Chapitre 10: The boy.
Je reste immobile. Figée devant l'entrée de cette grande maison, incapable d'y entrer. Je demeure là, impassible, les yeux fixés sur l'immense façade de la bâtisse blanche. Je n'arrive plus à bouger. Plus à avancer.
Je n'ai pas envie de la voir, je ne sais même pas de quoi je vais lui parler. Je n'ai plus envie de supporter ces rendez-vous hebdomadaire avec ma psy. Ça m'exaspère. Rien que l'idée d'entendre sa voix nasillarde m'infliger des remontrances me donne envie de vomir. Et même si je sais que je dois y aller, que je dois la laisser m'aider, je n'en ai pas envie. J'en ai marre de faire tous ces efforts. De faire tout ça pour rien. Toutes les semaines c'est la même chose. Elle passe son temps à rabâcher ses théories et ses opinions sur ma situation alors que je reste assise dans son fauteuil miteux à l'écouter sans réagir. Sans oublier toutes les questions qu'elle me pose, qui sont beaucoup trop personnelles à mon goût.
Je ne sais pas ce qui se passe en ce moment mais j'ai l'impression d'être de retour à la case départ. J'ai l'impression que tous les efforts que j'ai fournis n'ont finalement servie à rien. J'ai la douloureuse impression d'être complètement impuissante face à cette maladie. J'en suis la victime et elle m'inflige tout ce qu'elle désire. Elle a le contrôle absolu et je ne peux rien faire. Rien ne peut la contrôler.
Je soupire alors que la neige continue de s'accumuler doucement dans mes cheveux bruns rebelles. La couleur foncée de mes mèches contraste parfaitement avec la couleur claire et pure des flocons de neige. Mes yeux s'attardent encore quelques instants sur la maison avant de scruter les alentours. J'aperçois la ruelle de droite, celle par laquelle je viens d'arriver. Mes yeux ne la quittent plus, comme si je venais de me rendre compte que je pouvais m'en aller. Que je pouvais emprunter à nouveau cette ruelle et partir pour échapper au rendez-vous, une fois de plus.
C'est vrai, il me suffirait de rebrousser chemin pour y échapper. J'aurais juste à faire quelques pas et je serais libre.
Libre d'aller où je veux...
Mais même si la liberté semble si facile d'accès je ne ferais rien. Je ne ferais rien car je sais que si je manque encore un rendez vous avec ma psy, ma mère ne me le pardonnera pas. Et elle m'escortera toutes les semaines jusqu'ici et restera jusqu'à ce que je rentre dans cette maison pour être sure que je ne manque pas une fois de plus le rendez-vous.
Il ne me reste qu'une chance. Je veux la garder pour une situation majeure. Un jour où je donnerais tout pour éviter d'aller voir ma psychiatre.
Je pince durement mes lèvres et avance, tête baissée, vers le portillon entrouvert. Je pose ma main sur l'interphone et appuie sur le gros bouton gris central. J'attends quelques secondes, durant lesquelles j'entends un grésillement sortir de l'interphone, avant d'entendre la voix d'Amy.
« Oui? dit-elle.
-C'est Mia.
-Tu peux entrer, tu devras peut être patienter un peu, je suis légèrement en retard. »
J'hoche la tête en guise de réponse même si je sais qu'elle ne verra pas mon signe. Je retire mon doigt du bouton et pousse la grande grille verte. Je pénètre dans le grand jardin enneigé qui précède l'habitation. La fine couche de neige qui recouvre le sol craque sous mes pieds à chacun de mes pas. J'aime le bruit que ça fait, je trouve ça apaisant et agréable. J'emprunte le petit chemin de pierre qui serpente dans l'herbe maculée de flocons et arrive devant les quelques marches qui me séparent de la porte d'entrée. Je prends une grande inspiration et gravis les escaliers de pierres froides. J'arrive devant la porte et l'ouvre sans gène, pénétrant dans l'imposante habitation. Je marche le long du couloir, qui a surement été fabriqué exprès pour séparer la maison du cabinet et je monte à l'étage. Je me dirige ensuite avec nonchalance, vers la salle d'attente, qui j'espère, est vide. Je sais qu'il n'y a aucun autre patient à cette heure là, mais il arrive que les familles restent dans la salle d'attente durant le rendez-vous de leur proche. Je prie intérieurement pour que, quand j'ouvrirai la porte, la salle soit inoccupée. Je pose ma main sur la clenche et la tourne doucement tout en poussant la séparation de bois. Je soupire de soulagement lorsque je me rends compte que personne d'autre n'est là. Je m'arrête un instant et regarde l'intégralité la pièce pour voir où je vais à m'asseoir. J'opte pour une chaise de couleur rouge qui parait confortable. Je m'assois calmement sur le siège puis pose mon sac sur mes genoux. J'en extirpe délicatement le gros livre bleu avant de refermer rapidement ma sacoche et de la dépose sur le parquet ciré. Je regarde intensément la couverture du gros bouquin et retrace délicatement le contour des lettres qui se trouvent dessus, avec mon index.
Je n'ai pas eu le courage de terminer ma lecture. Je n'ai pas voulu lire le dernier chapitre car je sais que si l'histoire se finissait bien, j'en deviendrais malade. C'est juste un truc d'écrivain ça. Faire de belles fins qui émerveillent les lecteurs qui se disent malheureux car ils sont célibataires ou parce qu'ils n'ont pas pu assister à la finale de basket. C'est juste un truc qu'ils utilisent pour redonner de l'espoir aux hommes.
Mais les fins heureuses, ça n'existent pas.
Je chasse une de mes mèches qui me tombait sur le visage derrière mon oreille et ouvre le livre à la première page. Celle où il y a écrit en grand le titre "Troubles Bipolaires". Je pose le gros livre sur mes genoux puis je plonge ma main dans la poche de mon manteau et farfouille à l'intérieur. Quand je sens un petit bout de papier je l'attrape et le sors habillement du petit endroit où il était enfermé. Je le déplie précautionneusement et lis ce qu'il y a écrit dessus. " Si tu as envie de me parler appelle moi. -H" précédé de son numéro de téléphone. Je prends mon portable et crée un nouveau contact sous le pseudonyme de "H" puis y entre son numéro. Je l'ai appelé "H" car je ne suis pas sure de savoir comment il s'appelle. Je crois avoir déjà entendu un de ses amis l'appeler "Harry" mais je n'en suis pas certaine alors je mets "H". Je replie le papier et je ne peux m'empêcher de sourire. Je ne sais même pas pourquoi j'ai entré son téléphone dans mon portable. Je veux dire, je pense qu'il ne me servira jamais... Mais bon, on va dire qu'il a été gentil et qu'il mérite que je garde son numéro même si je ne l'utiliserai sûrement pas.
La porte s'ouvre soudainement sur ma psychiatre qui m'adresse un grand sourire. Elle me fait un léger signe de tête m'indiquant de la suivre avant de dire:
« Je suis prête, Mia, on peut y aller. »
Je ferme précipitamment le livre et je ne me rends pas compte que le petit bout de papier est resté à l'intérieur, prisonnier entre la couverture et la première page. Je range mon portable dans ma poche avant de me lever, le livre dans une de mes mains, mon sac dans l'autre. Nous nous dirigeons doucement vers son cabinet situé au bout du couloir. Je la suis et nous pénétrons dans la grande pièce décorée. Elle marche jusqu'à son fauteuil et me demande de m'asseoir en face d'elle. Je m'avance un petit peu avant de retirer ma veste et de la poser sur le dossier de mon fauteuil. Je mets mon sac à sa place habituelle, à droite de mon siège.
« J'ai ramené le livre, Amy. Voulez vous que je le range?
-Ho, merci Mia. Non, pose le juste sur mon bureau, je m'en occuperais plus tard, dit-elle gentiment. »
Je vais poser le livre là où elle me l'a demandé, avant de m'installer en face d'elle. Je place mes mains froides sous mes cuisses pour tenter de les réchauffer un peu.
« Alors, de quoi parlons-nous aujourd'hui?questionnais-je. »
Elle lisse soigneusement sa jupe à l'aide de ses mains avant de me dire:
« Je me disais que tu pourrais peut-être me parler un peu de ton lycée. Me raconter comment se passent les cours, et si tu t'entends bien avec les autres élèves. »
Je grimace à sa réponse et passe une main dans mes cheveux. Je soupire, puis dis simplement:
« Vous voulez la vérité?
-Bien sur, Mia. Dis-moi tout.
-Et bien... commençais-je. Les cours se passent plutôt bien mais je n'ai pas franchement d'amis. Les lycéens sont tous très spéciaux et m'ont l'air plutôt superficiel. »
Elle hoche la tête en fredonnant un léger "mhhh" avant de froncer légèrement ses sourcils bruns.
« Mia, je me pose une question, dit-elle. Tu as dis que tu n'avais pas franchement d'amis. Qu'est-ce-que tu entends par là?
-Je veux dire que je ne traine avec personne et que je ne sors avec personne hors des cours.
-Oui, mais tu as fait des connaissances? C'est pour ça que tu as dit que tu n'avais pas "franchement" d'amis, continue-t-elle en insistant sur le franchement.
-C'est vrai, répondis-je, étonnée par sa déduction pertinente.
- Alors, dis-moi. Qui as-tu rencontré?
-Un garçon.
-Un garçon? Comment s'appelle-t-il?
-Je ne sais pas, en fait, je ne lui ai parlé que deux fois.
-C'est toi qui est allée lui parler?
-Non, c'est lui qui est venu me voir, dis-je.
-Et que t'a t-il dit?
-Heu... Il m'a parlé du livre que je vous ai emprunté. Il paraissait franchement étonné que je lise un livre pareil. Il m'a même dit, qu'il en avait acheté un pour comprendre ce qui avait pu me me donner l'envie de lire ce bouquin, racontais-je.
-Il semble vraiment intéressé par toi et par tes gouts s'il a été jusqu'à acheter le même livre que toi, complimente-t-elle. »
Elle semble ravie de cette découverte, mais je ne comprends pas pourquoi. Je la regarde étrangement et elle me demande quelques secondes après:
« Que sais-tu de lui?
-Heu, pas grand chose... répondis-je, instantanément. Je sais juste qu'il est en dernière année et qu'il joue au football. Il est populaire et n'a rien à voir avec moi. C'est à-peu-près tout ce que je sais. »
Elle hausse un sourcil avant d'arborer un air quelque peu sévère.
« Mia, ne dis pas qu'il n'a rien à voir avec toi, tu le connais à peine. Tu pourrais peut-être essayer de devenir amie avec lui? »
Je ferme les yeux quelques instants en secouant la tête de droite à gauche. Elle ne comprend pas que je n'ai pas envie de le faire rentrer dans ma vie. Ni lui, ni personne d'autre d'ailleurs.
« Sinon, je trouve que les cours de littérature sont passionnants. Je n'ai jamais autant aimé une matière. La plupart des professeurs sont gentils et agréables et ils n'ont pas l'air de se soucier du fait que je sois atteinte. Ils me traitent comme tous les autres élèves, ce que j'apprécie beaucoup, dis-je pour changer de sujet. Sinon, il y a beaucoup d'activités à l'école. A ce qu'il parait il y aura même un bal de fin d'année. A part ça, il y a régulièrement des rencontres sportives auxquelles tout le monde peut assister. D'ailleurs je crois qu'il y en a une ce vendredi...
-Pourquoi n'irais-tu pas? me coupa-t-elle. Tu pourrais passer un peu de temps avec les ados de ton âge et prendre du bon temps. En plus, ce garçon joue au foot, non?
-Oui, j'irais peut-être, si je ne suis pas trop fatiguée.
-Ça te ferait beaucoup de bien, tu sais. En plus je pense que tu pourrais vraiment devenir amie avec lui. »
J'hoche simplement la tête. Allez là-bas ne me ferait pas de mal, de plus je ne vois pas ce que j'y perds. Si ça peut me changer les idées rien que quelques heures, je ne suis pas contre.
"Ce que nous ne savons pas, c'est que nous sommes liés. Malheureusement, pas de la meilleure des manières..."
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top