Chapitre 1. 2/3
Le pasteur s'arrêta dans la neige, il fallait faire vite. Ils ne pouvaient se permettre de rester ainsi à découvert. Lui serait peut- être épargné, mais ses filles...
— Ecoutez les filles, il faut à tout prix se mettre à l'abri. Ils savent ce que nous sommes. Maintenant nous ne devons plus penser qu'à nous.
— Mon oncle je vous en prie! Ann est notre amie. Ayez pitié d'elle. Nous devons la sauver.
Samuel prit un instant pour réfléchir. La panique submergeait les filles et le temps était compté. Ils pourraient être sauvés si les habitants les voyaient dans l'église. Les créatures du mal ne pouvaient pénétrer les voies du seigneur, ce qui leur procurerait un avantage de taille. Alors ils pourraient encore faire croire plus longtemps en leur humanité mais le temps pressait. Le pasteur saisit Betty par les épaules, l'étreignit, fit de même avec Abigail avant d'ajouter;
— Courez vous mettre à l'abri dans l'église, accueillez les paroissiens s'ils vous demandent de l'aide. Plus proche de Dieu vous semblerez, plus en votre innocence ils croiront. Je vous rejoindrai avec les Putnam. Partez maintenant! Partez!
Une fois les enfants disparus dans la neige, Samuel s'engagea dans l'une des étroites rues de Salem. Ann Putnam, une jeune fille blonde à peine plus âgée qu'Abigail, vivait dans une de ces petites maisons toutes identiques les unes aux autres, seules leurs couleurs les différenciaient. La sienne était bleue. Elle y vivait avec ses parents et ses neuf frères et sœurs, tous plus jeunes qu'elle. Lorsque le pasteur s'approcha de la modeste maison d'assez près pour voir à travers les fenêtres du rez-de-chaussée, les lumières s'éteignirent. Comprenant que la peur les avaient eu aussi envahit, il toqua doucement à la porte et dit aussi discrètement qu'il pu;
— Thomas?! Thomas, je sais que vous êtes là. Ouvrez vite, c'est moi, votre ami Samuel!
Après un long moment d'hésitation durant lequel le pasteur cru devoir rebrousser chemin, la porte s'ouvrit sur une famille terrorisée, assise dans le noir au fond de la pièce principale, dénudée de tous les meubles qui s'y trouvaient autrefois. Les Putnam se préparaient à partir. Ann junior dominait la pièce de son regard bleu puissant et plein de grandeur. Elle n'était pas mauvaise. Les enfants entassés observaient le pasteur avec crainte. Pouvaient- ils encore avoir confiance les uns en les autres en ces temps?
— Samuel! Ann mère se sentit soulagée de le voir ici.
— Ann, vous devez tous me suivre. En se protégeant dans les églises, ils verront que nous ne sommes pas les œuvres du diable. Juste des familles ordinaires tentant de nous sauver des accusations.
— Samuel ne comprends-tu pas? Tout est fini. Ils savent que nous sommes sorciers. Que nous soyons venus de Dieu ou de Lucifer, cela ne fera aucune différence pour eux. Nous sommes les fils de Salem, de puissants sorciers. Cette terre est la nôtre. Nous ne devons plus nous cacher mais réclamer notre dû.
— Thomas non! Soyez raisonnable mon ami, mon frère.
— C'est au tombeau que nous devrions nous cacher. Suggéra Ann mère.
— Non, certainement pas Ann, s'ils nous pensent disparus ils se lanceront à nos
trousses et nous traqueront sans fin. Nous devons nous montrer partisan de leur cause, nous discréditer. Affirma Samuel. Sans quoi nous aurons tout perdu.
— Non... Anne junior ne supportait plus ces cachettes, mensonges, tueries. Elle voulait que tout cesse.
— Non, dit-t-elle encore. Nous avons causé trop de morts... Dans chacun des procès Betty, Abigail et moi avons dénoncé les personnes que vous nous dictiez, c'en est assez. De combien de morts devrais-je encore me porter responsable? Excédée, la jeune fille se mit à pleurer, soutenue par sa mère.
— C'est à l'église que nous allons tous. Termina avec gravité le pasteur.
Betty et Abigail parvinrent difficilement jusqu'au portail en bois blanc de l'église, caché par la neige grimpante. Abigail à peine vêtue, les pieds dans de petits chaussons fins, était prise de forts tremblements. Betty quant à elle, parvenait difficilement à ouvrir la maison du seigneur. En effet l'énorme clé refusait la serrure gelée. — Par pitié dépêches toi Betty, ici nous attraperont la mort par le froid ou par les armes!
— Je fais ce que je peux figure toi, articula celle-ci. Betty
abandonna la clé et se résolu plutôt à la magie. Ses yeux devinrent d'un noir d'encre profond et de suite la porte céda et s'ouvrit légèrement. Suffisamment pour apercevoir l'intérieur de l'église.
Les fillettes s'engouffrèrent dedans. Elles ne la connaissaient que trop bien. Dès leur plus jeune âge, le Pasteur les avaient habituées au contact de Dieu, le Dieu des hommes. Elles étaient venues bon nombre de fois et étaient familières avec ses bancs de bois cirés, son plancher grinçant et craqué par endroit, l'odeur d'eau bénite qui y flottait et les statues de pierre souffrantes le long des murs. Elles savaient ce qu'elles avaient à faire.
Abigail couru dans l'office chercher les couvertures rouge dédiées aux plus démunis. Elle se couvrit de l'une d'entre elles puis en tendit une autre à sa cousine gelée.
Betty tenta de maintenir la porte suffisamment ouverte pour faire entrer quiconque voulant se tourner vers le seigneur. Laissant au passage s'infiltrer quelques bourrasques de vent et flocons épais. L'enfant bataillait contre la porte lorsqu'elle aperçut un terrifiant cortège d'hommes passer juste devant le portail de l'église. Betty voulut refermer la porte au plus vite, terrifiée par ce qui pouvait leur arriver, quand Abigail vint se placer près d'elle, lui tendant une main froide mais rassurante.
— DEMON!!! Hurla un homme en pointant les jeunes filles du doigt. Elles sont là! Les démentes sont là!
Il provoqua un mouvement de foule. Des hommes en masse armés de haches, fourches, machettes, fusils, pieux et autres armes en tout genre foncèrent vers l'église. Leurs visages lacérés par la nuit les rendaient plus inquiétant encore, qui étaient réellement les monstres? Le monde devenait fou.
Abigail, la plus courageuse et plus âgée des deux enfants avança et sorti sur les marches de l'église. La couverture rouge qu'elle avait laissé pendre sur les épaules fines faisait ressortir la pâleur de son teint et la noirceur de ses cheveux, lui donnant un air surnaturel envoûtant.
— Stop!! hurla- t-elle. Elle tendit le bras, paume ouverte vers les hommes pour leur signifier de s'arrêter.
— Sorcière! Répondirent quelques-uns dans la foule qui s'était figée sur place.
— Je ne suis pas une sorcière! Répondit la jeune fille d'une voix si assurée qu'elle se surprit elle-même.
— Menteuse! Toi et tes amies vous accusez les autres sorciers pour vous protéger! C'en est assez! Attrapez-les !
— Si j'étais une sorcière, pensez-vous que Dieu m'accepterais en sa maison? Pensez vous que je serais la nièce de votre pasteur?
— Laisses notre pasteur en dehors de tes histoires démon.
— Je ne fais que protéger les miens, les gens que j'aime. Mes amies et moi ne faisons que libérer Salem des sorcières qui s'y cachent! N'ai-je pas dénoncé Tituba, la servante de mon oncle ou encore mon amie Sarah Good? Si nous avions été des sorcières, ne pensez-vous pas que j'aurais essayé de les protéger?
Cette vérité lui était pénible mais la survie des deux enfants était égoïstement plus importante que leurs actes. Elles avaient en effet été contraintes de dénoncer des humains et même d'autres sorciers pour protéger leur communauté. La morale n'eut aucun droit de véto. Seule la survie comptait, peu importe les moyens engagés.
Les murmures montaient dans les rangs désincarnés. Pour appuyer ses propos et affirmer son humanité, la jeune fille s'effondra dans la neige de manière théâtrale. Betty accourue, implorant les hommes de l'aider. Elle les connaissait presque tous. Le barbier, Smith, le mari de madame Goodwin, le vieux McCollough, monsieur Freegan et tant d'autres, tous avaient perdu la raison et s'apprêtaient à commettre un acte irréparable que les filles avaient pourtant provoqué. Ils hésitaient à lui porter secours quand le pasteur surgit de l'intérieur de la vieille église pour l'aider. Betty comprit que les Putnam étaient en sécurité et qu'ils avaient accepté
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