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Ceska supportait difficilement le caractère brutal et changeant de Madame Archibald. Tantôt elle était d'humeur joyeuse, tantôt elle hurlait comme une chauve-souris brûlée au sixième degré. « Insupportable »!

Jamais Astrid Archibald ne fut incorrecte vis-à-vis d'elle, mais elle traitait ses collaborateurs comme des chiens errants. Bien évidemment, Ceska ne remit pas en question son talent de grand parfumeur mais elle releva bien souvent le manque d'humanité de son mentor.

Madame Archibald ne lui laissait aucun répit. Ceska devait travailler encore et toujours, sans jamais se lasser, « Le travail, est la clé du succès bel enfant », répétait-elle à longueur de journée. Ceska craignit que cette pression ne la fasse craquer un jour. Elle se confia alors à Helena qui l'encouragea et la rassura.

La parfumeuse en chef, n'avait qu'une seule idée en tête : Assurer la création de la nouvelle fragrance de La Maison Chaffard. Elle devait obligatoirement être prête avant le solstice d'été (grand évènement annuel organisé par Blue Divine & Coldchester pour fêter l'arrivée de l'été). C'est la raison pour laquelle Ceska fut recrutée quatre mois auparavant. Sa mission était d'imaginer un parfum original, pour cette illustre maison de mode.

Durant des années, La Maison Chaffard fût dans l'escarcelle de la concurrence. Madame Archilbald faisait des pieds et des mains pour convaincre la luxueuse entreprise de lui confier ses projets. Le rachat de Blue Divine par Coldchester & Cie avait finalement rendu ce rêve possible.

La vérité, c'est qu'au moment même où La Maison Chaffard acceptait de faire affaire avec BDC, Madame Archibald vivait un enfer. Elle perdait l'odorat. La faute à un traitement antibiotique qui devait soigner sa sinusite aigüe. Astrid Archibald ne sentait plus rien. C'était pour elle la pire catastrophe au monde. Car c'est grâce à son nez qu'elle jouissait d'une telle renommée. Comment aurait-elle pu continuer à régner sur Blue Divine et le monde du parfum sans lui ?

Sans son nez elle n'existait plus. Elle n'avait ni mari, ni enfant et se retrouvait seule face à sa tragédie. Elle ne pouvait ni faire confiance à ses équipes, même pas en parler à Héléna qui l'assistait depuis des années. Ni à sa nouvelle direction qui l'aurait sans doute éjecté une fois la nouvelle répandue. Une armée de chimistes en herbe se seraient aussitôt présentés pour la remplacer. Scénario impossible à envisager pour Madame Archibald.

Elle savait qu'elle n'avait pas droit à l'erreur avec La Maison Chaffard. Elle devait faire vite avant que quelqu'un ne se rende compte de sa situation. Elle eut alors l'idée de faire recruter un nouveau nez pour la seconder. Ce qu'elle avait refusé de faire des années durant. Mais c'était la moins pire des solutions, elle pourrait ainsi garder le contrôle de son laboratoire.

C'est comme cela qu'elle organisa une vague internationale de recrutement. Le nouveau nez se voyait offrir un poste de parfumeur avec un salaire et des avantages confortables, dans cette entreprise prestigieuse.
C'est pendant la phase de recrutement que Franceska fut repérée. « Un don tombé du ciel » d'après Astrid Archibald.

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle elle vit rouge en constatant son éviction. Caleb Oldchester la remplaça par un blondinet incapable de distinguer la senteur du lys avec celle du muguet. Avec son nez magique, Ceska lui permettait de conserver son secret, elle lui garantissait surtout le succès de sa création.

Au départ, Madame Archibald instaura un climat de confiance avec sa protégée. Mais très vite, elle ne put se défaire de son caractère irascible et autoritaire. La jeune recrue n'osait pas la contredire, sous peine de se prendre une volée de bois vert. Elle aurait voulu expérimenter d'autre chose à travers la création de ce parfum, mais Ceska comprit assez vite qu'elle n'en aurait pas la possibilité.

Madame Archibald connaissait ses notes olfactives sur le bout des doigts. Elle était impressionnante lorsqu'il s'agissait de composer de tête de nouvelles senteurs, mais Ceska ne savait pas qu'Astrid Archibald faisait tout de mémoire. Elle ne savait pas non plus qu'elle lui servait de « nez d'aveugle », un peu comme ces chiens qui orientent les personnes mal-voyantes.

Ceska sentit très vite que quelque chose clochait, mais son admiration pour Madame Archibald faussa son jugement. Elle voulut quoi qu'il arrive garder une image positive de celle qui lui donna sa chance. La jeune femme pensa que ce n'était qu'une question de temps avant que Madame Archibald ne lui fasse confiance. En attendant, elle apprit son métier du mieux qu'elle pouvait.

Heureusement, elle n'était pas seule au labo. Elle pouvait compter sur le soutien de Chen, la préparatrice du laboratoire. Ensemble, elles riaient et bavardaient comme toutes les jeunes femmes de leur âge.

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Ce jour-là, Ceska arriva très tôt à Blue Divine & Coldchester. Elle entra dans le vestiaire et enfila fièrement la blouse blanche brodée à son nom. Elle parcourut joyeusement le long couloir qui menait des bureaux au laboratoire, mais elle eut un mouvement de recul en apercevant Madame Archibald qui l'attendait les bras croisés et la mine renfrognée.
— Franceska. Dans l'atelier, tout de suite !

Au ton de sa voix, Ceska sut que cette conversation n'aurait rien d'agréable.
— Quelque chose ne va pas ? J'ai fait quelque chose de mal ? Osa-t-elle anticiper.
— Ma belle enfant, je n'aime pas tellement ce que je vois de vous depuis quelque temps.
— Je suis désolée, dit-elle en baissant la tête.
— Je veux parler de ce directeur financier avec lequel vous semblez fricoter, dit-elle en lui coupant sèchement la parole.
— Oh mais je ne fricote pas Madame Archibald. C'est un ami.
— Vous apprendrez que dans le travail, l'amitié n'existe pas. C'est un leurre Franceska ! Surtout lorsque comme vous, on est une femme jeune, ravissante avec la tête bien faite, et lui un homme de pouvoir. Ces gens-là sont de la pire espèce. À ses yeux, vous ne serez qu'un énième trophée. Vous filez sur une mauvaise pente, chère enfant. Vous ne savez pas à qui vous avez à faire. Vous n'êtes qu' une petite chose fragile entre ses doigts et vous ne vous en remettrez pas. Croyez-moi !

Ceska écouta Astrid Archibald dire de tout le mal qu'elle pensait de son « amitié » avec Cassidy. Elle eut du mal à l'imaginer en grand manipulateur, bourreau des cœurs. Pour Ceska, cet homme était la douceur même, il n'y avait qu'à voir son sourire ! Néanmoins, afin d'acheter la paix et se défaire du discours pénible sur les cadres et élites de BDC Ceska promis à son mentor de faire attention.

Mais la réalité était tout autre, sans même s'en rendre compte, les pensées de la jeune femme convergeaient bien trop souvent vers Cassidy. Elle ne savait pas grand-chose de lui, mais il l'avait conquise.

N'étant pas dupe, Madame Archibald garda un œil attentif sur sa petite protégée craignant qu'elle ne se désintéresse du projet. Professionnellement et personnellement, elle avait plus que jamais besoin de Ceska.

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