Chapitre 1. 1/3
Salem, Massachusetts, octobre 1692
De toutes parts des coups de fusils retentissaient. Des fermiers hurlaient fourches et torches en main à la recherche de ces pauvres jeunes filles accusées, les Sorcières. Les femmes terrifiées criaient, apeurées par ces hommes cassant et raflant tout sur leur passage. Les hommes en armes fondaient sur les maisons dont les noms apparaissaient sur les listes. La chasse aux sorcières avait commencé. Le froid mordant d'un hiver glacial faisait résonner les pas lourds des colosses qui s'en prenaient même aux enfants.
Abigail se réveilla en sursaut sous la panique des coups de feu. La toute jeune femme âgée de 12ans, brune, avait les cheveux qui lui tombaient sur le visage et de grand yeux noisette paniqués. Elle attrapa sa robe de chambre écru posée sur le bord du lit à baldaquin et courut dans la chambre voisine. Celle de sa cousine, Betty, une enfant de 3 ans sa cadette. Les deux jeunes filles se blottirent terrifiées. Betty avait les yeux vitreux et enfoncés par la folie. Elle perdait du poids chaque jour un peu plus. L'état d'Abigail n'était pas meilleur. Le teint pâle, le visage creusé et les membres tremblants rappelaient à la jeune fille que sa condition ne lui était d'aucune assurance.
Le Pasteur Samuel Parris, père de Betty fit irruption dans la pièce, une bible dans la main, il fit signe aux deux jeunes fillettes de le suivre. Bien que fin, le Pasteur avait une carrure imposante qui ne manqua pas de rassurer les fillettes. Les traits épais et marqués par la fatigue trahissaient pourtant une immense empathie pour les enfants apeurés. Samuel revêtait un visage beau et fascinant bien qu'autoritaire. Il tendit la main vers les enfants qui bondirent pesamment du lit, engourdies par la peur et par le froid. Tous trois se précipitèrent hors de la maison, ils descendirent en vitesse le grand escalier de la demeure victorienne et passèrent ses longs couloirs. Ils savaient que ce soir ils perdraient peut-être à jamais leur maison. Le temps avait changé. Le Pasteur regretterait la demeure calme dans laquelle sa femme et ses deux fils avaient perdus la vie. Betty pleurerait sans doute sa maison de poupée et les croquis qu'elle conservait de sa mère et que John Indien avait dessiné pour elle. Abigail, quant à elle, ne regrettait rien de cette maison. Recueillie par son oncle à la perte de ses parents, elle avait déjà perdu sa seule attache. Pourtant elle aimait et connaissait par cœur la demeure, dans ses moindres recoins. Elle en avait arpenté mille fois les couloirs et escaliers. Elle savait exactement comment sortir précipitamment ou discrètement. Abigail tenta de s'engager sur le perron afin de sortir plus rapidement mais elle fut retenue par le pasteur qui la saisit par l'épaule.
— Abigail! L'interpella t-il. Viens, nous sortirons plus discrètement par derrière.
La jeune fille obtempéra sans plus de question et prit la direction de la salière, entraînant sa cousine dans son sillon.
Des coups de feu ponctuaient leurs arrêts tandis qu'elle voyait défiler le personnel de la maison sans savoir ce qu'il adviendrait d'eux. Que deviendrait Samatha ? Que deviendrait le pauvre John Indien? Que deviendraient Mme Goodwin et les autres? Perdue dans sa contemplation, Abby glissa contre une marche trop lisse et dévala le restant des escaliers avec fracas. Elle savait pourtant qu'il fallait faire attention à cette troisième marche. Le pasteur la ramassa tandis qu'ils reprenaient leur course effrénée. Enfin, elle sentit sous ses pieds la froideur du carrelage qui perçait à travers ses chaussons fins. La salière était toute proche, ils sortiraient de la maison avant que quiconque n'entre les prendre. Samuel leva le bras et les enfants se stoppèrent. La paume de sa main s'ouvrit, laissant jaillir une chaude lumière bleue et brillante et la lourde table de bois qui se trouvait au centre de la pièce de déplaça d'elle même sur le côté, laissant entrevoir une poignée au sol dissimulée entre les carreaux de pierre. Il s'empressa d'ouvrir la trappe et d'y glisser Betty avant de prier Abigail d'y descendre à son tour. Mais la jeune fille ne bougea pas. Elle était tétanisée. En effet, la porte d'entrée de la maison venait de s'ouvrir avec un grand bruit sourd et les voix de Samatha et d'autres hommes se mêlèrent dans d'atroces hurlements.
Le Pasteur n'y tint plus, il fallait sortir et maintenant. Voyant Abby immobile il bondit de la trappe et courut vers la jeune fille. La saisissant à pleine main, il la prit dans ses bras et sauta dans le trou béant au centre de la pièce. La trappe se referma et Abby devina au bruit la table se replacer d'elle-même. Ils étaient à présent seuls, isolés du reste du monde sous la maison.
Bien que vaste, la salière leur semblait incroyablement étroite et sombre. Samuel tâta l'îlot de bois sur lequel il savait que se trouvait une bougie. Sa main frôla alors un objet métallique, froid et finement sculpté, le chandelier. Il le serra très fort, ferma les yeux et la mèche de la bougie prit feu. Enfin, dans une semi obscurité dansaient quelques flammes qui venaient décrire les objets suspendus. Alors seulement, Abigail prit conscience des arômes qui envahissaient ses sens. Elle devina derrière elle un sac d'épice à son odeur forte et délicieuse. Ses yeux se posèrent ensuite sur une énorme miche de pain posée à côté d'un tonneau rempli de pommes rouges juteuses. La bougie dessina ensuite les formes de saucissons suspendus à une corde d'un bout à l'autre du sellier. Elle posa les doigts sur une tomme de fromage qui devait à elle seule peser le double du poids de la jeune fille. Enfin elle plongea son regard dans un petit sac luisant de cristaux blanc. Ce qu'elle aimait le sucre.
Elle eut envie d'y plonger les doigts avant de les porter à sa bouche quand un énorme bruit retentit au-dessus de leurs têtes. Le Pasteur plaqua ses mains contre les bouches des deux enfants qui crurent suffoquer tant elles eurent peur. Il devenait urgent de quitter les lieux. « Chuuute » fit doucement le pasteur dont le souffle tomba sur le front de la plus âgée. Des bruits de pas, de casse et de chahut résonnaient dans la cuisine. Un vase se cassa, ou un saladier peut être. Des chaises valsèrent. « Pourvu qu'ils ne trouvent pas la trappe » pensa Abby si fort qu'elle le put.
Au bout de quelques longues secondes, le désordre se calma et la pièce redevint silencieuse. Alors seulement le pasteur lâcha les deux enfants qui purent reprendre leur souffle. Quelques secondes passèrent encore avant que Samuel ne décide enfin de pousser le gros îlot qui martela le sol sans grâce, dévoilant un couloir plus étroit encore.
— Dépêchons-nous.
Le couloir traversait la forêt, si bien que les enfants n'en virent plus le bout. Enfin, après de longues minutes d'une marche interminable, ils sortirent dans le paysage enneigé, derrière une grange dont seuls trois murs tentaient encore debout.
La ville fumait par endroits, là où les villageois étaient. La nuit noire et glaciale lacérait le visage des fillettes. La buée fumante de leur respiration témoignait de la vie qui émanait d'elles. La neige tombante couvrait déjà les traces de leurs pas. Tous trois allèrent se réfugier dans l'église où ils savaient qu'ils ne craignaient rien. Le Pasteur n'avait pu se résoudre à emprunter le passage, trop incertain de ce qu'ils y trouveraient, ou n'y trouveraient pas. Ils n'étaient pas des créatures de Lucifer. Depuis des mois ils avaient pu se cacher, mais désormais les gens savaient, la menace était trop grande. Ils les voyaient comme des monstres. Des procès avaient eu lieu, condamnant une centaine de personnes. Vingt-quatre d'entre elles avaient été tuées. Tous accusés de sorcellerie, de pauvres innocents dénoncés par des sorciers. Abigail et Betty avaient été contraintes de donner des noms afin de se sauver. Cette simple pensée faisait frémir la jeune Abby qui en avait, depuis, perdu le sommeil. Elle ne put s'empêcher de penser qu'elles étaient toutes les trois responsables de chacune de ces morts. Elle, Elizabeth, et Ann... « Ann... » Songea Abby dont la pensée atteint sa cousine qui sursauta.
— Ann! Nous devons sauver Ann! Père, nous devons la sauver! Hurlait Betty paniquée.
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