Chapitre 20 : Vie perdue
Point de vue de Zeus
Je rejoins Paul, l'air vibrant à chacun de mes pas. Mon frère, Hadès, me regarde comme si j'étais quelqu'un d'autre. Un fantôme, un imposteur, mais non. Je suis bel et bien moi, et si je suis ici, c'est pour mettre au clair ma décision. La plus brillante idée qui m'ait traversé l'esprit, celle qui ne m'a plus lâchée depuis des siècles. C'est seulement maintenant qu'elle est sur le point de se réaliser, alors, si je dois compter mon frère en tant qu'ennemi, je le considérerai en ennemi jusqu'au bout. Lui-même a l'air d'hésiter à me considérer comme un rival. C'est ce qu'il y a de mieux à faire, frangin. Si nous oublions nos liens de sang, il n'y aura pas d'effusions inutiles, juste une fin, la sienne ou la mienne. Satisfait de l'atmosphère entre mon frère et moi, Paul disparaît dans le sol à l'aide de son ombre, nous laissant définitivement seuls. Il est temps de passer aux choses sérieuses.
- Je vois que tu as fait le ménage, dis-je en examinant les moindres recoins de la salle. Comment vas-tu depuis le dernier Conseil des Cieux ?
- Je vais parfaitement bien. Ne me fais pas perdre mon temps et arrête toute cette folie.
- Cette folie ? Tu veux parler de la meilleure idée de tous les temps ? Les humains ne nous sont pas utiles. En revanche, leur territoire l'est.
- Nous avons notre terrain, et ils ont le leur, répliqua Hadès. Nous veillons sur eux, et eux veillent sur nous en nous faisant vivre a travers les livres. De plus, si nous tuons les humains, nous n'aurions plus de descendance.
Mon cher frère... Pensait-il vraiment que je n'avais pas pensé à tout cela ? La survie grâce aux ouvrages, la descendance... Quoi de plus simple que de tuer une bonne partie des humains, et de n'en garder que les hommes et femmes de lettres ? Ensuite, leurs enfants seraient des humains, et eux pourraient écrire des histoires à notre sujet, nous donnant plus de vie et de puissance que jamais. Car oui, pour garder notre immortalité, des humains doivent régulièrement écrire à notre sujet. Voilà pourquoi de nombreux dieux mineurs sont morts, leur noms demeurant inconnus aux yeux des mortels. Ce pouvoir d'écriture leur est propre, même nous ne pouvons faire une telle chose. Ça me rend malade de penser que des êtres si insignifiants peuvent nous faire vivre ou nous tuer ! Leur territoire est si vaste, pour tant d'imbéciles ! Les voir s'entretuer me rendait furieux au début, mais à travers les siècles, j'ai finis par comprendre que c'était dans leur nature. La Terre était si belle avant que tous ces progrès technologiques ne viennent la souiller... Ils ne la méritent pas. Nous, les dieux aux pouvoirs sans limites, ne craignant personne, sommes les mieux placés pour veiller sur ce territoire.
- Mon frère, ne soit pas obsédé par ta conquête de territoire. Les humains aussi ont le droit de vivre.
- Non, je ne le permettrai pas.
Hadès se mit à rire. Son regard, auparavant stupéfait, devint plus dur. Cela faisait des années que je n'avais plus vu cette expression. A cet instant, il méritait vraiment son titre de dieu des Enfers : même son redoutable Cerbère, un terrible chien à trois têtes, paraissait inoffensif à côté de lui. Je vis ses ombres l'entourer comme si elles cherchaient à le protéger. De quoi ? Ou plutôt, de qui. Apparemment, j'étais le danger. Bien vu. Cependant, il ne semblait pas vouloir se battre. Pas encore. Il n'allait pas attaquer physiquement, l'oral lui avait toujours réussi, surtout lorsqu'il s'agissait de remettre en question l'adversaire.
- Je le savais, jeta t'il calmement. Tu fais tout ça par amour pour elle.
- De quoi parles-tu ? Tu as perdu la tête ?
- La seule femme que tu ait jamais aimé. Tu sais de qui il s'agit. Au...
- Ne prononce pas son nom, ou je jure sur mon nom que je t'arrache les yeux.
Il s'en souvenait. Des siècles étaient passés, et il s'en souvenait. La deuxième raison, celle qui m'avait poussé à penser de cette façon. Les humains avaient beau salir la Terre comme bon leur semblaient, je n'aurais pas eut l'idée de les détruire si il n'y avait pas eut Auriane. Une humaine aux yeux de ses semblables, une véritable déesse pour moi. Une histoire d'amour qu'on aurait pu qualifier d'idyllique, qui s'était terminée en bain de sang. Et cette relation qui m'était si chère, Hadès n'en avait rien oublié, je pouvais le deviner rien qu'à son regard dégoûté.
- Alors, tu vas assassiner une majorité d'humains pour la venger ? Et les innocents dans tout ça, tu y as pensé ?
- Tu connais tout le passé, absolument tout depuis le début. Seul un gamin aurait cette volonté de tout détruire alors que seul un petit groupe est responsable. Je suis un dieu, un homme avant tout, et je sais ce que je fais.
- Tu sais ce que tu fais ? me demande Hadès, peu convaincu. Alors, explique moi clairement pourquoi faire un génocide.
- C'est très simple. Ils pourraient nous tuer, ils en ont le pouvoir. Regarde ce qu'ils font subir à leurs propres terres. Ils sont capables de tout. Tue avant d'être tué. Que crois-tu, que je ne ressens jamais la peur ? Cette idée de mourir, ou même de vous voir disparaître un à un, tu crois que je n'y ai jamais pensé ? J'en ai fait des cauchemars, je les imagineais, se détournant de nous, nous laissant crever comme des objets dont on ne veut plus. Je suis devenu paranoïaque, je vous voyais sombrer sans pouvoir rien y faire. Il n'y a rien de pire que l'impuissance. Et tout ça, à cause d'eux. Nous obtiendront ce qu'ils ont. Nous les obligerons à nous faire vivre. Ceux qui s'opposeront a nous mourront.
Le temps des blagues échangées entre deux verres est loin. Durant l'Antiquité, notre existence avait été au coeur des croyances, des légendes et des pensées humaines. Nous étions les créateurs, les bienfaiteurs, ceux qui veillaient sur leurs vies et étaient choyés en retour. Cette époque où nous étions importants s'était peu a peu dissipée, et depuis, c'était à celui qui disparaîtrait en dernier. Je ne voulais pas de ça. L'Homme avait recommencé à écrire à notre sujet, mais la plume qu'il maniait restait aléatoire. A tout moment, il pouvait décider que cette "mode mythologique" n'avait plus lieu d'être. Un choix banal, ça arrive tout le temps, diraient-ils. Sauf que cette fois, notre vie à tous disparaîtrait. Alors, autant agir avant qu'une telle situation n'arrive.
- Je vois, marmonne mon frère. Ton jugement a du sens. Cependant, je ne peux toujours pas te laisser faire, tuer une grande partie de ce peuple pourrait l'éradiquer entièrement.
Si Hadès accepte mes arguments, il est toujours du côté de ces idiots. Soit. J'attendais ce moment avec impatience. Je me rapproche d'un pas, un éclair d'un mètre dans la main droite.
- Tu ne serais pas du côté des humains si tu savais ce qu'il se passe depuis quelques jours.
Le dieu de la Mort ne bronche pas, attendant que je finisse ma réplique. Et quelle réplique... Pauvre Hadès.
- C'est Aphrodite. Elle est train de disparaître.
Point de vue de Camille
- Ca... Camille... Hermès...
Je n'ai pas besoin d'en entendre davantage. La voix hachée d'Océane me traverse l'esprit et me fait reculer. Mais plus encore, c'est ce corps gorgé d'eau, qu'elle dépose à côté d'elle qui brise quelque chose en moi. Un espoir, une envie de vivre. Contrôlées par une force mystérieuse, mes jambes se précipitent vers l'infirmerie. Je ne peux pas contenir mes tremblements. C'est un cauchemar, je vais me réveiller dans mon lit, au chaud, et oublier tout ça. Je sens a peine les larmes monter. La seule chose qui traverse ma bulle de peur, ce sont mes pas sur le plancher. Iliane. Iliane. Oh God. Que s'est-il passé ? Qui avait bien pu... La blesser ! Et à ce point ! Du sang, du sang partout, son corps inanimé et meurtri... Oh God, si jamais je retrouve celui ou celle qui lui a fait ça... Je l'enverrai en Enfers ! J'accélère encore, portée par la rage, et me jette sur la porte. La salle réservée d'Hermès est interdite à tout public depuis plusieurs jours, et cela sans raison claire. Je n'ai pas le temps de m'attarder sur les rumeurs qui entourent cette soudaine décision. Je dois trouver le médecin attitré de l'Olympe !
- Camille ?
Aphrodite se relève, surprise. J'inspecte les lieux, mais aucune trace du dieu que je cherche. Oh God, Iliane va...
- Camille ? Que se passe-t-il ? Tu es pâle !
Pas autant qu'elle, en tout cas. Je n'avais jamais vu la déesse de l'Amour aussi peu en forme. Et dire que sa fille est dans un pire état ! Que puis-je faire ?! Je ne veux pas la perdre !
- Aphrodite ! C'est Iliane ! Elle est gravement blessée, il faut appeler Hermès !
La mère de mon amie se fige aussitôt. Ses yeux, étrangement ternes, s'agrandissent de stupeur, rallumés par une flamme de désespoir. Malgré son air de tigre furieux, je la sens faible. Le choc ? La peur ? En un mouvement Elle sort du lit dans lequel elle était et m'ordonne d'une voix dure :
- Conduis moi à elle ! Vite !
Je n'ai pas le temps d'en savoir plus, je dois lui faire confiance. Hermès n'étant pas là, Aphrodite devra s'en occuper. Je m'élance en chemin inverse, la déesse sur mes talons. Si Océane avait l'air épuisée, je sais néanmoins qu'elle est vivante. Ce n'est pas le cas d'Iliane. Rien n'est sûr, sa blessure est trop profonde pour être rassuré de son sort. Tout dépendra de la puissance de sa mère.
- Iliane. ILIANE !
Le cri d'un parent devant la mort de son enfant. Rien n'aurait pu être plus horrible. J'aide Océane à s'allonger, tandis qu'Aphrodite s'agenouille devant sa fille et la prend dans ses bras. Ses larmes ne tardent pas à couler sur le visage de sa protégée. Ses sanglots se transforment en gémissements horrifiés lorsqu'elle voit la taille de la blessure. Je détourne les yeux, incapable de regarder la réalité en face. Iliane n'y survivra pas.
- Iliane, ne t'inquiète pas, murmure sa mère, la voix de plus en plus faible. Vis, je t'en supplie.
Je vérifie l'état d'Océane, puis me tourne vers Aphrodite. Que... Son corps... Impossible... Mon sang se glace lorsque je comprend enfin ce que cachait Hermès. Les bras et les jambes de la déesse deviennent de plus en plus translucides. Ces symptômes sont connus de tous, ils sont le pire cauchemar des dieux. Aphrodite était oubliée des humains, elle disparaissait. L'infirmerie était son seul refuge pour que son état n'alerte personne... Mais alors... Non !
- Aphrodite ! Si vous utilisez votre pouvoir, vous mourrez !
Elle embrasse le front d'Iliane, le regard rempli d'amour, ainsi que d'un tout autre sentiment. La peur ? Non. L'acceptation. Elle sait ce qui l'attend. Elle le sait, et en accepte les conséquences. Lentement, comme si un adieu muet se transmettait à travers tout l'Olympe, elle ferme les yeux. Son corps se met à briller d'une lumière dorée, si intense que la salle entière s'illumine. Ses mains se posent sur la blessure, la recouvrent avec douceur. Ses gestes sont silencieux, fins, comme s'il elle maniait de la porcelaine. Sa peur de ne pas sauver sa fille ne font qu'augmenter sa puissance, à tel point que je ne peux plus rien voir tant la lumière devient forte. Je sais que de nombreux dieux mineurs sont morts, ignorés des humains, mais pas elle... Pas Aphrodite ! Je ne peux pas y croire !
- Camille ? me demande la déesse
- Oui ?
- Dis leur... Qu'il y a toujours un temps pour s'éteindre. Aujourd'hui, c'est mon tour. Je ne regrette rien.
- Aphrodite ! Vous n'allez pas...
- Dis aussi à Hadès que... Il était ma raison de vivre avec Iliane. Il l'était, il l'est, et le sera toujours. Je lui souhaite d'être heureux.
- Aphrodite ! Vous ne pouvez pas mourir !
La lumière s'efface brusquement. Je rouvre les yeux avec peine. Oh, God... Non... Je ne peux plus bouger. Pas avec une scène aussi terrible devant moi. Les jambes et les bras d'Aphrodite ont disparu. Son buste s'efface de secondes en secondes, comme si le temps voulait a tout prix lui prendre ses derniers instants au plus vite. Pourtant, malgré ses membres inexistants, la mère d'Iliane sourit encore. Un sourire confiant, aimant, celui d'une mère fière de sa fille. Une larme solitaire roule sur sa joue, mais cette fois-ci, ce n'est pas de la tristesse. Son regard se détache de sa fille et se porte sur moi. Son visage devient peu a peu translucide, mais ce qu'y se lit au fond de ses prunelles me frappe de plein fouet. À la toute dernière seconde, je perçois le message silencieux qu'elle me lance. Une phrase, quelques mots, trois à peine, c'est loin d'être un discours. Cependant, cela suffit. "Veille sur elle".
La pâle lumière qui éclaire les derniers instants de son visage se flétrit, telle une fleur fanée trop tôt, avant de s'évaporer en une poignée d'étincelles. Ces petites lumières étaient brillantes, pures, et jolies. A l'image d'Aphrodite. Et pourtant, tout comme elles, la déesse ne reviendra jamais.
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Heeeeey !
Un chapitre super joyeux hein ? x)
J'espère qu'il vous a plu, et que l'attente aura valu le coup pour ce chap ^^
Bon je vais dormir moi, j'ai passé ma nuit dessus !
Salut a tous !
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