3 - Sentiments
*
— Je suis désolée de vous déranger mais Franceska doit absolument monter au dixième.
— Pas maintenant. Nous sommes en pleine création, grogna Madame Archibald.
— Astrid, il faut qu'elle signe son contrat, s'inquiéta Hélèna. Ils l'attendent depuis trois jours au service juridique.
— Oui ! Oui ! Et bien elle viendra une fois que nous aurons terminé.
— Le plus tôt serait le mieux. Vous savez comment ils sont au service juridique ?
— Grrrr !
— Ils disent que Franceska n'est couverte par aucune assurance Astrid ! Ça devient compliqué là Astrid !
— C'est toujours compliqué avec eux... Ils sont toujours pressés ces promeneurs de petits papiers. Ils sont agaçants à la fin !
Ceska ne put s'empêcher de sourire. Décidemment Madame Archibald avait mauvais caractère. Elle s'estima heureuse d'être sa petite protégée, car la langue d'Astrid Archibald pouvait être aussi tranchante qu'un silex.
À force d'insister Héléna parvint à libérer Ceska des griffes d'Astrid Archibald. Ceska s'empressa de monter quatre à quatre les marches de l'escalier jusqu'au dixième étage de la tour BDC pour signer son contrat.
Le service juridique était organisé en open-space. Seuls les cadres bénéficiaient de leurs propres bureaux. Étourdit par tout ce brouhaha, Ceska ne se souvint plus des indications qu'Hélèna venait de lui donner. Elle ferma les yeux un court instant, histoire de se concentrer, quand elle entendit quelqu'un crier :
— Et elle ne peut pas se pousser cette gourdasse ! Tu ne vois pas que tu bouches la route ! Non mais c'est pas vrai !
— Je suis désolée, vraiment, je...
— Ne faites pas attention à elle. Marina est toujours comme cela. Jamais contente. Toujours pédante et pressée pour rien. Puis-je vous aider ?
Ceska releva la tête et tomba nez à nez avec un homme qui n'aurait pas manqué de la faire rougir si la couleur de sa peau l'avait permis. Ses yeux bleu-verts l'hypnotisaient. Elle se reprit et réussi à baragouiner un semblant de phrase :
— Je suis perdue... Je dois signer mon contrat... Je... Je ne me souviens plus du numéro du bureau.
— Je vais vous y emmener.
— Merci Monsieur.
— Oh ne m'appelez pas Monsieur, appelez-moi Cassidy, ça suffira.
— Très bien. Je m'appelle Franceska. Mais tout le monde m'appelle Ceska.
— Alors, Ceska quel service intégrez-vous ?
— Je suis le nouveau nez. Je travaille avec Astrid Archibald.
— Une nouvelle au laboratoire de création alors ?
— Oui. C'est ça.
— Vous avez l'air si jeune. En règle général, le personnel du laboratoire est plutot barbu et beaucoup moins joli.
Ceska ne sut pas quoi répondre tant sa gênée fut grande.
— Voilà ma jolie, vous êtes arrivée.
— Merci beaucoup.
— Mais de rien. À bientôt Ceska ! fit-il en lui adressant un clin d'œil.
Une fois son contrat en poche, Ceska exulta et sautilla discrètement dans le couloir. Elle n'en revint pas d'être officiellement salariée dans l'entreprise de son choix. Elle contempla avec joie le badge bleu que l'on venait de lui confier. Elle prit l'ascenseur, le coeur léger, pour rejoindre laboratoire.
En revanche, elle ne put se sortir de la tête le regard bleu lagon de Cassidy. C'était un sentiment rare chez elle. Sans compter Héléna et Mme Archibald, il était le premier à s'adresser à elle avec sympathie, et pourtant, elle était chez Blue Divine & Coldchester depuis trois jours déjà. Il est vrai qu'à part ces trois-là, personne ne lui adressait jamais la parole. D'ailleurs, la mission que Madame Archibald lui avait confiée demandait une grande discrétion, et l'excluait donc de tout travail de groupe. Ceska comprit que son intégration ne se ferait pas pas sans difficulté.
*
Ceska sentait bien que sa présence gênait. Dès qu'elle passait, les gens chuchotaient. Elles entendaient parfois des commentaires désagréables à son sujet. Elle n'osa pas se l'avouer, mais elle savait au fond d'elle que la couleur de sa peau y était très certainement pour quelque chose. Parce qu'à part elle et les deux vigiles qui se relayaient à l'entrée, il n'y avait aucune personne de couleur dans cet établissement. Pas une !
Vive la diversité ! Pensa-t-elle.
Une fille du service communication, lui avait même demandé si elle était le nouvel agent d'entretien. Cela révolta Ceska qui s'empressa de répondre qu'elle était le nouveau bras droit d'Astrid Archibald. La jeune femme en perdit son latin et se confondit en excuse.
Pffff ! Comme si cela suffisait !
Ceska n'avait rien contre les femmes de ménages, sa mère l'avait été pendant des années, et elle était très fière de sa mère. Simplement, elle ne comprenait pas que la couleur de sa peau soit systématiquement associée à ce genre de préjugés. Elle se rappela alors de ce que sa mère lui répétait : « L'ignorance est le plus grand des mépris ».
Cette simple pensée la remis en confiance. Elle poursuivit son repas considérant que sa collaboration avec Madame Archibald, était bien plus importante que tout le reste. Elle se fit même la promesse de ne plus y prêter attention.
Tout en tapotant sur l'écran de son portable avec son index gauche, Ceska grignota un club sandwich au poulet. À la cafétéria de l'entreprise, elle s'asseyait toujours à la même place, sur la petite table ronde près de la grande baie vitrée. De là, elle pouvait observer les passants. La jeune femme aimait voir le flux de la rue.
— Ceska ?
Le regard de la jeune femme se troubla. Cassidy se tenait devant elle, la gratifiant de son plus beau sourire. « Waou » ! Pensa-t-elle en le saluant timidement. Ils échangèrent quelques banalités, alors que les gens autour d'eux les observait d'un oeil curieux et étonné.
« Évidemment, un Directeur financier et une femme de ménage, ça détonne » s'agaça Ceska. Elle qui n'aimait pas attirer l'attention, fit tout pour écourter la conversation. Mais le jeune homme se montra fort bavard.
En réalité, Ceska était attirée par Cassidy. Cela ne faisait aucun doute. Et vraisemblablement, elle ne le laissait pas indifférent non plus. Mais elle avait tellement attendu d'être « nez » qu'elle ne souhaitait pas gâcher cette belle opportunité à cause d'un homme.
En plus, elle avait vu ce que son père avait fait de sa mère, et surtout, elle savait de quoi son frère était capable s'il la savait éprise.
C'est d'ailleurs pour cela qu'à presque vingt-quatre ans, Ceska n'avait encore jamais vécu de véritable relation. Elle avait bien eu une amourette de six mois avec Billy Rashidy un gars du quartier, mais à part se tenir la main et se bécoter dans des cages d'escaliers, il ne s'était jamais rien passé de folichon entre eux.
Puis un jour Billy partit, victime des menaces de Sonny. Ce dernier ne supportait pas qu'on courtise sa sœur. Bien qu'elle soit majeure et libre de faire ses propres choix, il cassait la gueule à quiconque l'approchait. Et Caleb Oldchester en savait quelque chose !
À cause de son père, de Sonny et de tout ce qu'elle s'imaginait sur la gente masculine, Ceska évitait soigneusement les hommes. Elle ne voulait rien éprouver pour eux. Et puis qu'aurait-elle fait de tous ses sentiments ? Rien très certainement.
Certes, Cassidy était différent des autres, mais la passion de Ceska était plus forte que le reste.
***
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top