou patrie ? Cœur, ou raison ?

- Iliane, vivre ici est impossible pour ceux qui n'y sont pas nés, martèle Poséidon. Ton pouvoir te l'en empêche. Dépêche-toi, ils peuvent arriver à tout moment !

Il ne manque qu'elle. Mais son visage trahit son dilemme. Cod resserre davantage sa prise, attirant son attention. Et cela suffit. Ses pupilles emprisonnent celles de l'adolescente, en une prière muette auquelle elle ne peut se soustraire. Pendant combien de temps se sont-ils côtoyés ? Une semaine ? Voir deux ? Qui sait, peut-être plus, je ne sais pas grand-chose de leur relation. À part que le lien qui les unit semble fort. Beaucoup trop fort, pour que leur connexion s'arrête là, sur un au revoir et une séparation sans espoir de retour.

- Je sais que nous n'avons que quatorze ans. Je sais aussi que nous ne sommes pas du même milieu. Mais je... Enfin, ça n'empêche pas que je tienne à toi.

Hermès est à la limite d'éclater de rire. Et il y a de quoi. Déjà, le fait que la voix de Cod sente à plein nez la gêne. Alors, si en plus Iliane et lui rougissent comme des enfants, la scène ne peut être que drôle. De vrais gamins. Je dirai même que c'est mignon. Aphrodite et Hadès auraient aimé la voir sourire ainsi. Assister à la première relation sérieuse de leur fille avec un garçon, le bras de fer entre lui et le père, les conseils de la mère... Le rôle de tout parent responsable et aimant. Ils l'auraient endossé à merveille.

- Avec tous les événements que j'ai traversé, avoue l'apprentie, j'étais obnubilée par la vengeance. Maintenant que tout est finit, je me rend compte à quel point tu manqueras si je remonte là-haut.

Si la situation continue, le baiser entre eux deux aura lieu, et Sam ne pourra plus se contenir. C'est là qu'on voit son côté possessif. Soudain, l'ambiance change radicalement. Un périmètre nous entoure, nous coupant du reste du monde par une épaisse brume noire. Qu'est-ce qui se passe ? J'ai beau tendre l'oreille, les humains sont encore trop loins pour être fautifs. Pourquoi ici et maintenant ? Décidément, la Terre n'est pas un endroit tranquille. Apollon me jette un coup d'œil inquiet, avant de revenir à Iliane pour lui crier quelque chose. Sûrement un "viens ici !" ou "nous allons partir !". Mais il ne pourra jamais le faire. Ses mots se coincent dans sa gorge, tandis que la jeune fille tombe dans les bras de Cod, inanimée. Une forme sombre sort peu à peu de son corps, répandant une atmosphère encore plus glaciale. Une ombre.

Enfin, non. Pas une ombre. C'est bien plus que ça. Plus forte, plus intelligente, plus mortelle. Une apparence humaine, un charisme imposant. C'est Ombre. Le pouvoir suprême, venu tout droit du royaume des Enfers. Alors que tout prédisait le bonheur de l'adolescente, Ombre a choisit cet instant pour apparaître. Ça ne peut signifier qu'une chose.

- Il est temps de payer.












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Du Cod x Iliane, ça faisait longtemps !
Bon, c'est pas encore la joie absolue, mais on approche de la fin !
J'espère que ce chap vous aura plu :3

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