Chapitre 8 : Rebel
Mia
J'entrebâille prestement le tiroir de la commode et en sort rapidement une boîte de médicament. Je l'examine quelques secondes avant d'arracher violemment l'ouverture de la petite boîte cartonnée. Mes mains tremblent et semblent maladroites. J'extirpe du carton une plaquette grise métallique, contenant ces gélules qui me sont familières. Mes doigts vacillent, s'agitant de frustration. Mes frémissements manquent de peu de me faire lâcher la plaquette, la faisant tomber sur le carrelage de la salle de bain.
Mon souffle est rapide et mon cœur bat à tout rompre dans ma frêle poitrine.
Cela fait trois jours que je suis totalement indépendante de mes médicaments. Je n'en ai pris aucun.
Pas un seul.
Je regarde avidement la plaquette de médicament avant d'exercer une pression sur l'un d'eux dans le but de le sortir de sa cage de plastique. Le fin opercule craque et laisse entrevoir la pilule blanche de forme circulaire. Mon cœur s'emballe dans ma poitrine et les contours de mes iris bleus deviennent rouges. J'ai l'impression d'être une toxico qui a été séparé pendant trop longtemps de sa drogue. D'être une ivrogne en manque d'alcool. Je sors la pilule et la dépose doucement au creux de ma paume brûlante. Je la scrute quelques instants avant de la faire doucement tourner entre mes doigts désireux. Je la tâte, comme pour essayer de me rappeler l'effet qu'elle a sur moi lorsque je l'ingurgite.
"Apaisement, calme et oublis".
Ce sont les mots qui me viennent immédiatement à l'esprit.
Je soupire doucement avant de resserrer fortement mes doigts contre ma paume, écrasant la gélule dans le creux de ma main. Que je le veuille ou non, je dois avouer que ces médicaments m'aident. Ils m'aident à supporter mes crises de folies, mes tendances dépressives. Ils m'aident à oublier.
Je ferme les yeux quelques instants et avale difficilement ma salive. Je sais que j'ai besoin de ce traitement pour me sentir mieux. C'est une certitude.
Mais peu importe le bien qu'ils m'apportent je ne veux pas qu'ils aient une quelconque influence sur moi. Je ne veux pas dépendre d'eux. Je refuse qu'ils prennent le contrôle.
J'avance rapidement vers le lavabo qui se trouve juste à coté de la commode de laquelle j'ai extirpé les médicaments. J'appuie ma main sur le rebord du lave-main et desserre doucement ma paume qui était, jusque la serrée. Je découvre alors que le cachet s'est transformé en une irrégulière poussière blanche à cause de la pression que j'ai exercée dessus. Je me mords vivement la lèvre inférieure avant de faire tomber les fines particules dans le lavabo.
Je ne veux pas céder à la tentation. Je peux réussir à aller mieux sans ces psychorégulateurs. Je sais que je le peux, il faut juste que je reste forte jusqu'au bout. Je fais tourner le robinet et l'eau transparente commence à couler doucement. Je passe ma main en dessous du liquide froid pour chasser l'intégralité des résidus de médicaments. Je soupire profondément et je sens mon rythme cardiaque se ralentir quelque peu. Je coupe l'accès à l'eau et essuie mes mains dans une serviette abandonnée sur le rebord de la baignoire. Je remets rapidement la plaquette de médicament dans son étui et le lance négligemment dans le tiroir toujours ouvert.
Je sors promptement de la salle de bain en claquant la porte derrière moi. Je me dirige ensuite vers ma chambre pour me reposer un peu. Mon état m'épuise un peu plus chaque jour et une sieste me ferait le plus grand bien. Mais alors que j'étais presque arrivée, une voix derrière moi m'appelle. Je reconnais la voix douce mais distinguée de ma mère:
« Mia, dit-elle. »
Je fronce fortement les sourcils avant de m'arrêter de marcher. Je me retourne pour lui faire face et je remarque qu'elle avance vers moi.
« Quoi? lançais-je, d'un air détachée. »
Elle passe doucement sa main dans ses cheveux blonds, rassemblés sur le haut de son crâne dans un chignon sophistiqué. Ses lèvres rosées sont fermement pincées l'une contre l'autre et elle se tient incroyablement droite. Par son allure élégante et impeccable, je peux deviner qu'elle vient de finir de se préparer.
Le bas de son chemisier blanc tout simple, est plongé dans sa jupe serrée de couleur grise. Et je suis presque sûre que ma psy et ma mère s'habillent dans les mêmes boutiques, tant leur style vestimentaire est similaire.
Elle s'approche encore de quelques enjambées avant de s'arrêter. Elle est maintenant à moins d'un mètre de mon corps encore tremblant. Ses sourcils froncés donnent à ses yeux bleus un air inhabituellement sévère et intransigeant.
« Je me disais que tu pourrais peut être aller à la foire cette après midi, histoire de te changer les idées, répond-elle. »
Mon visage s'altère soudainement. Il passe d'un air neutre à un air incompréhensif, déformant mes traits de manière presque disgracieuse.
« Tu veux que j'aille à la fête foraine? demandais-je, comme pour me confirmer ce que je venais d'entendre. »
Elle acquiesce doucement avant de s'éclaircir la voix.
« Ça te ferait vraiment du bien, tu sais.
-Je ne crois pas que ce soit une bonne idée maman. »
Elle passe doucement sa main dans mes cheveux d'un noir intense. Elle s'amuse à faire glisser mes mèches entre ses doigts avant de reprendre:
« Tu es restée enfermé pendant tout le week-end ma chérie. Prendre l'air te ferait le plus grand bien, tu ne penses pas?
-J'ai d'autre chose à faire, maman. Je ne peux pas sortir.
-Qu'est-ce que tu as prévu de faire? Te torturer l'esprit? Te remémorer tout un tas de souvenirs néfastes ou encore ranger ta chambre de fond en comble comme tu le fais trois fois par semaine? C'est ce que tu veux, Mia? Tu veux passer ta journée à te morfondre? Si tu restes là c'est ce que tu vas faire, soupire-t-elle.
-Qui te dis que je me sentirais mieux dehors? Tu penses vraiment que sortir peux m'aider à aller mieux? »
Je rigole presque à ma propre remarque, comment pouvait-elle être si ignorante? Comment pouvait-elle penser qu'une maladie mentale était si simple à guérir ou a apaiser? Comment pouvait-elle prendre cette histoire autant à la légère? Je marque une courte pause avant de reprendre:
« S'il était si facile d'aller mieux je serais guérie depuis longtemps, criais-je, presque. Mais si tu t'étais, ne serait-ce qu'un peu renseignée ou même intéressée à ma maladie, tu saurais que la guérison est très longue et demande beaucoup d'effort! Une simple promenade ne changera rien.
-Mia, calme toi. Je ne voulais pas t'énerver. Ta psy m'a juste dit que sortir et voir du monde t'aiderait à aller mieux, ma chérie.
-Si elle a des conseils à me donner elle n'a qu'à me les dire directement! Je n'ai pas besoin que tu sois notre intermédiaire! Et d'ailleurs, depuis quand parles-tu avec ma psy?!
-Depuis que tu as volontairement manqué un de tes rendez vous avec elle, répondit-elle froidement. »
Je soupire profondément. Je sais très bien que ma mère ne m'a pas excusé mon écart de conduite. Je sais qu'elle attend que je sois une fille modèle, parfaite et tout ce qui s'en suit. Mais ce n'est pas moi. Ce n'est plus moi, du moins. J'ai arrêtée d'être cette fille clichée depuis ce qu'il s'est passé et je ne veux le redevenir sous aucun prétexte. Je plonge mon regard dans celui de ma mère et lui dit:
« J'irai. Mais promets-moi de me laisser tranquille après. »
Elle affiche un sourire satisfait avant d'hocher la tête. Je lui rends son sourire avant de me retourner et de me diriger vers ma chambre. Mes pas sont lents, épuisés. Une fois arrivée je m'engouffre dans la pièce et me laisse lourdement tomber sur mon lit moelleux. J'enfonce ma tête dans mon oreiller en plume et lâche un grognement.
Mes rapports avec ma mère ont toujours étaient très tendus mais j'ai l'impression qu'ils le sont plus de jour en jour. Chacune de nos conversations se finit en drame...
Et même si ce qu'elle dit est en parti vrai, elle a une manière de l'exprimer qui me met hors de moi. Je n'arrive pas à me contrôler lorsqu'elle me dit des choses si crues. Elle se permet même de sous estimé la gravité de mon trouble mental.
Je ne peux pas dire que tout est de sa faute étant donné que je ne fais aucun effort pour améliorer notre relation. Je me demande juste pourquoi elle est devenue si glaciale. Pourquoi doit-elle être si froide lorsqu'elle discute avec moi? Pourquoi lorsqu'elle me parle c'est uniquement pour aborder des sujets si délicats?
J'ai eu beau chercher, je n'ai jamais trouvé d'explication valable. D'ailleurs à part son comportement froid et distant elle est toujours la même.
A moins qu'elle cache ses sentiments... Peut-être se mure-t-elle derrière un masque pour éviter de sombrer.
"Finalement peut-être que je ne suis pas la seule à être affectée par ce qu'il s'est passé cette nuit là. Cette nuit qui remonte à il y a trois ans..."
*
Les claquements de mes semelles contre le bitume froid résonnent dans la ruelle londonienne dans laquelle je marche. Je tiens fermement le manche de mon parapluie dans ma main droite, pour m'abriter de la douce pluie qui s'abat sur la ville. Le bruit des clapotis que font les gouttelettes s'écrasant contre la toile de l'ombrelle, ressemble à celui d'une douce mélodie. Mais, même en dépit de l'atmosphère humide, le ciel reste bleu, ce qui rend le temps très agréable.
J'arpente rapidement la rue, sans vraiment savoir où je vais. D'après ma mère, la foire ne se trouve qu'à dix minutes de chez nous. Je me souviens qu'elle a également ajouté que je ne devrais pas avoir trop de mal à la trouver avec tous les bruits et les lumières multicolores qui en proviennent.
Je soupire profondément avant d'enfouir ma main libre dans la poche de mon manteau. Je ne sais toujours pas pourquoi j'ai accepté d'y aller. J'ai toujours détesté la fête foraine. Je trouve ça inutile et enfantin. En plus de ça, aucune attraction ne me plait jamais. Même lorsque j'étais petite je ne faisais aucun manège. Je me contentais de me promener entre les stands de barba papa et de pommes d'amour, en affichant un sourire niais.
Alors que je continue de marcher, j'aperçois une pancarte cartonnée indiquant que la fête foraine se trouve à trois cents mètres sur la droite. Je soupire de soulagement, contente d'apprendre que j'ai utilisé le bon chemin jusqu'ici. J'emprunte la rue correspondant aux indications de la pancarte et continue d'avancer doucement. Je grimace lorsque je me rends compte que la pluie se trouve maintenant face à moi à cause du vent. Mes cheveux sont immédiatement propulsés vers l'arrière, alors que j'essaye de me protéger avec mon parapluie. J'ai beaucoup de mal à avancer à cause de la force qu'exerce le vent contre moi. Je trottine le plus rapidement possible jusqu'à la fin de la rue où je tourne à gauche. Dans cette allée, le vent ne m'arrive plus de face ce qui est bien plus confortable. J'aperçois alors au fond de la rue l'entrée de la fête foraine. Ma mère ne s'est pas trompée, je peux entendre la musique d'ici. Je soupire avant de reprendre mon chemin pour enfin arriver à la foire. Plus je me rapproche et plus la musique entêtante est forte. J'arrive enfin au niveau de l'entrée, qui est illuminée par des centaines de néons jaunes. Je dois avouer que je trouve ça extrêmement kitsch. Je ferme les yeux quelques instants avant de me décider à pénétrer dans l'espace rempli de joie, de sucreries et d'attractions. Je regarde de droite à gauche, comme pour analyser l'endroit dans lequel je viens d'arriver. Je suis surprise de remarquer que rien n'a changé depuis la dernière fois où je suis venue. La seule chose qui est différente, c'est que aujourd'hui je suis venue seule...
*Flash Back*
« Je ne peux pas y aller, c'est bien trop haut, lui dis-je. »
Je l'entends longuement soupirer à côté de moi et elle laisse échapper un petit grognement. Je me recule quelque peu, impressionnée par la grandeur de la roue qui s'élève devant moi. Elle est tellement grande que j'ai l'impression que son sommet touche le ciel.
Je ne veux même pas imaginer ce que l'on doit ressentir lorsque l'on est tout en haut. Ça doit être extrêmement stressant. Rien que de l'imaginer, j'en ai la chair de poule. La structure ronde paraît solide mais je sais que je ne pourrai jamais supporter l'idée d'être aussi loin du sol. Je fronce les sourcils avant de reporter mon attention sur mon interlocutrice.
« Tu sais bien que j'ai peur du vide, Kate, continuais-je. Je ne peux pas aller la dedans. »
Elle pose ses yeux sur moi. Ses iris de couleur azur deviennent glaciaux. Elle s'approche doucement de moi alors qu'elle affiche un sourire quelque peu spécial. Je déteste ce sourire. Elle passe sa main dans la longueur de ses cheveux châtains avant de la déposer sur mon épaule.
« Écoutes-moi, Mia. Si je suis venue ici, c'est pour faire des attractions et m'amuser. Pas pour discuter avec toi. On aura tout le temps de faire ça une autre fois, d'accord? Là, je vais aller faire la grande roue. Avec, ou sans toi. »
Le ton extrêmement calme qu'elle avait employé pour me dire ces mots, me fit frémir. Sa voix était douce mais son regard trahissait ses pensées. Je sais qu'elle est énervée. Je sais qu'elle déteste que je lui dise non. Elle déteste l'opposition.
« On pourrait peut être choisir une autre attraction? Qu'en penses-tu? On pourrait faire le train fantôme ou...
-Je veux faire la grande roue, c'est clair? Si tu ne veux pas le faire, j'irai seule. »
*Fin du Flash Back*
Une boule se forme dans ma gorge et je sens les larmes s'accumuler dans mes yeux. Je contracte ma mâchoire et sers fortement mes doigts autour du manche du parapluie. Être ici m'est insupportable. Repenser à elle est insupportable. Cet endroit détient trop de souvenirs. De mauvais souvenirs. Je n'aurais jamais du accepter de revenir ici. Je savais que ce n'était pas une bonne idée.
Je laisse tomber mon bras, me fichant du frottement qui se produit lorsque la toile du parapluie rencontra le sol. J'ai l'impression d'avoir été réduite à néant. J'ai l'impression d'avoir été vidée de toute ma force en un claquement de doigt. Je cligne des yeux et une larme s'en échappe. Elle coule sur ma pommette, dévale le long de ma joue et meurt à l'encontre de ma bouche entrouverte.
Je me retourne prestement, refaisant face à l'entrée par laquelle je viens d'arriver. J'essuie rapidement ma joue encore humide et m'enfuis. Je ne supporte plus l'idée de rester dans cet endroit, ça devient étouffant.
Pourquoi avait-il fallut qu'elle m'abandonne?
Je cours le long de la rue sans me préoccuper des regards des personnes qui m'observent. Je veux juste m'éloigner le plus loin possible de cet endroit. Je me fiche que les autres me trouvent bizarre. Ils ne peuvent pas comprendre ce que je ressens.
J'emprunte un chemin différent de celui que j'avais pris à l'aller. Je ne veux pas rentrer chez moi maintenant. Je n'en ai pas la force.
Je préfère aller au parc. C'est un endroit apaisant et sans aucun souvenir douloureux. Je vais souvent là-bas quand je vais mal. C'est comme un petit endroit secret.
Lorsque j'aperçois enfin les barrières qui délimitent le jardin public, je me sens soulagée. Je rentre dans le square et vais m'asseoir sur le premier banc que je vois. Mon souffle est court et mon cœur bat la chamade. Mon visage est noyé par les larmes et est déformé par la douleur. Je me déteste tellement de n'avoir rien fait pour empêcher ça. J'aurai du faire quelque chose.
Je replie mes jambes et viens les caler contre ma poitrine. Mes cheveux mouillés collent à ma peau humide. Je frisonne. Je commence à avoir froid. Mon manteau est imbibé d'eau de pluie et mes chaussures sont détrempées.
Je plonge mes deux mains dans mes poches pour essayer de me garder au chaud. Je ne sens presque plus mes doigts. Je referme mes mains en poing dans mes poches, c'est alors que je sens comme un morceau de papier dedans. Je relève soudainement ma tête, un sourcil haussé. Je ne me rappelle pas avoir laissé un morceau de feuille à l'intérieur de cette poche. Je l'attrape entre deux doigts et l'extirpe du renfermement. Je le déplie et je reconnais le bout de papier qu'avait laissé ce garçon dans le livre de ma psy.
"Si tu as envie de me parler, appelle-moi. - H"
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